Interview de M. Raymond Barre, député apparenté UDF et candidat à l'élection présidentielle de 1988, dans "La Nouvelle République du Centre-Ouest" du 30 mars 1988, sur ses propositions concernant la famille.

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Média : La Nouvelle République du Centre Ouest

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La Nouvelle République : La famille semble devoir être l’un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle. Comment expliquez-vous que ce sujet, considéré comme démodé – voire ridicule – il y a quelques années, soit aujourd’hui revenu au premier plan des préoccupations des Français ?

Raymond Barre : Tant mieux si la famille est aujourd’hui à la mode : c’est un sujet de fond dont les gouvernants ne sauraient se désintéresser, même si d’ailleurs, et surtout, si ce thème se démodait ! En tant que Premier ministre, je me suis particulièrement attaché à la mise en œuvre d’une politique familiale active et dynamique.

Aujourd’hui le regain d’intérêt pour la famille s’explique à mon avis :

- par la prise de conscience nécessaire de l’enjeu national que représente pour le pays la situation démographique. Baisse de la fécondité et vieillissement de la population se conjuguent pour nous préparer, dans le long terme, un avenir risque : perte de dynamisme, crise de financement des régimes de retraite, etc. Le développement des familles, et notamment l’impérieuse nécessité du troisième enfant, s’inscrit dans ce contexte ;

- par l’incidence de la crise économique et des difficultés d’emploi des jeunes qui font de la famille le premier rempart contre le chômage : les jeunes restent plus longtemps chez leurs parents pendant la période, souvent longue, d’insertion professionnelle (études, stages) qu’ils connaissent avant d’entrer dans le monde du travail : et ils sont reconnaissants de cette solidarité familiale. Ceci explique peut-être que la famille soit désormais une valeur positive pour les jeunes, après une phase antérieure de plus grand l’individualisme ;

- par les évolutions frappantes que connaît aujourd’hui la famille et qui font penser qu’elle est menacée : augmentation du célibat, diminution des mariages, multiplication des divorces, développement des familles « monoparentales », apparition de certaines formes de la procréation artificielle (mères porteuses…). On assiste en effet à une diversification des formes de la famille, et il est légitime que ceci suscite des interrogations parfois angoissées, notamment pour ce qui touche la place de l’enfant, son éducation, son affectivité…

La Nouvelle République : Vous insistez dans vos propositions sur la nécessité de « protéger l’institution familiale ». Par quels moyens ?

Raymond Barre : Il n’est pas du rôle de l’Etat de prendre les familles sous sa tutelle et de leur dicter ce qu’elles ont à faire. Toutefois, il faut admettre que bien des évolutions de notre société, l’urbanisation, l’essor des loisirs, la modification des mœurs, la généralisation de l’activité féminine, peuvent constituer autant de menaces de rupture pour la famille. Il est donc important de prendre en compte cette situation et d’être vigilant pour elle :

- en créant un environnement propice au développement et à l’épanouissement des familles, (habitat, urbanisme, loisirs, éducation…) ;

- en promouvant une image positive de la famille (soutien aux milieux familiaux…) ;

- en prenant les mesures indispensables de solidarité à leur égard (garantie du pouvoir d’achat des prestations familiales…).

La Nouvelle République : Le travail a modifié profondément les structures familiales. Vous-même vous êtes prononcé pour « une véritable politique de l’enfant ». Comment définiriez-vous cette politique, et par quels moyens peut-elle s’exercer ?

Raymond Barre : Le travail des femmes et des mères de famille est devenu une donnée de notre société. Comment ne pas être admiratif devant les emplois du temps de ces mères qui mènent tout de front avec énergie, au prix d’une grande fatigue souvent !

Cette donnée doit désormais faire partie intégrante de la politique familiale. Le travail des femmes demande :

- un développement des modes de garde des petits enfants et leur diversification, pour permettre de répondre aux besoins et de s’y adapter au mieux et avec souplesse (garde avant l’école, le mercredi etc.) ;

- le soutien aux associations et aux initiatives qui se manifestent en faveur des loisirs éducatifs et culturels des jeunes, par exemple le bénévolat des personnes retraitées ou préretraitées ;

- le renforcement de la place donnée aux familles dans l’éducation (participation accrue au fonctionnement des établissements scolaires) et dans les médias (programmes pour enfants…).

La Nouvelle République : Certains candidats ont déjà fait des promesses en ce qui concerne le montant, d’une part des allocations familiales, d’autre part de congé parental d’éducation. Quelles sont vos propositions précises dans ce domaine ?

Raymond Barre : Dans le domaine des prestations familiales, deux priorités me paraissent nécessaires :

- maintenir le pouvoir d’achat des familles pour une revalorisation régulière des prestations familiales, compte tenu de l’augmentation des prix ;

- orienter le dispositif des prestations principalement autour de l’allocation parentale d’éducation, servie dès la naissance du troisième enfant. Je propose de doubler le montant de cette allocation et d’élargir ses conditions d’attribution. Cette mesure vise à la fois à encourager le redressement démographique du pays et à répondre aux problèmes que pose dans une famille l’arrivée d’un troisième enfant : coût d’entretien très lourd, problème de logement, interruption ou renonciation à l’exercice d’une activité professionnelle. C’est une mesure d’ampleur. Je propose de procéder à sa mise en œuvre par étapes sur trois ans pour respecter l’équilibre financier du régime.

La Nouvelle République : Considérez-vous qu’une bonne politique de la famille doit s’accompagner d’une politique d’aménagement du temps de travail ?

Raymond Barre : Oui, j’en suis convaincu. J’ai moi-même, en tant que Premier ministre, pris les premières mesures concernant le travail à temps partiel. Il faut encourager cette forme de travail qui répond particulièrement aux aspirations des parents et à leurs besoins.

Je suis également particulièrement favorable au développement des solutions d’horaires à la carte, mobiles ou calculés sur une base annuelle, qui permettent notamment de concilier au mieux la vie de famille avec les exigences de l’activité des entreprises ou des administrations.