Déclaration de M. Raymond Barre, député apparenté au groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, sur la création du groupe parlementaire "L'Alliance" et la refondation de la droite, le 4 juin 1998

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  • Raymond Barre - député apparenté au groupe parlementaire UDF à l'Assemblée national

Circonstance : Réunion publique de la Refondation le 4 juin 1998

Texte intégral

Il est bon, qu'à l'heure actuelle nous échangions nos vues, que nous disions clairement ce que nous pensons et que nous adoptions une ligne de conduite à laquelle nous soyons fidèles pour faire face à l'évolution politique des quatre années à venir.

Je dis quatre années parce que la cohabitation, cette fois, est une cohabitation longue et que l'intérêt des protagonistes est qu'elle dure le plus longtemps possible, un événement particulier qui donnerait penser à l'un ou à l'autre qu'il pourrait l'exploiter. Ne nous faisons donc pas d'illusions.

Ne croyons pas que nous allons changer les choses rapidement. N'oublions pas, par ailleurs, que le gouvernement socialiste se conduit avec prudence et modération. Il y a des gens qui n'aiment pas les socialistes et qui à partir du moment où ils sont là, les accablent et les rendent responsables de tous les maux. En ce qui me concerne, je dirai simplement que je sais gré à ce gouvernement de nous avoir évité un choc socialiste. En 1981, nous avions eu un choc pétrolier et un choc socialiste. Il a fallu beaucoup de temps pour nous en remettre.

Cette fois-ci la prudence a prévalu. Ce gouvernement, en dépit de tout ce qui s'est raconté pendant les périodes électorales – mais il est vrai qu'aujourd'hui les campagnes électorales sont menteuses, les candidats ne disent absolument rien de ce qu'ils pensent, mais ce qu'ils croient qu'il faut dire pour faire plaisir aux gens.

Mais il faut savoir gré aux gens d'avoir cette capacité de savoir modifier leur position, en 15 jours, sans avoir le moindre état d'âme.

Donc ils seront malins, il faut voir les choses telles qu'elles sont. Par ailleurs, il faut reconnaître qu'il y a des personnes sympathiques, des ministres jeunes, qu'ils font très bien leur propagande en parlant peu. À partir de là ils consolident leur position.

Vous voyez bien que le Président de la République n'a pas grands moyens d'agir, sauf à faire beaucoup de voyages à l'étranger... et à aller voir l'équipe de France pour le Mondial... C'est attristant, mais c'est vrai.

Qu'en est-il de nous, que devenons-nous, nous, l'opposition ? Eh bien ce n'est pas beau à voir ! Ce qui me paraît très préoccupant, c'est qu'on a très vite retrouvé les problèmes d'hommes, liés à des problèmes de position sur l'échiquier politique, ce dont les Français se moquent éperdument.

Par ailleurs, nous observons qu'il n'y a pas la moindre idée constructive qui apparaisse sauf à dire : la gauche c'est inacceptable. Vive la droite. Je ne sais pas si je suis de droite, de gauche, du centre, cela m'intéresse peu, tout ce que je sais c'est que je ne suis pas socialiste.

Alors si l'on veut me dire de droite, je veux bien accepter d'être de droite, mais je refuse absolument d'appartenir à cette droite bien-pensante, à cette droite droitisante, à cette droite qui a des intérêts, plus que des convictions, et qui réagit toujours de façon épidermique.

Cette droite, je la connais bien. Je la connais depuis que, démobilisé en 1946, je l'ai trouvé repliée sur elle-même, n'attendant que de ressortir après l'épisode vichyssois. Je l'ai vue mener un combat violent contre les gouvernements de la IVe République, sauf quand elle y participait. Je l'ai vu attaquer constamment le général de Gaulle, pour la raison qu'il était de gauche et qu'il ne respectait pas les principes d'une « bonne » droite et nous voici maintenant embarqués dans une apologie de la droite.

Alors si j'ai un voeu à formuler, c'est qu'on oublie ce mot.

Parce que je ne crois pas me tromper beaucoup en vous disant que si on continue avec ça, il suffira que les socialistes collent quelques affiches : « attention la droite revient », pour que nous buvions un bouillon à nul autre pareil ! Une petite étincelle d'espoir est née dans cet univers glauque que nous connaissons. C'est la création de l'Alliance.

J'ai soutenu tout de suite l'Alliance pour deux raisons. La première, c'est que dans la charte constitutive, il est dit clairement que l'Alliance n'est pas l'intégration. Cette grande idée qui consiste à mettre tout le monde ensemble pour qu'une unanimité touchante force les Français à voter pour eux : je n'y crois pas. Il y a l'alliance, il n'y a pas l'intégration. C'est comme dans l'Otan : on est pour l'alliance, comme disait le général, l'intégration jamais. Non pas du tout parce qu'on a envie de cultiver sa singularité, mais parce qu'il faut qu'il y ait un débat politique pluraliste et que l'on sache clairement qui pense quoi. Nous en étions arrivés à un point, tout simplement scandaleux. Car il suffisait de mettre une étiquette sur un candidat, quel qu'il soit, de qui l'on exigeait aucune garantie, une sorte d'asexué politique, pour que l'on se réjouisse sur un seul mot : l'union, l'union, l'union ! Eh bien là, je rends grâce au RPR d'avoir dit : « c'est l'alliance » ; nous ne voulons pas perdre notre personnalité et je souhaite que ceux qui ne sont pas RPR, aient le même sentiment.

La deuxième raison, pour laquelle je soutiens l'Alliance, c'est qu'il a été dit, d'une part, que les uns et les autres défendraient leur identité et leur personnalité, or je ne crois pas qu'on fasse de la politique en ne prenant pas de position claire et en ne tirant pas la logique des positions que l'on prend. Cela ne signifie pas que l'on ne soit pas prêt à se mettre d'accord, lorsqu'il est nécessaire de traiter les problèmes d'intérêt commun ou de conduire le gouvernement du pays. Ce n'est pas du tout impossible entre des formations qui ont des positions différentes. Mais alors qu'on se garde du programme ! S'il y a encore un programme, personne ne le lira et ce sera la catastrophe, parce que dans un programme, chacun veut mettre ce qui l'intéresse et tant qu'il n'a pas eu le paragraphe qui satisfait son souci d'originalité, il n'y a pas de programme. À la fin, il y a tellement de paragraphes juxtaposés que personne n'y comprend plus rien. Le programme n'a aucune importance. Ce qui est important, ce sont les objectifs. Que l'on dise clairement, tous ensembles, dans l'opposition, nous avons deux objectifs, trois au maximum. Des objectifs simples, des objectifs ciblés.

À longueur de mois, nous entendons tous ceux qui nous expliquent que, s'il n'y a pas une diminution de la fiscalité, tout ce qu'il y a de forces vives en France partira à l'étranger et qu'il n'y aura plus de forces pour le pays. Mais M. Fabius, qui est un homme intelligent, a parlé de la baisse des impôts, de la manière suivante : « Je souhaite que la baisse des impôts puisse tenir compte de la situation des classes moyennes qui sont aujourd'hui trop pénalisées. » Voilà une façon intelligente de présenter un objectif ciblé. Vous pouvez toujours dire qu'on va baisser les impôts ; tout le monde sait que cela ne va pas se faire. Cela sert à prendre des voix, mais on ne fera rien. Tout le monde le sait, il y a en France, parmi les 30-45 ans, des gens mariés, pères de famille, qui ont de fortes charges et qui paient le plus de charges sociales et d'impôts. Je donne cet exemple, parce que je crois qu'il faut des objectifs simples, clairs, ciblés. Que ceux qui ont décidé de se mettre d'accord laissent entendre que, s'ils ont le pouvoir, c'est ce qu'ils vont faire en priorité. Des priorités qui peuvent convaincre et séduire les Français. M. Jospin a gagné avec deux choses.

Premièrement, la création de 350 000 emplois. Ma concierge m'a dit : « j'ai un fils qui est au chômage, il trouvera bien quelque chose là-dedans » et, deuxièmement, le passage aux 35 heures. On ne parle plus que de cela. La force de la politique, c'est de présenter des objectifs qui mobilisent les gens, ensuite il faut agir vraiment. L'Alliance – je vous le dis tout de suite – cela me convient.

Mais il ne faut pas que l'Alliance prenne « un bouillon ». Comment va-t-elle l'éviter ? Eh bien, il faut attacher le moins d'importance possible à ceux qui veulent être de l'Alliance, alors qu'ils n'en partagent pas les conceptions fondamentales. Nous sommes dans une période de décantation nécessaire. Il faut qu'il y ait des gens qui s'en aillent. Cela n'a aucune importance d'être moins nombreux, si l'on est convaincu. Si l'on est convaincu, quelle importance que d'autres aillent raconter des histoires et chercher des abris nouveaux ? Qu'ils y aillent !

Ce qui manque à l'heure actuelle, c'est un noyau dur. J'entends par « noyau » dur un ensemble d'hommes et de femmes qui sont fidèles à des convictions, qui les expriment et qui se battent ensemble. Car la politique, ce n'est pas attendre une investiture pour être conforté dans son siège parlementaire. La politique c'est un combat. La politique suppose un pluralisme de points de vue, et que l'on prenne les citoyens à témoin, qu'on leur dise « êtes-vous d'accord » ? Vous allez voir que vous allez attirer leur attention, alors qu'ils sont aujourd'hui aseptisés à force d'entendre : la seule chose qui compte c'est l'union. L'union, pourquoi ? L'union, comment ? Tout le monde s'en moque éperdument, mais il y avait l'union, et malheur à celui qui pouvait apparaître comme un destructeur de l'union.

Alors, tout ce qui se passe actuellement, je trouve cela très bien. Parce que cela fait voler en éclats un certain nombre de pratiques, de comportements, de procédures, qui n'avaient plus aucun sens. Et on se rendait bien compte que les Français n'étaient plus intéressés à cela.

Enfin – et c'est un sentiment que j'ai exprimé depuis longtemps – je crois que la France a besoin d'un mouvement politique du centre. Je le pensais en 1946, après ma démobilisation. Je savais que l'année précédente, en 1945, le général de Gaulle avait souhaité qu'il y ait en France un grand parti du centre. Parce qu'il considérait que le Parti radical avait joué un très grand rôle dans la nation, à la fin du 19e siècle et au début du 20e, et qu'il faudrait un parti qui défende l'État, un parti qui respecte les libertés, un parti qui fasse valoir la solidarité nationale. C'est cela le centre. Le centre, ce ne sont pas les intérêts qui s'expriment à droite, ce ne sont pas les illusions qui se répandent à gauche.

Que ceux qui sont favorables au centre n'aient pas peur de le dire et envoient promener avec le peu de considération qui leur est due, ceux qui viennent soutenir l'argument « Ah ! Vous êtes des socialistes camouflés », « Vous voulez faire le centre pour soutenir les socialistes », « Vous n'attendez que cela », pendant que ceux qui étant au centre, n'ont plus qu'une idée, c'est de courir vers la droite, même s'il y a le Front national, pour dire « Nous ne sommes pas intéressés par les socialistes ».

C'est un manque de personnalité, de clarté d'opinion et de rigueur. Nous avons fait une expérience intéressante au moment des élections cantonales. Bien entendu nous n'avons pas dit que nous étions pour le pluralisme, on a laissé les autres dire : « Nous voulons des candidats indépendants ». Parfait. Mais toutes les fois qu'il y en avait un qui se présentait, on disait : « C'est très bien on va en chercher un autre de plus ».

Mais on a expliqué aux gens ce qu'on voulait faire. Au premier tour, on a vu une candidate de notre camp qui est passée du premier coup et tous les autres qui se trouvaient en tête de liste, même quand il y avait quatre candidats contre eux, il s'est passé entre le 1er et le 2e tour – après une déclaration malencontreuse à Charbonnières – un retour d'opinion significatif.

Nous avons perdu un canton à Oullins et partout nous savons que la gauche avait bénéficié d'une progression des voix de 4 à 7 %. Ce qui montre bien qu'il ne faut pas jouer avec le feu. N'hésitons pas à nous battre. C'est pourquoi, méfiez-vous de la dérive droitière et d'arguments qui n'ont pas de sens. Alors, me direz-vous, « Mais comment ? il y a tous les électeurs qui votent Front national, ces électeurs on ne peut pas les ignorer. Il faut les amener à nous ».

Mais pas en prenant les thèses du Front national. Un républicain ne peut pas accepter cela. Ce n'est pas non plus en passant des accords avec le Front national. Je comprends qu'on soit intéressé par les électeurs, mais quand on traite avec les états-majors, c'est là le danger et c'est là l'argument – tout à fait vicieux –. Il faut traiter, il faut accueillir les bras ouverts tous ces Français qui sont à l'heure actuelle, déconcertés, déboussolés, désorientés, etc. on entend cela tout le temps.

Mais, en fait on va négocier avec les dirigeants du Front national. Et vous allez entendre prochainement un argument. Le Pen, il sera de moins en moins présent et puissant, mais nous aurons Mégret, et avec lui, on fera un très bon arrangement politique. Je souhaite à ceux qui veulent cet arrangement politique bien du plaisir ! Je vous parle avec une longue expérience. Vous savez qu'il n'est question que de mon âge et de mon ringardisme, par conséquent je peux évoquer un lointain passé. J'ai connu la droite d'avant la guerre de 39-40. J'ai connu la droite de la période de l'Occupation. J'ai connu les manoeuvres de la droite sous la IVe République. J'ai connu tout ce que la droite a fait sous la Ve.

Voilà pourquoi je me méfie par-dessus tout des dérives dans ce sens. Ce qu'il nous faut réussir à trouver c'est une doctrine qui soit claire aux yeux des Français, qui repose sur les valeurs fondamentales de la République. Qui tienne compte des progrès que nous devons faire dans un certain nombre, de domaines, compte tenu de l'évolution du monde, progrès que les socialistes ne font pas parce qu'ils restent attachés à la sclérose du passé. Si l'on fait cela, je suis persuadé que l'on rendra un grand service au pays.