Texte intégral
J.-M. Lefebvre : Un mot de l'actuelle politique économique : est-ce que vous souhaitez sa continuité et est-ce que le patronat appelle à des mesures de soutien, voire de relance ?
J. Domange : Bien évidemment, nous constatons un arrêt de la dégradation, ce qui est déjà une chose importante pour l'économie. Mais il y a un problème de confiance général, il y a un problème d'animation de certains secteurs de l'industrie et du commerce. Je suis président de la Fédération du bâtiment et le bâtiment devait être le vecteur avancé de la reprise économique. Des mesures importantes ont été prises, un plan de soutien a été édicté. Nous ne voyons pas aujourd'hui même une reprise spectaculaire. Malgré tout, il y a quelques éléments qui sont réconfortants et qui nous amènent à dire que 1994 verrait une reprise lente.
J.-M. Lefebvre : L'idée, pour relancer la consommation, d'utiliser l'argent de la participation ?
J. Domange : Pourquoi pas ? C'est à voir, à calibrer de bonne manière. Cet argent de la participation est bien sûr de l'argent qui était bloqué par les salariés, c'est ce qui leur appartient, ça alimente aussi des fonds pour les entreprises, donc il ne faut pas déstabiliser tout cela mais cela semble tout à fait judicieux de mobiliser tous nos moyens, à l'heure actuelle, pour relancer l'investissement de la consommation.
J.-M. Lefebvre : Le système de protection sociale semble dans une phase critique, on a presque envie de dire qu'il est à bout de souffle.
J. Domange : Oui, ceci était prévisible puisque nous avons, à la fois, la réduction de l'emploi et le renforcement des allocataires, l'augmentation des allocataires.
J.-M. Lefebvre : Les licenciements du patronat qui font qu'il y a moins de cotisations ?
J. Domange : Il n'y a pas seulement les licenciements du patronat, il y a les 70 000 faillites que nous avons connues. Que je sache, les entreprises qui ont déposé leur bilan ne l'ont pas fait de gaîté de cœur. Donc, ceci a entraîné le désarroi social que nous avons. Nous avons des comptes qui sont en difficulté et nous devons, quelle que soit la difficulté de l'exercice, faire en sorte que nous réduisions les dépenses de ces comptes sociaux parce qu'ils ne vont pas seulement charger les entreprises elles-mêmes, elles chargent toute la Nation. La Nation ne peut plus supporter la charge sociale actuelle. Donc, il est nécessaire que des réformes structurelles se mettent en place.
J.-M. Lefebvre : Pour l'instant, ce sont les patrons qui ont eu les bénéfices les plus grands au niveau du transfert de charges sociales ou du remboursement de la TVA.
J. Domange : On ne va pas revenir sur la polémique de la TVA. Nous avons une protection sociale anormalement coûteuse actuellement. En plus, elle charge anormalement salariés et entreprises. Donc, il y a une solidarité nationale à instituer. Donc, c'était normal que certaines charges reviennent à la solidarité nationale. Ceci étant, cela a évité à certaines entreprises de déposer le bilan et d'aggraver le score que nous connaissons aujourd'hui.
J.-M. Lefebvre : La solidarité nationale dans le projet de retraite complémentaire des cadres et la difficile négociation : la CGC n'a pas du tout envie qu'on fasse payer les cadres en retraite pour les chômeurs ?
J. Domange : Le problème de la retraite a été évoqué dans le régime général sept ans de suite et les premiers pas ont été faits dans le régime général cette année, par le gouvernement. Et cela va produire ses effets dans les années à venir mais cela a déjà des répercussions sur notre régime complémentaire. Plus le problème qui est aggravant d'avoir en effet un chômage des cadres qui s'est aggravé et des cadres qui vont de plus en plus tôt en retraite. Tout cela ne peut plus marcher. Il faut des efforts de tous, le patronat a clairement indiqué qu'il était capable de faire l'effort d'aggraver la contribution des entreprises et il a demandé aux salariés de faire leur effort. Je pense que les retraités doivent faire leur part dans cet effort de solidarité.
J.-M. Lefebvre : Et pour l'assurance-maladie : il faut mettre les médecins au régime ?
J. Domange : Pour l'assurance-maladie, c'est un problème fort complexe. Je crois que les esprits sont mûrs pour se dire qu'il est temps qu'on arrête la progression sans limite des dépenses de santé. Au moment où nous sommes en récession économique, nous avons encore une progression des dépenses de santé de 8 %, ce n'est pas possible, c'est insupportable. Donc, il faut responsabiliser tout le monde, y compris les médecins. Mais on ne parle pas d'un autre volet qui est tout à fait important, qui représente pratiquement 50 % des dépenses, c'est l'hospitalisation publique qui coûte très cher et qui doit être révisée. Je pense que, contrairement à ce que pensent certains observateurs, il est temps, malgré les échéances politiques, d'aller très vite à prendre des mesures drastiques pour redresser les comptes, sinon nous allons dans le mur.