Texte intégral
TF1 : Que pensez-vous des propos d'E. Balladur ? Ils viennent à point ? Vous auriez préféré qu'ils viennent plus tôt ?
P. de Villiers : J'avais dit, pendant la campagne des Européennes qu'il fallait la diversité, parce qu'il s'agissait d'un scrutin proportionnel, et qu'il faut l'unité de candidature pour la présidentielle. Je n'ai pas changé d'avis. Ce n'est pas parce que le score que nous avons fait est plus important que prévu qu'il faut pour cela, comme on dit chez nous, prendre la grosse tête. Simplement, ce que je veux dire à E. Balladur, Premier ministre de la France dont je souhaite le succès parce que son échec serait l'échec de la France, c'est que l'Europe est à la dérive. Les deux questions qu'il faut inscrire au cœur des mois qui viennent pour l'action gouvernementale, pour le Parlement et pour les Français, c'est : 1) La question de la souveraineté de la France. La France est en queue de comète de l'histoire : où va-t-elle franchir le siècle ? 2) La question de la corruption. La société politique va-t-elle accepter, oui ou non, de donner à la justice les moyens de lutter contre ce fléau ? Quand je vois que B. Tapie obtient un score qui est quand même impressionnant alors qu'il est poursuivi par ses créanciers, le fisc, la douane, qu'il est 4 fois mis en examen, je me dis que c'est un symptôme de la déliquescence de notre vie politique. C'est la raison pour laquelle l'engagement que nous avons entrepris pour les élections européennes va se poursuivre pour inscrire ces deux questions au cœur de la campagne présidentielle pour qu'on arrive à l'unité de candidature.
TF1 : Quand vous dites que vous souhaitez plein succès à E. Balladur, vous lui souhaitez plein succès à la présidentielle ?
P. de Villiers : Je choisirai le mieux placé.
TF1 : Dans les sondages ?
P. de Villiers : Non. Le mieux placé par les procédures qui conviennent : cela peut-être l'un, cela peut-être l'autre, cela peut-être un troisième. Personne ne sait aujourd'hui.
TF1 : J. Chirac, E. Balladur, V. Giscard d'Estaing, vote cœur balance ?
P. de Villiers : Peut-on parler de l'essentiel et non pas de la politique politicienne ? La question de la souveraineté de la France c'est plus important que la question de telle ou telle personne.
TF1 : C'est important de savoir qui, justement, sera l'homme qui engagera cette politique ?
P. de Villiers : Un homme politique responsable, surtout compte tenu du succès que nous venons d'avoir, contre les appareils, contre les états-majors, malgré les intimidations, les consignes, enfin on a tout bravé, il doit avoir deux attitudes en permanences et qui sont parfois contradictoires. 1) Dire la vérité. C'est ce que nous avons fait. La vérité, ce sont les convictions. Les gens ont choisi les convictions plutôt que les consignes. 2) Faire gagner son camp. Je suis un traumatisé de 1981, j'ai vu ce que c'était que la défaite, et j'ai vu ce que c'était que la foire d'empoigne, avec le cliquetis des sabres qui sortent des fourreaux. Ce sont ceux qui parlent "d'union, l'union, l'union, l'union, comme des cabris", et qui, en fait, préparent déjà leur candidature. Cette lutte fratricide… Je vous en supplie messieurs les candidats : pensons à la France et répondons aux questions que les Français se posent. La société politique aujourd'hui est atrophiée. Je n'accepte pas cette septicémie morale dans laquelle notre pays est en train de glisser. Et puis il y a la question de la souveraineté de la France. À quoi cela sert-il de choisir tel ou tel candidat, de se chamailler les uns les autres, si la France devait être emportée par une espèce d'Europe qui ne protège plus la France mais qui la détruit ? C'est cela, la question clef. Je suis pour l'unité. Je suis pour l'unité de candidature. Le mieux placé au moment venu. Ce n'est pas une question d'estampille, d'étiquette. Si notre liste a eu grand succès, ce n'est pas parce que c'est une liste qui est ici ou là. Chacun a son itinéraire : J. Goldsmith, chef d'entreprise, T. Jeanpierre, C. de Gaulle, P. Martin sont sans étiquette, sans estampille. Nous avons été un point de rassemblement de Françaises et de Français qui ont senti chez nous la liberté des idées et la conviction et l'indépendance d'esprit. Cette indépendance d'esprit, on va la mettre au service des combats à venir pour faire gagner notre camp et pour faire gagner la France.
TF1 : Si vous nous dites clairement que vous souhaitez toujours l'unité de candidature, cela veut dire que vous-même vous ne rentrez pas dans le circuit ?
P. de Villiers : Ne trouvez-vous pas qu'il y a déjà beaucoup de monde dans le bourg ?
TF1 : Il y a du monde, oui ! Mais vous avez envie…
P. de Villiers : Vous savez ce qu'un ami vendéen m'a dit hier ? (P. de Villiers prend l'accent vendéen) : "fais attention, sois pas comme les autres ! Parce que dès que les projecteurs s'approchent à chaque fois ils pètent une durite". Je ne sais pas comment on dit chez vous en Bretagne, mais nous on n'a pas pété une durite. On est très content, mais ce sont les électeurs, nos concitoyens, qui attendent de nous le sens des responsabilités. La vérité et faire gagner notre camp. Ils veulent la vérité et la victoire. Sans la victoire on ne peut pas faire gagner nos idées.
TF1 : Vous n'avez pas envoie d'offrir ces 12 % à tel ou tel pour l'instant ?
P. de Villiers : Attendez ! Les voix de nos électeurs ne sont pas monnayables. On ne va pas détourner un message qui est européen, français et qui nous permet, je peux vous l'annoncer ce soir, de faire un groupe parlementaire à Strasbourg qui sera animé et présidé par J. Goldsmith, avec les représentants d'un certain nombre de pays et qui vont, tous ensemble, remettre tous nos partenaires autour de la table pour signer un nouveau Traité de Rome, parce qu'il va falloir renégocier Maastricht en 1996.
TF1 : Quel sera le nom de ce groupe ?
P. de Villiers : L'Europe des nations. On va se battre sur la préférence communautaire. Je peux vous annoncer quelque chose : l'Europe du secret, c'est fini. À partir de maintenant avec J. Goldsmith ; T. Jeanpierre, C. de Gaulle, tous les jours, il y aura des points de presse, on dira ce que fait la commission. On traquera la fraude, on harcèlera la commission de Bruxelles pour que les Français sachent ce qu'on nous prépare là-bas.
TF1 : Mais quand vous nous dites qu'il s'agit de renégocier Maastricht, ce n'est pas possible puisque chacun s'est prononcé par référendum ou par une voie quelconque. Tous les pays se sont prononcés. C'est impossible de revenir sur ce processus !
P. de Villiers : C'est une question essentielle que vous posez-là, et que, pendant la campagne des européennes, M. Rocard et D. Baudis se sont entendus à éteindre. Personne n'a dit ce que nous allons tenter de faire tenter de faire ensemble : l'article N du Traité de Maastricht prévoit sa propre révision en 1996. Les Allemands y pensent déjà, les Anglais, les Espagnols… Il n'y a qu'en France qu'on ne prépare pas cette élection !
TF1 : Il y a des conditions draconiennes !
P. de Villiers : Non, non ! La révision du Traité de Maastricht… Maastricht est comme un canard sans tête. Le canard continu à marcher alors il faut un autre Traité. Nous proposons un nouveau Traité de Rome fondé sur la préférence communautaire, il faut vraiment arrêter l'hémorragie de nos emplois, la sécurité, la démocratie. On en a ras la carmagnole des technocrates de Bruxelles, comme on dit en Vendée.
TF1 : Vous êtes un peu technocrate, vous êtes énarque !
P. de Villiers : Vous savez ce que c'est qu'un technocrate ? Ce n'est pas forcément un énarque, pas de simplifications abusives, c'est un responsable public qui n'est pas élu mais nommé et ne subit aucun contrôle démocratique. Le peuple français s'est laissé déposséder de sa souveraineté, de nos libertés, de nos prérogatives, sans crier gare, sans qu'on nous consulte. On a 80 % de nos lois qui sont faites là-bas. Ce n'est pas possible. Je dis qu'on va bloquer ce processus là.
TF1 : Vous-même vous avez été technocrate. Vous avez été sous-préfet, donc nommé et ensuite vous avez été nommé ministre, sans avoir été élu…
P. de Villiers : P. Poivre d'Arvor, je vais vous faire une confidence devant tous les Français : quand j'étais sous-préfet, je n'avais de cesse que de dire à mes collaborateurs "Gagnez du pouvoir ! C'est du pouvoir qui est pris par l'administration". Quand vous avez du pouvoir vous ne pensez qu'à une chose : à l'éteindre. Ce qui est normal, c'est qu'un fonctionnaire préparé les décisions ou les exécute, ce qui n'est pas normal, c'est qu'il décide lui-même. Donc qui est là-bas à Bruxelles ? Il faudrait que ce soit des secrétaires administratifs. Vous imaginez M. Delors en secrétaire administratif ? Je rêve de cela. Au paradis des fonctionnaires, il y a marqué en haut : "Toujours plus de pouvoir, encore moins de contrôle…" Ils préparent. Ils exécutent. Mais ils décident ! Ce n'est pas normal ! C'est aux élus, aux politique de décider ! Voilà ce que nous voulons pour Bruxelles, et pour la France aussi, parce qu'on trouve que la technocrate prend beaucoup trop d'importance.
TF1 : À Bruxelles, il y aura un groupe. À Paris, y aura-t-il un mouvement, un parti politique, autour de P. de Villiers,
P. de Villiers : La question est loin d'être à l'ordre du jour.
TF1 : Mais vous y pensez déjà ?
P. de Villiers : Non. S'il y avait un parti à créer ce serait "Le Mouvement de la France". C'est le parti de la France. Aujourd'hui il y a trop d'estampilles, trop d'étiquette. J'ai parlé hier d'une famille. Cela veut dire un rassemblement de gens qui partagent des valeurs transversales, chacun avec un parcours Jaurès disait : "La patrie c'est le bien de ceux qui n'ont rien". Il y en a d'autres qui pensent avec Bernanos. Chacun a sa culture, mais il y a des valeurs transversales.
TF1 : Vous êtes plus proches de Maurras que de Jaurès ? Ou de Bernanos que de Jaurès ?
P. de Villiers : Si vous voulez qu'on fasse une émission littéraire invitez-moi à…
TF1 : … à ex-Libris ? Mais vous vous sentez plus proche des valeurs dites traditionnelles ?
P. de Villiers : On ne trie pas sa littérature comme naguère on triait la maujette. On prend tout. Il y a des moments pour chaque auteur. Moi, j'aime tout.
TF1 : Vous vous ancré profondément à droite ?
P. de Villiers : Si la droite c'est le contraire de la gauche, au sen de F. Mitterrand, oui. Les valeurs transversales – vous m'y faite penser, merci d'aménager ma transition – c'est d'abord l'intégrité. On veut une France intègre. F. Mitterrand a fait beaucoup de mal à la France parce qu'il a laissé s'installer la corruption. On veut la souveraineté nationale parce que, sans la souveraineté, il n'y a plus de liberté. On veut la défense de l'emploi, si on veut garrotter l'hémorragie. On ne veut pas – pardonnez-moi d'utiliser cette expression pour la dernière fois après la campagne – on ne veut pas d'une Europe passoire. On veut une Europe protégée et on va essayer de la faire. C'est le mandat que nous nous sommes donnés pour ceux qui seront à Strasbourg, à Bruxelles, à Paris et dans toutes les capitales étrangères, avec ce grand mouvement européen au service de l'Europe, de la majorité. Vous voyez, aujourd'hui tout le monde dit que je suis dans la majorité.
TF1 : Vous y êtes, ou vous n'êtes pas ?
P. de Villiers : Oui. J'y suis. Pourquoi vous dirais-je le contraire alors que c'est ce que j'ai fait pendant toute la campagne ?
TF1 : Ce sont les autres, qui parfois…
P. de Villiers : C'est vrai que les hommes politiques, souvent, le lendemain des élections, disent le contraire. Moi, je n'ai pas changé.
TF1 : Vous êtes dans la majorité.
P. de Villiers : On n'est pas seulement dans la majorité. Je dirai même qu'on en est le cœur battant ; On est la majorité de la majorité. Vous verrez qu'ils seront de plus en plus nombreux ceux qui vont rejoindre cette famille qui s'est exprimée, qui a fait le choix de notre liste.
Valeurs Actuelles
Villiers : "Ma vérité sur la campagne"
Pourquoi Pasqua a calmé le jeu
"Il ne faudrait pas que les partis reprennent leur marche vers le précipice."
Entretien avec Philippe de Villiers
De son "non" au Gatt à son triomphe du 12 juin, le député de la Vendée raconte les sept mois qui ont ébranlé la Droite.
Valeurs Actuelles : Quand avez-vous pris la décision de constituer une liste pour les élections européennes ?
P. de Villiers : Début octobre, juste après la venue d'Alexandre Soljenitsyne en Vendée pour l'inauguration du mémorial des Lucs.
Encore imprégné de ce formidable événement, j'ai ressenti la rentrée d'octobre comme un moment de déception dans un pays livré à la cohabitation, au consensus mou, à des états-majors courant de compromis en compromission.
C'était la grande époque du Gatt, les centristes triomphaient tous azimuts, la majorité parlementaire RPR-UDF s'éloignait peu à peu de la majorité populaire de mars 1993.
On ne parlait plus, on ne pouvait plus parler de Maastricht et de Schengen, on ne pouvait plus dire qu'on refusait l'accord de Blair House. On entendait parler surtout, déjà, de la présidentielle, qui obligeait à une cohabitation suave.
J'ai compris très vite que les états-majors s'apprêtaient à donner quitus à Leon Brittan pour signer le Gatt, et que le reste n'était que gesticulation médiatique.
Je ne l'ai pas accepté. Pour une raison de principe tenant à l'honneur. Et pour une raison pratique : parce que je savais, depuis le 3 septembre, que cet accord était une folie. Une folie pour la France, et une folie pour l'Europe.
"J'ai senti d'instinct que Jimmy Goldsmith avait raison"
Valeurs Actuelles : … Pourquoi depuis le 3 septembre ?
P. de Villiers : Parce que ce jour-là fut pour moi un moment historique. J'ai rencontré en tête à tête Jimmy Goldsmith, et j'ai senti d'instinct qu'il avait raison. Quand j'ai entendu ce chef d'entreprise international, peu suspect de chauvinisme et de frilosité, me prouver, chiffres à l'appui, lui, créateur de millions d'emplois, que le libre-échangisme mondial était au libéralisme ce que l'anarchie est à la liberté, je n'ai pas hésité une minute.
Il m'a remis, dans une enveloppe bistre, le manuscrit du Piège, qu'il venait d'achever, et je l'ai dévoré dans le train. À mon arrivée en Vendée, ma décision était prise : je ne voterais pas la confiance sur le Gatt, et je ferais ma liste…
Valeurs Actuelles : Vous aviez déjà des noms en tête ?
P. de Villiers : Je pensais alors à une liste essentiellement composée de parlementaires. Les circonstances en ont décidé autrement, et je m'en félicite aujourd'hui…
À la mi-novembre, je croyais encore pourvoir compter sur une poignée de députés "résistants". Et pas seulement des parlementaires ! Je me souviens, comme si c'était hier, du message de Christian Jacob, le président du CNAJ, futur numéro quatre de la liste Baudis, s'adressant par une dépêche à tous les députés de France, et à moi-même par téléphone : "Pour la survie de notre agriculture, votre devoir est de refuser le compromis de Blair House…"
Puis vint le fameux débat du 14 décembre : soudain, tous les blés s'étaient couchés. La tempête de l'euphorie avait tout emporté. Deux parlementaires seulement – Bernard Coulon et Joël Sarlot – m'accompagnèrent dans mon refus de l'inacceptable.
À partir de là, que faire ? Tout simplement expliquer. Expliquer pourquoi le libre-échangisme mondial imposé par le Gatt et par Maastricht est un poison.
C'est ainsi qu'est né mon livre, La société de connivence, rédigé à la hâte pour la fin de janvier.
Je l'écris la plume suspendue. Le téléphone ne cesse de sonner. Un ami m'appelle : "Tu as raison sur le fond, mais la France veut le consensus… Ils ne te le pardonneront jamais".
Valeurs Actuelles : Qui "ils" ?
P. de Villiers : Tous les grands leaders qui estiment qu'en disant "non" au Gatt je suis sorti de la majorité. J'ai beau rappeler que c'était notre engagement commun lors de la campagne des législatives, on ne m'entend plus. C'est le monde à l'envers, mais c'est ainsi…
Dès le mois de janvier, la machine à exclure tourne à plein. Consigne est donnée à MM. Philippe Mestre, ministre des anciens combattants et des victimes de guerre (qui bientôt méritera bien son nom), et Jacques Oudin, sénateur RPR de la Vendée, de lancer les premières torpilles contre moi à l'occasion des cantonales… Avec le succès que l'on sait.
"Marie-France Garaud et Gilbert Pérol tiennent bon"
Pendant ce temps-là, à Paris, les états-majors tentent une opération d'isolement sanitaire. Mais je ne suis pas seul. Des personnalités que j'admire et que j'aime, comme Marie-France Garaud ou Gilbert Pérol, tiennent bon dans la tourmente.
C'est à ce moment que Jimmy Goldsmith me dit : "Vous êtes de la race des hommes politiques qui savent dire "non". Je serai avec vous dans ce combat-là.
"Charles Pasqua, qui est un ministre de l'intérieur avisé a vu venir notre succès"
Il le fait par devoir et par conviction, car il n'attend rien de la politique, et il ne doit rien à personne. C'est ce jour-là que je comprends que Jimmy Goldsmith est un "grand monsieur", dont je découvrirai, au fil de la campagne, l'ampleur des qualités humaines et intellectuelles.
J'ajoute que, depuis déjà plusieurs mois, j'ai le soutien de Charles de Gaulle, petit-fils du Général et député européen sortant, qui est prêt à nous accompagner quels que soient les risques. Il a reçu dans son patrimoine l'esprit d'indépendance et l'indépendance d'esprit.
Valeurs Actuelles : Villiers-Goldsmith-de Gaulle : le trio de tête est constitué… Pourquoi avoir attendu encore deux mois pour annoncer le reste de la liste ?
P. de Villiers : Parce que nous voulons la laisser ouverte le plus longtemps possible. De Philippe Martin, le tombeur de Bernard Stasi, au juge Jean-Pierre, figure emblématique de la lutte contre la corruption, nous parvenons ainsi, chaque fois, à créer la surprise. À faire en sorte que notre liste soit une économie de symboles.
Le 12 juin est pour moi la fin d'un long marathon. Le marathon des cantonales d'abord, où j'ai tout fait pour faire gagner la majorité, et le marathon des européennes commencé le 8 janvier.
Valeurs Actuelles : Pourquoi le 8 janvier ?
P. de Villiers : Parce que, ce jour-là, j'ai réuni à Paris l'ensemble des délégués de combat pour les valeurs pour leur annoncer que nous allions partir à l'abordage. L'accueil est enthousiaste. Surtout, dès ma première réunion, le 17 janvier au mans, puis le 18 à Montauban, et le 19 à Toulon, le public est fervent et les salles pleines à craquer. Ce sont des singes qui ne trompent pas. Et ainsi de suite à Nîmes, à Moulins et Arras, pendant que les sondages nous "sortent" à 4 %, voire à 3,5…
Valeurs Actuelles : Comment expliquez-vous cette distorsion ?
P. de Villiers : J'ai acquis la conviction – et les résultats le prouvent sans qu'il soit besoin d'insister – que les sondages peuvent être, parfois, un formidable instrument de manipulation aux mains des grands partis officiels… Jusqu'au moment où, pour garder leur crédit commercial, les sondeurs disent la vérité à leurs commanditaires. Le plus souvent dans la dernière semaine de la campagne, quand la publication de leurs études est interdite par la loi…
Et puis, un beau jour, le miracle a eu lieu : les médias qui nous snobaient se sont subitement intéressés à nous. Sans doute parce que, malgré les sondages exécrables, ils ont senti qu'il se passait, quelque chose, que le paysage bougeait…
Valeurs Actuelles : Quand cela est-il arrivé, précisément ?
P. de Villiers : Au moment de l'annonce de l'arrivée sur notre liste du juge Jean-Pierre.
Valeurs Actuelles : Le 12 mai, votre liste est donc publique, et la presse commence à rendre compte de vos meetings. Comment réagissent les états-majors ?
P. de Villiers : Par le renforcement du cordon sanitaire. Cela dit, les états-majors ne sont pas encore trop inquiets.
"Villiers fera entre 3 et 5 %" pronostique dans Paris-Match M. René Monory, président du Sénat.
Pourtant, nous commençons à remplir un peu partout des salles de 2 000 personnes avec, de plus en plus nombreux, des députés et des sénateurs qui commencent à braver les consignes. Le terrorisme fait de moins en moins recette : de Michel Poniatowski, président d'honneur du PR, au sénateur RPR Lucien Neuwirth, les exemples de courage ne manquent pas. Et quand le maire de Saint-Maur, Jean-Louis Beaumont, a le courage de m'ouvrir sa mairie, ou quand Mme Marie-Fanny Gournay, député RPR du Nord, me reçoit dans sa commune de Caestre, la foudre des états-majors leur tombe sur la tête !
Dans la dernière foulée de la campagne, il y a même des députés qui acquirent le don d'ubiquité, allant dans la même soirée à la réunion Baudis et à la réunion Villiers…
Et puis je reçois des dizaines de lettres qui semblent écrites par la même main (au moins 200, je les ai comptées). Elles me disent : "Mon cher Philippe, sache que je suis de tout cœur avec toi, ton combat est nécessaire pour la démocratie et pour la France, mais compte tenu des consignes, tu comprendras que je ne puisse être présent à ta réunion. Ma femme, cependant, sera dans la salle, et aussi mon attaché parlementaire ! Quant à ma famille, elle votera pour toi…"
"Quand j'entends des talons qui claquent, je vois des cerveaux qui se ferment" disait Lyautey. Tout cela, c'est du passé. C'est la vie !
Les Français auront finalement préféré leur conscience aux consignes, et leurs idées aux postures politiciennes.
Seconde leçon, et le succès de notre liste en est la preuve : ils veulent l'union, mais pas n'importe laquelle. Pas l'union de façade, l'union sur les idées. Quand les gens entendent le mot "union" dans la bouche des grands leaders, ils comprennent que l'expression "candidat unique" est une sorte de jeu sémantique qu'il faut traduire par la devise : "L'union des candidats uniques". Vous riez ? Moi aussi !
Valeurs Actuelles : D'où votre souci d'imposer un vrai débat d'idées à l'intérieur de la majorité, en intitulant votre liste "Union de la majorité pour l'autre Europe"… Pour vous, c'est le tournant décisif ?
P. de Villiers : Certainement, car il nous a permis d'offrir à chaque électeur de la majorité l'occasion de votre pour ses idées – celles que la liste Baudis ne reprenait pas à son compte – sans trahir son camp. J'ai imposé l'expression pour la première fois le 28 avril, lors d'un débat télévisé avec Hélène Carrière d'Encausse : "Madame, vous n'avez pas le monopole de la majorité !" Je ne pouvais pas mieux tomber, puisqu'elle avait présidé le comité du "oui" à Maastricht !
Le lendemain matin, je reçois un coup de téléphone de M. Maurice Schumann : "Philippe, continuez comme cela ! Ne leur laissez pas le monopole de l'union, et vous gagnerez !"
Huit mille à Paris : enfin, les sondages décollent
Un mois plus tard, jour pour jour, nous étions huit mille à Paris, au Parc de expositions. Enfin les télés s'intéressaient à nous. Enfin les sondages décollaient.
Valeurs Actuelles : Et moins de douze jours plus, le 8 juin, c'est le meeting de Puteaux qui voit Charles Pasqua légitimer votre démarche…
P. de Villiers : Tout à fait ! Contrairement à Baudis et à ses acolytes prestigieux, qui perdent leurs nerfs en nous frappent d'ostracisme alors que nous sommes en pleine ascension. Charles Pasqua réintègre nos électeurs dans la majorité. Mais il prend soin de regretter publiquement mon initiative. En ce sens, les reproches que lui adresse Baudis sont parfaitement injustifiés.
Valeurs Actuelles : Est-il vrai que vous l'ayez rencontré discrètement quelques jours auparavant ?
P. de Villiers : Oui, mais cela n'avait rien de discret. À ma demande, le 1er juin, nous avons eu, Jimmy Goldsmith et moi, une longue conversation avec lui.
Valeurs Actuelles : Pour lui dire quoi ?
P. de Villiers : Qu'à moins d de deux semaines du scrutin l'attitude des dirigeants de la majorité était irresponsable. C'est le moment où l'état-major du RPR lance des attaques personnelles contre Jimmy Goldsmith, où M. Giscard d'Estaing cite la fable du renard et des poulets-dindes, traitant ainsi ses compères de dindons, comme si la politique était une basse-cour, et où MM. Chirac et Balladur, en bons "papas poules", volent au secours de Baudis en accréditant l'idée que la "diversité, c'est la division"…
Nous avons dit à Pasqua : "Usez de votre influence pour calmer le jeu, sinon la majorité risque d'imploser". Il nous a répondu qu'il savait que nous allions faire un score, que notre combat était juste, et qu'il s'emploierait par tous les moyens à calmer le jeu.
Et il nous a donné ce conseil : "Conservez notre ligne de conduite. Ne répondez à aucune provocation. Je sais qu'elles vont se multiplier dans la dernière semaine".
Bref, Charles Pasqua, qui est un ministre de l'intérieur avisé, a vu venir notre succès. Et il a été le seul à tenir un langage politique responsable.
Valeurs Actuelles : Le 12 juin à 22 h 10, nous sommes donc entrés en campagne présidentielle. Quel rôle entendez-vous jouer à la tête de la "famille" que vous avez rassemblée ?
P. de Villiers : Une famille a d'abord besoin, d'un toit. Elle va le trouver à Strasbourg, où elle se battra pour l'Europe des nations. Et, comme je l'ai dit le 12 juin au soir, toute famille à vocation à s'élargir.
Le coup de semonce des européennes sera-t-il entendu ? On peut s'interroger. Il ne faudrait pas que les partis reprennent, marche vers le précipice, l'exclusion aux lèvres et la morgue au front.
Valeurs Actuelles : Et le Premier ministre ?
P. de Villiers : Il rendrait un meilleur service à la construction européenne et aux intérêts de la France en écoutant les conseils de Jimmy Goldsmith, qui animera et présidera notre groupe à Strasbourg plutôt qu'en recueillant religieusement les conseils du Doc de Fun Radio, maître d'œuvre de son fameux questionnaire aux jeunes…
Valeurs Actuelles : Vous nous dites, en creux, que vous vous préparez pour la présidentielle…
P. de Villiers : Je n'ai pas du tout dit cela. Je souhaite de toutes mes forces que la droite s'entende l'an prochain. Je le souhaite, mais je crains, comme beaucoup de Français, qu'elle ne se divise à nouveau tout en éludant le débat.
"Le libre-échangisme mondial tient-il lieu de doctrine officielle ?"
Ce débat, il est urgent de l'ouvrir : la souveraineté est-elle devenue une notion taboue ? La France ne sera-t-elle plus bientôt qu'une queue de comète ? Le libre-échangisme mondial tient-il lieu de doctrine officielle ? Les frontières de la France sont-elles destinées à devenir de simples limites administratives ? Comment aborder la renégociation du Traité de Maastricht prévue en 1996 ? La société politique va-t-elle enfin accepter de lutter vraiment contre le fléau de la corruption ? Qui osera attaquer Bernard Tapie, qui est, à mes yeux, l'un des symboles les plus forts de la déliquescence politique française ?
En d'autres termes, va-t-on enfin écouter le message de Jimmy Goldsmith sur le libre-échangisme celui de Charles de Gaulle sur les dangers de la technocratie et celui de Thierry Jean-Pierre sur la corruption ?
Vat-t-on enfin poser les vraies questions ? Ou bien la majorité sombrera-t-elle à nouveau dans la confusion médiatique ?
Pour ce qui nous concerne, nous poserons ces questions-là à tous les "candidats uniques". En leur demandant de ne pas les évacuer, une fois de plus, au nom de l'union.
Oui, nous serons présents dans ce débat de fond, et nous ferons tout pour qu'il ne s'éteigne pas ; Nous ferons tout pour inscrire au cœur de la campagne présidentielle deux mots clés : la souveraineté et la morale publique.
Si les querelles de chefs et l'embrouillamini des postures politiciennes devaient occulter encore une fois ce débat-là, il se reproduirait immanquablement ce qui s'est passé avant le 12 juin : un formidable appel d'air.
Propos recueillis par Éric Branca