Texte intégral
Le Parisien : 5 juillet 1994
Le Parisien : Pouvez-vous définir l'esprit qui, selon vous, doit animer ces Jeux de la Francophonie ?
Michèle Alliot-Marie : Ils doivent être animés d'un esprit de compréhension, de découverte, permettre aux participants de prendre conscience qu'ils partagent une même langue, une même culture.
Le Parisien : L'idée que le sport puisse contribuer au développement de la Francophonie ne fait pas l'unanimité. Quels sont vos arguments ?
Michèle Alliot-Marie : L'idée de fête est très importante. Le sport porte ces valeurs festives en lui. À condition d'éviter certains excès, comme l'inflation financière, l'aspect paillettes. Nous voulons que ces jeux se déroule dans l'esprit olympique, celui de Coubertin.
Le Parisien : À l'inverse, d'autres regrettent une séparation sport/culture, puisque Paris a obtenu l'organisation des concours culturels, tandis que l'Essonne accueille la majorité des épreuves sportives ?
Michèle Alliot-Marie : Certaines exigences techniques nous ont amenés à organiser tous les concours culturels à Paris. Quant aux épreuves sportives, elles me semblent bien réparties entre l'Essonne et la capitale. Et puis, les représentants de toutes les disciplines se trouveront réunis pour les cérémonies d'ouverture et de clôture ainsi qu'à la cité universitaire, où ils seront logés.
Le Parisien : Malgré la présence de quelques sportifs de niveau mondial, les jeux semblent en particulier dans les sports collectifs, s'adresser davantage aux espoirs qu'aux champions confirmés. Est-ce une volonté politique, et cette tendance est-elle irréversible ?
Michèle Alliot-Marie : Nous avons souhaité que des jeunes puissent se tester au niveau international à l'occasion de ces jeux. Dans certaines disciplines, un âge limite a donc été fixé. Je crois qu'il est souhaitable que les jeux continuent d'évoluer dans ce sens à l'avenir. Nous n'en espérons pas moins de belles performances.
Le Parisien : Les fédérations françaises des sports concernés ne semblent pas avoir toutes joué le jeu de la même façon. Un exemple : alors que le judo présente une équipe de haut niveau, le handball des espoirs, le football se contente d'une formation composée de joueurs de CNI-CN2. Le discours en faveur de la francophonie a-t-il du mal à passer dans le milieu sportif ?
Michèle Alliot-Marie : Il peut bien sûr y avoir des problèmes de calendrier qui empêchent certaines fédérations de présenter la meilleure équipe possible. C'est le cas du football. Mais la présence de six DTN, sur sept à la tête des équipes françaises prouve que le message francophone est bien passé.
Le Parisien : La délégation française aura-t-elle un objectif à atteindre en termes de résultats ?
Michèle Alliot-Marie : Pas question de fixer un nombre de médailles à gagner. Mais, bien sûr, nous espérons des résultats. Les Français aborderont ces jeux avec l'intention d'obtenir les meilleurs résultats possibles.
Le Parisien : Certains opposants ont estimé que ces jeux coûtaient cher, n'intéressaient pas un nombreux public, que la date n'était pas bonne et que le choix de la région parisienne, où les distractions sont nombreuses, était une erreur. Que leur répondez-vous ?
Michèle Alliot-Marie : Notre budget est de 50 millions de francs, ce qui est peu comparé à d'autres manifestations du même type. Quant au choix de la région parisienne, il s'explique par des raisons logistiques comme le transport, l'hébergement de trois mille personnes. Nombre de régions ne disposent pas des infrastructures nécessaires. L'Ile-de-France les possède. En outre, le potentiel public est considérable. Je pense notamment aux jeunes des banlieues qui pourront venir assister aux compétitions, puisque l'entrée est gratuite.
Le Parisien : Les péripéties qui ont marqué l'organisation de ces jeux sont-elles complètement oubliées de la part des pays francophones ?
Michèle Alliot-Marie : Oui, tout à fait. Dans un premier temps, ils ont redouté la disparition pure et simple des jeux. Mais dès lors que nous leur avons expliqué que le report d'un an que nous demandions était la meilleure garantie de succès pour les jeux, il n'y a plus eu le moindre problème.
Le Parisien : Réussir les jeux, qu'est-ce que cela implique pour vous ?
Michèle Alliot-Marie : Que les jeux soient un véritable lieu d'échanges, pour que chaque participant, lorsqu'il retournera dans son pays, soit un ambassadeur convaincu de la francophonie.
Le Parisien : 5 juillet 1994
Le Parisien : Jacques Toubon, les Jeux de la francophonie se déroulent cette année en France. Quel rôle notre pays doit-il jouer dans la promotion de la culture francophone ?
Jacques Toubon : Les Jeux de la francophonie sont à la fois jeux du corps et de l'esprit, jeux de la jeunesse, jeux de la rencontre et du dépassement de soi, mais aussi jeux de la diversité des identités nationales. La France est un pays de culture et de création. Il est donc bien placé pour être ce forum où chacun s'affronte, se compare, se rencontre, s'enrichit de ces différences. Mais il n'y aurait pas communauté culturelle s'il n'y avait une adhésion librement consentie dans laquelle le France est un partenaire comme un autre. Ce n'est donc pas par hasard si la France et tous ses partenaires du monde francophone ont tenu à leur donner cette image culturelle forte, car notre désir à tous est d'entrer dans un cercle créatif où la rencontre des cultures, le métissage des inspirations engendrent des ponts, des points de rencontre permettant, comme lors des Jeux, une émulation. Faire se rencontrer les quelque cinquante pays du monde francophone sur le terrain d'une joute culturelle, prélude à ces échanges, des productions croisées et au rayonnement mondial, c'est assurer la promotion de la culture francophone. À ce titre, les Jeux servent ce vaste projet, qui pourrait avoir comme frontispice « un esprit sain dans un corps sain ».
Le Parisien : Les Jeux de la francophonie sont-ils des vecteurs importants de la défense de la culture francophone ?
Jacques Toubon : Oui, sans nul doute. J'y vois personnellement trois raisons : la toute première est que les Jeux s'adressent en priorité aux jeunes. Faire adhérer les jeunes à une langue, un mode d'expression, c'est bien la plus évidente garantie de longévité. C'est sortir des cadres diplomatiques, des organisations internationales, pour faire participer « le peuple » de la francophonie à son affirmation.
Dans un monde de monoculture, il est indispensable de fixer les repères sur la route, de tendre à une excellence, et une langue bien structurée et bien maîtrisée y est nécessaire. Face à cette uniformité, il faut enfin affirmer la valeur transcendante de la culture et la diversité de nos cultures, l'adoption d'un langage commun permettant les échanges, l'enrichissement mutuel et donc les mutations créatrices. Pour toutes ces raisons, la culture est inséparable de l'ensemble des Jeux, elle en affirme la personnalité et leur donne leur sens.
Le Parisien : Vous avez engagé, il y a quelque temps, un combat contre les anglicismes. Le sport est riche de ces mots « transformés ». Votre réforme s'appliquera-t-elle à ces Jeux de la francophonie ?
Jacques Toubon : Ce n'était pas un combat contre les anglicismes. La loi sur la langue française vise à garantir que dans certaines situations les Français aient le droit de recevoir des informations en français et que jamais il ne soit interdit d'utiliser le français en France. Mais les mots « d'appellation d'origine » irremplaçables, et il en existe beaucoup dans les techniques sportives continueront pour la plupart à être employés tels quels. D'autre peuvent facilement trouver un équivalent simple et naturel, par exemple goal et gardien, shoot et tir, tie-break et jeu décisif. Et on peut créer du français, créer en français, dans le sport ou tous les autres domaines de la vie. C'est cela notre but : que le français demeure une langue vivante, qu'il ne devienne pas le latin de l'anglais.
Le Parisien : 5 juillet 1994
Le Parisien : Qu'attendez-vous de ces deuxièmes jeux de la francophonie ?
Alain Danet : Une réussite dans l'esprit des jeux avec une grande qualité à la fois de sites et des participants, dans de bonnes conditions. Nous avons choisi ce qu'il y avait de mieux en matière d'hébergement et de locaux. Neufs et prestigieux.
Il faut que notre action imprime ces Jeux pour leur permettre de rebondir mais qu'ils ne soient pas trop fastueux pour permettre à des pays qu'ils soient du Nord ou du Sud, de les organiser à leur tour.
Le Parisien : Quelle est leur originalité ?
Alain Danet : Le sport et la culture. Il n'y a pas de précédent. Ce ne sont pas des sous-jeux, ce sont des jeux universels rassemblant cinq continents ; en pleine évolution et à fort potentiel. On peut imaginer qu'il y ait un sport collectif et un sport individuel, les cinq autres étant à la discrétion des participants. Enfin ce ne sont pas des jeux politiques. À la différence par exemple de jeux du Commonwealth qui rassemblent pour unifier les tenants d'un mode de vie économique. C'est également une façon pour les sportifs de se tester en confrontation universelle.
Le Parisien : Pensez-vous que sport et culture soient des vecteurs idéaux de la francophonie ?
Alain Danet : Une alliance naturelle que sport et culture. Pendant dix jours, des artistes et des athlètes de quarante-cinq pays se côtoieront. Pas moins de trois mille personnes ! Je suis sûr que l'olympisme va de plus en plus aller vers la culture, pour se purifier en quelque sorte. Il y aura des concours culturels qui seront partie intégrante des jeux Olympiques.
Le Parisien : Combien de personnes travaillent au bon déroulement de ces jeux ?
Alain Danet : Près de 1 200 volontaires y travaillent auxquels il faut ajouter une quarantaine de permanents et surtout tous les intervenants et partenaires. Le budget de ces Jeux est de 54 millions de francs couvert à la fois par l'État (41 MF), le conseil régional d'Ile-de-France (5 MF) et le conseil général de l'Essonne (3 MF plus ses prestations). Le reste est payé par les cotisations forfaitaires des pays et par les participants.
France Inter : mercredi 6 juillet 1994
Michèle Alliot-Marie : Ce que je regrette c'est que, depuis un certain temps, la France ait un rôle moins grand en matière de sport, qu'elle l'a eu, notamment au début du siècle. Et pour ma part, ce que je souhaiterais, c'est que tant en termes de vocabulaire, notamment dans des sports où nous avons – je pense à l'escrime, à l'équitation ou autre – une place dominante, mais également dans l'ensemble des sports, par une présence française plus affirmée, nous ayons la possibilité de remonter le niveau de podium international que nous avons connu dans le passé.
Q. : On a l'impression que la tête et les jambes sont séparées. C'est-à-dire que toutes les disciplines artistiques sont sur Paris et que toutes les activités sportives sont sur la banlieue, pourquoi ?
Michèle Alliot-Marie : C'est simplement pour des raisons de commodité. Il y avait, notamment dans l'Essonne, un certain nombre d'installations sportives tout à fait remarquables, qui avaient été prévues d'ailleurs au départ pour des jeux de la francophonie il y a quelques mois. Et par conséquent, notre souhait, c'est d'accueillir les athlètes sur des sites sportifs qui soient de la meilleure qualité possible. Mais il y a des épreuves sportives qui auront lieu à Paris.
Q. : Le fait que ces épreuves sportives aient lieu en banlieue, cela ne veut pas dire que le gouvernement ait eu aussi la volonté politique de faire passer un message en direction des jeunes dans les banlieues ?
Michèle Alliot-Marie : Notre souhait était qu'il y ait une répartition entre plusieurs sites, relativement proches les uns des autres, de façon à ce que les déplacements soient faciles mais qui permettent au plus grand nombre de jeunes possible d'y accéder. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons tenu à ce que l'accès à ces épreuves soit totalement gratuit. Il y a une billetterie mais chacun pourra y accéder sans débourser un sou. Je pense qu'à cette époque de l'année, cela fera plaisir à un certain nombre de jeunes qui sont en vacances.
Q. : Où en êtes-vous du questionnaire envoyé à tous les jeunes, à l'initiative de M. Balladur ? Avez-vous commencé à avoir des réponses ?
Michèle Alliot-Marie : Nous avons commencé à avoir des réponses, de très nombreuses réponses. J'ai l'impression que les choses se passent très bien. J'étais, hier encore, dans un département où j'ai rencontré des responsables. Et contrairement à ce qu'avaient pu dire – je veux dire espérer – certains, l'opération de consultation de la jeunesse, visiblement, mobilise bien les jeunes, les intéresse. Ils ont beaucoup de choses à dire. Et en dehors même des questionnaires, nous recevons de très nombreuses lettres où ils expriment leurs attentes, où ils détaillent leurs souhaits et les initiatives qu'ils voudraient voir prendre. Je crois que cette consultation correspondait effectivement à un très grand besoin d'écoute et d'action de la part des jeunes.