Interview de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "L'information agricole" de juin 1998, sur son bilan, notamment la loi d'orientation agricole, la réforme de la PAC, le paquet Santer sur les prix agricoles et les relations avec la FNSEA.

Prononcé le 1er juin 1998

Intervenant(s) : 

Média : L'Information agricole

Texte intégral

L'Information Agricole. - Le projet de loi d'orientation agricole est actuellement examiné au conseil d'Etat. Pensez-vous qu'une fois finalisé, le texte anticipera les choix agricoles européens en matière de consommation, de protection de l'environnement ?

Louis Le Pensec - Le projet de loi que vient d'examiner le Conseil d'Etat vise à définir l'orientation que nous voulons donner à l'agriculture française. Elle prend acte des attentes nouvelles qui sont celles de la société à l'égard de notre agriculture. Il s'agit de prendre en compte, en plus des fonctions de production. des dimensions sociales, environnementales et territoriales.

C'est donc un enrichissement des objectifs fixés à l'agriculture que nous voulons promouvoir. Cet enrichissement se traduit désormais couramment à travers le terme de multifonctionnalité de l'agriculture. En affirmant clairement ses choix et en légiférant à leur sujet, la France indique à ses partenaires européens quelle est à ses yeux l'orientation à prendre au sein de l'Union. De ce point de vue, ce texte peut-être considéré comme une anticipation.

I.A. - Vous ne semblez pas véritablement en phase avec la FNSEA qui vous reproche une loi trop statique. La FNSEA qui reproche d'ailleurs au projet de rester muet sur le statut de l'entreprise, celui de l'exploitant, sur les orientations fiscales, les droits à produire ou les retraites...

L.L.P. - Je ne vois pas ce qui permet de définir ce projet comme étant un projet statique. En effet, en prenant en compte pleinement la multifonctionnalité de l'agriculture et en cherchant à la rétribuer, je crois que cette loi offre des perspectives nouvelles et qu'elle fait appel au dynamisme, à l'imagination et à l'initiative. Quant à la méthode qui vise à développer au sein des politiques publiques agricoles l'approche contractuelle, cela me paraît une méthode qui fait appel à la responsabilité des exploitants et à la négociation. C'est à mes yeux le chemin à emprunter pour moderniser les relations entre les agents économiques et les pouvoirs publics ainsi d'ailleurs qu'entre les citoyens et l'Etat. De ce point de vue, la politique agricole peut être un exemple d'innovation en matière de politique publique que les autres secteurs d'activité pourraient reprendre.
 
I.A. - Toujours dans ce projet de loi et sur l'organisation économique, on ne sent pas de réelle volonté de mettre fin au modèle dit de l'intégration qui cause les dérèglements économiques que l'on peut connaître parfois.

L.L.P. - L'intégration à laquelle vous faites référence n'est pas la seule cause des difficultés que les agriculteurs rencontrent dans leurs relations avec les industries de transformation et avec la distribution. L'évolution du rapport des forces a été très défavorable aux agriculteurs au cours des quarante dernières années. Les progrès de productivité considérables qu'ils ont réalisés ont bénéficié en grande partie à l'aval de la filière plus qu'aux agriculteurs eux-mêmes. Mon projet est centré autour de l'idée de redonner aux agriculteurs toute leur place dans des relations équilibrées avec des industries de transformation et la grande distribution. La meilleure façon d'y parvenir est d'encourager les agriculteurs à développer eux-mêmes des productions intégrant une part de plus en plus importante de valeur ajoutée. C'est la meilleure réponse à la menace “d'intégration” qui existe aujourd'hui. Ce phénomène est d'ailleurs multiforme. Dans certains cas, ce sont des agriculteurs eux-mêmes qui en intègrent d'autres et les transforment en sous-traitants. cette conception de l'agriculture n'est pas la mienne.

I.A. - Pensez-vous reprendre à votre compte une disposition antérieure libérant les acteurs de la filière de certaines obligations de l'ordonnance de 1986. Allez-vous les autoriser à réaliser des ententes en cas de nécessité ?

L.L.P. - Deux articles de mon projet sont consacrés à cette question. L'un permet aux interprofessions spécifiques aux produits de qualité de prendre les mesures d"organisation des marchés qui s'imposent. Le second ouvre la possibilité à l'ensemble des partenaires d'une filière de prendre les mesures d'organisation de marché nécessaires en cas de crise, afin d'éviter que celles-ci n'aient des conséquences dramatiques pour les agriculteurs comme pour les autres partenaires.
 
I.A. - Regrettez-vous vos propos sur la vocation exportatrice de l'agriculture française et européenne ? Est-ce sur la demande des plus hautes autorités de L'Etat que vous avez fait machine arrière ?

L.L.P. - Mes propos sur la vocation exportatrice française et européenne ont été parfaitement clairs. J'ai constaté avec satisfaction que le chef de L'Etat est intervenu dans le même sens que moi le 1er mai dernier, en indiquant que les atouts de la France à l'exportation résidaient dans sa capacité à exporter des produits à haute valeur ajoutée.

I.A. - D'une manière plus globale, le Paquet Santer vous semble-t-il cohérent ?

L.L.P. - Cohérent, il l'est sans doute pour ses auteurs. Il n'en est pas pour autant acceptable. J'entends faire prévaloir une autre vision de l'agriculture que celle qui résulterait de la mise en oeuvre de cette proposition de la Commission. J'ai eu l'occasion d'expliquer tout cela de façon détaillée le 31 mars dernier à Bruxelles et tout récemment encore au Conseil agricole des 25 et 26 mai.

I.A. - A votre avis sera-t'il suffisamment fort pour tenir dans les prochaines négociations à l'OMC ?

L.L.P. - Cette proposition prépare mal l'Europe à ces négociations. Nous risquons de nous mettre dans une situation où la politique agricole commune se réduirait aux aides directes aux agriculteurs, celles-ci étant soumises à une obligation de réduction progressive par l'Organisation mondiale du commerce. C'est une des raisons principales qui me conduisent à demander une réorientation profonde du projet de réforme de la PAC.

I.A. - Vous avez mis dès votre arrivée rue de Varenne, la “cogestion” en sommeil. Cette attitude n'entame-t-elle pas vos rapports avec la FNSEA ?

L.L.P. - Je ne suis pas un fétichiste des mots. Mon agenda pourrait témoigner de l'intensité de mes rencontres avec la FNSEA comme avec l'ensemble des organisations syndicales et plus largement l'ensemble des organisations professionnelles agricoles. Que nous ne soyons pas toujours d'accord me semble bien naturel. Cela n'entache pas la qualité du dialogue que nous avons.

I.A. - Monsieur le ministre quel bilan tirez-vous de votre action un an après votre entrée au Gouvernement ? ( Étiez -vous arrivé avec des a priori ? et lesquels seraient aujourd'hui tombés ?) Bilan plutôt positif ou négatif ? En acceptant ce poste et cette mission, vous attendiez-vous à autant de problèmes ? Vous étiez-vous fixé un objectif et pensez-vous l'atteindre ?

L.L.P. - J'ai le sentiment de vivre à ce poste de responsabilités une période passionnante. Les agriculteurs et l'ensemble de la société attendent que des orientations nouvelles, des réponses nouvelles soient apportées aux questions que chacun se pose. Tous sont extrêmement attentifs et ouverts au dialogue. Les vieilles crispations sont souvent abandonnées une à une et chacun peut, à sa place aborder franchement et au fond les questions qu'il nous faut résoudre. Il y a devant nous un champ exaltant et passionnant pour jeter les bases d'une nouvelle politique agricole capable d'assurer l'avenir de nos agriculteurs et de notre agriculture pour le prochain siècle. Je suis convaincu que nous saurons trouver dans la concertation les solutions qui conviennent, et faire entendre notre voix dans l'Union européenne.