Texte intégral
Q - C'est aujourd'hui le 3e anniversaire de l'arrivée de J. Chirac à l'Elysée : que souhaitez-vous au Chef de l'Etat ?
— « D'abord une très bonne journée, un excellent anniversaire. »
Q - Et sur la position générale dans laquelle il peut être, le bilan qu'il peut faire de ces trois ans ?
— « Oh, je crois que ce n'est pas au bout de trois ans qu'on fait un bilan, on le fait à la fin du septennat. »
Q - En tout cas, en ce jour d'anniversaire, c'est vous qui demandez un cadeau parce que vous lancez une pétition pour obtenir un référendum sur le Traité européen d'Amsterdam ?
— « Ça me paraît normal : d'abord, c'est conforme à la constitution puisque l'article 89 dit que le Président de la République soumet au référendum – et non pas “peut soumettre“ - les modalités de révision de la Constitution. Je ne vais pas m'étendre là-dessus parce que nous aurons le temps d'y revenir d'ici à la fin de l'année. Mais c'est vrai que la France a abandonné une partie de sa souveraineté dans l'aventure monétaire : nous verrons bien ce qu'elle deviendra. Maintenant, il ne reste plus qu'à souhaiter que ça marche. C'est évident. »
Q - Le problème, c'est que J. Chirac a dit qu'il n'était pas pour un référendum ?
— « Ça, nous verrons bien le moment venu ce qu'il fera. Mais je crois que le Président de la République ne peut pas tenir compte aussi du sentiment des Français. »
Q - Et vous attendez d'être soutenu, en matière de force politique, par qui ? Par une partie du RPR ?
— « Lorsqu'il s'agit du référendum, on en appelle à qui, d'après vous ? »
Q - Au peuple.
— « On en appelle au peuple. Donc on n'attend pas d'être soutenu par les partis. Ce n'est pas une affaire de parti, on demande à chaque Français de se déterminer. Et d'ailleurs, lorsqu'il s'agit d'abandonner une part de sa souveraineté nationale, c'est ce qu'on a fait pour Maastricht, on a demandé au peuple de se prononcer… »
Q - Ça, c'était pour la monnaie elle-même.
— « Oui, mais c'était un abandon de la souveraineté. Je rappelle que le Conseil constitutionnel a considéré que le Traité d'Amsterdam ne pouvait pas en l'état être ratifié sans réforme de la Constitution. C'est donc à ce moment-là que nous débattrons. »
Q - Qu'il avait été en fait négocié par J. Chirac et A. Juppé pour l'ensemble ?
— « Oui, ça ne m'a pas échappé. Ça n'enlève rien à mon sentiment que cela a été négocié par J. Chirac et A. Juppé, j'imagine pourquoi ils ont consenti à cet abandon de souveraineté, c'est parce qu'à Amsterdam, les Quinze n'ont pas pu se mettre d'accord sur une nouvelle organisation de l'Union européenne, organisation nécessaire alors que nous allons passer à 23 ou 24. Comme il n'y avait pas eu d'avancée sur ce point, on a décidé de lâcher quelque chose. Je ne crois pas que cela ait été une très bonne idée. »
Q - Vous ne craignez pas de provoquer une désunion de plus dans l'opposition ?
— « Il ne s'agit pas de désunion dans l'opposition. Moi, je ne m'adresse pas à l'opposition. Il y a ceux qui se préoccupent de l'opposition… »
Q - Justement, on va en parler.
— « Ce sont les dirigeants de l'opposition. Pour ça, ils ont un cadre, ce sont les partis politiques. Et puis il y a ceux qui s'occupent de la majorité, ils ont aussi un cadre sur leur propre parti. Moi, je ne me situe pas sur ce point, sur ce plan. »
Q - Néanmoins, j'aimerais que vous nous disiez quel est votre qualificatif, comment vous qualifiez actuellement l'état de l'opposition ?
— « L'Etat de l'opposition n'est pas brillant, voilà ce que l'on peut dire. C'est d'ailleurs à peu près inévitable parce que lors des élections dernières, provoquées par la dissolution, les Français n'ont rien compris à ce qui leur était demandé et la gauche a été élue alors que personne ne s'y attendait et surtout pas ceux qui sont, depuis, devenus l'opposition. Alors il faut maintenant qu'elle se remette en question, c'est ce qu'elle fait. En tous les cas, au niveau du RPR ça se fait mais ça, c'est le problème des instances dirigeantes des mouvement politiques. »
Q - Vous en faites partie, notamment…
— « Mais il faut bien comprendre une chose, c'est qu'il faut retrouver le contact avec le peuple. C'est ça qui compte. Ce ne sont pas les conciliabules et les discussions en circuit fermé. »
Q - A propos de conciliabule en circuit, vous étiez dans le bureau de P. Séguin quand il a confronté, avant-hier, J. Tibéri et J. Toubon…
— « Ce n'était pas son bureau, vous voyez comme les informations sont mauvaises… »
Q - C'était où ?
— « C'était une salle voisine. »
Q - Evidemment, ça change tout. Mais quel était le climat ? Pouvez-vous nous dire, par exemple, si l'un ou l'autre, entre J. Toubon et J. Tibéri, a élevé la voix ?
— « Il se trouve que les deux personnes citées, qu'il s'agisse de J. Toubon ou de J. Tibéri, sont des amis. Et je considère que le meilleur moyen de résoudre cette affaire, c'est de ne pas en parler. »
Q - Est-ce qu'ils sont amis entre eux ?
— « Donc je ne vais pas vous en parler. »
Q - Mais vous pourriez nous dire pourquoi on a l'impression que ça n'a pas abouti ? Voilà une réunion pour rien.
— « Parce que vous pensez que par un coup de baguette magique on règle les problèmes ? Il faut un peu de temps. »
Q - Et passer à des sanctions peut-être ?
« Du temps et du silence. Que chacun s'occupe de ses affaires. Je comprends que les journalistes s'intéressent à ça, mais il y a des sujets plus importants. »
Q - Oui mais vous ne pouvez pas nous en dire plus ? Est-ce que vous pensez… ?
— « Non, ne vous fatiguez pas, je ne vous dirai rien de plus. Vous savez, je sais me taire quand je veux. »
Q - C'est ce que je vois. Est-ce que vous pensez que le Président Chirac doit s'engager davantage par rapport à l'opposition, justement, dans l'état où elle est ? Il a dit devant les sénateurs, et là aussi vous y étiez avant-hier, qu'il désirait rencontrer désormais chaque semaine les présidents de groupe, celui de l'Assemblée, celui du Sénat. C'est une bonne chose, ça ne l'expose pas ?
— « Moi, je ne sais pas qui vous a raconté ça… »
Q - Décidément.
— « …mais je n'ai pas l'habitude de confirmer ou d'infirmer ce genre d'information. La seule chose que je puisse dire, ça c'est plus important que le reste, c'est que le Président de la République a un rôle qui est prévu par les institutions et il lui appartient de l'assumer, je rappelle au passage que c'est lui qui, par son arbitrage, assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, c'est déjà important. Il y a un certain nombre de domaines dans lesquels il bénéficie d'une certaine prédominance, je crois que c'est normal. Et pour le reste, je ne crois pas conforme à l'esprit des institutions que le Président de la République se préoccupe de la vie interne des mouvements politiques. Et je crois que l'opposition a besoin de jouer son rôle. Je prends un exemple : j'ai été membre du gouvernement à deux reprises dans des gouvernements de cohabitation ; si j'ai bonne mémoire, il m'est arrivé de présenter des projets de loi à l'Assemblée nationale et au Sénat. Ces projets n'ont jamais été votés par l'opposition, jamais. C'était une règle comme une autre mais en tous les cas, elle était appliquée. »
Q - La cohabitation actuelle, est-ce qu'elle est trop consensuelle, est-ce qu'elle peut gêner l'opposition ?
— « Elle est un peu différente parce qu'elle est plus longue. D'autre part, il est bien évident qu'à partir du moment où le président de la République est issu de nos rangs, il est normal que, premièrement, nous le soutenions sur tous les grands problèmes mais, dans le même temps, il faut que nous ayons une certaine marge de manoeuvre. En tous les cas, en ce qui me concerne, c'est comme ça que je vois les choses et c'est comme ça que je me comporterai. Donc que le gouvernement actuel ne s'attende pas à me voir voter ses projets. Je le dis, ça ne m'empêchera pas de dormir. »