Texte intégral
Après la réunion du R.p.c.r. et la convention du F.l.n.k.s., l'avenir de la Nouvelle-Calédonie est-il définitivement tracé ?
Pas encore. Le R.p.c.r. a dit oui aux accords de Matignon sans chercher à retarder quoi que ce soit. Après avoir exprimé quelles étaient leurs inquiétudes, les deux mille personnes réunies, dont mille délégués représentants de sections, se sont prononcées à l'unanimité.
Que recouvre cette unanimité ?
Une réelle volonté de comprendre les autres et le constat que, pour faire marcher ce pays, il faut un certain consensus. Ainsi que l'a dit ici Jacques Chirac, il ne doit y avoir ni vainqueurs ni vaincus.
Comprendre les autres, cela semble plutôt nouveau dans un parti qui réclamait, il y a seulement deux mois, la dissolution du F.l.n.k.s. et l'arrestation de ses dirigeants…
Je ne peux pas laisser dire cela. Quand j'ai créé le R.p.c.r., il y a une douzaine d'années, cette idée existait déjà. Je n'ai pas changé de caractère ou de démarche. Ce sont les événements qui ont fait évoluer les esprits.
Et les Caldoches de la brousse ? Ne sont-ils pas plus réticents et plus inquiets ?
J'avais prédit que j'aurais plus de difficultés que Jean-Marie Tjibaou à faire entériner les accords de Matignon parce que toutes les ethnies cohabitent dans mon parti. Il est clair que certains sont moins bien traités que d'autres. Au cours de notre réunion, il y a eu des interventions douloureuses à entendre, telles celles de Mélanésiens racontant comment ils sont maltraités à Canala. Plusieurs de mes amis ont été sévères à mon égard. Un broussard m'a dit : « Tu as signé, on l'accepte, mais on t'a à l'oeil ! ». Cependant, j'ai trouvé les broussards, notamment ceux de la région Nord, très compréhensifs.
Que pensez-vous de l'attitude du F.l.n.k.s. qui s'est prononcé pour une sorte de « oui, mais » aux accords de Matignon ?
Il n'a pas rendu une réponse claire. Il était pourtant convenu entre les trois signataires - le gouvernement, le R.p.c.r. et le F.l.n.k.s. - qu'après avoir convaincu ceux de notre camp, nous irions ratifier à Paris l'accord définitif. En fait, Jean-Marie Tjibaou est placé devant un choix difficile : préserver l'unité du F.l.n.k.s. ou prendre le risque de s'amputer de la partie violente de son parti. Pour les Mélanésiens, le temps compte moins que pour nous. Et puis, Tjibaou doit expliquer les choses plusieurs fois de suite, de différentes façons selon les auditoires. Cela prend du temps. Mais je crois qu'il réussira. Il n'y a pas vraiment de volonté de blocage pour le moment.
Le F.l.n.k.s. demande que des aménagements soient apportés à l'accord signé, notamment à propos de la composition du corps électoral. Seriez-vous d'accord ?
Lorsque nous nous sommes quittés à Paris, il était entendu que ce serait cela et pas autre chose. Pour l'instant, rien n'est brisé mais il faut comprendre que, sur place, c'est plus difficile qu'à Paris. Il faut aussi savoir que des pressions sont exercées sur le F.l.n.k.s. On a fait dire à Léopold Jorédié (n 3 du F.l.n.k.s.), en guise de commentaire de la négociation de Matignon, que « l'esclave a accepté de serrer la main de son maître ». Or, Jorédié n'avait jamais dit cela. Il y a des organisations, des individus qui souhaitent que les négociations échouent. J'en ai aussi, de mon côté.
Qui sont-ils ?
Toujours les mêmes. Des groupuscules comme les Comités d'accueil patriotique ou le M.a.s.c. (Mouvement Anti#Séparatiste Calédonien) pour qui je suis un traître et qui parlent d'« accords de la honte ». Ce sont ceux qui affirment que, pour régler le problème calédonien, il suffit d'éliminer cinq ou dix mille Mélanésiens. Mais, de l'autre côté, au F.l.n.k.s., certains veulent éliminer tout ce qui n'est pas canaque.
Et le Front national ?
Lui aussi me traite de tous les noms…
Pour en revenir à la modification du corps électoral telle que la souhaite le F.l.n.k.s. afin d'être arithmétiquement sûr d'être majoritaire dans dix ans, au moment du référendum décisif, que dites-vous ?
Que c'est inacceptable. Déjà, ce qui est prévu (l'électorat de 88 « gelé » jusqu'en 98) est anticonstitutionnel. J'aurais l'occasion de redire à Jean-Marie Tjibaou ce que je lui ai déjà expliqué : qu'il fait une erreur en se basant seulement sur la démographie pour croire en son succès. Peut-on dire aujourd'hui ce que les gens penseront dans dix ans ? Chacun devra faire ses preuves. J'évalue entre 40 et 60 % le nombre des Mélanésiens favorables à l'indépendance alors que tout le monde parle de 80 %. Il faut penser aux populations qui ont subi les quatre années de violence et qui ont assistés à la ruine des régions dans lesquelles elles vivent.
Et l'amnistie générale qu'il réclame ?
C'est vrai que les actes criminels ont été politiques ; donc, il pense que les personnes arrêtées sont des prisonniers politiques sauf que, dans le lot, il y a des assassins. J'ai remarqué que Jean-Marie Tjibaou avait demandé à être reçu par le haut-commissaire et pas par le Premier ministre pour présenter ses nouvelles revendications. Cela veut dire qu'il se laisse une série d'écluses.
Le moins que l'on puisse dire est que votre discours d'ouverture de président du R.p.c.r., tranche avec l'attitude des dirigeant du R.p.r.
J'ai eu souvent des différences d'analyse avec les dirigeants de Paris mais pas avec Jacques Chirac ni Bernard Pons. Je ne brûlerai pas ceux avec qui j'ai travaillé pendant longtemps.
Vous gardez donc la main tendue en direction du F.l.n.k.s ?
Tout ce qui n'est pas modéré sera mal perçu en Nouvelle-Calédonie où l'opinion publique a évolué. Il ne faut pas compter sur moi pour aller jeter des crampons sur les routes (depuis quelques semaines, la nouvelle forme de violence sur le territoire est de jeter sur les routes des clous à trois pointes appelés crampons). Tjibaou a changé, c'est un autre homme dont le langage raisonnable a été apprécié. Il a la responsabilité de la paix et celle de rétablir la démocratie au sein du F.l.n.k.s.