Interviews de Mme Dominique Voynet, porte-parole des Verts, à RMC le 22 mars 1994 et France 2 le 13 avril, sur la possibilité d'une liste d'union des écologistes pour les élections européennes et l'hypothèse d'une liste Waechter - Lalonde.

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Média : RMC - France 2

Texte intégral

RMC : Mardi 22 mars 1994

P. Lapousterle : Vous êtes les seuls à avoir perdu ces élections…

D. Voynet : Je ne vous ferais pas le coup de dire que nous aussi nous avons gagné. Parce que c'est vrai que nous sommes un petit peu déçu de notre résultat et surtout de la façon dont il a été interprété. Nous étions présents dans à peine un canton sur deux et le score modeste fait par les écologistes au niveau national ne représente pas bien la réalité du terrain où les candidats écologistes font plutôt de l'ordre de 8, 9, 10 % que de 3 ou 4 % comme ça été annoncé par le ministère de l'Intérieur. Cela dit, c'est vrai que ces élections cantonales étaient pour nous un exercice obligé, mais plutôt désagréable en raison de la faible notabilité de nos candidats qui sont très rarement des sortants, en raison aussi de l'implantation urbaine des écologistes chez qui il y a une abstention relativement élevée, ce qui ne nous a pas forcément avantagé. Et en raison, bien sûr, des querelles internes qui brouillent notre message. Il n'est pas du tout question de nier ces querelles et l'effet désastreux qu'elles peuvent avoir sur l'électorat qui n'est pas aussi fixé que celui des autres partis.

P. Lapousterle : Vous pensez que cette situation pourra bouger avant les européennes, dans trois mois ?

D. Voynet : Il s'agit d'une question vitale pour nous. Si nous ne sommes pas capables de nous rassembler autour de l'essentiel, c'est-à-dire d'un projet européen crédible, nous ne passerons pas la fatidique barre des 5 % et nous ne serons plus présents au Parlement européen. Or nous avons neuf députés sortants. Nous avons beaucoup travaillé au Parlement et nous souhaitons poursuivre ce travail. Et bien sûr, nous souhaitons aussi montrer que l'espace de l'écologie politique existe toujours, ce qui semble être le cas avec les cantonales, avec 8-9 % des voix. Nous aimerions beaucoup retrouver ces 8 ou 9 % des voix aux élections européennes.

P. Lapousterle : N. Mamère propose une sorte de fédération groupant l'ensemble du mouvement écologiste pour faire une liste commune aux élections européennes. Est-ce que cela vous parait une bonne idée ?

D. Voynet : C'est une vielle idée. Les sages qui se préoccupent d'écologie savent très bien qu'il n'y a pas d'espoir pour les écologistes sans rassemblement de toutes les forces, qui sont aujourd'hui émiettées en plusieurs petits partis qui n'obtiennent pas suffisamment de crédibilité auprès des électeurs. Ce rapprochement indispensable peut prendre la forme, dans l'urgence, d'une fédération. À terme, j'espère que nous arriverons à l'unité du mouvement écologiste, ce qui suppose le dépassement des formes actuelles, que ce soit les Verts ou Génération écologie.

P. Lapousterle : Vous pensez qu'il y a un vrai espace pour les écologistes ?

D. Voynet : Certains d'entre nous, encouragés en cela par les commentateurs politiques l'année dernière, se sont laissé aller à rêver à un espace de l'ordre Je 15 à 25 %. C'est certainement un petit peu irréaliste aujourd'hui, alors que les Français montrent une soif de stabilité et accordent leur confiance à des partis qu'on annonce régulièrement mourants. Cela dit, le noyau dur de l'écologie cela me parait de l'ordre de 10 %. C'est ce qu'on vérifie sur le terrain dans les élections cantonales, c'est ce que nous avions fait à plusieurs reprises aux élections régionales, aux élections municipales de 89. Et c'est le score que nous espérons retrouver aux européennes, et puis bien sûr l'année prochaine aux municipales qui sera un vrai test d'implantation locale.

P. Lapousterle : Quel destin voyez-vous à la liste annoncée Waechter-Lalonde ?

D. Voynet : Elle reçoit un très mauvais accueil chez les militants, et je fais le pari que la sagesse finira par triompher également chez ces personnes qui ont oublié qu'elles ne sont connues et qu'elles ne sont crédibles au sein de l'opinion que parce que des militants ont travaillé patiemment à leurs côtés pendant des années. Je fais le pari qu'ils verront l'inanité de leur démarche et qu'ils décideront finalement de faire ce qui me paraît la seule solution sage, soutenir une liste unique d'union des écologistes qui serait menée par une militante choisie de façon ultra-majoritaire par les gens qui font l'écologie au quotidien sur le terrain. C'est M. Isler. Elle n'est pas connue, mais elle le sera demain si B. Lalonde, A Waechter et tous les autres décident de mettre leur énergie au service de la construction du mouvement et pas au service de leurs ambitions personnelles.


France 2 : 13 avril 1994

G. Leclerc : Pensez-vous vous vous mettre d'accord sur une liste d'union des écologistes pour les européennes ?

D. Voynet : Je l'espère ; je crois qu'il serait catastrophique pour les écologistes d'arriver divisés devant les électeurs qui manifestent leur souci et leur intérêt pour l'union des écologistes à chaque échéance. Mais nous ne pouvons nous mettre d'accord avant tout, que sur un projet européen et ensuite sur une déontologie qui lierait les candidats pour faire une belle campagne ensemble en juin. Le travail qui nous attend n'est pas mince.

G. Leclerc : B. Lalonde a posé des conditions en disant « que cette liste devait être indépendante, adhérer à l'union et que la tête de liste notamment, se soit prononcée pour Maastricht ». Ça pose des problèmes…

D. Voynet : Ça pose des problèmes aux Verts qui ont déjà désigné leur candidate pour la tête de liste, M.-A. Isler-Béguin, qui s'est prononcée contre Maastricht. Cela ne fait pas d'elle une anti-européenne, au contraire. Elle le prouve chaque jour au Parlement européen dont elle est actuellement vice-présidente. Elle reste notre candidate pour cette tête de liste et nous espérons convaincre B. Lalonde qu'elle est capable de porter un message pro-européen, très ambitieux pour l'Europe sociale, pour l'Europe de l'environnement, pour l'Europe solidaire des pays de l'Est et du Sud, tout en ayant pris position contre un traité qui n'était pas à la mesure des ambitions européennes des Verts.

G. Leclerc : A. Waechter a dit que la tête de liste justement, devait jouer entre M.-A. Isler Béguin et B. Lalonde. C'est votre avis ?

D. Voynet : Je pense qu'il n'y qu'une candidate possible à cette tête de liste et c'est M.-A. Isler-Béguin. Nous ne souhaitons pas personnaliser à l'extrême ces élections européennes. Nous souhaitons qu'A. Waechter, B. Lalonde et les autres leaders qui représentent l'écologie politique en France poussent cette liste en étant présents dans les dernières places. Aucun d'entre eux n'a sérieusement l'intention de siéger à Bruxelles et nous considérons que ce serait leurrer les électeurs que de faire un tour de piste pendant une campagne électorale pour ensuite abandonner un mandat que l'on a conquis en promettant aux électeurs de siéger à Strasbourg. Ce n'est pas sérieux et je plaide pour que ces personnalités fortes, acceptent de pousser cette liste, comme je le ferai moi-même, en mettant toute leur énergie, toutes leurs idées, toute leur passion au service de M.-A. Isler-Béguin.

G. Leclerc : Donc ni Lalonde, ni Waechter dans les éligibles, vous ne craignez pas qu'ils fassent leur liste de leur côté ?

D. Voynet : Cela ne serait pas compris par les électeurs qui ont su à de multiples reprises montrer que s'ils n'acceptaient pas la division des écologistes, ils n'acceptaient pas non plus qu'un mouvement qui a pour ambition de rénover la démocratie et de la rendre plus proche du citoyen soit pris en otage par des gens qui privilégient leurs intérêts personnels.

G. Leclerc : Quels objectifs vous fixez-vous pour la liste des écologistes ?

D. Voynet : Des élus au Parlement européen, dépasser la barre des 5 % et renforcer le groupe Vert au Parlement européen, qui est déjà composé de députés de 7 pays différents, ce qui en fait aujourd'hui le quatrième groupe du Parlement.

G. Leclerc : Est-ce que ces querelles, ces divisions au sein du mouvement ne sont pas déplorables, est-ce que l'unification, la réunion des écologistes, c'est quelque chose qui est souhaitable et possible ?

D. Voynet : Des querelles non, du débat oui, comme il est normal dans n'importe quel mouvement démocratique. Ce débat s'exprime chez nous un peu trop souvent dans les couloirs et moins souvent dans les Assemblées. C'est encore plus vrai à Génération écologie où le débat n'a pas souvent eu lieu en raison de la personnalité forte de son leader. Je le déplore. Il me paraît important aujourd'hui d'arriver à renouer le dialogue. Nous sommes très favorables à la tenue après les européennes d'une grande convention de l'écologie politique qui fasse un peu le point sur l'état actuel de nos forces et sur les rendez-vous qui nous attendent, notamment les prochaines municipales. Nous ne savons pas aujourd'hui encore sous quelle forme devrait se tenir cette convention. Qu'il s'agisse de construire une fédération, une confédération ou simplement de mettre en place un outil de concertation et de dialogue. Ce qui est important, c'est que l'on soit d'accord sur un projet pour les européennes, pour les municipales et pour l'avenir. Car sur le terrain, il y a beaucoup de choses qui se passent. Pendant que les états-majors discutent, des militants marchent contre le nucléaire, contre le chômage, les gens agissent sur le terrain. Nous faisons la preuve au quotidien de notre capacité-à peser sur des choix politiques.

G. Leclerc : Le report des municipales de mars à juin 95 ?

D. Voynet : S'il s'agit simplement d'amplifier le résultat des présidentielles en contribuant à mettre en place un pouvoir monocolore à tous les niveaux, cela sera certainement perçu de façon très délicate et négative par les écologistes. Mais les municipales sont pour nous le rendez-vous essentiel de 1995. Nous les préparons déjà sur le terrain en discutant avec des partenaires et en faisant le bilan du travail que nous avons déjà fait dans les conseils municipaux.

G. Leclerc : Est-ce que ce référendum organisé à Air France pour tous les salariés, est-ce une procédure qui vous intéresse ?

D. Voynet : C'est quelque chose d'important que d'informer de façon complète les salariés d'une entreprise sur les difficultés de celles-ci, sur les différentes solutions à y apporter. Je ne suis pas pourtant convaincue qu'un choix qui se résumerait seulement entre « est-ce que vous voulez aggraver les difficultés de l'entreprise et refuser de participer à l'effort commun ? » ou « est-ce que vous acceptez finalement de restreindre vos droits et de renoncer à certains de vos avantages ? » soit un vrai choix. Ce qu'il me semble important aujourd'hui de dire, c'est qu'il n'est pas question de faire peser sur les seuls salariés d'Air France, un effort qui relève d'une situation de crise beaucoup plus générale, dont les solutions n'ont pas encore été prises en compte par le gouvernement. Nous considérons que seule une diminution massive dans le travail et une remise à plat des façons de distribuer les richesses dans notre pays peuvent répondre aux attentes de plusieurs millions de personnes qui sont dans des conditions indignes à la fin du XXème siècle. Qu'il s'agisse d'indemnités de chômage, des petits boulots, des RMIstes, ou demain peut-être, si nous n'arrivons pas à nous mobiliser assez, des différentes formules de précarisation du travail comme nous l'avons vu avec le SMIC-jeunes, nous ne répondons pas aux attentes des gens.