Texte intégral
La douleur, le dégoût, l'inquiétude. La honte aussi.
La tristesse, l'horreur, la colère, la fidélité, la honte aussi.
Ces sentiments nous habitent et nous déchirent, se mêlent en nous, nous empêchent peut-être de faire silence.
Faire silence pour que la justice des hommes apaise dans nos cœurs cette injustice de la mort et de la haine.
Faire silence pour que résonne en nous, une dernière fois, intacte, la voix claire et ferme de Yann. Un peu moqueuse, un peu fière.
Une voix qui n'avait jamais faibli. Difficile à faire taire…
Faire silence parce que ce jour est un jour d'effroi.
Notre honte est faite de cet effroi. Ici, chez nous, en terre de Provence. Elle est faite d'une seule certitude qui nous habite aujourd'hui ; dans la nuit, sur cette petite route du Mont des oiseaux, nous avons tous été visés : les citoyens, les élus, les policiers, une certaine idée que nous avons de la démocratie, du droit, de la liberté.
Tous ces mots désormais signés par le sang d'une femme. Oui, notre cœur ici s'arrête avec les mots eux-mêmes : une femme est morte que le peuple avait choisie.
Pour beaucoup elle était une amie. Pour certains, l'image d'un combat. Pour les uns et pour les autres, une femme venue de notre peuple.
Son sourire était un défi et une arme. Défi à la mort, défi au temps, défi aux hommes. Arme de paix. De solitude aussi parfois.
L'Indochine, la Bretagne, la Provence. C'est un chemin de marin, de soldat. Il est fait de brume et de soleil, de gloire et d'abandon, de service et d'audace. Il s'est brisé ici, devant cette dernière solitude de la nuit. À quelques pas de l'indifférence ou de l'aveuglement. À quelques pas du mépris de ceux qui, en étouffant cette voix, se sont méprisés eux-mêmes.
Le Gouvernement, le Parlement, le peuple dans son émotion et sa pudeur, sont ici devant ce qui les a meurtris.
Le Premier ministre, Monsieur Édouard Balladur, m'a chargé d'exprimer devant vous tout ce que nous refusons : la violence, la négation du droit, la haine politique, la mise en cause de l'élection elle-même et de sa dignité. C'est d'une voix forte que nous devons montrer ensemble que la démocratie suppose la vigilance, la fermeté, la justice.
La mort d'une femme c'est une victoire de l'hiver.
Mais ce n'est pas ce que Yann aurait voulu. Elle n'aurait pas aimé notre accablement. Elle n'aurait pas aimé ce qui nous glace. Elle aurait dit de reprendre la route et le fardeau. Notre espérance aussi. C'est pour elle que nous allons le faire.
Une petite fille de la République était venue jusqu'à nous. Elle avait frappé à la porte pour qu'on lui ouvre et qu'on l'entende. Elle s'était assise avec nous. Elle est repartie.
Si nous voulons que dans nos cœurs, dans notre mémoire, dans nos villes elle reste vivante, nous devons être plus forts que ceux qui l'ont assassinée.
Ce n'est pas simplement ici une espérance.
C'est aussi un choix, une volonté un engagement.
Merci, Yann, de ce que nous a laissé.