Article et interviews de M. André Lajoinie, membre du secrétariat du comité national du PCF, dans "L'Humanité" le 14 mars 1994, à RMC le 15 mars, France-Inter le 21 mars et France 2 le 24 mars, sur les élections cantonales 1994 et le contrat d'insertion professionnelle, qualifié de "SMIC jeunes".

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Média : L'Humanité - RMC - France Inter - France 2

Texte intégral

L'enjeu du 20 mars gagner au vote communiste

À six jours du premier tour des élections cantonales, nous sommes au moment où les électrices et les électeurs décident de leur vote. Raison de plus pour amplifier nos efforts pour aller à la rencontre de tous ceux qui refusent la néfaste politique de la droite. En appelant, il y a quelques jours, les électeurs de droite à se mobiliser pour soutenir la politique gouvernementale, le ministre de l'Intérieur a souligné l'important enjeu du scrutin du 20 mars. Si la droite en sortait renforcée, elle l'interpréterait comme un encouragement à poursuivre sa politique de régression économique et sociale. Par contre, si progressait le vote communiste, qui est à la fois le vote le plus anti-droite, celui qui permet d'exiger des choix neufs et appelle à un renouveau progressiste, cela donnerait plus de force au mouvement populaire pour mettre en échec la politique du pouvoir.

Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur le meilleur moyen de stopper l'entreprise de démolition des acquis sociaux et démocratiques engagée par la droite, tout en ne voulant pas revenir aux amères désillusions de l'échec d'avant mars 1993. Quel autre moyen ont-ils pour le taire suçoir Sinon en utilisant le vote communiste ? Un sondage récent précise que la moitié des Français souhaite que les électeurs manifestent leur mécontentement. Tous ceux qui veulent donner de la force à leur protestation contre le "SMIC-jeunes", tout en refusant les petits boulots, tels qu'étaient les TUC ou les SIVP, n'ont qu'un moyen de le faire, c'est d'utiliser le vote pour les candidats du PCF qui non seulement a toujours refusé la précarisation, l'abaissement du coût du travail mais qui propose au contraire de revaloriser le SMIC.

Quel autre vote peut permettre d'exiger des choix neufs pour l'emploi, notamment en demandant des comptes au gouvernement Balladur, sur les 85 milliards de cadeaux qu'il a octroyés au grand patronat, en réclamant la mise en place de commissions de contrôle des fonds publics, ou encore la mise en place de "cellules de crise" qui auraient dans chaque département les moyens de bloquer les licenciements prévus et de rechercher des solutions nouvelles pour l'emploi ? Il en est de même pour défendre la protection sociale, un logement accessible pour tous, ou la nécessaire revitalisation de nos campagnes.

Nous ne ferons pas dire au vote en faveur de nos candidats autre chose que ce qu'il a voulu dire, mais dans les conditions actuelles, tout en respectant l'identité de chacun, le vote communiste est un puissant outil pour exiger d'autres choix que le gouvernement sera contraint d'entendre. Pour tous les hommes et femmes de gauche, les progressistes, l'utilisation du vote en faveur de nos candidats sera également le moyen d'appuyer une démarche neuve visant à peser en faveur d'une dynamique des forces de progrès sur de nouvelles bases, afin d'ouvrir une perspective de changement, dans laquelle le peuple serait le maitre de bout en bout.

On le voit, l'enjeu est considérable. Il n'y a donc pas un instant à perdre dans les jours qui viennent pour aller à la rencontre de tous ceux qui sont mécontents et cherchent le moyen de se faire entendre. Les habitants des cantons qui disposent d'un conseiller général communiste ont toutes les raisons de réélire un élu dévoué, à leur service et qui pèse dans l'assemblée départementale en faveur de choix de justice et de progrès social. Les électrices et les électeurs qui ont voté communiste en mars 1993 ont toutes les raisons de se mobiliser et de renouveler leur geste. Ils ont fait à l'époque un choix clairvoyant et ils peuvent constater que nous ne les avons pas trompés.

Nous allons aussi nous adresser aux électrices et électeurs de gauche qui, déçus et mécontents du gouvernement socialiste, tout en continuant à avoir des préventions à notre égard, se sont abstenus en mars 1993. Eux aussi peuvent constater que nous ne les avons pas trompés. Nous ne portons aucune responsabilité dans les choix décidés en faveur de la finance au détriment de l'emploi et des droits sociaux et nous avions montré les dangers du retour de la droite. Le souffle démocratique de notre congrès les porte à avoir un regard nouveau sur nous et peut les conduire jusqu'au vote communiste.

Ainsi, les quelques jours qui restent peuvent être décisifs. Chaque militante et militant, ami de notre parti, peut faire quelque chose autour de lui, dans sa famille, parmi les voisins, amis et collègues de travail, au porte à porte ou au cours de rencontres diverses, pour faire mesurer à ces électeurs communistes ou abstentionnistes de gauche, aux salariés, aux retraités, aux jeunes engagés dans l'action, qu'ils peuvent faire du 20 mars une grande journée de protestation contre la droite et exiger d'autres réponses grâce au bulletin de vote communiste.

André Lajoinie, membre du Secrétariat national du PCF


RMC – 8 h 15

P. Lapousterle : Appréciez-vous le changement, s'il y en a eu, au PCF depuis quelques semaines ?

A. Lajoinie : Je crois que notre congrès a fait un pas nouveau dans la rénovation déjà entamée il y a de nombreuses années. Ce pas a été fait dans le bon sens. Il y a un souffle démocratique qui est sorti du congrès et qu'il faut prolonger et mettre en valeur, encore et toujours. On ne peut pas rester immobile. Mais je crois que l'on a fait un bon départ. Bref, ça bouge dans le bon sens.

P. Lapousterle : C'est mieux avec R. Hue qu'avec G. Marchais ?

A. Lajoinie : Ce n'est pas comme ça qu'il faut voir les choses. G. Marchais est un grand dirigeant mais il faut un renouvellement et nous avons fait ce renouvellement. R. Hue sera lui-aussi un grand dirigeant et surtout l'homme qui peut animer ce renouvellement.

P. Lapousterle : Quel est votre objectif pour les prochaines cantonales, perdre le moins de cantons possibles ?

A. Lajoinie : Comme tous les partis, perdre le moins de cantons parce que je pense même qu'il faut pas en perdre du tout. Les conseillers généraux communistes sont des hommes et des femmes qui font leur travail et qui sont absolument indispensables dans les conseils généraux. Mais je crois qu'il y a un autre enjeu encore plus important dans ces élections. Nous constatons que les gens aujourd'hui protestent. Il y a un réveil du mouvement social et c'est tout à fait normal après l'avalanche de mauvais coups du gouvernement Balladur. Les gens considèrent que trop c'est trop et que non seulement il faut stopper cette avalanche de mauvais coups mais il faut aussi faire reculer le pouvoir. Nous, nous disons : c'est très bien cette protestation, nous l'appuyons de toute nos forces mais il faut saisir l'occasion politique de ces cantonales pour prolonger les luttes qui se mènent aujourd'hui. Les gens veulent entendre leurs protestations non pas pour le plaisir mais parce qu'ils sentent que s'ils s'unissent et se rassemblent, ils peuvent empêcher le pire et ça ce n'est pas une petite chose. Ils peuvent le faire à l'occasion des élections cantonales en mettant le bulletin de vote communiste pour une raison bien simple c'est que le vote communiste est le vote par excellence de protestation et d'autre part, il propose des choix neufs et il n'a pas de responsabilité, le vote communiste, dans les errements du passé.

P. Lapousterle : Pensez-vous que les prochaines manifestations vont changer les scores prévus aux prochaines cantonales ?

A. Lajoinie : Je pense qu'il peut y avoir, en effet, cette idée simple de bons sens à savoir que l'on proteste avec juste raison dans la rue et que l'on ne peut pas laisser une occasion sans exprimer le même sentiment de protestation. Je crois qu'il y a une sorte de bon sens là-dessus.

P. Lapousterle : Pensez-vous que cette réunion du G7 sur l'emploi soit une bonne chose ?

A. Lajoinie : Nous ne sommes pas contre les concertations internationales, mais ce que nous constatons, c'est que ce fameux G7 depuis qu'il fonctionne à un objectif central qu'il rappelle en permanence, c'est de réduire le coût du travail c'est-à-dire de réduire les salaires et la formation. Il dit cela depuis des années alors que l'expérience a montré que cette solution aggrave les problèmes. Nous proposons d'inverser cette politique, de ne pas donner la primauté à la finance mais de donner la primauté au travail, à l'emploi. L'emploi est une source de richesse.

P. Lapousterle : Même L'Humanité a licencié quelques personnes !

A. Lajoinie : L'Humanité n'est pas indépendante : elle subit la crise de la presse et du système. On ne peut pas faire un îlot avec des logiques différentes. Quand on parle de l'emploi au plan mondial, il faut tirer les enseignements de l'échec de cette politique. Or on continuera la même politique.

P. Lapousterle : Que répondez-vous au gouvernement qui a décidé de maintenir le CIP ?

A. Lajoinie : Il s'agit d'une provocation. E. Balladur ne cesse de répéter qu'il faut tenir compte des gens, qu'il faut les écouter. Là, on fait le contraire. Les gens, les jeunes, leurs parents se prononcent massivement pour la suppression du CIP. C'est une honte pour la France de considérer qu'on va donner plus de formation à nos enfants et qu'ensuite, parce qu'ils sont jeunes, on leur donnera un salaire inférieur. Ce n'est pas comme cela qu'on va créer des emplois.

P. Lapousterle : N'est-ce pas une honte pour la France qu'il y ait 700 000 jeunes au chômage ?

A. Lajoinie : Tout à fait. Malheureusement, le SMIC-jeunes ne donnera pas des emplois à ces gens-là. Le SMIC-jeunes aura d'autres conséquences : tout le monde sait que les entreprises vont en profiter pour licencier d'autres travailleurs plus âgés, ils vont baisser les salaires des autres travailleurs. Au bout du compte, ça va réduire la consommation et augmenter le chômage. C'est un cercle infernal. Il faut inverser cette donnée. Si on s'en prend à l'emploi, aux salaires, à la Sécurité sociale, on s'en prend en même temps à l'emploi. On enclenche un phénomène d'aggravation du chômage.

P. Lapousterle : Quand N. Sarkozy disait que personne n'a de recette pour changer cet état de chose, n'a-t-il pas un peu raison ?

A. Lajoinie : Les Français le pensent, mais ils ne le pensent pas tellement, puisqu'ils agissent. S'ils le font, c'est qu'ils considèrent qu'ils repoussent les solutions avancées par le gouvernement. Implicitement, ils estiment qu'il y en a d'autres. Nous n'acceptons jamais cette espèce de terrorisme intellectuel qui est pratiqué couramment par les gouvernements et qui consiste à dire "il n'y a pas d'autre politique que la mienne". Ce n'est pas vrai. Nous savons bien que des problèmes aussi compliqués que ceux-là peuvent être résolus par de multiples solutions. Il y en a de bonnes, de moins bonnes et de meilleures. Nous ne disons pas que nous avons la science infuse. Il faudrait au moins écouter les gens qui font des propositions. Il faudrait écouter les syndicats.

P. Lapousterle : Comme 69 % des Français, pensez-vous qu'il y a un risque d'explosion sociale ?

A. Lajoinie : Je ne sais pas. Personne n'a jamais pu prévoir une explosion sociale. Je souhaite un grand mouvement social. Je ne souhaite pas les casseurs. Je me demande s'ils ne sont pas un peu aidés.

P. Lapousterle : Par qui ?

A. Lajoinie : Il y a des gens qui ont intérêt à un moment donné à ce qu'il y ait des incidents. Il y a besoin d'un grand mouvement social pour exiger d'autres solutions, pour bouger un peu les choses dans ce pays. Je souhaite un mouvement unitaire, qui rassemble pour d'autres choix que ceux qui sont faits aujourd'hui.

P. Lapousterle : Que pensez-vous de B. Tapie qui se présente contre un communiste ?

A. Lajoinie : Il ne s'agit pas d'un grand courage. M. Tapie ne cesse de gesticuler en disant qu'il veut combattre la droite et l'extrême-droite. Or il se présente dans un canton qui a un conseiller général de gauche, alors qu'il aurait pu se présenter dans un canton voisin où il aurait pu combattre un conseiller général de droite. Il s'agit plutôt d'une erreur. Tout cela ne va pas bien loin.

P. Lapousterle : Allez-vous punir B. Tapie ?

A. Lajoinie : Nous n'en sommes pas là. Je ne crois pas que ce soit très important. Il s'agit plutôt d'un certain faux pas de M. Tapie.


France Inter – 8 h 15

I. Levaï : Vous vous attendiez à ne pas passer la barre des 10 % ? Mais vous êtes devant le FN.

A. Lajoinie : C'est cela, nous sommes passés avant le FN, ce qui n'est pas une petite chose et je crois que c'est un acquis démocratique pour la France car les communistes sont des progressistes et des hommes de gauche convaincus. Qu'on soit satisfait alors qu'on fait le meilleur résultat depuis six ans, je crois qu'il n'y a pas d'étonnement à avoir. Mais nous ne faisons pas de triomphalisme, nous mesurons ce qui reste à faire encore. Nous sommes satisfaits et partageons l'avis de tous les observateurs de ce point de vue.

I. Levaï : C'est-à-dire qu'on retrouve les familles politiques dont, d'aucun annonçait la sortie de l'histoire ?

A. Lajoinie : Je suis convaincu qu'il y a une force de la tradition. Il y a en France quatre familles depuis pratiquement le suffrage universel et ça reste. Le PC fait partie de ces quatre familles. Je crois que c'est une bonne chose pour la France.

I. Levaï : N'êtes-vous pas surpris par la déconnexion qui existe entre le social et le malaise de la jeunesse des villes, etc. et puis, les résultats d'une majorité qui est sinon plébiscitée du moins bien confortée aujourd'hui ?

A. Lajoinie : Ce n'est pas la première fois que ça arrive. Et je crois que la droite qui résiste, qui maintient ses positions, ce n'est pas étonnant. Il y a un an, les électeurs de droite, même ceux qui ont des critiques, ont des perspectives de présidentielle. Ils attendent encore des résultats. Voilà je crois comment on peut l'interpréter. La progression des communistes, le redressement des socialistes, c'est aussi un certain désaveu de la politique du gouvernement. On dit, il n'y a pas de désaveu de la politique du gouvernement, mais si.

A. Ardisson : Mais si c'est ça, ça pourrait vouloir dire que le résultat d'hier est un peu dopé par les événements de ces dernières semaines ?

A. Lajoinie : Sans doute un petit peu. Nous pensons que la traduction du mouvement social dans les urnes n'est pas automatique ni mécanique. Mais il doit exister et à la longue, il existe. D'ailleurs c'est normal. Ceux qui manifestent, et qui exigent et continueront d'exiger quoi qu'en pense M. Juppé qui m'apparaissait un peu tranquille, je crois que le gouvernement n'est pas à bout de sa...

A. Ardisson : Il n'était pas si tranquille que ça.

A. Lajoinie : Oui. Il aura de l'opposition, et il y a des gens qui protestent et, qui protesteront encore plus et ils ont beaucoup de raison. Et les communistes avec une force renforcée, seront à leurs côtés aussi bien contre la politique de chômage, d'inégalité, le SMIC jeunes. Et je crois qu'au bout du compte, il y aura une traduction dans les urnes. Ces gens qui protestent donneront une force politique à leurs revendications et ils le feront de plus en plus.

P. Le Marc : Vous retrouvez votre ligne traditionnelle. Au fond, vous êtes un parti contestataire, vous avez gouverné rarement tout au long de ce siècle et vous êtes, à l'aise pour protester. On ne change pas une équipe qui gagne, mais on peut la consolider. Souhaitez-vous que le gouvernement soit étoffé et renforcé par un remaniement ?

A. Lajoinie : C'est la décision du Premier ministre. Pour ma part je n'en vois pas la nécessité, mais il a peut-être d'autres éléments d'appréciation.

I. Levaï : Depuis des années le corps électoral vote tranquillement et calmement.

A. Lajoinie : C'est ce que je disais : il y a une certaine stabilité, une certaine raison qui s'exprime lorsque les Français votent.

I. Levaï : N'êtes-vous pas surpris par la manière dont les Français ont équilibré hier leurs votes entre le RPR et l'UDF. C'est incroyable !

A. Lajoinie : Non, ce n'est pas incroyable. C'est très difficile à analyser, Dans cette élection, nous avons eu, dans l'immense majorité des cas, des candidats d'union. Il n'y a rien de plus difficile dans une élection cantonale que de classer les diverses droites : certains sont plutôt de sensibilité RPR, d'autres plutôt de sensibilité UDF. Certains même sont des RPR où des UDF à peine déguisés. Il est très difficile de dire à la décimale près que le RPR a fait 15,6 %, l'UDF 15,3 %. Ce qui est clair, c'est que le RPR, qui était très traditionnellement un parti national et moins un parti local, a profondément changé depuis quelques années. Il s'est enraciné, on l'a vu, aux élections régionales. On voit maintenant que c'est un parti qui compte parce qu'il a réussi à irriguer la vie locale.

A. Ardisson : Vous avez le sentiment de "grignoter" sur vos partenaires ?

A. Lajoinie : Si nous progressons, cela veut dire effectivement qu'un certain équilibre se produit. On verra au moment du "troisième tour", lors de la présidence des Conseils généraux. Il est encore trop tôt pour en tirer des conséquences après le premier tour.

Nous avons protesté et je crois que c'est nécessaire, mais nous proposons et au cours de notre histoire nous avons marqué l'Histoire tant au moment du Front populaire, même si nous ne participions pas au gouvernement qu'à la Libération. Nous sommes un parti protestataire mais aussi de propositions.

P. Le Marc : Est-ce que le succès de la majorité et du gouvernement ne prouve pas que la gauche n'a pas de crédibilité sur son projet non plus sur ses perspective d'alliance et de force d'alternance.

A. Lajoinie : Vous avez raison de dire qu'il y a beaucoup de travail à faire dans la résistance contre cette néfaste politique mais aussi dans le travail pour une autre perspective, pour une construction politique. Nous ne sous-estimons pas les efforts qu'il y a à faire et en ce qui nous concerne, nous nous y attelons.

P. Le Marc : Alors est-ce que, vous pouvez construire avec les socialistes ?

A. Lajoinie : Évidemment. Cette perspective c'est le rassemblement des forces majoritaires, progressistes et populaires. Evidemment, une nouvelle construction politique, on ne va pas refaire ce qui n'a pas marché.

P. Le Marc : En attendant, vous dites pour dimanche prochain, pas une voix ne doit manquer sur le candidat progressiste le mieux placé, comme vous le disiez au beau de temps de l'union de la gauche ?

A. Lajoinie : Nous le disons ouvertement, nous disons qu'il faut rassembler tous les progressistes de quelques couleurs que ce soit.

A. Ardisson : Ça va jusqu'où les progressistes ?

A. Lajoinie : Ça veut dire les socialistes, les communistes, le MRG, les écologistes, ce sont des progressistes. Nous les appelons à se rassembler. Nous appelons ces électeurs qui ont voté pour ces formations au premier tour de se rassembler pour le candidat placé en tête. Evidemment, ça exige des efforts de réciprocité, il n'est pas unilatéral. Mais nous appelons aussi les électeurs de gauche qui se sont encore abstenus. Il faut qu'ils se mobilisent parce que nous pouvons encore foire échec à la droite et à l'extrême-droite. Il faut que la droite ne sorte pas avec le panache qui lui permettrait encore d'aggraver sa politique.

I. Levaï : Le MRG, B. Tapie aussi ? Allez-vous l'aider à vaincre dans son canton ?

A. Lajoinie : Ce sont les communistes de Marseille qui vont se réunir, mais quand nous disons rassemblement de tous les progressistes, nous y mettons évidemment le MRG.

I. Levaï : C'est une surprise, il est quand même venu chasser sur vos terres ?

A. Lajoinie : Vous êtes un démocrate et vous voudriez que nous ne respections pas le suffrage universel. C'est comme ça. Nous avons mené des batailles. Il n'y a plus qu'avec le MRG que ça c'est produit. Des socialistes sont passés devant nous dans certains secteurs et nous sommes passés devant les socialistes. Que faut-il faire ? Se rassembler pour le candidat placé en tête.

P. Le Marc : Mais Tapie n'est pas un socialiste, et c'est aussi un MRG tout de même un peu atypique.

A. Lajoinie : Nous ne retirons de ce que nous avons dit mais nous sommes des gens réalistes et nous disons : maintenant, il faut barrer la route à la droite et à l'extrême-droite. Il n'y a pas d'exception dans cette affaire.

A. Ardisson : Vous avez regardé de près ce qu'on appelle les résultats du communisme rural, comme chez vous dans l'Allier.

A. Lajoinie : Nous sommes en mesure de gagner trois sièges. C'est un bon résultat dans l'Allier. C'est une petite revanche sur les législatives. Et dans le Cher aussi, dans d'autres départements du même type.

I. Levaï : Et en Île-de-France, dans ce que l'on appelait autrefois la banlieue rouge ?

A. Lajoinie : Les résultats sont bons. Nous allons conserver très probablement la présidence, la majorité dans les deux départements.

I. Levaï : Et la majorité absolue en Seine-Saint-Denis ou pas ?

A. Lajoinie : Je ne peux pas dire ça très exactement. Ce sont des élections à deux tours. Il y a toujours une part d'incertitude, mais il ne fait pas de doute que nous allons garder la majorité de gauche.

P. Le Marc : G. Marchais s'en va, le PC va mieux, vous en tirez des conclusions ?

A. Lajoinie : Ça serait ridicule de dire cela. Ce qui se passe aujourd'hui c'est le résultat des efforts que nous avons faits et auxquels G. Marchais a été associé et était même partie déterminante. Et évidemment, notre congrès a apporté un plus, c'est incontestable. Il y a un effort nouveau, une nouvelle étape dans la rénovation, une image nouvelle, les gens pensent que ça bouge dans le bon sens dans le PC.

P. Le Marc : Que pensez-vous des résultats des neuf ministres qui sont passés hier ?

A. Lajoinie : En général les ministres sont dans des fiefs de droite tellement majoritaires qu'il faudrait vraiment une bourrasque extraordinaire.

P. Le Marc : Pas M. Douste-Blazy.

A. Lajoinie : Oui mais en général, ce sont des fiefs très importants. Et ça ne fait que confirmer ce que je disais au début, la droite se maintient. Nous ne nions pas ce phénomène.

I. Levaï : On a le sentiment que les protestations n'ont pas eu de traduction politique. Qu'est-ce que ça signifie ?

A. Lajoinie : Ce n'est pas nouveau. Le social ne débouche pas automatiquement sur le vote politique. Mais il y a une influence, peut-être à retardement. Un an, ça fait un peu court pour les gens qui ont voté pour la droite. Ils ont encore quelque espoir. La mauvaise politique et les conséquences qui en résultent, qui s'exprimeront demain, aussi bien pour les jeunes, les chômeurs que les pêcheurs ou agriculteurs, se traduira. Mais ça exige un effort d'explications. Ce n'est pas évident. Il faut faire avancer la conscience que les électeurs mécontents ont aussi un moyen de vote politique.

I. Levaï : C'était le bon scrutin pour vous. Sur l'Europe, socialistes et vous alliez faire bande à part.

A. Lajoinie : C'est un scrutin proportionnel : tout le monde fera bande à part. C'est un scrutin qui pousse à la liste par formations. Je suis confiant sur le scrutin des européennes.

P. Le Marc : Vos alliés socialistes et radicaux auront une autre attitude sur l'Europe.

A. Lajoinie : Dans ce projet européen… Il y aura de l'évolution. Il y a une maturation sur les questions européennes. Nous sommes partisans d'une construction européenne sociale. L'est-elle ? Elle est antisociale. Nous sommes pour une construction européenne solidaire, démocratique. L'est-elle ? Pas du tout. Tout le monde dit que les décisions se prennent contre les peuples et les gouvernements. Nous avons des arguments tout à fait positifs et bons. Ils seront partagés.

P. Le Marc : Le fossé reste énorme entre le PS et vous ?

A. Lajoinie : Je ne crois pas que le fossé puisse s'élargir. Il y aura aussi une réflexion de la part des autres formations qui se prononcent pour la gauche. Il y a inévitablement une réflexion à faire par rapport à la construction européenne.

A. Ardisson : Quel pari faites-vous pour le deuxième tour en nombre de sièges ?

A. Lajoinie : Notre ambition est réalisable : c'est de maintenir le nombre de nos élus, les maintenir par rapport à notre scrutin de 1988 qui avait été un record pour les partis de gauche.

A. Ardisson : Ferez-vous aussi bien aux européennes que là, au premier tour ?

A. Lajoinie : Notre comité national a l'ambition d'élargir notre liste. Ce sera une liste du PC.

I. Levaï : Donc un résultat à un chiffre !

A. Lajoinie : Et pourquoi pas à deux chiffres ?!

P. Le Marc : Et qui sera vote candidat pour les présidentielles ? R. Hue ?

A. Lajoinie : Pourquoi pas ?

A. Ardisson : Vous n'êtes pas contre ?

A. Lajoinie : Au contraire !


France 2 – 7 h 45

G. Leclerc : C'est toujours la mobilisation contre le CIP, pourtant le projet a été remanié. Certains disent même "vidé de son contenu". Est-ce bien raisonnable de continuer à manifester avec tous les risques de débordement qu'il y a ?

A. Lajoinie : Le mouvement qui s'empare de la jeunesse est un mouvement extrêmement profond. C'est contre le CIP, contre le travail dévalorisé. Cela va beaucoup plus loin. Notre jeunesse se révolte avec raison contre l'avenir qu'on lui prépare. Ils préparent des diplômes et on leur dit "cela ne servira à rien". Ces jeunes sont donc révoltés, leurs parents également. Cela fait des décennies qu'une formation ne donne pas lieu à une promotion dans la société. Cela pose une question de fond. Allons-nous vers la dévalorisation des emplois ? Allons-nous vers le sacrifice des hommes et des femmes au travail au profit de la finance ? Nous croyons que, pour que la société se développe, il faut au contraire donner plus de moyens aux hommes et aux femmes au travail, plus de formation, plus de salaire, plus de liberté, plus de responsabilité. C'est cela l'avenir. Si on veut maîtriser les développements technologiques, il faudra faire comme cela. Or c'est le contraire qui se passe. On sacrifie le travail à la finance. On parle de reprise ? C'est la reprise des profits ! On jette des hommes et des femmes à la rue. C'est contre cela que s'expriment les jeunes. Que le gouvernement ne croit pas s'en sortir avec le processus habituel de provocation-répression cher au ministère de l'Intérieur. Que Balladur ne croit pas que parce qu'il a eu son électorat mobilisé au premier tour, il puisse être arrogant et imposer le SMIC-Jeunes. Il se trompe. Il pourrait bien payer les pots cassés.

G. Leclerc : Vous faites allusion à M. Pasqua. N'est-il pas dans son rôle de ministre de l'Intérieur quand il met en garde contre les risques de violence et quand il expulse – comme il l'a fait hier soir – deux Algériens qui s'étaient rendus coupables d'agression contre les forces de l'ordre ?

A. Lajoinie : Ne soyons pas dupes. M. Pasqua – qui dispose d'une police intelligente – est capable d'assurer la sécurité. Quand il y a des incidents, on peut se poser la question : qui est responsable ? Ce n'est pas la première fois où on veut casser un mouvement par le cycle de la répression. Sur ce plan là, on un en connaît un rayon au ministère de l'Intérieur.

G. Leclerc : On aurait laissé les casseurs faire…

A. Lajoinie : Je ne peux pas jurer du contraire…

G. Leclerc : Les expulsions vous choquent ?

A. Lajoinie : C'est un petit clin d'œil au FN cela ne va pas très loin !

G. Leclerc : Aux premier tour des cantonales le PCF a fait 11,3 % des voix, il y a eu une légère remontée, vous passez devant le FN. Mais peut-on pour autant parler de reconquête ? Des considérations particulières au scrutin ont-elles joué ?

A. Lajoinie : Non. Il y a un redémarrage. C'est l'avis de tous les observateurs. Un redémarrage évident qu'il faut poursuivre sans faire de triomphalisme. Nous savons cc qu'il y a à faire. Nous considérons que ce redémarrage du PCF est un plus pour notre peuple, pour l'action qu'il faut mener, le rassemblement qu'il faut faire. Nous sommes à la veille second tour. Partout le rassemblement s'est fait pour le candidat placé en tête par le suffrage universel des forces de gauche et progressistes. Je m'en félicite. C'est là le moyen de gagner d'autres sièges aux Conseils généraux pour défendre les gens et être leur porte-parole.

G. Leclerc : L'union de la gauche retrouve des couleurs. Quels sont vos objectifs pour le deuxième tour ?

A. Lajoinie : Faire élire tous ceux qui sont passés en tête. Il y a une petite reprise de la gauche et des communistes. Il faut ouvrir une autre perspective que celle offerte par ce pouvoir de droite, antisocial, ce pouvoir arrogant de l'argent. Pour cela il ne faut pas recommencer ce qui a échoué dans le passé. Il faut faire du neuf. C'est un objet de réflexion pour tous les hommes de progrès.

G. Leclerc : À propos de retraits et de désistements, il y a le cas Tapie. Vous avez changé : B. Tapie est devenu de gauche ?

A. Lajoinie : Nous avons décidé qu'il fallait se rassembler avec toutes les forces de gauche : socialistes, écologistes. MRG. Nous ne faisons pas d'exception. Si on commence à faire des exceptions on ne fait pas une politique.

G. Leclerc : Aux Européennes, qui mènera la liste du PCF ?

A. Lajoinie : Le comité national va faire une proposition de liste. R. Hue a estimé que F. Wurtz ferait une bonne tête de liste. Je partage ce point de vu, mais ce sont l'ensemble des communistes qui vont décider. Au plan européen on peut faire de nets progrès, à l'exemple de ce qui s'est passé aux cantonales. Il y a aujourd'hui une Europe qui prétend être sociale, or elle est antisociale. Il faut la changer. Elle est anti-démocratique, les positions se prennent sans – et parfois contre – les peuples. Il faut changer cela. Un parti comme le nôtre devrait avoir des élus qui se battent pour cet objectif-là, c'est un bel objectif.