Texte intégral
FORCE OUVRIÈRE HEBDO - 3 juin 1998
Négociation et démocratie
Le 28 mai, Force Ouvrière a provoqué la reprise des discussions officielles avec le CNPF, discussions interrompues depuis les déclarations de l'ancien président du patronat à la sortie de la conférence nationale tripartite - Gouvernement/syndicats/employeurs - du 10 octobre 1997, il y a donc maintenant sept mois.
De nombreux dossiers étaient à l'ordre du jour : avenir de la protection sociale collective, avenir du paritarisme, avenir du dialogue social et de la pratique contractuelle, le tout au travers de dossiers concrets comme la Sécurité sociale, l'ARPE, les 35 heures, les minima conventionnels, l'Europe, notamment.
Plusieurs points positifs peuvent être tirés de cette rencontre.
Il en est ainsi pour la reprise du dialogue social, dialogue qui constitue l'un des piliers de la démocratie, en permettant aux interlocuteurs sociaux de prendre leurs responsabilités sans s'en remettre à l'interventionnisme de l'État (ce qui conduirait à la politisation des rapports sociaux).
Dans cette même logique, sur nos interrogations, le CNPF, nonobstant les positions arrêtées en 1995, a réaffirmé son attachement au paritarisme et accepté la mise en place d'un groupe de travail (organisations syndicales et patronales) pour réfléchir au champ d'application et à l'évolution du paritarisme, plus particulièrement à son autonomie (protection sociale collective, logement, formation professionnelle, notamment).
Sur la pratique contractuelle, d'une manière générale et tout en n'excluant, a priori, aucun niveau de négociation, le CNPF a plutôt tendance à privilégier le niveau de l'entreprise, au nom du libéralisme économique et d'une conception dite « moderne » de la concurrence.
Le président du CNPF conçoit d'ailleurs sa fonction comme étant d'abord celle de représentant des entrepreneurs, la notion d'institution patronale devenant secondaire.
Sur le dossier des 35 heures, il laisse ainsi le choix aux chefs d'entreprise de négocier s'ils le souhaitent, persuadé que nombre d'entre eux freineront des quatre fers. Il continue à considérer l'intervention de l'État en la matière non seulement comme intempestive, mais contre-productive, c'est-à-dire préjudiciable à la compétitivité des entreprises françaises. Sans exclure a priori la possibilité de négociations de branches, à l'initiative de celles-ci (il a cité l'UIMM), il s'est montré très attentiste. En corollaire, prenant prétexte des incertitudes sur l'avenir du SMIC, le CNPF considère, dans l'immédiat, qu'une renégociation des salaires minima conventionnels de branches est impossible.
De notre côté, nous avons bien entendu confirmé cette dernière revendication et avons insisté sur la nécessité, tant pour des raisons de garanties sociales que de concurrence loyale, d'une articulation des différents niveaux de négociation.
Sur les 35 heures, nous avons réaffirmé que la réduction de la durée du travail devait se faire sans diminution de salaires.
Nous avons, par ailleurs, insisté sur notre revendication visant à permettre aux salariés ayant commencé à travailler dès 14/15 ans, de cesser leur activité avec embauches compensatrices obligatoires. Sur ce point, le CNPF a accepté l'ouverture de discussions dès le mois de septembre. En la matière, il conviendra donc de veiller à ce que ce dossier ne fasse pas l'objet d'un télescopage ou d'un marchandage avec celui parallèle, du renouvellement de l'actuelle convention ARPE qui arrive à échéance fin 1998.
Dernier point important de discussion : l'Europe. Si le CNPF n'est pas hostile à des négociations au niveau européen - convaincu que leurs résultats seront inférieurs aux garanties françaises existantes - le président du CNPF s'est interrogé sur les conséquences de la priorité accordée à la mise en place de la monnaie unique dans une Europe fortement marquée, et pour longtemps selon lui, par une vive compétition intra-européenne.
Cette analyse dénote une évolution, en la matière, du patronat.
Elle semble signifier une volonté du patronat de concilier deux objectifs : mettre en avant la compétitivité et la modernisation des entreprises françaises, tout en se référant au libéralisme économique.
Inévitablement, ce type de débat resurgira avec la mise en place de l'euro, ses conséquences, et les finalités de l'actuelle construction européenne, finalités jamais réellement débattues avec les citoyens.
La reprise des discussions officielles marque un tournant dont on ne peut préjuger aujourd'hui des résultats.
Une chose est claire en tout cas : il appartient aux salariés et à leurs organisations syndicales de savoir affirmer leurs revendications et les moyens de les faire aboutir pour obtenir satisfaction. Cela vaut quels que soient les interlocuteurs (patronat ou pouvoirs publics).
De ce point de vue, la liberté d'association et la liberté de négociation demeurent deux conditions indissociables.
Revendiquer, agir et négocier, si possible contracter, en sont les expressions quotidiennes.
FORCE OUVRIÈRE HEBDO - 10 juin 1998
La force de l'indépendance
Vous trouverez ci-contre une tribune adressée au journal Le Monde fin avril 1998, à l'occasion du cinquantenaire de Force Ouvrière. Après un accord de principe pour publication, le journal nous a tardivement informés qu'il ne passerait que des extraits, qui plus est sous une rubrique de type courrier, ce que nous avons refusé.
Cela signifie donc que les seuls articles publiés par Le Monde à cette occasion auront été ceux de René Mouriaux (le Monde du 11 avril 1998), dont le moins qu'on puisse en dire est qu'il ne partage pas notre conception de l'indépendance syndicale. Nous préciserons que, précédemment à cette publication, nous avions proposé au journal de participer à cette commémoration sous une forme à définir.
Nous ne ferons pas d'autres commentaires, sinon qu'il est parfois difficile de faire preuve d'indépendance et de liberté.
Il y a cinquante ans, en avril 1948, naissait la CGT - Force Ouvrière, communément appelée aujourd'hui Force Ouvrière.
Une scission est par définition un acte grave. Deux séparations avaient déjà eu lieu en 1921 et 1939, suivies de réunifications.
En décembre 1947, des militants de la CGT, fondamentalement et viscéralement attachés aux principes fondateurs de cette dernière en 1895, prenaient la décision non pas de créer une nouvelle organisation ou d'en rejoindre une autre, mais de maintenir et continuer l'esprit et la pratique de la CGT originelle. Minoritaires en nombre, ils ne purent garder le sigle et fondèrent ainsi la CGT-FO.
Au centre du dossier se trouve la valeur inaliénable de l'indépendance syndicale.
La stratégie de conquête-soumission lancée par le régime de Moscou avait finalement réussi à inféoder la CGT au Parti communiste; elle en devenait la courroie de transmission. Toutes proportions gardées, c'était l'application, en France comme dans d'autres pays européens, de la logique marxiste-léniniste : un parti dirigeant, un syndicat obéissant chargé de faire appliquer les consignes du Parti.
Dans une telle logique, l'appareil syndical devient politiquement monolithique (on ne recule devant rien pour y parvenir) et l'activité syndicale répond aux intérêts politiques du Parti, lui-même dépendant des ordres de Moscou : tantôt d'apparence révolutionnaire, tantôt conciliatrice avec le pouvoir en jouant le rôle de chien de garde.
Une telle logique était contradictoire avec la volonté et le rôle fédérateur du syndicalisme : rassembler et représenter tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions, et se déterminer librement, c'est-à-dire sans tuteur, ce qui constitue les deux aspects les plus importants de l'indépendance syndicale.
C'est ainsi que, dès sa naissance, la CGT-FO a milité pour la pratique contractuelle, conçue comme un outil essentiel pour négocier et obtenir du patronat et des pouvoirs publics la pleine responsabilité et majorité syndicales pour les affaires du ressort du travail (salaires - conditions de travail et d'emploi - formation - etc.)
C'est ainsi également que se développa, dans le cadre d'accords contractuels, le paritarisme pour gérer des droits collectifs directement liés au travail et au salaire, dont les retraites complémentaires et l'assurance-chômage.
Ce que les communistes dénigraient comme étant de la compromission s'avérait en fait, par la liberté que s'octroyait le syndicat, contradictoire avec le principe de collaboration systémique avec un parti.
C'est ainsi que se développèrent et se structurèrent les conventions collectives comme élément d'articulation et de solidarité, tant sociales qu'économiques, entre le collectif et l'individuel.
La CGT-FO a ainsi joué un rôle moteur dans cette construction progressive, forgeant ainsi la culture d'une pratique réformiste complémentaire de ce que Robert Bothereau (premier secrétaire général de FO) appelait l'aspiration révolutionnaire du syndicalisme, en d'autres termes son caractère rebelle et nécessairement idéaliste.
Dans ces conditions, il est inexact, pour ne pas dire grossier, de résumer l'existence de FO à l'anticommunisme, ce qui, bien entendu, conduirait à considérer que la cause s'atténuant ou disparaissant, FO n'aurait plus de raison d'être.
Non seulement cela reviendrait à considérer que l'organisation qui a historiquement eu raison aurait tort aujourd'hui, ce serait aussi limiter sa raison d'être à un seul objet par nature politique : l'anticommunisme.
De même, voir dans FO une organisation en perte de repères reviendrait à ne pas comprendre ce qu'est réellement l'indépendance et croire (par habitude ou déformation) qu'une organisation ne se développerait que par tropisme.
Force Ouvrière n'a pas qu'une corde à son arc. Elle a, au fil du temps, développé ses analyses, positions et revendications, tant au plan national que dans le cadre européen et international, où elle est membre fondateur tant de la CES que de la CISL. Ce qu'on appelle son anticommunisme, c'est avant tout son refus de l'aliénation syndicale et son respect fondamental des valeurs de liberté, de démocratie et de paix.
Ainsi, on ne peut comprendre les positions de FO sans intégrer son attachement profond aux valeurs républicaines. Plus que d'autres, nous savons que ces valeurs sont indissociables : quand l'égalité oublie la liberté, elle conduit à ignorer l'individu (exemple : l'URSS).Quand la liberté oublie l'égalité, elle conduit à ignorer les droits collectifs et la solidarité (exemple : les États-Unis).
C'est forte de cette expérience et de ces convictions que la CGT-Force Ouvrière aborde les problèmes essentiels de l'heure.
Comme Jaurès, nous nous méfions des courants de la mode, qui portent et emportent ceux qui en sont victimes.
Nous préférons bâtir et raisonner sur le moyen et long termes. Rebelle à la pensée unique qui conduit à soumettre la société et les individus qui la composent aux dogmes révélés de l'économie, consciente que le chômage et les inégalités menacent la démocratie et que ne pas s'attaquer à leurs causes relève de l'hypocrisie, convaincue que les conditions actuelles de l'internationalisation (y compris européennes) méconnaissent les droits des salariés, comme des citoyens d'ailleurs, Force Ouvrière entend continuer à agir en toute indépendance.
Depuis longtemps, nous savons que la liberté syndicale et la liberté de négociation - qui constituent deux conventions de base de l'Organisation internationale du travail - sont trop rares et précaires pour être galvaudées ou détournées, ce qui finirait par entraîner leur discrédit chez les salariés.
C'est pourquoi nous avons une conception exigeante de la pratique contractuelle, et c'est pourquoi nous ne signons pas pour le principe de signer mais parce que cela apporte quelque chose aux salariés.
D'aucuns voient dans cette exigence une révision de FO vis-à-vis de la pratique contractuelle. Ils oublient simplement que, si les conditions techniques, économiques et sociales évoluent, ce n'est pas le cas pour la nature des questions fondamentales, dont la possession et la répartition des richesses, qui forgent l'essence des rapports sociaux.
Un demi-siècle plus tard, Force Ouvrière a légitimement plusieurs satisfactions :
- avoir contribué ardemment à la construction d'acquis sociaux ;
- voir l'indépendance syndicale être de plus en plus revendiquée et gagner du terrain, en Europe comme dans le monde ;
- avoir maintenu et consolidé les principes essentiels fondateurs du syndicalisme confédéré ;
- avoir participé au renforcement des organisations internationales dont elle est membre.
Elle a tout aussi légitimement plusieurs objectifs :
- parvenir à solidariser plus activement les salariés actifs, chômeurs et retraités, avec notamment comme motivation de redonner espoir aux jeunes générations ;
- entamer la refondation de systèmes solidaires de protection sociale collective ;
- mieux équilibrer le syndicalisme européen en développant son caractère revendicatif ;
- faire de l'indépendance syndicale, proclamée mais aussi pratiquée, le socle incontournable de toute évolution du paysage syndical.
Autant d'objectifs qui structurent et accompagnent les revendications quotidiennes en matière de salaires, de durée et de conditions de travail.
Cinquante ans, cela forge non seulement un caractère mais aussi des convictions, surtout quand ces années ont aussi été émaillées, dès le début, d'expériences difficiles.
À n'en pas douter, l'oeuvre entamée en 1895, préservée en 1948, développée depuis, a encore de beaux jours et de beaux combats devant elle.
FORCE OUVRIÈRE HEBDO - 17 juin 1998
On reparle de retraite
Le gouvernement a demandé au Commissariat au plan de mener une étude sur l'avenir des retraites. Les organisations syndicales seront consultées à cette occasion.
Ce n'est pas la première fois que de telles études sont faites, on se souvient notamment du « livre blanc » du temps de M. Rocard, alors Premier ministre. On se souvient surtout des décisions prises par le gouvernement de M. Balladur au détriment des salariés du secteur privé (les quarante années de cotisations notamment), et des tentatives de M. Juppé, en novembre 1995, de remettre en cause les pensions des fonctionnaires ainsi que les régimes spéciaux et particuliers.
Au-delà du fait essentiel que, là aussi, le problème de fond réside dans les recettes et les conséquences sociales néfastes (salaires-emploi) de la politique économique menée, il convient de dénoncer les discours et affirmations destinés à faire peur : « On ne pourra plus faire face » est une formule qui revient comme un leitmotiv. Elle a pour rôle de culpabiliser les retraités, voire de les montrer du doigt.
Or, il faut savoir, par exemple, que le montant moyen des retraites servies par le régime général de Sécurité sociale est de 2 805 francs mensuels (soit 3 388 francs pour les hommes et 2 240 francs pour les femmes).
Il faut aussi savoir que 400 000 personnes sont au minimum vieillesse (un peu plus de 3 000 francs par mois) et que le niveau de revenu maximum conditionnant la perception d'une retraite de réversion est bas (le SMIC).
Dès lors, il faut se poser la question des objectifs. Est-il normal que dans la quatrième puissance économique mondiale, les retraités ayant travaillé pratiquement toute leur vie ne puissent, financièrement, assumer leur hébergement en maison spécialisée en cas de nécessité ?
Est-il normal, dans un État républicain, que la société se défausse de plus en plus sur la socialisation familiale pour la solidarité ?
Nombreux sont , en effet, les retraités qui aident leurs enfants ou petits-enfants au chômage, qui redistribuent leurs maigres revenus.
D'autres données méritent dès lors d'être prises en considération :
- l'âge moyen de départ en retraite est de 61,57 ans et nombreux sont ceux qui n'étaient plus en activité au moment de la retraite (préretraites – chômeurs) ;
- dans ces conditions, repousser l'âge de la retraite serait non seulement un recul social, mais conduirait à alourdir les coûts du régime d'assurance-chômage.
La Commission européenne elle-même reconnaît que si le taux d'emploi était proche du plein emploi, il n'y aurait guère à terme de problème de financement.
Certains experts font état des perspectives démographiques (vieillissement, dénatalité) pour expliquer que les régimes de retraites courent à l'implosion.
Sur le problème de vieillissement, on ne peut que se féliciter que l'espérance de vie augmente d'un an tous les cinq ans, et on ne doit pas s'étonner que cela conduise à élever les dépenses de santé.
Sur la démographie, tous les experts ne sont pas d'accord. Ainsi, Hervé Lebras explique que si les femmes ont des enfants plus tard, elles en ont autant, ce qui veut dire qu'il n'y a pas dénatalité. De même, il constate que plus les femmes peuvent avoir accès tôt au marché du travail, plus elles peuvent réaliser leurs désirs eu matière de maternité, au-delà de la satisfaction de leur indépendance économique.
En fait, quand on aborde le dossier « retraites », nombreuses sont les idées derrière la tête, bien souvent pour des raisons économiques liées à l'empreinte du libéralisme. Il s'agirait notamment de désengager l'État et les services publics (pensions, régimes spéciaux et particuliers) pour contribuer à la réduction des déficits publics (le plan Juppé) : une première réponse a été apportée en novembre-décembre 1995, le Gouvernement de l'époque a reculé. Mais le dossier risque de resurgir à tout moment, comme on le voit par exemple à La Poste, EDF ou ailleurs. Il s'agirait aussi de limiter les systèmes solidaires de répartition pour favoriser la capitalisation (fonds de pension), qu'on a tendance à nous présenter comme le remède miracle.
Deux hypothèses :
- ou les fonds de pension sont obligatoires, et ils jouent inévitablement contre la répartition car ils seront en concurrence avec elle, l'argent consacré à l'une n'ira pas à l'autre ;
- ou ils sont facultatifs, et ceux qui en auraient les moyens pourraient y souscrire. C'est donc la quadrature du cercle.
Mais surtout, pour qu'un fonds de pension fonctionne, il faut que les placements financiers soient rentables. C'est ainsi que les fonds de pension anglo-saxons exigent actuellement sur le marché financier une rentabilité de l'ordre de 15 %, ce qui s'est traduit par des licenciements chez Kodak, IBM ou Moulinex, dont ils sont les investisseurs.
Par ailleurs, qui peut aujourd'hui garantir ce que seront les placements financiers dans vingt ou trente ans ? A la question, posée par nos soins, sur la garantie, tous les ministres des finances se sont dérobés.
De fait, l'horizon d'une entreprise est sans commune mesure avec les exigences et les besoins à long terme des régimes de retraite.
La Corée a mis en place un régime par capitalisation en 1988. Avant les événements en Asie du Sud-Est, l'OCDE expliquait déjà que les réserves seraient épuisées en 2010 et qu'il faudrait déjà songer à baisser les prestations, augmenter les cotisations, reculer la date de versement des prestations à 65 ans.
La solidarité ne s'improvise pas, elle s'organise. Elle a pour objet de respecter les individus, de réduire les inégalités et d'offrir un droit qu'on peut faire respecter.
Ce n'est pas un hasard si, concernant l'assurance-vie 6,7 % des ménages ayant un revenu annuel inférieur il 100 000 francs y ont souscrit, le taux étant de 59,3 % au-dessus de 300 000 francs.
Le dossier sera donc à nouveau brûlant.
Nous défendrons la solidarité entre générations, la diminution des inégalités et nous plaiderons à nouveau pour une répartition différente des richesses. L'Union confédérale des retraités, mais aussi les actifs, sauront se faire entendre.
C'est une question de principe, de rôle du syndicat, de dignité des individus ayant travaillé, mais aussi de respect des valeurs républicaines.
FORCE OUVRIÈRE HEBDO - 24 juin 1998
La mise en garde
Interview parue dans LA MONTAGNE, lundi 22 juin (propos recueillis par Jean-Pierre Rouger)
Vous avez déclaré que le Comité confédéral national de Force Ouvrière, dont les travaux se tiendront à Clermont-Ferrand, revêtirait « un caractère particulier ». Pouvez-vous être plus explicite ?
- « Le comité confédéral a lieu au moment où certains camarades, relativement peu nombreux, nous ont abandonnés pour rejoindre l'Union nationale des syndicats autonomes. Même si ce phénomène est limité à la région parisienne et à ses dirigeants, il me semble opportun que nous en examinions les conséquences.
Est-il souhaitable que le syndicalisme se dirige vers l'autonomie, voire le catégoriel ? L'exemple de la dernière action du syndicat des pilotes de lignes me semble révélatrice en la matière. Qu'on le veuille ou non, le syndicalisme interprofessionnel tient compte de la multiplicité des intérêts et rend possible des arbitrages. Nous quitter pour l'autonomie m'apparaît comme une aberration, sauf à considérer que ceux qui sont partis voulaient être calife à la place du calife …
De plus, la démultiplication des organisations syndicales commence à poser un sérieux problème en surchargeant le dialogue social. Force Ouvrière ne doit en rien en subir les effets et rester libre de ses engagements et de ses choix.
C'est sur celle ligne que je provoquerai la discussion au comité national. »
Certains prônent une « recomposition » syndicale. Est-elle souhaitable à vos yeux ?
- « Recomposition syndicale ? En d'autres temps, certains auraient parlé de réunification. Ils considéraient alors que la colonne vertébrale du mouvement syndical français était constituée par la CGT et FO. Sur ce plan, aujourd'hui, il est clair que nous ne sommes pas mûrs, même si apparemment la CGT déclare se dégager du tutorat communiste, il suffit de constater le choix effectué par cette confédération pour désigner son nouveau secrétaire, pour y voir le contrôle du Parti communiste nouvelle formule. Ça n'est donc pas de l'indépendance.
Quant à la CFDT, même si elle a adopté un de nos instruments, en l'occurrence la négociation de contrats collectifs, elle abandonne l'action revendicative au bénéfice de l'accompagnement économique. La situation est claire : avec la fracture sociale, les chômeurs, très nombreux, ne peuvent accepter ce genre de chose. D'où la question : recomposition syndicale ou réunification syndicale, pourquoi faire ? Si c'est pour faire disparaître l'organisation syndicale qui place la revendication comme nécessaire dans une situation économique comme celle que nous connaissons, il n'en est pas question. Je crois, au contraire, que c'est autour de nous, autour de nos principes et de nos actions qu'une transformation du paysage syndical pourrait avoir lieu. Au demeurant, je constate avec satisfaction que dans tous les autres pays européens, même lorsque c'est en contradiction avec leurs pratiques et traditions, l'indépendance syndicale devient la référence. »
Dans ce contexte, que penser de l'entrée éventuelle de la CGT à la Confédération européenne des syndicats, comme elle en a exprimé le désir ?
- « La demande d' affiliation de la CGT à la Confédération européenne des syndicats n'est pas nouvelle. Elle s'accélère vraisemblablement parce que Viannet voudrait réussir celle affiliation avant son départ. Mais le problème ne se pose pas de celle façon. Ceux qui composent la Confédération européenne des syndicats, dont, et il est bon de le rappeler au passage, nous fûmes les créateurs, appartiennent à des organisations internationales qui ont pour référence l'indépendance syndicale. Ce ne semble pas être le cas de la CGT, nonobstant ses déclarations publiques. Notons enfin que si la CGT apparaît plus pro-européenne que par le passé, c'est vraisemblablement dû au fait qu'elle aide la « gauche plurielle » et qu'elle ne souhaite pas être en rupture ni avec le Gouvernement, ni avec le Parti communiste d'ailleurs... Dans ces conditions, nous plaiderons pour que cette demande d'affiliation soit refusée. »
Ces problèmes n'occuperont vraisemblablement pas tous les travaux du Comité confédéral national ?
- « Loin s'en faut. Voilà pratiquement un an que le nouveau Gouvernement est au pouvoir, et le moment est venu de faire le bilan de sa politique sociale, comme le moment est venu de savoir si nous ne devons pas revenir à des pratiques de négociations, notamment avec le patronat, étant entendu que pour obtenir celles-ci, il sera nécessaire d'établir un rapport de force, au regard de l'expression actuelle de ce même patronat. »
A ce chapitre, quelle analyse faites-vous de la situation actuelle en France, qu'elle soit économique ou politique ?
- « En ce qui concerne la situation économique, les choses ne sont pas mauvaises. Vraisemblablement meilleures que ce que déclare le ministre des Finances... On peut craindre que les effets de la crise du Sud-Est asiatique aient quelques conséquences sur la croissance, mais quand les choses vont bien, les économistes ont l'habitude de dire que ça ne durera pas.
Cela devrait conduire le Gouvernement à une position plus concrète de satisfaction des revendications pour, en quelque sorte, amplifier la croissance.
Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi, mais il s'agit surtout de ne pas rater l'occasion. Le Gouvernement a lancé les réformes de son programme électoral, et, pour que celles-ci aient des résultats , il existe un délai de latence. L'opinion publique attend des résultats concrets et visibles, notamment dans le domaine de l'emploi . La tendance à la baisse du chômage est une nouveauté qui nous satisfait, mais les résultats sont encore insuffisants... C'est la raison pour laquelle nous marquons notre attachement à la revendication concernant les effets d'âge et le départ volontaire des gens qui auraient commencé à travailler à 14 et 15 ans. »
La réduction de la durée de travail à 35 heures hebdomadaires ne va-t-elle pas dans le sens que vous souhaitez ?
- « Cette mesure nous inspire des réserves. Nous sommes pour la réduction de la durée du travail, mais nous ne voulons pas leurrer les travailleurs sur les effets réels de créations d'emplois qui en découleront. A notre avis, elle privilégiera des emplois à temps partiel, voire précaires, plus qu'autre chose. Aussi serons-nous des négociateurs exigeants.
Nous marquons également notre inquiétude sur les initiatives gouvernementales pouvant interférer sur la situation des retraités. La notion d'équité, reprise par le Premier ministre, risque de conduire à une normalisation des retraites a minima, ce que nous ne saurions accepter.
Le retraité, ou le pensionné, se comportant bien souvent, au niveau de sa famille, comme un redistributeur de richesses. La retraite et la pension sont les résultats d'un long labeur et méritent d'être respectées.
Enfin, le Gouvernement va se trouver dans l'obligation de répondre aux affaires au jour le jour, et je crains qu'il ne puisse plus consacrer autant de temps aux réformes en profondeur. De plus, ses engagements européens ne lui laisseront peut-être plus la liberté de manoeuvre souhaitable pour satisfaire les revendications des salariés, mais ce dossier reste ouvert. »
Votre confédération prend-elle en compte les données propres à la mondialisation ?
- « Les nations sont de moins en moins libres de leur comportement. L'économie de chaque pays dépend bien souvent de la santé économique des pays voisins. La mondialisation se donne pour vocation de libérer les échanges, mais la loi du marché n'a jamais été une loi de justice. C'est la loi du plus fort ! Ce devrai! donc être le rôle des gouvernements, notamment européens, de s'opposer aux effets destructeur, de la mondialisation. Or, après l'implosion du système soviétique, tous les gouvernements européens acceptent, avec plus ou moins de nuance, les règles du libéralisme. Il appartient donc aux syndicats de s'ériger en contrepoids dudit libéralisme. C'est ce que j'ai eu le sentiment de faire à la Conférence internationale du travail au Bureau international du travail, en participant activement à la déclaration de principe, qui réaffirme et engage les gouvernements à respecter les normes fondamentales sur l'interdiction du travail des enfants et du travail forcé, a discrimination, le droit syndical et le droit à la négociation collective.
Bien entendu, sur le plan français, nous ne sommes pas directement touchés par cette disposition, mais cependant elle conditionne le Code du travail et les conventions collectives En défendant ces principes à Genève, j'ai soutenu le syndicalisme des autres pays industrialisés et des pays en voie de développement, tout en confortant le socle sur lequel s'appuient les normes des pratiques sociales nationales. »
Au regard de ce constat général, Force Ouvrière envisage-t-elle des actions à venir ?
- « Compte tenu des mécontentements et des difficultés rencontrées dans différents secteurs (les conséquences de la réforme des hôpitaux sous Juppé, les risques de remise en cause de pensions pour les fonctionnaires, les difficultés pour les retraites pour le secteur public, les problèmes d'emploi dans la Défense nationale, les risques de remise en cause du service public à EDF, à la SNCF et à La Poste, les dénonciations de conventions collectives dans la banque, le commerce et les sucreries), je proposerai au Comité confédéral national que nous débattions d'une initiative à la rentrée. Celle-ri ne serait pas un moyen de libérer la pression de la marmite, mais constituerait au contraire un élément de mobilisation, afin de contraindre nos interlocuteurs, que ce soit le Gouvernement ou le patronat, à prendre en compte nos revendications.
J'ignore encore la forme d'action qui sera déterminée par le Comité confédéral, mais, quoi qu'il en soit, elle sera précédée d'un travail de mobilisation, comparable à celui que nous avions effectué en 1995 contre la réforme de la Sécurité sociale, si celle-ci remettait en cause le principe de solidarité et d'égalité. Il ne s'agira pas de relancer un mouvement à l'image de celui de décembre 1995, mais cependant, d'ores et déjà, je dois avouer que le mécontentement appelle une forme d'action qui ne doit être ni épisodique ni factuelle, mais déterminée et pugnace. »