Série d'interviews de M. Dominique Baudis, président exécutif du CDS, au "Quotidien" à TF1, France-Inter, RMC, France 2 et Europe 1 entre le 5 et le 12 avril 1994, sur les élections européennes de 1994, sa désignation comme tête de liste et la plate-forme commune RPR-UDF.

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Média : LE QUOTIDIEN DE PARIS - TF1 - France Inter - RMC - France 2 - Europe 1

Texte intégral

Le Quotidien : 5 avril 1994

Le Quotidien : Il y a dix-huit mois, vous votiez « oui » au traité de Maastricht, le cœur léger. Ne regrettez-vous pas aujourd'hui cet enthousiasme ?

D. Baudis : C'était un vote de raison et de confiance dans l'avenir. Je ne le regrette pas.

Le Quotidien : Pourtant, l'Europe n'est plus guère à la mode. Elle connaît une grave récession économique et l'édification communautaire s'enlise dans les compromis incompréhensibles au commun des mortels ?

D. Baudis : L'Europe gagne du terrain seulement lorsqu'elle joue groupée. Prenez le GATT par exemple. Deux ou trois mois avant la conclusion de la négociation, la France était isolée, l'Europe divisée. Nous risquions d'être laminés. À la grande surprise des négociateurs américains, la France a réussi à réussi à rétablir la solidarité européenne. Bien nous en a pris. Autre exemple : la guerre dans l'ancienne Yougoslavie. Au début de la crise dans les Balkans, les diplomaties traditionnelles des « grands » pays européens, faisant passer des messages contradictoires, ont beaucoup contribué à l'escalade de la violence. Je note simplement qu'à partir du moment où nous avons établi une position collective, la situation s'est améliorée.

Dernier exemple que je connais bien, l'aéronautique. Dans les mois qui viennent, l'Europe-devra défendre vigoureusement ce formidable acquis de la construction européenne. En effet, l'accord du GATT n'a pas réglé la question de l'aéronautique, soulevée, en fin de négociation, par les représentants américains. Nous avons un an devant nous pour conclure. Si, en Europe, nous parvenons à jouer ensemble, nous obtiendrons des règles commerciales équitables. Si, en revanche, nous abordons la négociation en ordre dispersé, les Américains n'auront aucun mal à affaiblir l'aéronautique européenne qui est désormais leur grande rivale. Or, je rappelle que cela représente 400 000 emplois en France, et deux millions dans toute l'Europe.

Le Quotidien : Vous évoquez là Airbus. C'est une construction qui repose sur la volonté des Etats, et non des institutions intégrées de la Communauté. Elle concerne d'autre part un nombre limité de pays. N'est-on pas là bien loin de l'Europe fédérale dont continue de rêver votre famille politique, le CDS ?

D. Baudis : Il ne faut pas se polariser sur des mots. Ils compliquent, retardent, polluent le débat. L'Europe est une construction nouvelle qu'on essaye d'inventer au jour le jour, de manière originale, pragmatique. Pour les grands projets industriels, il faut laisser les pays travailler ensemble, quand ils le souhaitent et comme ils le souhaitent.

Le Quotidien : Cette règle s'applique également à l'union monétaire ?

D. Baudis : Non. L'union monétaire fait partie des règles de vie commune. La création d'une monnaie unique pour l'an 2000 fait partie de nos engagements. Il y a eu d'ailleurs accord là-dessus entre le RPR et l'UDF. C'est dans notre plate-forme pour ces élections européennes.

Le Quotidien : Votre plate-forme RPR-UDF contient aussi un paragraphe important sur l'élargissement de la Communauté et l'ouverture aux pays de l'Est. Or, vous et vos amis politiques assez toujours considéré qu'un élargissement prématuré pouvait détruire le fragile édifice communautaire ?

D. Baudis : Il est vrai que l'élargissement de la Communauté qui a lieu actuellement suscite chez moi des sentiments contrastés de satisfaction et d'inquiétude. Satisfaction, car il est toujours réconfortant au moment où les Européens doutent d'eux-mêmes, de voir quatre pays se presser d'y entrer. Mais cette satisfaction est mêlée d'inquiétude. Dans l'histoire de la construction européenne, il y a toujours eu deux approches : le grand marché à l'anglo-saxonne, et la Communauté à la franco-allemande. Or, les futurs adhérents appartiennent tous à la première école. Pour contrebalancer cette inclination, je crois qu'il eut été nécessaire d'assortir l'élargissement de mécanismes de réforme des institutions. Comme on ne l'a pas fait, je crains que l'élargissement soit synonyme d'enlisement. Je trouve d'ailleurs curieux que les demandes d'adhésion de ces pays soient présentées au Parlement européen lors de la dernière session de celui-ci en mai 1994. Je crois qu'il aurait été préférable et plus pédagogique d'attendre que la nouvelle Assemblée soit élue. Ainsi, l'opinion aurait pu se saisir de cette question au cours de la campagne électorale.

Le Quotidien : Les risques d'enlisement vont encore s'aggraver avec l'entrée programmée des pays qui sortent du communisme dans la Communauté. Pourtant, la plate-forme RPR-UDF n'y est pas franchement hostile ?

D. Baudis : On ne peut remplacer le rideau de fer par un rideau d'indifférence. Il faut avoir une politique en direction de ces pays. Il faut inventer des mécanismes d'association qui commencent par le politique pour finir par l'économique. Exactement le contraire de ce que nous avons fait, avec la Communauté du charbon et de l'acier. Je crois cependant que celle différence de méthode est indispensable, car il ne s'agit plus d'associer des pays à niveau de développement comparable, mais d'intégrer dans une communauté occidentale et libérale des pays à l'économie à peine sortie du communisme qu'ils doivent désétatiser, libéraliser, moderniser.

Le Quotidien : L'intégration politique, cela signifie qu'ils entreraient tout de suite dans les institutions de l'Union européenne, commission et Conseil des ministres ?

D. Baudis : Non. L'économie de ces pays n'y résisterait pas. Il nous faut donc trouver d'autres mécanismes d'association politique, diplomatique, militaire, etc.

Le Quotidien : À quoi sert une campagne pour les élections européennes dont les grands leaders, à droite en tout cas, sont absents ?

D. Baudis : À l'Europe, justement. Les élections européennes ne sont pas une affaire franco-française, une espèce de sondage grandeur nature. Mais j'ai confiance. Pour le référendum sur le traité d'Union européenne, on s'attendait à une très faible participation ; or, il y a eu environ 75 % de volants. On s'attendait à un désintérêt ; il y a eu un débat animé, passionne. L'Europe a intéressé. Ce qui me permet d'espérer qu'il en sera de même cette fois-ci.

Le Quotidien : Si vous êtes désigné comme tête de liste RPR­-UDF, quels seront vos principaux thèmes de campagne ?

D. Baudis : Je crois que l'Europe doit faire face à cinq grand défis : le chômage, la paix et la sécurité, les relations avec les pays post-communistes, l'élargissement de l'Europe et la démocratisation. Ce dernier point me paraît particulièrement important. Le référendum de l'automne 1992 a montré que le citoyen avait l'impression d'être devant l'Europe comme devant une porte dont il n'aurait pas le code d'entrée. Il faut ouvrir largement les portes de l'étage européen. Pour cela, il faudra, je crois, faire une campagne très concrète, qui évite les mots piégés et les débats théoriques, pour parler des conséquence concrètes de l'Europe sur la vie des gens.

Le Quotidien : Comment vous distinguerez-vous de la liste du Parti socialiste qui a, comme vous, appelé à voter « oui » à Maastricht ?

D. Baudis : Ils veulent une Europe social-démocrate et nous pas. L'Union européenne, c'est l'édifice. On peut parfaitement à l'intérieur de l'édifice, conduire des politiques différentes.

Le Quotidien : Vous êtes satisfait de la procédure qui a été mise au point pour choisir entre vous et Jean-François Deniau ?

D. Baudis : Oui. Les choses se sont bien passées. Il n'y a pas eu de petites phrases blessantes. Tout cela est resté très digne.


TF1 : mardi 5 avril 1994

P. Poivre d'Arvor : Vous venez d'être nommé tête de liste. On peut considérer que vous l'êtes pour la majorité ?

D. Baudis : Le bureau politique m'a désigné pour conduire les candidats de l'UDF et propose au RPR que je conduise la liste de l'ensemble de la majorité, mais les présidents de l'UDF et du RPR en parleront ensemble dans les heures qui viennent.

P. Poivre d'Arvor : Avez-vous un avis sur le numéro deux de cette liste ?

D. Baudis : Ce sont des décisions qui seront prises dans les tout prochains jours. Il faut d'ailleurs se dépêcher puisqu'il reste deux mois et demi pour convaincre. C'est un gros travail que je vais faire avec enthousiasme, avec ardeur et avec passion parce que je crois en l'Europe. Comme maire de Toulouse, je vois chaque jour ce dont l'Europe est capable. Dans l'industrie Airbus, des Européens de toutes les nationalités travaillent ensemble à l'une des plus grandes réussites de l'Europe.

P. Poivre d'Arvor : Vous savez pourtant que les Français sont plus sceptiques qu'ils ne l'étaient avant Maastricht ?

P. Poivre d'Arvor : Je mesure les désillusions. Il faut rendre aux Français confiance en l'Europe, il faut leur redonner un idéal européen. Il faut que l'Europe retrouve des vertus protectrices. Les Européens et les Français ont adhéré à l'Europe, tant qu'elle est apparue comme un facteur de sécurité, notamment face au bloc communiste. Le monde a changé et l'on se demande si l'Europe sert encore à quelque chose. Il faut rétablir un sentiment de confiance et dire qu'on a besoin de l'Europe, à la fois pour l'emploi, et pour la paix. N'oublions pas que l'Europe a été capable des pires massacres de l'histoire de l'humanité. Et ce qui se passe en Yougoslavie nous montre que le pire est toujours possible : donc il faut une Europe pour notre sécurité, mais aussi pour notre croissance et notre emploi. Ce sera le message que j'essaierai de faire passer dans les deux mois qui viennent.

P. Poivre d'Arvor : La liste sera composée de pro- et d'anti-Maastricht ?

D. Baudis : La liste sera constituée dans les prochains jours, et ce sera une bonne liste, j'en suis certain.


France Inter : mercredi 6 avril 1994

J.-L. Hees : Est-ce que ça va poser un problème pour le RPR ?

D. Baudis : J'ai été désigné hier, et il reste exactement 66 jours pour convaincre les Français que l'Europe peut être un espoir, et qu'elle peut être un idéal pour la jeunesse. Notre pays a besoin d'espoir, notre jeunesse a besoin d'un idéal, et l'Europe peut être ce projet. Il ne s'agit pas d'être des conservateurs de l'Europe : il y a beaucoup de choses à changer en Europe. Il y a beaucoup de bureaucratie, pas assez de démocratie, beaucoup de reproches à adresser à l'Europe : il faut la réformer. Mais il ne faut pas être les liquidateurs de l'Europe. Il faut, au contraire, la défendre avec beaucoup d'ardeur parce que c'est la garantie de la paix, de la sécurité, et c'est notre seule possibilité de développement économique et de création d'emplois.

J.-L. Hees : C'est l'idée que vous allez défendre auprès des gens du RPR qui sont un peu plus sceptiques à l'égard de l'Europe ?

D. Baudis : Qu'il faut défendre, surtout, auprès des Françaises et des Français. La France et l'Europe ont suffisamment de problèmes pour que nous ne perdions pas trop de temps, pour que nous ne gaspillions pas trop d'énergie dans des discussions interminables d'états-majors. Maintenant, il faut se mettre au travail et il faut parler à nos compatriotes. Ce n'est pas une affaire franco-française : on va voter dans les douze pays de l'Union européenne, et c'est le grand temps fort de la démocratie en Europe. Ce n'est pas suffisant et elle a beaucoup de progrès à faire. Il est vrai que les citoyens français et des autres pays de l'Union ont parfois le sentiment que l'Europe est hermétique. Chaque Français a le sentiment qu'il peut prendre des responsabilités, avoir de l'influence dans la vie de sa commune, de son département, de sa région, de son pays. Et ils ont parfois le sentiment que l'Europe est une sorte d'étage codé, dans lequel on ne peut pas pénétrer si on ne possède pas le code. Il faut donc ouvrir toutes grandes les portes de l'Europe pour que les citoyens puissent y pénétrer, et pour que l'Union devienne une vraie démocratie vivante, où chaque citoyen se sent entendu, écouté et représenté.

J.-L. Hees : Qu'est-ce qui se passerait si le RPR disait qu'il préfère J.-F. Deniau ?

D. Baudis : La désignation, c'était hier, et pour moi, demain commence aujourd'hui. Encore une fois, nous avons à peine deux mois pour convaincre les Français de rétablir une confiance en direction de l'Europe. Sur des thèmes bien concrets, avec deux grands objectifs : l'emploi, la paix. Je ne voudrais pas que mes enfants connaissent un jour les guerres qu'ont connues mon père et mon grand-père. Je n'oublie pas que l'Europe a été le théâtre, et que les Européens ont été les acteurs des pires massacres de l'histoire de l'humanité. Et ça ne se déroulait pas dans la nuit des temps : c'était au XXème siècle. Par ailleurs, l'emploi. L'Europe peut créer des emplois, elle a même déjà créé des centaines de milliers d'emplois. J'en ai l'exemple sous les yeux à Toulouse, la ville d'Airbus. Des Italiens, des Espagnols, des Britanniques, des Allemands, qui travaillent avec des Français pour imaginer, fabriquer et vendre les meilleurs avions du monde. Je vois ce dont les Européens sont capables quand ils ont la volonté de travailler ensemble. Mais il est vrai que nous serons toujours attaqués et concurrencés, et qu'il faudra se défendre fortement dans un monde dur, concurrentiel et dangereux.

J.-L. Hees : Comment allez-vous mobiliser les Français ?

D. Baudis : En leur, parlant comme je vous le fais aujourd'hui. En leur parlant de choses concrètes, en leur parlant de ce que je vois dans ma ville et ma région. En les écoutant, aussi. Souvent, les hommes politiques feraient bien d'écouter, au moins autant qu'ils ne parlent.

J.-L. Hees : Quand on fait une liste unique, il faut que les deux parties soient d'accord. Pourquoi ne pas faire deux listes ?

D. Baudis : Nous sommes d'accord sur un programme, c'est l'essentiel. On y a travaillé pendant trois mois, et on a fait un bon travail. On a mis sur pied un programme européen, un programme d'évolution et de réforme de l'Europe. Nous sommes d'accord à la virgule près, sur un programme. Ensuite, il y a les questions de personnes. Mais il me paraîtrait absurde de diviser la majorité sur des questions de personnes. Les Français ne le comprendraient pas.

J.-L. Hees : Qui sera le numéro deux, sur la liste ? Ce sera un RPR ?

D. Baudis : C'est au RPR de prendre la décision.

J.-L. Hees : Vous allez passer beaucoup de temps à convaincre vos partenaires que l'Europe, c'est ce que vous en pensez et pas ce qu'ils en ont exprimé au moment de Maastricht ?

D. Baudis : La mission que l'on m'a confiée hier, c'est de convaincre les Français. Ils vont voter dans à peine deux mois. L'Europe est une affaire qui est souvent perçue de façon complexe, un peu illisible : il faut rendre à l'Europe de la clarté, de l'utilité et du sens. Encore une fois, en lui donnant deux grands objectifs : l'emploi et la paix. Ne mélangeons pas tout cela avec des affaires de politique intérieure. Chaque élection a sa signification. Il y a eu les cantonales, c'est terminé. Il y aura, l'année prochaine, les présidentielles et ce n'est pas encore le moment. Les deux mois qui viennent doivent être ceux de l'Europe.

J.-L. Hees : Vous allez affronter qui ? Rocard, Tapie ? On sait que c'est difficile de mobiliser les Français sur les élections européennes.

D. Baudis : C'est difficile, mais dans une période de crise et de difficultés, les Français peuvent être réceptifs à un message d'espoir, a un idéal. Les idéologies sont mortes, mais on doit essayer, à travers l'Europe, de retrouver un idéal. Un pays ne peut pas vivre sans espoir et sans idéal.

J.-L. Hees : Votre adversaire privilégié, dans cette liste socialiste, ce sera qui ?

D. Baudis : Je n'ai pas d'adversaire privilégié, mais des interlocuteurs privilégiés. Ce sont les Français qui seront appelés, dans deux mois, à désigner leurs députés européens dans le cadre d'une élection qui n'est pas une affaire de politique intérieure franco-française, mais un grand événement dans les douze pays de l'Union européenne.

J.-L. Hees : Avez-vous le sentiment d'être entré dans la cour des grands ?

D. Baudis : J'ai le sentiment, simplement, de livrer un combat sur des thèmes qui ont toujours été au centre de mes convictions. C'est pour l'Europe et par l'Europe que je suis entré dans la vie publique; il y a un peu plus de trente ans. J'avais dix-huit ans, et c'est ce thème qui m'a mobilisé. Ensuite, adulte, j'ai trouvé la confirmation de cette intuition de jeunesse au Liban, lorsque j'étais journaliste et que j'ai vu un pays se désagréger. J'en ai eu la confirmation comme maire de Toulouse, en voyant la réussite spectaculaire des Européens quand ils sont capables de travailler ensemble. Mais il ne faut pas s'imaginer que les choses soient à jamais acquises ou garanties. L'aéronautique est une des grandes victoires de l'Europe, mais elle est attaquée par une très violente offensive américaine. La négociation du GATT n'a rien résolu et si, d'ici la fin de 1994, nous n'avons pas trouvé un accord avec les Américains sur le commerce de l'aéronautique, c'est le code des subventions du GATT qui risque de s'appliquer et ce serait mortel. Quand je parle de cela, je ne plaide pas seulement pour la ville de Toulouse : l'aéronautique, en France, c'est 400 000 emplois directs et indirects, et 2 millions d'emplois en Europe. Quand nous voulons travailler ensemble, nous pouvons nous hisser au niveau des meilleurs, dans tous les secteurs d'activité. Mais plus nous gagnerons, et plus nous serons attaqués et concurrencés, et nous ne pourrons nous défendre que si nous faisons bloc. L'Europe ne peut gagner, et par conséquent ne peut être une protection et une sécurité pour les Européens que si elle fait bloc. Voilà ce que je voudrais faire passer, pendant ces deux mois. Je suis sûr qu'on peut en convaincre les Français parce que c'est le bon sens.


RMC : mercredi 6 avril 1994

RMC : Vous êtes satisfait ?

D. Baudis : Oui, car je crois profondément à l'Europe depuis toujours. L'Europe est sans doute à l'origine de mon engagement politique, j'avais 18 ans. Et aussi, comme maire de Toulouse, j'ai chaque jour sous les yeux, la démonstration de ce dont les Européens sont capables quand ils ont pris la décision de travailler ensemble. À Toulouse, ville d'Airbus, il y a des Anglais, des Allemands, des Espagnols, des Français qui travaillent ensemble pour imaginer, construire et vendre les meilleurs avions au monde. J'ai tous les jours, dans ma ville, la démonstration de ce dont l'Europe est capable et je suis persuadé que dans d'autres secteurs d'activité économique et industrielle, si les Européens joignent leurs forces, nous pouvons devenir une, grande puissance économique et commerciale. Nous le sommes déjà, mais il faut veiller à ce que l'Europe soit protectrice, en matière d'emploi et aussi au plan de la paix et de la sécurité. Nous vivons dans un monde dangereux. 

RMC : Savez-vous qui vous a soutenu à l'UDF ?

D. Baudis : Non, c'était un vote à scrutin secret ; chacun a voté en conscience après beaucoup d'hésitations car J.-F. Deniau, qui était aussi candidat, est un homme de grande valeur, de grande qualité. J'ai pour lui beaucoup d'estime et je suis heureux que cette compétition se soit déroulée de façon parfaitement loyale et digne. C'est à l'honneur de la vie politique et du fonctionnement de l'UDF.

RMC : À l'UDF, certains ne voulaient pas de votre candidature, que vous soyez tête de liste. À l'instant, M. Poniatowski vient de déclarer : « L'avenir est à ceux qui construisent l'Europe politique d'une nation et non à l'Europe bureaucratique et fédéraliste de Bruxelles ». Même son de cloche au RPR ces derniers jours.

D. Baudis : Ne compliquons pas les choses et ne faisons surtout pas basculer cette élection européenne dans des affaires de politique intérieure ou dans un débat franco-français. Les formations politiques de la majorité ont décidé de constituer une liste commune autour d'un programme commun. Ce programme a été préparé avec le plus grande soin au terme de plusieurs séances de travail. Il nous reste maintenant 66 jours, un peu plus de deux mois pour convaincre les Français, les réconcilier avec l'idée, le projet européen. Notre pays a besoin d'un espoir et notre jeunesse a besoin d'un idéal. L'Europe peut être un espoir pour la France et un idéal pour la jeunesse. Hier, j'ai reçu la mission difficile de conduire cette campagne électorale, à partir d'aujourd'hui je suis en campagne pour m'adresser à nos compatriotes. Ceci, pour essayer de faire passer un message d'ardeur européenne, pas de bureaucratie. Je suis parfaitement conscient des insuffisances de l'Europe, des désillusions, des amertumes, de l'euroscepticisme. Mais vous savez, ce n'est pas avec le scepticisme que l'on avance dans la vie. L'Europe nous apporte à chacun un motif d'espoir et un idéal. C'est le message que je voudrais faite passer. Maintenant, oublions les problèmes d'appareils politiques, d'états-majors. Une décision a été prise hier, il est temps maintenant de s'adresser aux Français et de ne plus nous parler entre nous, les politiques.

RMC : Vous pensez donc représenter la majorité.

D. Baudis : Je le souhaite, puisque c'est la mission que l'on m'a donnée hier.

RMC : Pensez-vous que votre élection sera acceptée par ceux du RPR qui préféraient J.-F. Deniau ?

D. Baudis : On verra bien, j'espère que oui; ce serait absurde de donner un spectacle de division de la majorité. Mon rôle maintenant, c'est de m'adresser aux Français, de leur parler de l'Europe, de ne pas mélanger l'Europe et les affaires de politique intérieure. Il y a eu les cantonales, il y aura en 95 les présidentielles. À l'occasion des élections européennes, parlons de l'Europe. Surtout, ne perdons pas de temps dans des querelles d'appareils ou d'états-majors, les Français ne nous le pardonneraient pas. 

RMC : Vous allez devoir abandonner un mandat, lequel ?

D. Baudis : Je siège actuellement à l'Assemblée nationale et après l'élection européenne je siégerai à l'Assemblée européenne au lieu de siéger à l'Assemblée nationale. Au lieu de siéger à Paris, je siégerai à Strasbourg en examinant des dossiers d'une nature différente mais pas tout à fait, car l'Europe concerne la France et beaucoup de décisions prises au niveau européen intéressent nos villes, nos régions. Je vois quotidiennement à Toulouse les applications de l'Europe, les réussites, les domaines aussi où elle a pu décevoir. Il faut la réformer, la transformer, la changer, l'améliorer. Il faut ouvrir les portes de l'Europe pour que les Français aient le sentiment qu'ils ont leur mot à dire, qu'ils n'aient pas le sentiment que tout se décide en dehors d'eux. C'est le sens de la campagne que je voudrais mener avec ardeur et enthousiasme car j'ai cette conviction au cœur.


France 2 : mercredi 6 avril 1994

D. Bilalian : Hier soir, c'était la surprise et aujourd'hui on discute beaucoup autour de votre désignation. Pourquoi ?

D. Baudis : Il reste 66 jours avant l'élection européenne, donc je crois qu'hier c'était hier et demain commence aujourd'hui, car 66 jours pour convaincre les Français, établir un lien de confiance entre eux et l'Europe, et pour faire apparaitre l'Europe comme la meilleure sécurité la meilleure protection que nous puissions avoir contre la crise ou contre la guerre, 66 jours pour faire passer ce message, c'est peu. Dans les difficultés qui sont celles de notre pays, de l'Europe, nous n'avons plus de temps à perdre ou d'énergie à gaspiller dans des discussions d'états-majors. Il faut tous ensemble aller de l'avant. 

D. Bilalian : Pour autant, ce matin, au sein même de votre formation, l'UDF, on se demande si c'était le bon choix et au RPR, on vous trouve un peu trop ressemblant à J. Lecanuet, un peu fédéraliste.

D. Baudis : Je suis européen et le mot fédéraliste est maintenant dépassé. Je suis européen car c'est une conviction de toujours. Je le suis aussi, sans doute, car comme maire de Toulouse, j'ai tous les jours sous les yeux la démonstration de ce que les Européens sont capables de faire quand ils travaillent ensemble. L'aéronautique européenne : 400 000 emplois en France, 2 millions d'emplois en Europe ; la plus belle réussite de la coopération industrielle entre Européens. 

D. Bilalian : Vous avez l'impression que vous allez convaincre très vite les partisans de J.-F. Deniau et les membres du RPR ?

D. Baudis : Convaincre aussi, et surtout, les Français. C'est la mission qui m'a été donnée hier. Notre pays a besoin d'un espoir, notre jeunesse a besoin d'un idéal. Je suis ardemment convaincu que l'Europe peut être l'espoir des Français et l'idéal de notre jeunesse. 


Europe 1 : mercredi 6 avril 194

F.-O. Giesbert : Vous êtes un grand baron de province, et voilà que vous entrez dans la vie politique nationale : en route pour de nouvelles aventures ?

D. Baudis : J'entre par la porte européenne, en tout cas. 

F.-O. Giesbert : Cette victoire sur J.-F. Deniau, c'était un peu inattendu ?

D. Baudis : Effectivement. J.-F. Deniau est un homme qui a d'immenses qualités, pour lequel j'ai beaucoup de respect. Je crois que lui et moi, nous pouvons être satisfaits de la façon dont les dernières semaines se sont passées, il n'y a pas eu entre nous de petites phrases, d'agressions, de propos politiciens ou désagréables. Tout s'est passé de façon très digne et très loyale. 

F.-O. Giesbert : Il était le favori : comment expliquez-vous votre victoire ?

D. Baudis : Il faut le demander à ceux qui ont voté. 

F.-O. Giesbert : Le sondage a dû jouer un rôle important ?

D. Baudis : Peut-être.

F.-O. Giesbert : Vous allez maintenant devoir rassurer le RPR.

D. Baudis : Il y a entre le RPR et l'UDF un accord sur une plate-forme commune pour ces élections la volonté, et c'est le bon sens, de faire une liste commune. L'UDF a désigné son candidat, va devoir désigner l'ensemble de ses candidats, et le RPR va faire de même. Maintenant, il faut se mettre au travail : il reste 66 jours, pas davantage, avant l'élection européenne. 

F.-O. Giesbert : Quand je disais que vous alliez devoir rassurer le RPR, c'est parce que chez les anti­maastrichiens du RPR et d'ailleurs, on va dire que l'UDF a pris, en vous choisissant, une option résolument pro-européenne.

D. Baudis : Il faut être résolument européen. Il y a, on le sent bien, chez beaucoup de nos concitoyens, une hésitation. Mais, lorsque l'opinion hésite, est-ce qu'il faut se mettre à faire semblant d'hésiter pour être en phase avec l'opinion publique ? Je ne crois pas. Si nous devenons hésitants, nous allons décevoir d'abord tous ceux qui veulent aller de l'avant. Et nous allons donner raison à tous ceux qui doutent. Quand l'opinion publique hésite, elle n'attend pas de ses dirigeants qu'ils hésitent eux aussi.

F.-O. Giesbert : Il y a plus qu'une hésitation. On a l'impression que l'Europe a tendance à devenir un bouc émissaire, en matière de chômage, de crise agricole.

D. Baudis : Elle est le bouc émissaire parce qu'elle a longtemps été la tarte à la crème. Pendant des années, à chaque fois qu'il y avait des problèmes, on disait l'Europe le réglera. Tout le monde était pour l'Europe, on ne savait pas trop ce que c'était, ni comment ça fonctionnait. Et brusquement, à la fin des années 80, après l'effondrement du Mur de Berlin, l'effondrement de l'empire communiste, lorsque l'Europe a perdu l'une de ses raisons d'être, tout à coup, la menace s'est en quelque sorte évanouie. On ne voyait plus, de l'Europe, que les contraintes, les contrôles, l'impuissance face au conflit dans l'ex- Yougoslavie, l'impuissance face au chômage, le manque de démocratie européenne. Tout cela est vrai et l'Europe, il faut la réformer. Il ne faut pas la noyer, la tuer ou la démanteler comme voudraient le faire certains.

F.-O. Giesbert : Qu'est-ce que vous avez envie de dire à tous ceux qui sont sensés voter pour vous, et qui sont en fait contre l'Europe ?

D. Baudis : Qu'il faut redonner du sens à l'Europe, et en faire un outil efficace pour l'emploi et pour la paix. Les deux grands défis des années à venir, pour l'Europe, c'est l'emploi et la paix. Et sans l'Europe, nous n'aurons ni sécurité, ni retour à la prospérité.

F.-O. Giesbert : Les anti-européens de la majorité sont en train de mettre en place une liste, c'est celle de P. de Villiers. Avez-vous envie de vous adresser à lui et de lui dire, par exemple, essayons de faire une liste en commun ? Une fusion est-elle encore possible ?

D. Baudis : La décision lui appartient. J'ai envie de m'adresser à lui et de lui dire, lis bien le programme européen.

F.-O. Giesbert : Justement, il l'a lu et, hier, il disait que c'était blanc bonnet-bonnet blanc, le programme socialiste et celui de la majorité.

D. Baudis : Il l'a mal lu, parce qu'il disait que le mot France n'y figurait même pas. Je me suis jeté sur le document, et je veux rassurer vos auditeurs, vous-même et P. de Villiers : le mot France figure, en toutes lettres, dans le document.

Les intérêts de la France sont pris en compte, mais ils ne peuvent être défendus que dans un ensemble fort et cohérent, l'Union européenne.

F.-O. Giesbert : Pouvez-vous nous donner, comme ça, en une phrase, une raison d'être européen ?

D. Baudis : Parce que je ne veux pas que mon fils, ma fille, connaissent un jour les guerres qu'ont connues mon père et mon grand-père. Il ne faut pas oublier que l'Europe a été le théâtre, et que les Européens ont été les acteurs du pire massacre de l'humanité. Et ce n'était pas dans la nuit des temps : c'était au vingtième siècle. Ce qui se passe en Yougoslavie est là pour nous rappeler quotidiennement que l'Europe peut être capable du pire.

F.-O. Giesbert : Vous pensez à notre vieille histoire avec l'Allemagne ?

D. Baudis : Non, je ne pense pas qu'à cela. Je pense à tous ces conflits dont l'Europe a été le théâtre au cours des siècles. En l'espace de quarante ans, on a bâti un espace de paix.

F.-O. Giesbert : Depuis quelques mois, l'axe franco-allemand, qui était le moteur de l'Europe, à tendance à battre de l'aile : ça vous désole, j'imagine ?

D. Baudis : Les Allemands sont devenus un immense pays, et il est vrai qu'ils sont tentés par ce que les historiens appellent la politique de la Mitteleuropa, c'est à dire se tourner davantage vers l'Europe centrale. Mais il faut maintenir cet axe franco-allemand : je crois qu'ils tiennent, que le Chancelier y est attaché.

F.-O. Giesbert : Est-ce que les Français n'ont pas des reproches à se faire ? Ne pensez-vous pas que le gouvernement n'a pas manqué de tact en n'invitant pas le chancelier Kohl à la commémoration du Débarquement ?

D. Baudis : N'en parlons plus, tout cela est réglé. C'est vrai que la commémoration du Débarquement a presque été plus difficile à organiser que le Débarquement. Il y a eu des petites frictions, de réservations d'hôtel : n'en parlons plus. Les Allemands, maintenant, en Europe, sont nos amis, c'est eux que nous construisons notre avenir.

F.-O. Giesbert : Vous ne sentez pas monter dans le pays, et notamment dans la majorité, un certain parfum de xénophobie, d'anti-germanisme primaire ?

D. Baudis : À Toulouse, je vois chaque jour des Allemands, des Britanniques, des Espagnols, des Italiens qui travaillent avec des Français pour inventer, fabriquer et vendre les meilleurs avions du monde. Je vous assure qu'il n'y a pas d'anti-germanisme : on travaille ensemble, dans les mêmes usines et les mêmes bureaux d'études.

F.-O. Giesbert : À Toulouse, mais aussi à Epinal, en Vendée ?

D. Baudis : Je connais moins bien Épinal.

F.-O. Giesbert : Est-ce que vous allez prendre des Européens non Français sur votre liste ? Est-ce que vous êtes hostile à ce principe ?

D. Baudis : Pas hostile du tout. Au contraire, ce serait une bonne idée. Il ne m'appartient pas de nommer les candidats de la liste, mais ce serait une bonne idée si on peut le faire. J'y suis évidemment très favorable.

F.-O. Giesbert : Vous êtes-vous fixé un objectif, une barre, pour votre liste ?

D. Baudis : Je ne le fais jamais, parce que, d'abord, je suis superstitieux, et d'autre part, je pense que c'est un peu insulter les électeurs que de faire des pronostics.

F.-O. Giesbert : Aux européennes de 1989, V. Giscard d'Estaing avait obtenu 28,87 % des voix.

D. Baudis : C'était un beau chiffre.

F.-O. Giesbert :Vous pensez faire autant ?

D. Baudis : J'essaierai.

F.-O. Giesbert : Hier, à l'Assemblée nationale, la majorité s'est hérissée de cactus. Le Premier ministre en a pris pour son grade. Est-ce que vous ne craignez pas que le vote du n juin devienne un vote sanction ?

D. Baudis : La pire des choses, c'est de mélanger les élections et de mélanger les problèmes. Il y a eu les cantonales, il y aura l'année prochaine les présidentielles, et il y a maintenant les européennes. Au cours des élections européennes, il faut parler de l'Europe. Il nous reste 66 jours avant le scrutin, avec beaucoup de difficultés concernant l'Europe dont il faut parler aux Français. Il faut qu'ils se déterminent sur l'Europe. Ce n'est pas une affaire franco-française, ce n'est pas un sondage grandeur nature : c'est le choix du destin et de la place de la France en Europe.

F.-O. Giesbert : Après le 12 juin, vous allez quitter l'Assemblée nationale pour siéger à Bruxelles ?

D. Baudis : Je passerai de l'Assemblée nationale à l'Assemblée européenne.


RMC : mardi 12 avril 1994

F. Chantrait : Êtes-vous déjà en campagne pour les européennes ?

D. Baudis : Bien sûr. Pour parler aux Français du projet européen qui est celui de la majorité, la réforme nécessaire de l'Europe pour qu'elle protège les citoyens. L'équipe, que je conduirai, aura pour objectif la défense des intérêts de la France en Europe ainsi que la défense des intérêts de l'Europe dans le monde.

F. Chantrait : Qui viendra sur votre liste ?

D. Baudis : Les décisions seront prises dans les tout prochains jours. Nous serons 87, donc il y aura encore 86 candidats. Ce qui va se faire dans tous les prochains jours. Il y a, à l'heure actuelle, des discussions entre les différentes organisations politiques pour constituer cette équipe qui sera, j'en suis convaincu, une très bonne équipe. Soudée autour d'un projet, qui est un projet commun sur lequel nous avons beaucoup travaillé pendant trois mois et qui, je crois, est un projet d'avenir pour l'Europe. Il s'agit de réformer l'Europe pour qu'elle redevienne un facteur de sécurité et de protection. Alors qu'à l'heure actuelle parfois, elle inquiète.

F. Chantrait : Êtes-vous prêt à accueillir des « non » à Maastricht ?

D. Baudis : Maastricht, je ne connais pas. C'est une ville des Pays-Bas dans laquelle je ne suis jamais allé. Ce que je connais, c'est le traité d'Union européenne auquel les Français ont souscrit. C'est un texte extrêmement complexe, ardu et touffu, mais il faut en retirer l'essentiel. L'essentiel qu'est-ce que c'est ? C'est la création d'une monnaie unique en Europe. C'est une nécessité, regardez ce qui s'est passé cet été. Les milliards et les milliards que les Français ont perdus et qui ont enrichi quelques spéculateurs. Avec une monnaie unique, nous sommes protégés de ce type d'opération de piraterie monétaire. Il est vrai aussi que d'un pays européen à l'autre, à l'intérieur de l'Union Européenne parfois, certains ne résistent pas à la tentation d'une dévaluation. On l'a vu en Espagne et en Italie. Donc la monnaie unique, ce sont des règles du jeu stable, donc c'est une garantie et c'est une protection. La deuxième chose que l'on trouve dans ce traité d'Union Européenne, c'est une politique étrangère et de sécurité communes. Regardez ce qui se passe dans l'ancienne Yougoslavie. Si, dès le départ, l'Europe avait eu une position cohérente et commune, et si l'Europe avait disposé de moyens pour faire respecter sa position, je suis convaincu que nous n'aurions pas assisté au drame dont nous sommes les spectateurs impuissants. Depuis, nous avons pris une position européenne et on observe une désescalade progressive. Ceci, c'est parce que l'Europe a pris une position commune. Alors qu'au départ de la crise yougoslave, il y a eu des positions divergentes.

F. Chantrait : Avez-vous digéré les attaques qu'a déclenchées votre désignation ?

D. Baudis : Oui bien sûr. Quand il y a un élément un peu nouveau et inattendu dans la vie publique, cela provoque toujours une certaine effervescence, donc je m'y attendais. Tout ceci va se calmer. Les Français sont confrontés à tant de difficultés et il faut engager un tel effort pour réformer l'Europe, qu'il serait absurde de gaspiller son temps et son énergie dans des querelles d'état-major.

F. Chantrait : Comprenez-vous les membres du PR qui désirent se constituer en groupe autonome à l'intérieur de l'UDF ?

D. Baudis : J'ai toujours essayé de ressembler les énergies plutôt que de les disperser. Je souhaite que le groupe UDF continue à faire son travail à l'Assemblée nationale, qui est un bon travail. Encore une fois, mon rôle n'est pas de disserter sur ces questions-là. Je crois que les Français attendent maintenant, à deux mois des échéances européennes, qu'on leur parle de l'Europe. Comment peut-on remettre l'Europe au service des citoyens, au service de l'emploi, au service de la paix.

F. Chantrait : Que pensez-vous de cette remarque de P. de Villiers qui disait ce matin que votre programme n'était pas très différent de celui de M. Rocard ?

D. Baudis : Je ne veux pas être méchant, mais simplement il faut voir dans le choix du 12 juin prochain. Dans deux mois, la liste que je conduirai sera animée par une volonté de réforme de l'Europe. Mais je ne suis pas animé par une volonté de rupture avec l'Europe. Changer l'Europe oui, casser l'Europe non. Je suis convaincu qu'un jour nos enfants nous le reprocheraient amèrement.

F. Chantrait : Quels vont être vos grands thèmes de campagne ?

D. Baudis : Remettre l'Europe au service des citoyens. L'Europe est souvent perçue comme une espèce de lieu auquel les citoyens n'ont pas accès. Les citoyens ont le sentiment qu'ils jouent un rôle dans le destin de leur commune, de leur département, de leur région, de leur pays, mais ils ont le sentiment que l'étage européen n'est accessible qu'à ceux qui disposent d'une sorte de code secret. Il faut ouvrir toutes grandes les portes de l'Europe aux citoyennes et aux citoyens de notre pays et des autres pays de l'Union. Que demandent les citoyens ? Ils demandent ce qu'ils ont toujours demandé de toute éternité à la cité, à l'organisation politique dans laquelle ils vivent, ils demandent une sécurité et une protection. Durant plusieurs dizaines d'années, l'Europe a été synonyme de protection et de sécurité. D'ailleurs, l'immense majorité des Français adhérait massivement à l'Europe parce que pour eux, c'était une protection dans un monde dangereux et difficile. Depuis l'effondrement de l'empire communiste, on ressent moins cette nécessité, or elle existe toujours. Le monde dans lequel nous vivons est au moins aussi dangereux que le monde dans lequel nous vivions avant l'effondrement du mur de Berlin. 

F. Chantrait : Allez-vous un peu oublier Toulouse ?

D. Baudis : Absolument pas. J'ai déjà été député européen et maire de Toulouse. Durant ces années où je siégeais à Strasbourg, je me suis occupé de ma ville. Toulouse est sans doute la ville de France qui symbolise le mieux la réussite européenne. C'est la ville d'Airbus, c'est la ville des grands projets dans le domaine spatial. S'il y a une ville en France qui est la démonstration concrète, tangible, vécue, du fait que l'Europe peut gagner dès lors que les Européens se serrent les coudes, et que l'Europe peut créer des emplois, c'est bien Toulouse. Par conséquent, en travaillant pour ma ville, je travaille pour l'Europe. Je passerai simplement du parlement français au parlement européen, et le destin de ma ville se joue au moins autant au parlement européen qu'au parlement français.