Texte intégral
PARIS-MATCH : 28 mai 1998
Q - Vous qui aviez lancé dans Paris Match (n° 2549 du 02.04.98) l'appel fondateur d'un grand parti du « centre-centre droit », n'êtes-vous pas déçu d'avoir été court-circuité par Philippe Séguin et François Léotard et leur Alliance ?
- Les deux idées vont dans la même direction et c'est pourquoi j'ai donné mon accord à l'Alliance. De quoi l'opposition a-t-elle besoin ? Elle a besoin de mieux couvrir l'espace politique large qui est le sien et elle a besoin de s'entendre. Bonne entente et diversité. C'est cela l'Alliance. A l'intérieur, il y a des sensibilités. Je souhaite que ceux qui se reconnaissent dans les valeurs de la droite ouverte et du centre se rassemblent pour peser. L'Alliance a besoin de leur volonté, de leur humanisme, de leur tolérance, de leur sens de la démocratie à construire. Ils ont vécu ensemble à l'UDF pendant vingt ans. Ils ont une force nouvelle à inventer aujourd'hui.
Q - Donc Force démocrate va adhérer à l'Alliance ?
- Force démocrate ou le mouvement nouveau, plus large que nous allons créer ensemble, avec tous ceux qui croient au progrès de l'Europe, tous ceux qui veulent donner du coeur, de l'enthousiasme, de l'honnêteté de la vérité à la politique.
Q - Quel rôle entendez-vous jouer au sein de cette confédération de droite ?
- Nous serons le seul ensemble nouveau au sein de l'Alliance. Et le seul qui se fixera comme objectif de faire la synthèse entre le projet libéral et le besoin de solidarité. La solidarité sans libéralisme, c'est le socialisme et l'échec. Le libéralisme sans la solidarité, c'est le rejet assuré. Notre conviction, c'est que le XXIe siècle a besoin des deux.
Q - Justement, Madelin a décidé de sortir son parti, Démocratie libérale de l'UDF. A-t-il raison ?
- J'ai beaucoup regretté sa décision. Au moment où l'Alliance est un signal d'union, couper ce qui existe en petits morceaux, en sifflant ceux qui ne pensent pas comme vous, c'est choisir la division. Ma conviction était que nous aurions dû bâtir un grand ensemble en nous rassemblant. Beaucoup de militants refusent l'idée de cette séparation. Ils veulent continuer à travailler et à construire ensemble. Ceux-là doivent se rassembler et assumer leur rénovation.
Q - Selon vous, l'Alliance est un signal d'importance ?
- Bien sûr. Cela signifie que dans l'opposition on rejette à la fois l'uniformité et la désunion, que l'on insiste sur le rapprochement et la bonne entente au lieu de privilégier la discorde. Ce que nous reprochent nos électeurs, ce n'est pas d'être différents, au contraire. Ils nous reprochent de transformer nos différences en divisions. C'est eux qui ont raison. Enfin, point essentiel à mes yeux, l'Alliance, dès le premier jour, s'interdit toute compromission avec l'extrémisme.
Q - Il y a eu l'URC (l'Union du rassemblement et du centre), puis l'UPF (l'Union pour la France) et maintenant l'Alliance. A votre avis, cette dernière aura-t-elle une longévité plus assurée que les précédentes ?
- Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Si l'effort d'unité est si souvent repris, c'est nos électeurs l'exigent et que leur volonté s'impose. L'Alliance a des atouts que les précédentes organisations n'avaient pas. D'abord, la date de sa création. L'URC, l'UPF, c'étaient des étiquettes pour les élections, mises en place juste avant les échéances. Cette fois, nous vous donnons le temps. Et puis, l'organisation. Cette fois, c'est une vraie organisation commune avec de vrais lieux de débat et une place offerte à ceux qui veulent adhérer directement sans choisir entre les différentes tendances. C'est prometteur. Et nous n'avons pas droit à l'échec.
Q - Quel programme commun faut-il ?
- Un programme, c'est un contrat pour une élection. Pour l'instant, nous n'avons pas d'élection en vue. Mais un projet est nécessaire pour donner aux électeurs des repères sur la politique que nous mènerions. Les Français ne voient plus très bien les différences et les grands axes de ce que nous sommes. C'est cela qu'il nous faut expliquer.
Q - Pour les prochaines échéances électorales, européennes l'année prochaine, y aura-t-il des listes uniques ou des listes séparées ?
- Je suis favorable à la liste unique la plus large possible de tous ceux, dans l'opposition, qui croient à l'Europe et veulent la défendre.
VALEURS ACTUELLES : 30 MAI 1998
Q - La création de l'Alliance avait suscité un espoir dans l'électorat de droite. Dix jours après, on a l'impression que les appareils ont tout verrouillé et que rien ne va changer…
F. BAYROU : Je crois que c'est une impression fausse. Avec l'Alliance nous avons fait un grand pas vers davantage d'union. C'est une avancée décisive, que l'opinion ne va pas tarder à percevoir comme telle.
Q - Avouez qu'on est loin de la fusion du RPR et de l'UDF…
Mais croyez-vous que telle soit vraiment l'attente de nos électeurs ? Aucun de ceux que je rencontre ne proteste parce que le RPR et l'UDF sont séparés par des nuances sur quelques grands sujets de fond. Ils comprennent fort bien, par exemple, qu'une partie de l'opposition soit plus européenne quand l'autre est davantage attachée à l'Etat-nation. Ce qu'ils ne supportent plus, en revanche, ce sont nos disputes. Ils nous veulent divers mais vivant en bonne intelligence. C'est cela l'Alliance : un moyen de s'entendre en respectant notre diversité.
Q - Mais en quoi l'Alliance sera-t-elle plus efficace que les précédentes tentatives : URC, UPF, etc. ?
D'abord, l'Alliance va avoir des organes de direction élus, ce qui n'avait jamais été le cas. Son conseil politique décidera à terme des grandes orientations de l'opposition ; il définira un projet commun et avalisera collégialement les investitures.
Surtout, et ce détail change tout, chacun aura la possibilité d'adhérer directement à l'Alliance sans passer par les partis existants.
Q - Le RPR est-il prêt à accepter cette innovation ? Dans l'accord conclu lundi, il n'est plus fait mention de l'adhésion directe…
Je crois que le RPR s'interroge sur la représentation des adhérents directs. Mais tout cela, j'en suis sûr, finira par se régler. Il est essentiel que les sympathisants de l'opposition qui ne se reconnaissent dans aucun des partis existants puissent concrétiser leur engagement.
L'avenir de l'Alliance repose en effet sur sa capacité à imaginer les procédures qui lui permettront de dégager des candidats communs à chaque élection. A mon sens, ces candidats ne pourront être désignés que par les sympathisants de l'opposition. Mais pour cela, il faut d'une part que ces sympathisants soient en nombre suffisant et d'autre part que leurs noms et adresses soient enregistrés quelque part. La procédure d'adhésion directe nous permettra de dresser cette “liste électorale” à partir de laquelle l'Alliance pourra désigner de façon transparente et démocratique ses candidats. Ce n'est qu'ainsi que nous parviendrons à renouveler les hommes.
Q - Pour l'heure, on en est loin. L'électeur a le sentiment qu'à droite ce sont toujours les mêmes têtes…
Sans doute y a-t-il une part de vérité dans cette impression. Mais méfions-nous des jugements épidermiques. Après tout, Lionel Jospin a été premier secrétaire du parti socialiste pendant sept ans, puis ministre de l'Education pendant quatre ans, puis à nouveau premier secrétaire au PS, ce qui ne l'a pas empêché d'apparaître comme un homme neuf. Croyez-moi, le jour où l'Alliance saura à nouveau susciter l'espoir, les Français jugeront ses responsables tout autrement.
Q - Au fond, l'adhésion directe s'inscrit dans une logique de fusion…
Il ne s'agit pas d'une fusion des appareils mais de la constitution progressive d'un mouvement unifié.
Q - Mais pourquoi ne pas aller plus vite ?
L'union se fera en marchant. Il faut tenir compte de l'histoire de chacune des formations, des tempéraments de chacun, des traditions militantes différentes…
Q - Et pourquoi ne pas avoir commencé par faire un groupe RPR-UDF unique à l'Assemblée ?
Les députés UDF l'ont souhaité, mais Philippe Séguin a expressément déclaré au nom du RPR que le groupe unique était le contraire de l'Alliance. Je continue de penser que le groupe unique serait une bonne chose, mais je ne veux pas en faire un sujet de crise. Commençons donc par faire fonctionner l'intergroupe.
Q - Le RPR et l'UDF feront-ils liste commune aux élections européennes ?
Dès lors que Philippe Séguin s'affirme européen, je ne saurais imaginer qu'il en aille autrement.
Q - On a l'impression que l'union patine parce que chaque leader défend sa petite chapelle…
C'est toujours facile de dénoncer les chapelles. Mais les mêmes qui nous reproche aujourd'hui de ne pas tout fusionner tout de suite seraient les premiers à protester demain si l'opposition montrait un visage uniforme. Les uns la trouveraient trop centriste, les autres trop à droite. Personne ne serait content.
Q - Vous pensez que l'union est réductrice ?
Je dis qu'elle peut l'être si elle est imposée au forceps au détriment des diverses sensibilités. Il faut bien voir que l'opposition doit aujourd'hui combattre sur deux fronts : contre le Front national et contre la gauche. Ce qui aurait peut-être été possible quand le FN n'existait pas (à l'époque, d'ailleurs, Valéry Giscard d'Estaing avait plaidé en vain pour un parti unique de la droite) ne l'est plus aujourd'hui. Pour ramener à nous les électeurs tentés par l'extrême-droite et ceux qui sont séduits par la gauche, nous devons à tout prix éviter de rétrécir notre discours. L'union est bien sûr un impératif, mais elle ne doit surtout pas nous conduire à gommer toutes nos différences.
Q - Mais alors, pourquoi reprocher à Alain Madelin d'affirmer l'identité libérale en quittant l'UDF ?
Soyons raisonnable ! Diversité n'est pas scissiparité. L'opposition était organisée en deux pôles, qui correspondaient à son histoire et répondaient à la nécessité de couvrir tout le spectre, et voilà qu'on en crée un troisième ! Et pourquoi pas quatre, cinq ou six ? C'est ridicule, et c'est impossible à expliquer à nos électeurs. Nous parlons d'union et nous rajoutons des divisions aux divisions ! Je veux dire, sans esprit de polémique, qu'Alain Madelin a commis une faute.
Q - Aujourd'hui, l'UDF est-elle morte ?
Sous la forme décomposée qui était la sienne, oui. La page est tournée. Mais une autre UDF va naître, unifiée, profondément renouvelée, et partie prenante active à l'Alliance qui nous avons choisi pour notre groupe parlementaire.
Q - Cette nouvelle UDF, ce sera Force démocrate, votre parti…
Non. Elle sera composée de Force démocrate, mais aussi de ceux qui étaient à DL et qui n'ont pas voulu suivre Alain Madelin, et de toutes les autres familles qui jusque-là formaient l'UDF : les Adhérents directs, le PPDF, les radicaux…
Q - Vos amis sont-ils prêts à sacrifier Force démocrate sur l'autel de l'UDF ? Il semble qu'il y ait des réticences…
Bien sûr, il s'agit d'un sacrifice et je comprends que certains hésitent avant d'y consentir. Mais on ne fait pas de la politique pour défendre une étiquette. Je crois, mois, qu'un mouvement qui ne s'élargit pas rétrécit. C'est en tout cas la thèse que je défendrai devant les militants de FD. Car, bien sûr, c'est à eux qu'il appartiendra de trancher.
Q - Votre projet, pour cette nouvelle UDF, est-il toujours de bâtir un “grand centre” ?
Entendons-nous bien. Je n'ai pas parlé de “grand centre” mais d'un “grand mouvement de centre et de centre-droit”. On m'a dit depuis que l'expression, qui fut celle de Giscard en son temps, avait été mal comprise. Je préfère donc parler aujourd'hui du mouvement de la droite modérée et du centre…
Q - L'Alliance ne remet-elle pas en question ce projet ?
Au contraire. Ce que l'on m'a reproché de manière malveillante, et pour moi blessante, c'est, disons les choses clairement, qu'un grand mouvement central aille gouverner avec les socialistes. Toute mon action politique, toutes mes convictions, s'inscrivent en faux contre cette hypothèse, mais enfin on l'a dit. Avec l'Alliance, mêmes les plus aveugles ne pourront plus douter. La nouvelle UDF sera clairement ancrée dans l'opposition au socialisme, ce qui ne l'empêchera pas de défendre une approche plus humaine, plus solidaire, plus participative de la société.
Q - Vous ne craignez pas d'être placé en porte-à-faux par la droitisation de votre électorat…
Je sais que beaucoup de nos électeurs considèrent – et sans doute nombre de lecteurs de Valeurs Actuelles partagent-ils ce point de vue – que la droite a perdu parce qu'elle n'a pas été assez à droite. Je ne le crois pas.
Alain Jupée a perdu, comme Edouard Balladur avait perdu avant lui, parce que leurs gouvernements ont donné l'impression qu'ils étaient coupés des Français. Apparaissant comme enfermés dans la sécheresse de la pure gestion, ils n'ont pas pu ouvrir de perspectives d'avenir, ni répondre aux angoisses du pays. Voyez Jacques Chirac : ce n'est pas sur une campagne “de droite”qu'il a été élu. Et Blair, et Aznar, et Prodi : tous trois se présentent comme des hommes du centre, ce qu'est Kohl à l'évidence.
Q - Qui peut croire que la France soit le seul pays d'Europe dont les citoyens voudraient être gouvernés par une droite-droite ?
Donc, la droite doit être centriste. C'est pain bénit pour le Front national…
Non. Il faut évidemment que des hommes de l'actuelle opposition défendent des idées de droite et même les idées d'une droite sans complexe. Je l'approuve et je le souhaite. Je ne partage pas toutes les idées de Charles Pasqua mais j'ai pour lui estime et amitié. Mais il faut aussi des hommes pour soutenir des idées plus généreuses, qui proposent un idéal pour l'avenir. Si on oublie les Français qui attentent ce discours-là, la gauche sera la seule à leur parler.
Q - En attendant, quand on interroge les sympathisants du RPR et de l'UDF sur leurs priorités, ils répondent : sécurité, baisse des impôts et immigration. Ce n'est pas un programme très centriste…
Ils classent aussi en dernière position une “politique clairement libérale”…
Q - Reste que leurs attentes sont clairement conservatrices…
Et alors ! La vocation du centre et de la droite modérée ce n'est pas de rester entre deux chaises ! Notre discours ne doit pas être mi-chèvre mi-chou, mais nous devons tenir les deux bouts de la ficelle : parler de sécurité mais aussi parler de justice, parler de liberté économique mais aussi de droits sociaux.
Le problème, en France, c'est qu'on oppose artificiellement ces valeurs. Mais les attentes des Français sont plus complexes, ou plutôt plus complètes. De Gaulle l'avait bien compris, qui abominait ces notions de gauche et de droite.
Nous ne pouvons pas entrer dans le XXIe siècle en rejouant indéfiniment la grande quelle du XIXe : socialisme contre ultra-libéralisme. Il nous faut inventer un projet nouveau qui réconcilie les valeurs de coeur et d'efficacité, de liberté et de solidarité. C'est à cela que doit s'atteler, dans l'Alliance, la nouvelle UDF.