Texte intégral
LE POINT - 20 juin 1998
LE POINT : Vous vous apprêtez à repartir en croisade contre la construction européenne. Qu'y a-t-il de nouveau sur ce front ?
Charles PASQUA : Pas contre l'Europe, contre le traité d'Amsterdam. Les responsables politiques et les Français eux-mêmes n'ont pas encore pris conscience qu'il va se produire un événement majeur à la fin de cette année. Il va y avoir une révision constitutionnelle, puis, si elle est adoptée, la ratification du traité d'Amsterdam. Après le traité de Maastricht, qui a vu la France abandonner une part considérable de sa souveraineté -notamment la monnaie -, le traité d'Amsterdam entraînera de nouveaux abandons dans des domaines auxquels les Français sont très sensibles. Ainsi, la sécurité, la justice ou le contrôle des frontières entreront dans la compétence de Bruxelles et non plus des États. Mais il y a beaucoup plus grave : le traité d'Amsterdam reconnaît la primauté du droit européen sur le droit national, et surtout sur la loi fondamentale, la Constitution. Cela signifie que nous tournons la page de l'Indépendance et de la souveraineté nationales.
LE POINT : N'est-elle pas déjà tournée ?
Charles PASQUA : Non, la souveraineté nationale a certes vu sa portée limitée dans les faits par des décisions des plus hautes juridictions nationales qui ont reconnu la supériorité des traités internationaux sur les lois, mais, jusqu'ici, pas sur la Constitution. Or Amsterdam affirme la supériorité des décisions de la Cour de Luxembourg sur notre droit constitutionnel. Quand on accepte une loi supérieure à la sienne, on n'est plus souverain, ou bien les mots n'ont plus aucun sens.
LE POINT : Mais Jacques Chirac et Lionel Jospin ne sont-ils pas d'accord pour accepter les conséquences du traité d'Amsterdam sur l'édifice juridique national ?
Charles PASQUA : Ni l'un ni l'autre n'ont le droit ou la compétence pour ce faire. Je rappelle que, avant d'accepter les limitations de souveraineté entraînées par le traité de Maastricht, le Président de la République de l'époque, François Mitterrand, avait soumis le traité au référendum. Le seul détenteur de la souveraineté nationale, c'est le peuple français. J'ajoute que la règle de la révision constitutionnelle est le référendum. L'article 89 de la Constitution est formel sur ce point : dès lors que les Assemblées ont adopté en termes identiques le projet de révision, il est soumis aux Français par référendum. Seul le Président de la République peut décider d'emprunter la voie du Congrès, dont le général de Gaulle disait qu'il était fait pour les « réformettes ». Nous touchons à un point essentiel de l'indépendance nationale. Je ne saurais donc accepter que l'on décide de cette affaire par la voie du Congrès.
LE POINT : Comment allez-vous vous y opposer ?
Charles PASQUA : J'essaie de sensibiliser les Français à cette situation en lançant une pétition nationale qui a pour objet d'insister auprès du Président de la République pour que ce texte soit soumis au référendum. C'est la première étape de notre combat. Je veux simplement qu'on consulte les Français. D'ailleurs, je ne vois pas quelles raisons le Président aurait de ne pas le faire, puisqu'il paraît qu'il existe une grande majorité en faveur d'Amsterdam. Jacques Chirac a une responsabilité historique. Il devra dire, le cas échéant : je refuse de consulter les Français.
La souveraineté, c'est le pouvoir de dire non. Veut-on vraiment abandonner ce droit ? C'est-à-dire en finir avec la France telle qu'elle existe depuis bientôt mille ans ? Cet enjeu mérite un débat dans le pays. Sur une question aussi grave, il faut s'en remettre à la décision du peuple français.
LE POINT : Et si vous n'obtenez pas votre référendum ?
Charles PASQUA : Alors, le débat aura lieu au Parlement, puisque la décision devra être prise par les députés et les sénateurs. Il y aura une première bataille à l'occasion de la révision constitutionnelle, puis une seconde à l'occasion de la ratification. Et chacun devra dire en son âme et conscience : je suis pour ou contre l'abandon de l'indépendance nationale.
LE POINT : Vous avez fait campagne contre Maastricht en 1992, aux côtés de Philippe Séguin. Comment les choses vont-elles se passer cette fois ?
Charles PASQUA : Philippe Séguin, comme chacun d'entre nous, aura à se déterminer. Il aura surtout la responsabilité d'engager le débat à l'intérieur du Rassemblement. Certains estimeront que le traité, ayant été négocié et signé par le Président de la République, doit être ratifié. D'autres ne s'y résoudront pas. Quoi qu'il en soit, je vois mal la direction du RPR tenter d'imposer une discipline de vote sur ce texte.
LE POINT : Et si la révision constitutionnelle est adoptée par les parlementaires ?
Charles PASQUA : Alors, nous demanderons que la ratification du traité lui-même soit soumise au référendum, selon l'article 11 de la Constitution. A ce moment-là, ce sera à Lionel Jospin de nous répondre.
LE POINT : Si ce débat recouvre des enjeux aussi importants que vous le dites, ceux qui auront défendu des positions opposées pourront-ils rester ensemble dans le même parti, et, en ce qui vous concerne, à l'intérieur du RPR ?
Charles PASQUA : Je suis revenu à la direction du RPR à la demande de Philippe Séguin, parce que, comme lui, je pense que le RPR doit se ressourcer et redevenir fidèle à ses origines, indépendamment de la situation du Président de la République, qui s'est enfermé dans la cohabitation. Un mouvement gaulliste qui ne défendrait plus l'indépendance et la souveraineté nationales aurait à mes yeux perdu toute raison d'être en tant que tel.
LE POINT : Et si, faute de référendum, le débat était esquivé ?
Charles PASQUA : Alors, il aurait lieu à l'occasion des élections européennes. Si Amsterdam est ratifié, le Parlement français n'aura plus qu'un rôle subsidiaire. Donc, la bataille contre les excès éventuels dans l'application du traité d'Amsterdam se fera au Parlement européen. Les députés européens se partageront entre ceux qui défendront l'idée de nation, qui tenteront de limiter les empiétements du droit communautaire sur la souveraineté, qui tenteront de faire prendre conscience à l'opinion de cette nouvelle situation, et ceux qui considéreront que tout cela est derrière nous et n'a aucune importance.
LE POINT : A l'occasion de son premier congrès, samedi, votre association, Demain la France, va-t-elle se transformer en parti politique ?
Charles PASQUA : Demain la France change de dimension. Nous étions jusqu'à présent un club de réflexion, à partir de maintenant, nous devenons un mouvement d'action et de combat pour la souveraineté de la France. Nous voulons susciter une dynamique dans le pays, transcender les clivages politiques. Ceux qui souhaiteront nous rejoindre, quelle que soit leur origine, seront les bienvenus dès lors qu'ils sont d'accord sur l'objectif.
LE POINT : Et si, comme Philippe de Villiers le souhaite, Charles Millon voulait vous rejoindre ?
Charles PASQUA : Charles Millon s'affiche comme centriste, libéral et européen. Il était partisan de Maastricht. Pourquoi nous rejoindrait-il ? A mon avis, ceux qui le suivent s'apercevront sans doute, à l'occasion de cette campagne, qu'il existe une contradiction de fond entre eux et lui. Je n'ai rien contre Charles Million, mais je considère qu'il faut être fidèle à ses convictions. On ne peut pas, en fonction de son intérêt du moment, changer de comportement. C'est une pratique assez courante, cependant.
LE POINT : Que pensez-vous de la proposition d'Édouard Balladur d'ouvrir un débat sur la préférence nationale en y associant le Front national ?
Charles PASQUA : Je suis en total désaccord. Et je ne comprends pas cette démarche. Car on ne peut pas à la fois avoir été partisan du traité de Maastricht, déclarer qu'on est partisan du traité d'Amsterdam, qui abolit l'indépendance et la souveraineté nationales, et, dans le même temps, parler de préférence nationale. Au cas où certains l'auraient oublié, je rappelle que le traité de Maastricht a prévu que les ressortissants des pays de l'Union européenne peuvent voter dans chacun des États où ils résidents, qu'ils peuvent y être candidats à des fonctions électives et que, désormais, ils peuvent entrer dans l'administration française. Et j'ai du mal à comprendre comment on peut prendre position contre le Front national au moment des élections régionales et vouloir aujourd'hui engager un débat avec l'extrême droite sur son thème favori.
OUEST-FRANCE - samedi 20 juin 1998
Q - Pourquoi « Demain la France » au lieu, par exemple, de « Aujourd'hui la France » ?!
- « Vous aviez raison ! On pourrait même l'appeler « La France » tout court. L'idée, en tout cas, c'est que, quel que soit le monde de demain, quelle que soit l'Europe de demain, l'important à nos yeux, c'est la France. Aujourd'hui, elle est menacée dans son existence même en tant que nation souveraine, indépendante. Après avoir abandonné sa monnaie - ce qui n'est pas rien ! - elle s'apprête à subordonner toutes ses lois, y compris sa Constitution, au droit européen. Et tout ça au profit de qui ? D'un monstre technocratique à trois têtes : Bruxelles, Francfort, Luxembourg. »
Q - Pourquoi la ratification du traité d'Amsterdam imposerait-elle un référendum ?
- « Elle pourrait même en imposer deux ! Le premier : le Conseil constitutionnel a déclaré le traité d'Amsterdam contraire à la Constitution. Il faut donc réviser celle-ci avant de ratifier le traité. Or, pour la révision de la Constitution, le référendum, c'est la règle, selon l'article 89. Le second : l'article 11 du traité permet de le soumettre directement aux Français, comme ce fut le cas en 92 pour le traité de Maastricht. »
Q - Qu'est-ce qui pourrait vous retenir de présenter une liste aux européennes ?
- « Ce qui m'y conduirait, en tout cas, c'est que personne de plus indiqué que moi ne se prononce contre le traité d'Amsterdam. »
Q - Diriez-vous, avec Maurice Druon, que le RPR a « dénaturé » le gaullisme ?
- « Je n'ai pas de titre particulier pour décerner des brevets de gaullisme, ni pour déceler les contrefaçons. J'essaie simplement d'agir en fonction des principes que j'ai effectivement appris du général de Gaulle. »
Q - Comment voyez-vous la recomposition de la droite ?
- « Ce n'est pas mon problème, il y a un temps pour tout. La France, c'est pas la droite, c'est pas la gauche. Or, là, nous sommes devant un traité qui donne le coup de grâce à une conception millénaire de la France. Cela mérite qu'on s'y arrête un peu, non ? »
Q - Envisagez-vous une fusion entre votre mouvement et celui de Philippe de Villiers, le Mouvement pour la France ?
- « Dans ce combat décisif, je rassemblerai tous ceux qui sont d'accord sur l'objectif, qu'ils soient de droite, du centre, de gauche ou d'ailleurs. Avec Philippe de Villiers, c'est chose faite. »
Q - Sur le fond, qu'est-ce qui vous sépare d'un homme comme Jean-Pierre Chevènement ?
- « Chevènement, Villiers, Séguin, moi-même, tout le monde sait que, sur ces sujets : la France, la République, la nation, nous sommes très proches. La seule différence, c'est le pouvoir, ce qui n'est pas mince ! »