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Qu’il s’agisse des investissements, de l’éducation, de la protection sociale ou de la réduction des dépenses publiques, quelques coups de pouce ne suffiront pas à nous faire entrer dans le XXIe siècle
En annonçant une véritable réforme de la taxe professionnelle, le gouvernement a émis un bon signal pour renforcer le dynamisme de notre économie. Notre pays doit, en effet, profiter de ce cycle d’expansion pour accélérer le rythme des réformes afin de répondre au double défi de la mondialisation à l’extérieur et du chômage à l’intérieur. La durée de la période d’expansion en dépend, mais aussi notre capacité à résoudre le grave problème que pose une évolution démographique défavorable à nos systèmes de Sécurité sociale : ne pas faire peser des charges insupportables aux générations qui seront en âge de travailler à partir de 2010.
Politiquement, on se dispute pour s’attribuer les mérites de ce retour à la croissance. En fait, notre économie ne se commande pas à la baguette et supporte tant bien que mal les changements fréquents de majorité ou de politique à laquelle elle a été soumise durant les années 90. Elle en a plutôt souffert, ne nous le cachons pas. Mais durant cette période, une politique a pu être appliquée avec continuité et cohérence, celle de la Banque de France, pourtant brocardée et critiquée par tant de responsables et d’experts.
Les résultats sont là, incontestables : l’inflation est faible, le franc s’est raffermi et les taux d’intérêt appliqués sont les plus bas pratiqués dans le monde industrialisé, avec ceux de l’Allemagne et des Pays-Bas, et cela depuis janvier 1997. Ainsi, l’argent moins cher facilite l’investissement, alors que l’on observe un retour des entreprises vers le crédit. Contrairement à ce que prétendent les adversaires de cette politique, un franc relativement fort n’a pas nui à la compétitivité de l’économie française qui figure parmi les meilleures, comme en témoignent nos succès à l’exportation et la comparaison des coûts du travail.
C’est donc une véritable révolution culturelle que nous vivons, dans un pays habitué à laisser filer la valeur de sa monnaie et donc, sans s’en rendre compte, à diminuer son pouvoir d’achat. Depuis plusieurs années, les Français, de toutes conditions, sont une majorité à approuver, selon les enquêtes d’opinion, cette politique dite du « franc fort ».
Sur de telles bases, qu’il convient de conforter, il ne dépend que de nous d’assurer, à environnement international donné, les conditions d’un développement soutenable et créateur d’emplois. Tout d’abord en saisissant pleinement les opportunités de la nouvelle vague de progrès scientifiques, notamment à travers les technologies de l’information et les biotechnologies, car c’est leur dynamisme qui explique pour partie la vigueur et la durée de la phase d’expansion que les États-Unis ont connue.
Il faut aussi rendre la « plate-forme France » plus attrayante pour l’activité économique créatrice de valeur ajoutée et d’emplois. Les chiffres suivants devraient nous faire réfléchir. En 1997, les investissements français à l’étranger ont représenté 30 milliards de dollars américains (ce qui est bon), contre seulement 20 milliards pour les investissements étrangers, en France, ce qui n’est pas assez. Quant aux placements financiers, ils nous sont également défavorables puisque ceux réalisés en France ne représentent que 40 milliards, contre 70 milliards qui ont quitté la France. C’est dans ce contexte que prend toute son importance le sérieux avertissement constitué par la décision des places financières de Londres et de Francfort de forger une alliance.
Certains ont tiré de l’expérience française de ces trente dernières années la conclusion qu’il était préférable de pratiquer l’homéopathie, et sans le dire, plutôt que la chirurgie. Mais l’évolution présente du monde ne nous le permet plus. Quant aux Français, sont-ils vraiment aussi allergiques aux réformes que nos excellences le prétendent ? Je ne le crois pas. Cette société, dûment informée, réellement décentralisée, pourrait se prendre davantage en charge et être l’acteur conscient de son propre changement.
D’autres chantiers doivent être ouverts sans tarder, pour donner à chacun les moyens de comprendre le monde où il vit, d’avoir une conscience claire de ses moyens. L’éducation tout au long de la vie constitue le trésor inexploré de nos possibilités. À quand la mise à plat de notre système d’éducation première et des processus de formation permanente, pour les insérer dans une politique qui permette à tous de se ressourcer, de renforcer leurs capacités d’apprendre et de faire ? L’allongement aveugle des études ne fait que dévaloriser les diplômes (et en premier lieu le baccalauréat) et compliquer la gestion d’un enseignement supérieur de masse. En se laissant aller à la facilité de reporter à plus tard les problèmes, la France nourrit l’une des causes de chômage : l’écart creusé entre les illusions d’une scolarité allongée et les réalités du marché du travail. Voilà un beau sujet pour un grand débat national.
Qu’il s’agisse d’accroître les ressources pour la recherche, pour l’innovation, pour les investissements publics ou pour l’éducation, des moyens financiers nouveaux seront nécessaires. Voilà pourquoi, au-delà même des critères de Maastricht, il faut également aller plus loin et plus vite dans la réduction des dépenses publiques non prioritaires et dans la réalisation d’un équilibre durable des comptes sociaux. Les coups de pouce ne seront pas suffisants. Il s’agit, plus fondamentalement, de réaliser les bons compromis, au sein des finances publiques, entre dépenses courantes et dépenses d’avenir, au sein de la Sécurité sociale, entre responsabilité et solidarité.
Ne nous y trompons pas. Ce qui fait la différence dans l’ère de la globalisation, c’est l’art d’anticiper le monde de demain et de réaliser en temps utile les réformes nécessaires. C’est pourquoi il faut accélérer.