Texte intégral
Forum RMC – L'Express : 1 juillet 1994
Sylvie Pierre-Brossolette : Balladur a affirmé hier qu'un nouveau modèle de développement pour la France ne sortirait pas tout armé du cerveau d'un seul homme, et que la France n'était pas une page blanche ; à quel cerveau pensait-il : à l'ami de 30 ans qui vient d'écrire un livre ?
B. Pons : Certainement pas, parce que d'abord, je crois qu'on ne peut pas dire que Jacques Chirac est un homme seul. Jacques Chirac est le président de la formation politique la plus importante, qui comprend les deux groupes parlementaires les plus importants, un nombre d'élus sur le plan national qui est considérable, et Édouard Balladur fait partie de cette formation politique. Je crois qu'Édouard Balladur est très pris par sa charge, très occupé, et peut-être n'a-t-il pas le temps de lire. Car s'il avait le temps de lire, il aurait lu dans l'ouvrage qui a été publié par Jacques Chirac il y a quelques jours et qui s'appelle « Une nouvelle France », à la page 138, que Jacques Chirac dit « L'état de la France appelle de vrais changements, face au conservatisme ambiant, ces changements trouveront leur inspiration dans le peuple. La base, entre guillemets écrit-il, doit en être le fer de lance, les élites n'ont pas seules la faculté de les concevoir et de les mettre en œuvre, ne sous-estimons pas, termine Jacques Chirac, l'importance du débat public en temps de crise ».
Sylvie Pierre-Brossolette : Dans ce même livre il y a quelques accusations sur l'immobilisme actuel du gouvernement ; cela pouvait-il justifier une rétorque du Premier ministre ?
B. Pons : Non, au contraire, dans ce livre il y a un coup de chapeau à l'action du gouvernement.
Philippe Lapousterle : Un coup de chapeau qui fait mal…
B. Pons : Non, c'est un coup de chapeau qui dit que le gouvernement fait tout ce qu'il peut dans le cadre des possibilités qui sont les siennes, avec la cohabitation, et tout le monde le sait bien, et tout le monde le voit tous les jours.
Philippe Lapousterle : Comment expliquez-vous que tout le monde ait cru que le Premier ministre s'adressait à Chirac ?
B. Pons : Je ne sais pas si tout le monde a compris, pour moi, pour ma part, je ne comprends pas, parce que je suis persuadé que si ça s'adresse à Jacques Chirac, c'est véritablement mal ciblé. Parce que je le répète, Jacques Chirac n'est pas un homme seul…
Sylvie Pierre-Brossolette : Ce n'est pas un cerveau non plus ?
B. Pons : … Et d'autre part, et d'autre part, dans son livre Jacques Chirac indique ce que je viens de dire, à savoir qu'il faut qu'il y ait une ambition pour la France, qu'il y ait un certain nombre de projets, que les Français en soient informés, et qu'il y ait un débat. Mais, c'est ça la démocratie, la démocratie ça n'est pas d'attendre que spontanément, un certain nombre de solutions arrivent toutes trouvées.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et la démocratie, c'est aussi ce ping-pong verbal qui semble avoir démarré entre le président du RPR et le Premier ministre ?
B. Pons : Pour qu'il y ait ping-pong, il faut qu'il y ait deux partenaires. Or jusqu'à présent, j'ai constaté que Jacques Chirac n'a pas dit mot en ce qui concerne l'action du Premier ministre, qui puisse être considéré comme désagréable.
Philippe Lapousterle : Vous diriez que l'entente est parfaite entre Chirac et Balladur ?
B. Pons : Écoutez, je crois qu'il faudrait leur poser la question, mais en tous les cas, ce que je sais, c'est que dans le cadre des institutions de la 5ème république, il y a un gouvernement, avec un Premier ministre issu de la majorité qui est sortie des urnes en mars 93. Ce gouvernement est soutenu par sa majorité, ce qui ne veut pas dire, et nous y viendrons je pense tout à l'heure, ce qui ne veut pas dire que cette majorité doive rester le petit doigt sur la couture du pantalon. Mais je constate que dans cette majorité, Jacques Chirac qui est un des leaders de cette majorité, n'a émis aucune critique à l'égard de l'action du gouvernement.
Philippe Lapousterle : Vous disiez le 31 mai 93 « le Premier ministre poursuit une politique de rigueur budgétaire, pas question d'en changer ; cela n'empêche pas que les responsables politiques regardent la réalité en face et le disent, si le moment est venu, les résultats ne sont pas au rendez-vous, il faudra peut-être envisager autre chose ». Les résultats sont-ils aujourd'hui au rendez-vous, et s'ils ne l'étaient pas, faudrait-il envisager autre chose ?
B. Pons : Hélas les résultats ne sont pas au rendez-vous. Et je dois dire que, au sein du groupe RPR que je préside, je sens tous les jours l'inquiétude qui grandit. Vous savez que les chiffres du chômage, les derniers ont été publiés il y a à peine quelques heures, la France compte aujourd'hui 3 330 000 demandeurs d'emplois, le taux de chômage est de 12,4 %, contre 11,1 % un an plus tôt. Les chômeurs de longue durée représentent 35 % des demandeurs d'emplois, le taux de chômage des moins de 25 ans continue de progresser. Et je crois qu'on peut dire que la hausse du chômage touche toute les catégories professionnelles. Il y a donc là un problème qui est très préoccupant et très sérieux. Les perspectives de reprise sont douteuses puisque les investissements n'augmentent malheureusement que très faiblement. La situation des finances de l'État est aussi préoccupante, le besoin de financement des administrations publiques a atteint près de 6 % du PIB, contre 2 % à la fin de l'année 91. Et la dette publique ne cesse de s’accroître. Le déficit budgétaire pour 1994, qui était prévu à 301 milliards, sera malheureusement difficilement tenu, même avec l'apport des recettes des privatisations qui représentent 55 milliards. Quant à la situation des comptes sociaux, elle est aussi extrêmement préoccupante, puisque on envisage un déficit de la sécurité sociale de 55 milliards pour la fin de 94, et de 70 milliards pour la fin 95.
Philippe Lapousterle : La France est malade aujourd'hui ?
B. Pons : La France était très malade quand nous l'avons trouvé en mars 93, et quand M. Balladur a assumé avec beaucoup de courage la direction du gouvernement, soutenu je le répète par la majorité. Donc la situation que je viens de décrire, est le résultat de nombreuses erreurs qui ont été commises. Ce que je constate simplement aujourd'hui, et j'avais pris rendez-vous il y a un an, ce que je constate c'est que les mesures qui ont été prises par le gouvernement, et qui semblaient aller dans le bon sens, n'ont peut-être pas été suffisamment fortes, suffisamment hardies, n'ont peut-être pas pris dans un certain nombre de domaines, et peut-être dans le domaine monétaire, quelques risques. Je disais il y a un an que nous étions solidement accrochés avec l'Allemagne, mais il y a un an je disais que l'Allemagne n'était plus vertueuse, et je continue à dire aujourd'hui que l'Allemagne n'est plus vertueuse, et que par conséquent nous sommes en droit de nous interroger, est-ce qu'on va continuer ? Alors ça, c'est un débat très important, que la majorité se doit d'avoir avec le gouvernement. Ça n'est pas une critique du gouvernement, puisque ce résultat, je l'assume. C'est moi qui en porte la responsabilité au même titre que les députés de la majorité, et que le gouvernement. Donc ce n'est pas une critique de l'action du gouvernement, c'est une constatation des résultats, et je le fais de manière objective.
Sylvie Pierre-Brossolette : Est-ce que ça veut dire par exemple qu'il ne faut pas attacher le franc au mark ?
B. Pons : Je disais qu'on est en droit de s'interroger, c'est ce que je disais tout à l'heure. Je constate que la Grande-Bretagne a pris une autre voie, et que peut-être en matière de chômage, qui est le cancer qui ronge notre économie, elle ne s'en trouve peut-être pas plus mal. Donc je ne dis pas que j'ai raison, je dis que nous devons ouvrir le débat. C'est la raison pour laquelle les 22 et 23 septembre prochains, nous organisons avec le groupe RPR du Sénat nos journées parlementaires à Colmar. Et au cours de ces journées qui sont placées sous le signe du chômage et de l'exclusion, nous ne manquerons pas d'ouvrir un débat avec les membres du RPR qui viendront nous voir, en disant « est-ce que maintenant on n'est pas en droit de regarder s'il n'y a pas d'autres formules ». Parce que ce que je n'accepte pas, c'est l'argument selon lequel il n'y a pas d'autres politique possible. Nous sommes en démocratie, il y a des idées dans de nombreux cerveaux, même des cerveaux isolés, et ces nombreuses idées ne doivent pas être laissées de côté, et surtout on ne doit pas leur faire un procès d'intention en disant que ce sont des idées farfelues.
Philippe Lapousterle : En disant ça, vous avez le sentiment d'être représentatif de nombreux députés RPR ?
B. Pons : Oui, je crois que je suis représentatif de l'immense majorité de nos collègues, qui constatent, les chiffres que je viens de vous donner sont des chiffres qui ne sont contestés par personne. Et nos collègues du groupe RPR à l'Assemblée Nationale sont des députés qui sont sur le terrain, qui voient tous les jours dans leur permanence venir tous ces français qui sont privés d'emploi, tous ces hommes toutes ses femmes qui vivent dans l'angoisse, dont beaucoup d'ailleurs ont déjà décroché, qui sont au bord de l'exclusion définitive. Ils voient tous les jours des entreprises, lors de la dernière séance des questions d'actualité mercredi, deux de nos collègues attiraient l'attention du gouvernement sur la situation de certaines entreprises qui sont en train de procéder à de nouveaux licenciements. Donc il y a de la part des députés du RPR et de l'UDF, des députés de la majorité, la constatation quotidienne que la situation est grave. Vous faisiez allusion tout à l'heure à ma formation médicale, mais quand un malade est gravement atteint, si le traitement qui est utilisé n'est pas le bon traitement, la situation s'aggrave.
Sylvie Pierre-Brossolette : Faut-il tout de suite changer de cap, ou cela peut-il attendre la rentrée ?
B. Pons : Non, il ne faut pas tout de suite changer de cap, car le gouvernement n'est en place que depuis à peine un petit peu plus d'un an, qu'il a fait de très gros efforts dans un certain nombre de domaines, et que dans ces domaines-là on constate qu'il y a une stabilisation. Donc il faut se donner encore un certain laps de temps pour voir si les choses se redressent ou continuent. Mais nous sommes arrivés à un moment où le débat doit être ouvert.
Philippe Lapousterle : À votre avis, est-ce une question de rythme, ou bien est-ce que les choses vont dans la mauvaise direction ?
B. Pons : Prenons l'effort qui a été fait pour diminuer les taux d'intérêts. Cet effort est tout à fait positif, il a été obtenu d'une manière très nette, mais je dirai trop lentement, et il n'a pas eu l'effet qui était un effet escompté. D'autre part à l'heure actuelle, la reprise des taux sur les prêts à long terme est quand même préoccupante.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et votre avis personnel sur la politique du franc fort ?
B. Pons : Lorsqu'on a une responsabilité politique à un certain niveau, il faut toujours se garder de porter des jugements sur la monnaie de son pays. Donc c'est un débat que j'aurai certainement avec mes collègues et avec le gouvernement, mais je crois qu'aujourd'hui je n'ai pas le droit de m'exprimer en la matière. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est important pour un pays d'avoir une monnaie forte, le problème est de savoir si les conditions pour parvenir à ce résultat sont les bonnes ou pas.
Sylvie Pierre-Brossolette : L'augmentation du chômage dont vous avez parlé tout à l'heure, est-ce une exception dans une amélioration générale, ou est-ce le signe que tout va maintenant s'aggraver ?
B. Pons : Depuis malheureusement un an, le nombre de chômeurs a augmenté.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais l'augmentation diminuait, maintenant ça n'est plus le cas…
B. Pons : 340 chômeurs de plus depuis un an. Donc le chiffre est là, il nous interpelle. Et je crois qu'on ne peut pas se cacher derrière les deux mains. La méthode Coué et la politique de Gribouille ne sont plus tolérables, je crois qu'il faut regarder les choses en face. Il y a véritablement un problème, et ce matin, les responsables de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée Nationale, M. Michel Péricard président, et le rapporteur de la loi quinquennale sur l'emploi, ont tenu une conférence de presse, et je dois dire que en lisant ce qu'ils ont dit, je m'aperçois qu'eux aussi expriment une très grande inquiétude et considèrent que les dispositions qui ont été prises dans le cadre de la loi quinquennale ne sont pas toujours les bonnes. Je lis « si cette loi a raté sa cible, c'est parce qu'elle est trop longue, trop complexe, et qu'elle ne s'adresse pas en priorité aux gisements d'emplois que sont les PME », a affirmé M. Novelli, qui est un membre éminent de l'UDF, l'autre formation politique de la majorité.
Philippe Lapousterle : Mais cette loi quinquennale a été votée par l'ensemble des députés de la majorité ?
B. Pons : Oui, mais la critique ne s'adresse pas uniquement au gouvernement. Il faut que les choses soient bien claires : en 1993 il y a eu des élections législatives, l'opposition de l'époque les a gagnées. Le RPR est devenu la formation politique la plus importante à l'Assemblée Nationale, suivi de près par l'UDF. De cette majorité est issu un gouvernement, on ne va pas séparer le gouvernement de sa majorité, les deux sont étroitement liés. Donc il ne faut pas dire que le gouvernement gouverne, et que la majorité est inerte. La majorité est derrière le gouvernement pour le soutenir, et nous avons soutenu le gouvernement dans le cadre de ce projet de loi, parce que effectivement nous pensions. Dans le débat, si vous vous reportez aux travaux qui ont été faits par la lecture du Journal officiel, vous verrez que nous avions apporté un certain nombre de jugements, que nous avions fait des propositions, que nous avions émis quelques critiques. Il s'avère aujourd'hui que, c'est le rapporteur de la loi qui la dit, le cible n'a pas été atteinte, car nous demandions qu'il y ait un effort beaucoup plus important sur les PME, malheureusement il n'a pas été fait.
Sylvie Pierre-Brossolette : L'autre objectif du gouvernement était de réduire les déficits. L'objectif est loin d'être atteint, est-ce qu'aujourd'hui la priorité c'est vraiment de faire un effort pour résorber les déficits extérieur et budgétaire, ou faut-il mieux quand même les laisser s’accroître pour favoriser la consommation ?
B. Pons : C'est toujours très dangereux de laisser s'accroître les déficits. Et à cet égard j'ai constaté ces derniers temps qu'il y avait une espèce de débat qui se développait dans la presse, en disant qu'il y a aurait schématiquement deux approches qui s'opposeraient : l'une qui serait incarnée par le gouvernement et qui feraient de la réduction des déficits une priorité, on s'aperçoit que si c'est une priorité pour le moment les résultats ne sont pas là, et une autre dont certains membres du RPR seraient les représentants, qui préconiserait une relance budgétaire et une augmentation de la dépense publique. Or je crois que cette approche est doublement inexacte. Le gouvernement n'a pas fait, et c'est une évidence, de la réduction des déficits publics une priorité, les comptes de l'État et les comptes sociaux dont je parlais tout à l'heure sont dégradés, quant au RPR et aux membres du RPR et moi-même en particulier, nous n'avons jamais plaidé en faveur d'une augmentation des déficits publics. Mais notre souci c'est de réorienter la dépense publique pour la rendre efficace.
Philippe Lapousterle : Avez-vous approuvé la décision de M. Balladur de ne pas donner un coup de pouce au Smic, par exemple ?
B. Pons : Non, je crois qu'il a eu raison. En la matière, M. Balladur s'est longuement interrogé, il a beaucoup consulté, et je crois que compte tenu de la difficulté et de la complexité de la situation, ça n'était pas le moment. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas un problème de rémunération, qu'il n'y a pas un problème de salaire. Mais je crois que ça n'était pas le moment, et sur ce point je suis totalement d'accord avec le Premier ministre.
Sylvie Pierre-Brossolette : Le Premier ministre a dit qu'il déciderait au début de l'automne sur la question baisse de charges ou baisse des impôts ; quelle est pour vous la priorité ?
B. Pons : La réponse est tout à fait claire, il faut baisser les charges.
Sylvie Pierre-Brossolette : Donc s'il y avait une baisse des impôts, vous vous insurgeriez ?
B. Pons : Nous avons souhaité une diminution de la pression fiscale, c'est évident, et donc une baisse de l'impôt sur le revenu. Et nous nous sommes réjouis des dispositions qui ont été inscrites dans la loi de finances de 1994, mais aujourd'hui je le répète, la maladie s'est aggravée, la situation est préoccupante. Donc je crois qu'il faut faire un choix.
Philippe Lapousterle : La baisse des charges n'a rien donné jusqu'à présent…
B. Pons : Non, elle n'a rien donné, mais je crois qu'il faut continuer dans cette voie.
Sylvie Pierre-Brossolette : Faut-il exiger une contrepartie du patronat ?
B. Pons : Une contrepartie c'est toujours très difficile, mais je crois qu'il faut ne pas cesser de dire au patronat qu'il a une grande responsabilité en la matière. Et vous savez, dans le livre publié par Jacques Chirac « Une nouvelle France », il y a dans un des chapitres très importants un appel à la responsabilité des entreprises, et à un nouvel esprit à l'intérieur des entreprises, dans le cadre bien sûr de la participation, mais aussi dans le cadre de la vie de tous les jours à l'intérieur de l'entreprise. Et je crois que c'est ça qui est très important.
Philippe Lapousterle : Le 22 et 23 septembre vous allez donc interroger les ministres RPR, et peut-être aussi leur proposer de modifier leur politique ; sur quel point vous paraît-il urgent d'agir, quelles sont les bifurcations que vous souhaiteriez ?
B. Pons : Nous avons vu l'ensemble de la situation économique, je crois qu'il faudrait que le gouvernement, pour soutenir la reprise, utilise un certain nombre d'armes. Alors on peut penser à l'arme budgétaire, à l'arme fiscale, à l'arme monétaire, voilà des pistes qu'il faut examiner, il faudra faire en sorte que l'emploi redevienne un investissement rentable et c'est pour ça que je suis favorable à la diminution des charges, il faut aider les entreprises à être plus citoyennes dans leur comportement, et c'est ça le plus dur.
Philippe Lapousterle : Les aider ou les forcer ?
B. Pons : J'ai dit les aider. C'est ça le problème que nous évoquions il y a un instant.
Sylvie Pierre-Brossolette : Est-ce qu'on peut soutenir la reprise en augmentant les déficits ?
B. Pons : Oui, je le crois, mais enfin c'est un débat que nous devons avoir, je n'ai pas de recette toute tracée. En tous les cas, je le répète, voilà des pistes qui sont tout à fait intéressantes, et qui figurent dans l'ouvrage auquel j'ai fait référence, mais qui est un ouvrage très important pour nous. Je lisais tout à l'heure en rejoignant votre studio que déclaration de Charles Millon qui et le président du groupe UDF à l'Assemblée Nationale, et qui disait « M. Chirac a placé le ton de la campagne là où il fallait ». Et M. Millon se félicitait que dans le livre édité par Jacques Chirac, il a trouvé que cet ouvrage était un peu différent de tous ces ouvrages ennuyeux qu'on impose à des périodes régulières, où l'on fait l'énumération des mesures que l'on va prendre dans le futur.
Sylvie Pierre-Brossolette : La campagne pré présidentielle vient manifestement de commencer, Charles Pasqua vient de déposer sur le bureau du Premier ministre un projet de primaires, vous en avez pris connaissance, est-ce que ça vous semble une bonne formule ?
B. Pons : C'est une formule qui contribue au débat, je dirai. D'abord je crois que, beaucoup l'ont dit avant moi, et en particulier Charles Pasqua m'a dit dans d'autres circonstances, « on ne change pas les règles du jeu avant un match ». Deuxième élément, ces primaires ont pour objet de résoudre le problème de la multiplicité des candidatures, il y a la constitution, la constitution de 58 modifiée en 62 qui fixe les règles de l'élection présidentielle, et qui dit que toute personne qui veut être candidate peut l'être dès lors qu'elle a le parrainage de 500 personnes qui ont les capacités par élection, c'est-à-dire grands électeurs, d'assurer ce parrainage. C'est un élément de la démocratie. Alors j'ai entendu l'autre jour Charles Pasqua qui disait « ce ne sont pas les partis qui doivent désigner les candidats ». Je trouve que, dans le texte que j'ai vu rapidement ce matin, on donne peut-être un petit peu plus de pouvoir d'action aux formations politiques. Et puis ce que je crains, je crains que la principale difficulté, ce soit l'inégalité, et je crains que le conseil constitutionnel n'ait son mot à dire en la matière, car pour pouvoir organiser des primaires, il faut que chaque formation politique corresponde à un certain nombre de critères, et d'autres hommes politiques qui sont susceptibles de créer des formations politiques, ne pourraient pas, en quelque sorte organiser des primaires. Donc il y a là un élément d'inégalité qui mérite d'être examiné. Je crois que cette espèce d'agitation qui est tout à fait éloignée de la réalité des problèmes qui se posent à la France, tout à fait éloignée, ne me paraît pas correspondre à la réalité des choses, et que ceux qui à l'heure actuelle se font le plus champions de ces primaires veulent en quelque sorte faire porter le mistigri par ceux qui n'y seraient pas favorables.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous aviez signé la charte des primaires ?
B. Pons : Oui, mais sur le principe nous sommes tout à fait d'accord. C'était en 1990, on avait le temps de les préparer, et de les préparer convenablement. Et à l'époque, je dirai que les deux grandes formations politiques qui étaient intéressées, qui avaient signé un protocole d'accord, l'UDF et le RPR, n'ont pas donné suite à cela. Alors pourquoi vouloir en quelques sorte forcer le destin ?
Philippe Lapousterle : Donc ça vous paraît impraticable ?
B. Pons : Ça me parait difficile à réaliser, cela dit, nous souhaitons tous qu'il y ait une union de candidature pour les élections présidentielles, bien que nous soyons persuadé que ce n'est pas parce qu'il y a eu plusieurs candidats qu'en 1981 et en 1988 nous ayons perdu.
Sylvie Pierre-Brossolette : C'est parce que les candidats étaient mauvais ?
B. Pons : Non, c'est parce qu'il y a eu d'autres causes. Il y a peut-être des candidats de valeurs inégales, mais on ne peut pas dire qu'aucun des candidats ait été mauvais. Je dis aucun, et Dieu sait qu'il y en a eu beaucoup. Je rappelle qu'en 1974 il y avait dans notre camp pluralité de candidature, et ce n'est pas M. Mitterrand qui avait été élu.
Philippe Lapousterle : Si M. Balladur se présentait à la présidence, que devrait faire M. Chirac à votre avis ?
B. Pons : Avec des « si », on mettrait Paris dans une bouteille…
Philippe Lapousterle : C'est une hypothèse imaginable…
B. Pons : Avec des « si », on mettrait Paris dans une bouteille. Je crois que pour le moment le premier ministre s'efforce de travailler, avec le gouvernement et l'appui et le soutien de la majorité, à redresser une situation qui avait été compromise par des années de socialisme. Je le répète, la tâche est dure, elle est difficile, la situation est préoccupante, il faut que le gouvernement dans sa totalité soit orienté vers ça. Et puis pour les élections présidentielles, on verra.
Sylvie Pierre-Brossolette : Ça serait grave si Balladur se présentait, ou bien on pourrait banaliser la compétition ?
B. Pons : Dans un premier temps, il ne s'orienterait pas dans la direction qu'il avait tracée en 1990, puisque si ma mémoire est bonne, je crois que c'est au mois de juin 1990 qu'il avait écrit dans le journal Le Monde ce que devait être l'attitude du futur Premier ministre, qui devait être à l'écart de la compétition présidentielle pour pouvoir justement avoir l'esprit libre et se consacrer totalement à sa tâche de direction. Mais c'est un problème qui le concerne, M. Balladur est majeur, et c'est un homme responsable. Donc c'est lui qui prendrait cette décision. S'il prenait cette décision, il créerait une situation politique nouvelle, et je ne peux pas vous dire quelles serait la réaction des uns et des autres, et même la mienne, devant cette… nouvelle formule.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous imaginez un peu la vôtre… ?
B. Pons : Oui…
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous seriez triste ?
B. Pons : Triste, certainement.
Philippe Lapousterle : Et décidé à riposter ?
B. Pons : Il ne s'agit pas de riposte, il s'agit d'un comportement. Je verrais à ce moment-là, mais nous n'y sommes pas, nous ne sommes pas dans cette situation, et pour le moment je le répète, nous sommes dans la situation qui a été créée par les élections législatives de mars 93, avec une très large majorité d'où est issu un gouvernement. Ce gouvernement est lié à la majorité, et la majorité est liée au gouvernement. Ça n'est pas à sens unique, ce n'est pas la majorité qui est liée seulement au gouvernement. Le gouvernement est lié à la majorité, et la communication doit se faire dans les deux sens, et on doit pouvoir s'exprimer très calmement et très franchement entre le gouvernement et la majorité.
Philippe Lapousterle : Vous considéreriez que ce serait une mauvaise nouvelle pour la majorité qu'il y ait plusieurs candidats UDF et RPR au premier tour de la présidentielle ?
B. Pons : Tout le monde souhaiterait une candidature unique, parce que la candidature unique évite quelquefois les affrontements. Mais nous sommes en démocratie, et plus la crise est grave, plus le débat doit être clair et démocratique. C'est la raison pour laquelle je pense que l'élection présidentielle ne doit pas être faite au rabais. Je pense qu'il faut qu'il y ait un temps assez long pour que chacun de celles ou ceux qui estimeront qu'ils ont les capacités pour se présenter à l'élection présidentielle, puisent présenter aux Français l'ambition pour la France dont ils sont porteurs, et les projets dont ils sont porteurs. Car qu'est-ce qu'il va découler de l'élection présidentielle ? Bien sûr, c'est l'élection d'un homme ou d'une femme, d'un personnage, d'une personnalité, mais c'est surtout un projet politique pour les 7 ans qui viendront, et un projet politique qui déterminera la politique de la France. Donc, compte tenu de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, nous n'avons pas le droit de faire une campagne électorale au rabais, nous avons le devoir au contraire d'examiner les projets politiques des uns et des autres.
Sylvie Pierre-Brossolette : Pensez-vous qu'un premier ministre fait forcément une campagne au rabais car il n'a pas le temps de réfléchir à un projet, étant pris par ses tâches de gestion ?
B. Pons : Mais ça n'est pas du tout ce que je viens de dire, je ne parlais pas du Premier ministre lorsque je parlais d'une campagne électorale au rabais. Je parle d'une campagne électorale au rabais si on veut la limiter dans un laps de temps étroitement court, et qui ne permettrait pas le débat de fond sur les ambitions pour la France, sur les projets pour la France.
Sylvie Pierre-Brossolette : C'est ce que souhaite Balladur, il parle de janvier 95…
B. Pons : Mais ça c'est un autre problème, car si nous nous cantonnons dans une campagne trop courte, nos concitoyens n'auront pas le temps d'analyser dans le détail les projets dont les uns et les autres seront porteurs, et on se contentera d'une espèce de campagne médiatique, d'un show médiatique, qui est tout à fait dangereux pour la démocratie.
Philippe Lapousterle : Quelle est la meilleure de ces deux formules qui ont été utilisées par le PR : « ne pas étouffer le débat d'idées sous l'édredon de l'union », ou « ne pas étouffer l'union sous l'édredon du débat des idées » ?
B. Pons : Je suis trop lié avec mes amis du PR, qui appartiennent à l'UDF, pour porter le moindre jugement en la matière.
Sylvie Pierre-Brossolette : VGE vous semble-t-il avoir changé ?
B. Pons : Oui, beaucoup, d'ailleurs tout le monde change. Le monde change et les hommes aussi. J'ai écouté le président Valéry Giscard d'Estaing il n'y a pas très longtemps, je le vois régulièrement dans les rencontres des responsables de la majorité qu'organise le Premier ministre à l'hôtel Matignon, il est certain que l'expérience l'a mûri. Il est certain que l'échec de 1981, qui l'a durement éprouvé, il l'a exprimé encore il y a peu de temps, l'a aussi fait mûrir et l'a amené à une réflexion plus grande. Il a lui-même dit qu'il avait été élu peut-être un petit peu jeune, et qu'aujourd'hui il ne se lancerait peut-être pas dans des actions comme celles qu'il avait entreprises à l'époque. Effectivement je crois, il a changé.
Philippe Lapousterle : Ça serait un bon président, c'est ça ?
B. Pons : Vous tirez des conclusions de propos que je tiens sur une analyse qui me paraît être une analyse fondée.
Philippe Lapousterle : Merci M. Pons. Prochain Forum, vendredi prochain.
France 2 : mardi 12 juin 1994
G. Leclerc : N'est-on pas en train de se faire piéger au Rwanda ?
B. Pons : Non. La France a eu raison de prendre la décision qui a été prise il y a quelques temps, en accord avec le président de la République et le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Le Premier ministre est allé hier à l'ONU. Il a eu des conversations avec le secrétaire général des Nations unies. Il a demandé que l'ONU remplace les troupes françaises. On ne peut pas dire qu'il n'a pas réussi, pour le moment. Il a reçu des assurances. Les troupes françaises se dégageront progressivement dans la mesure où les troupes de l'ONU s'installeront.
G. Leclerc : Comment interpréter le message du FPR qui demande à la France de se retirer avant le 31 juillet ?
B. Pons : Le FPR a déjà dit à plusieurs reprises comment il considérait l'intervention française. C'est une intervention humanitaire. Depuis que les troupes françaises sont intervenues, à aucun moment la nature de l'intervention n'a été déviée de son origine.
G. Leclerc : Des élus RPR se sont émus du fait de voir les troupes de l'Eurocorps défiler le 14 juillet. Votre avis ?
B. Pons : On ne peut pas parler de polémique. Dès lors qu'il s'agit d'Eurocorps, le problème est différent : ce ne sont pas des troupes allemandes qui défileront. M. Caldagues a publié un rapport qui démontre qu'on ne peut pas attendre de l'Eurocorps les résultats qu'on était en droit d'attendre aussi rapidement. Mais il n'y a pas de rapport direct avec le défile sur les Champs-Élysées.
G. Leclerc : D. Baudis n'est pas content que les élus RPR de Strasbourg aillent siéger dans un groupe autonome.
B. Pons : Il était prévu effectivement que les élus de la liste d'union siègent ensemble. Mais il est apparu que cela était très difficile. Même au sein de l'UDF, le problème se pose, puisqu'un élu de l'UDF, M. Galland, n'ira pas dans le PPE, mais au groupe libéral. Les élus RPR se sont regroupés entre eux, mais ils ont voulu établir des liens avec le PPE. Il y a en ce moment des négociations avec le président du PPE pour savoir de quelle manière le groupe des élus RPR peut s'associer à l'intérieur du PPE. M. Baudis aura en grande partie satisfaction.
G. Leclerc : Les primaires, une bonne idée ?
B. Pons : M. Pasqua est opiniâtre dans sa démarche. Mais c'est un peu tard. À l'heure actuelle, il faudra trouver d'autres voies pour dégager un meilleur dénominateur commun à l'intérieur de la majorité actuelle pour la perspective des présidentielles. C. Million a fait une proposition à laquelle j'ai souscrit : que tous les responsables de la majorité se réunissent pour essayer de définir les grandes lignes des projets de réforme qui devraient être portés par notre candidat à l'élection présidentielle. C'est peut-être une autre démarche qui mérite d'être étudiée et qui s'inscrit peut-être davantage dans les perspectives prochaines de l'élection présidentielle.
G. Leclerc : J. Chirac, candidat naturel ?
B. Pons : C'est le candidat nature du RPR. Mais nous sommes en démocratie. Tout le monde peut être candidat à l'élection présidentielle, dès lors qu'il recueille les 500 parrainages qui sont prévus par la loi.
G. Leclerc : Peut-on imaginer deux candidats du RPR ?
B. Pons : Ce serait une mauvaise chose. Il faut qu'à l'intérieur d'une famille les choses soient précisées. Mais comme dans toutes les familles, il peut y avoir ici ou là des analyses différentes. J'ai dit qu'il fallait que le débat pour l'élection présidentielle soit un débat suffisamment long pour que les Français soient clairement informés du projet politique dont chaque candidat sera porteur.
G. Leclerc : À l'UDF, on dit que si Balladur n'est pas candidat, il faudra un candidat UDF. On avance le nom de F. Léotard.
B. Pons : C'est une démarche tout à fait normale. Chaque formation politique peut avoir son projet politique et son candidat porteur de son projet. C'est la démocratie. Nous ne sommes pas dans une situation de parti unique.
G. Leclerc : Êtes-vous d'accord quand A. Juppé dit que c'est sur l'emploi que l'on jugera la majorité ? Le gouvernement s'y prend-il bien ?
B. Pons : Je suis tout à fait d'accord avec A. Juppé. Je l'avais dit à certains de vos confrères. Ce sera le grand dossier qui sera au cœur de l'élection présidentielle.
G. Leclerc : La politique du gouvernement va dans le bon sens ?
B. Pons : Le gouvernement a fait beaucoup d'efforts. Mais comme les résultats ne sont pas au niveau de ce qu'on pouvait espérer, j'ai demandé il y a quelques jours qu'un dialogue s'ouvre entre le gouvernement et sa majorité pour voir s'il n'y a pas d'autres mesures à prendre dans un domaine qui est au cœur des préoccupations de nos concitoyens.
G. Leclerc : On peut faire mieux.
B. Pons : On peut toujours faire mieux.