Texte intégral
Q/ De nouveau donc depuis hier, je crois 20 h 28, vous êtes ministre des Affaires européennes, comment on apprend ça, dans votre cas précis, qu'on est nommée et à ce poste ?
R/ En regardant la télévision.
Q/ Vraiment ?
R/ Oui.
Q/ On peut même écouter la radio enfin…
R/ Oui.
Q/ Enfin, pas reçu de coup de fil avant ?
R/ Non, pas tellement non. J'avais un peu une orientation et je l'ai su avec précision du reste comme la plupart, car il y a eu des modifications jusqu'au dernier moment. Je ne l'ai su en effet que par les médias.
Q/ Est-ce que ce fut un ministère difficile à former ?
R/ C'est un ministère qu'il faut, enfin, sur une base qui existe déjà qu'il faut.
Q/ Non, je parle du cabinet. Est-ce qu'il a été difficile à former ?
R/ Oui, il a été difficile à former. Ça, c'est incontestable puisque, comme vous le savez, nous souhaitions une large ouverture et que beaucoup de démarches ont été faites, ce qui explique le temps, les allées et venues, que tout cela a pris.
Q/ Alors, justement en parlant d'ouverture, car, si on lit la presse ce matin, les gros titres, plus un sentiment général qui prévaut, il faut bien la chercher l'ouverture. Il faut vraiment une grosse loupe. Dieu sait qu'on nous en a parlé avant…
R/ On en a parlé car on en avait l'intention mais, pour se marier, il faut être deux, et…
Q/ Des témoins aussi.
R/ Et, quand vous avez affaire à des gens qui ne veulent pas, on est obligé d'en tirer les conclusions. C'est très dommage car 54 % des Français ont voté visiblement. Ce ne sont pas que des socialistes, et donc ce serait souhaitable d'avoir un gouvernement qui représente cette large majorité. Et, ce qui est malheureux, beaucoup de déclarations ont été faites même le soir de l'élection de François Mitterrand, des déclarations pleines de bonne volonté, de bonnes intentions, mais on dirait que le passage à l'acte a quelque chose de douloureux.
Q/ Là, vous placez les centristes devant leurs responsabilités. Vous leur dites : « on vous a proposé quelque chose. Vous avez fait la sourde oreille ou tirer l'oreille ».
R/ Oui, c'est curieux comme attitude. C'est une attitude un peu frileuse que je regrette personnellement, car ça aurait été beaucoup mieux d'avoir un gouvernement plus représentatif, encore une fois, de l'opinion.
Q/ Et vous pensez que, pour les centristes, c'est une chance historique qu'ils sont peut-être en train de laisser passer ?
R/ Je crois que c'est surtout, pour les Français, un peu dommage ; ils votent largement, c'est-à-dire y compris des centristes, et puis voilà, les politiques ne donnent pas suite à ce qui a été exprimé par la volonté populaire.
Q/ Il ne faut pas être grand clerc pour, à la lecture de ce gouvernement, se dire qu'il va probablement y avoir une dissolution et des élections législatives, disons avant la fin juin. Neuf ministres qui retrouvent leur poste, donc des ministres qui connaissent déjà la maison, leur propre maison, ça fait en effet très gouvernement qui va préparer les élections. Vous n'allez pas me dire le contraire ?
R/ Non, mais, encore une fois, c'était le souhait du Président et c'était le souhait des socialistes, et en particulier de ceux qui sont aujourd'hui dans ce gouvernement, de ne pas procéder à une dissolution. Leur souhait, c'était de pouvoir élargir la majorité. Alors, je ne sais pas ce qui va se passer. On va voir à l'Assemblée nationale. Il faut voir si le Premier ministre a le sentiment de pouvoir gouverner dans ces conditions.
Q/ Il va faire une déclaration de politique générale la semaine prochaine ?
R/ Oui, certainement. Oui.
Q/ Mais il ne va pas poser la question de confiance ?
R/ Je ne sais pas. Nous allons voir comment les choses vont se passer et il y aura des propositions qui seront faites à l'Assemblée nationale. On verra comment elles seront reçues. Et je dirai que c'est évident que la dissolution est dans l'air. Mais, peut-être, peut-on l'éviter, peut-être pas.
Q/ Ca n'engage que moi, mais il est probable qu'il y aura des élections le 19 et le 26 juin. Et puis après, tout le monde part en vacances, c'est ça ?
R/ Peut-être.
Q/ Alors les Affaires européennes, l'Europe, c'est quelque chose que vous connaissez bien puisque vous avez été ministre de l'Agriculture… Donc, Bruxelles est une ville que vous aimez bien… les marathons… Et puis, après, ministre du Commerce extérieur. Donc, c'est un ministère, ce sont des attributions qui vous vont bien. C'est ça ?
R/ Oui, tout à fait.
Q/ Négociations pures et dures ?
R/ Oui, il y a des négociations. Il y a beaucoup de choses à faire, car l'Europe, c'est quand même la grande perspective qui est devant nous.
Q/ On en a beaucoup parlé durant la campagne.
R/ Oui, ça a été l'un des thèmes centraux de la campagne. Cette Europe, il faut, je crois, d'une part l'expliquer aux Français car pas plus les individus, les citoyens que les entreprises ne savent bien en somme ce que cela veut dire pour eux. Alors, il y a toute une action déjà d'information. Il y a aussi d'aider la France à se trouver dans la meilleure situation possible pour la date de 92. Il y a la préparation de l'Europe sociale : est-ce que le droit du travail va être calqué sur celui qui est le plus bas ou le plus haut ? Comment va-t-on faire ? Il faut, alors qu'il y a des divergences assez importantes en Europe, arriver à un point médian. Il y a des rapprochements à faire dans le domaine industriel. Il y a eu déjà beaucoup de choses de faites, en particulier initiées par François Mitterrand avec les programmes Space, Eurêka… Bon, il faut pousser l'Europe de la technologie, l'Europe du futur. Ce sont donc, si vous voulez, des dossiers qui sont à la fois politiques, sociaux, économiques. Et c'est certainement un ministère très important et intéressant.
Q/ Vous vous installez au Quai d'Orsay ?
R/ Oui.
Q/ Vos relations avec votre collègue Roland Dumas ?
R/ Il est aux Affaires étrangères. Personne n'empiète sur le domaine de personne. Vous savez, les Affaires étrangères, c'est le monde entier. Donc, Roland Dumas, qui connaît bien cette maison, aura beaucoup de travail, mais les locaux, oui, de mon ministère sont aux Affaires étrangères.
Q/ Alors, il y a une autre élection ce soir. Je crois tard dans la nuit. C'est celle du successeur de Lionel Jospin à la tête du PS. Lionel Jospin, qui a un grand ministère d'Etat, a priori c'était fait pour Laurent Fabius. Il allait succéder à Lionel Jospin, et puis voici qu'un autre ancien Premier ministre de François Mitterrand se déclare candidat, Pierre Mauroy. Et on dit que, derrière la candidature de Pierre Mauroy, il y a ce qu'on appelle les mitterrandistes et, parmi les noms de ceux-ci qui ont poussé Pierre Mauroy, on cite Édith Cresson.
R/ Non, je crois qu'on ne peut pas dire que qui que ce soit ait poussé Pierre Mauroy. Il se trouve que la succession de Lionel Jospin est ouverte, que deux Premiers ministres aujourd'hui souhaitent prendre la direction du PS. C'est une décision très importante pour le PS. Car, dans les années qui viennent, il va avoir un rôle majeur à jouer dans la vie politique du pays. Et, c'est vrai que la personnalité du premier secrétaire est tout à fait déterminante.
Q/ Celui qui sera battu ne sera pas…
R/ Moi, je souhaite que personne ne soit battu. Il ne s'agit pas de ça. Il s'agit d'essayer de trouver une solution qui soit acceptable pour les deux parties et je pense que c'est de cela que nous discuterons ce soir.
Q/ Une solution qui ne ferait de peine à personne, ni à Pierre Mauroy, ni à Laurent Fabius ?
R/ Il ne s'agit pas de faire de la peine. Il s'agit de ne pas faire, au moment où nous avons besoin de toutes les forces du PS, de ne pas opposer deux hommes qui ont tous deux des mérites considérables.
Merci madame le ministre.