Articles de M. Edmond Alphandéry, ministre de l'économie, dans "Démocratie Moderne" les 17 et 24 février 1994, sur les étapes du redressement économique de la France et les priorités de l'action du gouvernement en 1994, intitulés "Sortir de la récession" et "Le Pari d'une France ouverte et prospère".

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Média : DEMOCRATIE MODERNE

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Démocratie moderne : 17 février 1994

Sortir de la récession

Première partie

Que s'est-il passé depuis l'installation du nouveau gouvernement ? Au moment où s'est installé le nouveau gouvernement, notre pays se trouvait confronté à deux problèmes, superposés l'un à l'autre, une crise conjoncturelle sur fond de chômage structurel élevé. Faut-il rappeler que l'année dernière, en octobre 1992, à l'époque où nos prédécesseurs présentaient un budget construit sur la base d'une croissance de 2,6 %, nous étions déjà entrés en récession ?

Les dégâts de la récession

Une récession, cause bien des dégâts : baisse de la production industrielle, effondrement des importations, stagnation du pouvoir d'achat, faillites accrues, augmentation enfin des inégalités et du chômage. Ceci, c'est la partie visible. Mais une récession qui n'a pas été pré vue provoque d'autres dommages. Et cela dans les comptes publics et sociaux. Pourquoi ? Parce que l'on a surestimé les rentrées d'impôts et les rentrées de cotisations sociales.

Parmi les premières tâches, qui nous incombaient, il y avait donc le redressement des finances publiques. Il nous fallait combler des « trous » à la fois inattendus et d'une ampleur sans précédent : un déficit budgétaire deux fois plus élevé que prévu ; des déficits cumulés de la Sécurité sociale frôlant les 100 milliards à la fin 1993.

Mais dans le même temps, il nous fallait absolument soutenir l'activité économique pour lutter contre la récession. Ce double objectif tenait un peu de la quadrature du cercle.

Comment trouver les marges de manœuvres nécessaires pour financer la relance, alors môme qu'il nous fallait commencer à maîtriser les déficits ?

Nous avons dû nous résoudre à augmenter la CSG parce qu'il était indispensable, pour restaurer un climat de confiance, d'afficher notre volonté d'assainir en priorité les comptes sociaux dont le déséquilibre était le plus anormal, puisque par principe les prestations sociales doivent être couvertes par des cotisations. Et qu'il fallait rassurer les Français sur la pérennité de leur protection sociale. Mais il était exclu de rechercher d'autres ressources en augmentant les impôts, ce qui n'aurait de toute manière pas été efficace pour le redressement de l'activité.

Faire repartir l'économie

Il nous a donc fallu faire preuve de courage et d'imagination. Courage, en réduisant les dépenses publiques par rapport au budget 1993 mis en place par nos prédécesseurs. Imagination, en cherchant à mobiliser l'épargne courte au service du redressement économique. En effet, au cours de ces dernières années, les Français ont accumulé beaucoup d'épargne sous forme de SICAV de trésorerie. Ils l'ont fait d'abord en raison du profil très particulier de la courbe des taux d'intérêt. Les taux courts étaient, en effet, jusqu'à récemment, dans l'ensemble de l'Europe, très nettement supérieurs aux taux longs. Cela rendait évidemment les placements courts très intéressants. Mais ils l'ont fait aussi parce que la fiscalité sur les placements à court terme était devenue anormalement avantageuse.

Comment remettre cet argent considérable (800 Mds pour les ménages, 400 Mds pour les entreprises) dans le circuit pour faire repartir l'économie ? Tel fut l'objet d'un ensemble de mesures diversifiées mais qui aujourd'hui font apparaître leur cohérence financière : une politique monétaire visant à restaurer une courbe des taux plus classique, un grand emprunt, l'emprunt Balladur, visant à consolider des placements courts en placements longs et à financer des opérations utiles à la reprise économique, une vraie réforme de la fiscalité de l'épargne et, pour couronner le tout, un ambitieux programme de privatisations visant à canaliser les placements à court terme vers des emplois productifs. Tout cela forme un tout cohérent et procède d'une môme philosophie.

Ces 9 premiers mois ont été marqués par une activité intense avec un double objectif restaurer la crédibilité de la politique économique et soutenir l'activité.

Restaurer la crédibilité

Restaurer la crédibilité ? L'enjeu était considérable et c'est maintenant que l'on commence à le mesurer. Nous sommes, en effet, en train de récolter les fruits de cette attitude de responsabilité avec la baisse des taux d'intérêts, 400 points de base sur les taux courts depuis mars 1993 et 150 points de base sur les taux longs : le différentiel de taux avec l'Allemagne qui était si important il y a encore un an a quasiment disparu aujourd'hui. Des taux à 10 ans inférieurs à 6 % c'était ce que tout le monde attendait. C'est ce qui a été réalisé.

Il faut bien mesurer la marge de manœuvre financière considérable que cette restauration de la crédibilité procure à nos entreprises et au budget de l'Etat. La baisse des taux enregistrée depuis le mois de mars dernier représente un allègement de charge d'intérêt de 60 milliards en année pleine pour les entreprises et de 13 milliards pour l'État.

Pour profiter des opportunités d'un retour de la demande, retrouver des marges de manœuvres était clairement un préalable. Ce préalable était une condition nécessaire. Ce n'est, bien sûr, pas une condition suffisante. Le gouvernement s'est donné pour objectif principal la sortie de la récession et le retour vers la croissance.

En l'espace de 9 mois personne ne pouvait envisager que l'économie redémarre au rythme qui était le sien avant la récession. Il faut avoir la sagesse de compter avec les délais de réaction normaux de l'économie. C'est en sachant que ces délais existent que nous n'avons pas attendu pour déclencher, dès le printemps, un ambitieux programme de soutien à l'activité économique.

Déjà des résultats…

Ce programme, on en connaît les grandes composantes : mesures en faveur du logement, quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, baisse des charges patronales, sans oublier une politique de soutien actif aux PME (remboursement du décalage de TVA, moyens accrus des Codevi, etc.). Il est incontestable que ces mesures ont déjà contribué à stabiliser l'activité économique. Globalement même si d'un mois sur l'autre il y a des fluctuations dans un sens ou dans l'autre, notre économie ne s'enfonce plus. C'est déjà un premier résultat. Et au-delà des chiffres, on constate surtout, enquête après enquête, une modification sensible – dans le bon sens – de la psychologie des chefs d'entreprise (…)

De cela, on peut tirer une première leçon alors qu'avant l'été, beaucoup doutaient, au point de se demander si il n'y avait pas quelque chose de cassé dans notre économie, aujourd'hui il apparaît clairement que ce que nous venons de traverser, c'est, de façon beaucoup plus classique, la phase base d'un cycle.

Ceci n'a rien de mystérieux, en s'internationalisant, en se dérégulant aussi, l'économie française a renoué avec les cycles. Elle n'est d'ailleurs pas la seule dans cette situation puisque tous les pays d'Europe continentale sont aujourd'hui logés à la même enseigne. Ils ont tous connu une récession profonde, ils entrent désormais dans une phase de consolidation ou de redémarrage de l'activité. Et comme dans tous les cycles, une phase de reprise suivra…

L'évolution d'ensemble de la conjoncture nord-américaine et européenne permet donc aujourd'hui d'anticiper une reprise. Sans doute sera-t-elle progressive, et d'ampleur encore modeste en 1994. Mais je crois qu'il y a maintenant consensus, à quelques nuances de chiffres près, sur ce pronostic.

Il faut tirer les enseignements de la phase de ralentissement que nous venons de traverser. Une économie ouverte est une économie plus sujette aux cycles. Ce doit donc être une économie plus flexible. Nous avons, de ce point de vue, devant nous plusieurs grands chantiers structurels auxquels nous devons nous attaquer.

Dans le domaine de la modernisation des structures et des comportements beaucoup a certes déjà été fait. Qui contesterait aujourd'hui que notre propension à l'inflation et au déficit extérieur, nos insuffisances récurrentes en matière de compétitivité et de rentabilité des entreprises ne sont plus aujourd'hui que des souvenirs lointains ?

Soutenir l'activité

Mais il reste évidemment deux grands points noirs : la progression excessive de nos dépenses sociales et surtout l'enracinement dans notre pays d'un chômage élevé, qui frappe plus cruellement qu'ailleurs les jeunes d les travailleurs les moins qualifiés. Vous le savez, nous ne pouvons compter seulement sur la croissance pour ramener le chômage à un niveau acceptable. Peut-on dire que les 8 de chômeurs que nous constations en 1990, après deux années de croissance à plus de 4 %, soit un objectif satisfaisant ? Pour ma part, je ne le crois pas. Il faut donc de profondes réformes de structures.

La tâche n'est pas terminée

Cette croissance pauvre en emplois, qui a empêché toute décrue durable du chômage au cours des 15 dernières années a, en effet, des causes structurelles lourdes : la trop grande rigidité de nos marchés du travail, les insuffisances de la formation professionnelle des jeunes, un coût trop élevé du travail peu qualifié aussi sans doute. La loi quinquennale pour l'emploi, de mon collègue M. Giraud, s'est attaquée avec lucidité à ces trois facteurs de chômage.

Là ne s'arrête pas, bien entendu, la liste des réformes à poursuivre pour moderniser les structures de notre économie et de nos politiques. Pour ma part, je crois y avoir contribué au ministère de l'Économie avec, entre autres, la réforme de la fiscalité de l'épargne, un programme ambitieux de privatisation et le nouveau statut de la Banque de France. C'est une première étape, mais la tâche est loin d'être terminée.


Démocratie Moderne : 24 février 1994

Le pari d'une France ouverte et prospère

Deuxième partie

Quelles seront dans ce contexte, les priorités de la politique pour 1994 ? Elles tiennent en quatre points principaux :

Créer un environnement aussi propice que possible à la reprise

Cette reprise, le gouvernement mettra tout en œuvre pour la conforter. Vous le savez les indices tombés à l'automne ont donné des signaux contradictoires. D'un côté, on a enregistré au début de l'automne une baisse de la consommation en produits manufacturés et de la production industrielle. En revanche, les enquêtes effectuées auprès des chefs d'entreprises font apparaître de meilleures perspectives de production. Que déduire de tout cela ? Cette interrogation a pu susciter, à l'occasion, une certaine perplexité de l'opinion publique.

Mais, il faut en être conscient, le redémarrage de l'activité n'est jamais linéaire. Dans ces phases de transition les profils en dents de scie ne sont pas rares, comme l'a encore montré l'expérience de l'économie américaine de ces deux dernières années.

Pour l'instant, rien ne me permet de conclure que notre scénario de reprise progressive (+ 14 % en 1994) tirée notamment par les exportations est pris en défaut. Les indications dont nous disposons laissent penser, au contraire, que grâce à la bonne compétitivité de nos entreprises et à l'indubitable redémarrage de plusieurs pays occidentaux les carnets de commandes étrangers sont mieux orientés. C'est un bon signe.

Dans les circonstances que nous traversons, il faut avant tout rester pragmatique. Nous saurons donc nous adapter pour moduler notre action, si besoin est, en fonction de l'évolution de l'environnement économique international, notamment en Allemagne, et de l'efficacité des mesures de soutien conjoncturel déjà prises. Efficacité, qui ne pourra être pleinement appréciée que d'ici la fin de ce trimestre.

Lutter contre le chômage structurel

En tout état de cause, et quelle que soit l'ampleur de la reprise à venir nous savons tous que le retour à la croissance ne suffira pas à résoudre le problème du chômage. Pour parvenir à inverser la courbe du chômage, il nous faut donc une croissance beaucoup plus riche en emploi. Ce défi, j'ai la conviction que nous ne le relèverons qu'en démultipliant les créations d'emplois dans les services et en améliorant de manière décisive l'insertion des jeunes sur le marché du travail.

Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur ces questions.

La concurrence internationale est aujourd'hui tellement intense qu'il serait présomptueux de n'attendre des résultats spectaculaires, en termes de maintien ou de promotion de l'emploi, que d'une réduction du coût du travail dans les industries de main-d’œuvre.

Dans le secteur des services, où les besoins sont très importants, un allègement du coût, du travail et une plus grande flexibilité des marchés présentent en revanche de grandes potentialités de créations d'emplois. Concrètement, on peut estimer à 300-400 000 les créations d'emplois qu'il serait possible de susciter dans des domaines aussi variés que, le commerce de détail, la distribution des carburants, le portage de presse, la vente à domicile, les transports publics, l'amélioration de la sécurité des logements ou le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes.

Le gouvernement a engagé, avec la loi quinquennale sur l'emploi, une réflexion sur le développement de l'emploi dans les services. Cette réflexion se poursuit. Elle débouchera à brève échéance, j'en suis convaincu, sur un ensemble de mesures ambitieuses et efficaces. Je crois qu'en parallèle, le développement de contrats d'insertion professionnelle particulièrement souples et une plus grande mobilisation des entreprises dans la formation professionnelle des jeunes devraient faciliter l'accès des moins de 25 ans au marché du travail.

Favoriser de développement des PME

L'expérience de nos partenaires industriels les plus performants en témoigne, les PME sont potentiellement les grands pourvoyeurs d'emplois. On mesure alors mieux l'importance qu'il convient d'attacher au développement des PME-PMI dans un pays comme la France, qui souffre encore d'un retard important en ce domaine.

Les comparaisons avec l'Allemagne le montrent bien, l'une des raisons pour lesquelles la France a un taux de chômage trop élevé tient au nombre insuffisant de ses PME de taille moyenne (50 à 500 salariés). Or les PME ont été les premières victimes de la conjoncture, tandis que de façon plus structurelle, les obstacles qui freinent leur développement restent nombreux.

J'ai eu l'occasion de dire qu'il fallait considérer les PME comme le « fer de lance de notre économie ». D'importantes mesures ont déjà été adoptées depuis mars 1993 pour améliorer la trésorerie, l'accès au crédit, l'environnement fiscal et réglementaire des PME : la suppression du décalage de TVA, l'augmentation des prêts bonifiés sur ressources Codevi, le développement des procédures Sofaris facilitant les prêts de restructuration, la réduction et la simplification du régime fiscal des droits de mutation en sont quelques exemples. Des progrès restent encore à accomplir pour améliorer leur environnement économique et financier. Comme en Allemagne et au Japon, les PME devraient pouvoir accéder au crédit aussi aisément que d'autres entreprises de plus grande taille.

C'est dans cette logique que s'inscrit le feu vert donné par le gouvernement à une modification de la loi de 1985 sur les faillites, qui permettra un développement du crédit bancaire. Nous réfléchissons, par ailleurs, en liaison avec les banques, aux façons de prévenir suffisamment « en amont » l'émergence de difficultés de trésorerie chez les entreprises jeunes touchées par un creux conjoncturel. Il faut, sans doute, aller plus loin, en outre, dans une politique qui permettra aux PME de mieux se développer et s'épanouir. C'est un des chantiers sur lesquels je travaille, avec mon collègue Alain Madelin.

Le grand chantier des finances publiques et sociales

La priorité accordée à l'emploi n'exclut pas, bien au contraire, la poursuite des efforts engagés pour redresser les finances publiques et moderniser notre économie.

J'attache, vous l'avez peut-être noté, une très grande importance au développement de l'épargne et de l'investissement. Notre prospérité future en dépend. Aujourd'hui, le taux d'investissement de nos entreprises atteint un minimum historique (11,5 % du PIB). Avec cet investissement, on peut tout juste renouveler les capacités de production. Dès que la récession sera passée, il nous faudra donc beaucoup plus d'investissements pour créer les équipements productifs qui permettront d'accueillir à l'avenir nos jeunes et nos demandeurs d'emploi. Pour les financer, il faudra un volume d'épargne suffisant. Une épargne qui s'investisse volontiers dans la sphère productive.

C'est la vraie raison qui fait qu'il nous faudra impérativement réduire le déficit, de nos administrations publiques et notamment des régimes de protection sociale. Il ne faut pas que, par ce que les économistes appellent un « effet d'éviction », les activités productives aient du mal à canaliser une épargne privée qui serait « préemptée » par les besoins publics. Tel est le sens du plan de convergence que j'ai récemment présenté devant la Commission européenne au nom du gouvernement français.

Ce plan, élaboré en commun avec nos partenaires allemands, est ambitieux. Il synthétise les grandes orientations de la politique française et montre comment nous entendons préparer l'économie française au passage à la dernière phase de l'union monétaire européenne. Il vise à ramener le déficit public à un niveau inférieur à 3 % du PIB dès 1996, Il en a reçu une Première traduction concrète dès la session extraordinaire du Parlement de ce mois de janvier, où Nicolas Sarkozy a présenté une loi quinquennale de programmation des finances publiques cohérente avec cet objectif.

Tout ceci suppose évidemment de stimuler l'épargne des ménages et d'encourager la consolidation de l'épargne longue, celle qui finance l'investissement productif. Plusieurs projets sont dans mes cartons à ce propos. Parmi eux celui de nous doter à l'instar des autres pays développés, d'un grand système de fonds de pension. Nous y travaillerons dans les mois qui viennent.

Restent les privatisations

Celles-ci seront évidemment poursuivies, si le marché continue à s'y prêter, avec le rythme soutenu que nous leur avons imprimé. J'ajoute que je travaille à la réforme de la Caisse des Dépôts et Consignations qui donnera lieu à un projet de loi au printemps.

Le ministre CDS que je suis manque ni d'ambitions ni de projets. Fidèle en cela au souci du Premier ministre pour lequel la nécessité de traiter les situations urgentes n'occulte jamais l'impérieuse exigence d'engager tes réformes de fond qu'appelle notre économie. Mon souci est celui du CDS, préparer l'avenir, gagner le pari d'une France ouverte et prospère, dans une société qui aurait réduit les fractures sociales qui minent et où le bien-être des uns ne prospérerait plus sur le dénuement des autres.