Texte intégral
France 2 : Mardi 12 avril 1994
G. Leclerc : Votre ennemi, c'est Maastricht, c'est le GATT. Est-ce que ce n'est pas des boucs émissaires faciles ? Est-ce que cela ne tourne pas un peu à l'obsession chez vous ?
P. de Villiers : Il y a deux planètes que l'on a mises en contact. Notre planète à nous, avec notre civilisation, avec nos salaires, nos charges sociales, nos entreprises, etc. Et puis une autre planète, avec des très bas salaires, avec des pays qui ne respectent pas nos normes d'hygiène, nos normes de protection sociale, nos normes d'environnement. Vous ne pouvez pas mettre dans une concurrence égale des entreprises qui ne jouent pas avec les mêmes règles du jeu. C'est pourquoi nous disons qu'il faut faire la préférence communautaire. C'est-à-dire donner la priorité à nos emplois, aux emplois européens. C'est-à-dire ne laisser entrer de l'extérieur que les produits et les services qui ne viennent pas détruire nos emplois. Il ne s'agit pas d'être des protectionnistes, il s'agit de faire l'Europe du traité de Rome. C'était un grand marché libre de 350 millions d'habitants, mais protégé par rapport à l'extérieur.
G. Leclerc : On va vous répondre que le commerce extérieur français est excédentaire. Et puis les importations venant de ces pays du sud-est asiatique, cela ne représente que 5 % des importations françaises. C'est peu de chose…
P. de Villiers : On est dans une situation étonnante. On est le quatrième pays exportateur du monde, on est un pays qui s'enrichit en valeur ajoutée, mais qui s'appauvrit en emplois. Pourquoi ? Parce qu'on exporte de plus en plus de biens à haute valeur ajoutée et à faible densité de main d'œuvre et on importe de plus en plus de biens à forte densité de main-d'œuvre et à faible valeur ajoutée. Or, pour nous, il y a des choses qui sont plus importantes que le commerce mondial, que le libre-échangisme mondial, c'est le libre-échange à l'intérieur de l'Europe. Le plus grand marché libre du monde, mais protégé à l'extérieur pour garder nos emplois. Parce que si on se met tous aux prix mondiaux, il ne restera plus chez nous de pêcheurs, d'agriculteurs, plus d'industrie, de main-d'œuvre, plus d'industrie électronique. Il ne restera plus que le tourisme.
G. Leclerc : Et en quoi Maastricht serait responsable de cette situation ?
P. de Villiers : Dans le traité de Rome, il y avait un article 3 qui prévoyait le tarif extérieur douanier commun. Or, dans le système de Maastricht, le nouvel article 3, c'est le marché libre dans une économie ouverte. C'est-à-dire que l'idéologie de la commission de Bruxelles, qui pour moi est un organisme totalitaire, c'est-à-dire un pouvoir sans contrôle populaire, c'est une idéologie qui est libre-échangiste. Vous savez quelle est une des dernières directives de la Commission de Bruxelles ? Il faut voir à quoi ils s'occupent. Ils ont pris une directive qui interdit l'utilisation de certains asticots à la pêche parce qu'ils disent que les asticots ont le stress quand on les met au bout de l'hameçon. C'est peut-être vrai, mais est-ce que c'est à la Commission de Bruxelles de s'occuper de ce problème ? Elle ferait mieux de s'occuper de notre protection commerciale.
G. Leclerc : Vous avez écrit que la France avait abdiqué sa souveraineté, qu'il y aurait une alliance entre les socialistes et une partie de la droite pour que la France meure. Comment vous pouvez encore soutenir un gouvernement qui va vers cette politique ?
P. de Villiers : Je souhaite le succès de M. Balladur et de son gouvernement parce que cela serait l'échec de la France. Mais je constate que M. Mitterrand qui est en charge des affaires extérieures de la France poursuit la politique, avec M. Delors, qui est la politique d'une Europe du chômage, de l'insécurité, de la technocratie. Je suis persuadé qu'il y a une immense majorité des Français aujourd'hui qui sont pour une autre Europe. C'est-à-dire une Europe de l'emploi européen qui donne la priorité à nos emplois en Europe. Deuxièmement, une Europe de la démocratie et donc des peuples. C'est-à-dire qu'aucune directive ne doit avoir été prise avant d'avoir été votée par les parlements nationaux. Puis troisièmement, comment a-t-on pu démanteler nos contrôles aux frontières en appliquant par avance le traité de Schengen, alors qu'aujourd'hui l'urgence de l'urgence, c'est de rétablir le contrôle aux frontières ?
G. Leclerc : Vous êtes très prêt des positions de M. Le Pen…
P. de Villiers : Il faut être aveugle pour ne pas voir, ce que l'on a sous les yeux. Et quand j'entends M. Baudis qui mènera sa liste centriste aux élections européennes, ou M. Rocard, c'est exactement le même discours. Vous savez ce que je voudrais. Si on avait seulement 10 % du temps de parole des grandes listes, si on pouvait passer 10 % de M. Tapie, si on pouvait avoir une heure de vérité. Mieux si vous pouviez organiser sur France 2 un face à face Villiers – Goldsmith – de Gaulle et puis en face Baudis – Rocard. Parce que Mme Trautmann a dit Baudis-Rocard, c'est exactement le même programme. Vous savez où vont siéger les élus de la liste de M. Baudis. Au parti populaire européen dont la charte constitutive porte en filigrane la fusion des nations, la disparition de la France. Il faut que les Français le sachent.
Globe Hebdo : 13 avril 1994
Globe Hebdo : Pourquoi se présenter à des élections européennes quand on est, comme vous, à ce point antieuropéen ?
Philippe de Villiers : Je suis simplement contre une certaine forme d'Europe, celle de Maastricht. La nuance est de taille : notre liste se battra pour une « autre Europe ».
Globe Hebdo : Dont la principale caractéristique sera…
Philippe de Villiers : Nous souhaitons construire l'Europe avec une France forte et indépendante. Or la majorité des apparatchiks de Bruxelles et des « maastrichtiens », de droite comme de gauche, sont persuadés que, pour que l'Europe naisse, il faut que la France meurt.
Globe Hebdo : Voilà un discours qui rappelle curieusement celui de Chevènement… De qui vous sentez-vous le plus proche : de Baudis ou de Chevènement ?
Philippe de Villiers : De Chevènement, incontestablement…
Globe Hebdo : Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir fait liste commune avec lui ?
Philippe de Villiers : L'idée m'a traversé l'esprit. J'estime beaucoup le personnage, son courage politique comme son envergure intellectuelle. Nous partageons la même conception de la nation. Pour faire court, je vous dirais que tout nous sépare sauf… l'essentiel.
Globe Hebdo : Et comment jugez-vous Dominique Baudis ?
Philippe de Villiers : J'ai de l'amitié pour Baudis. C'est un bon maire de Toulouse… Nous aurons face à face, la liste du « petit-fils de Jean Lecanuet » – c'est ainsi que Dominique Baudis se présente – et celle où figure le petit-fils de Charles de Gaulle (1). Éloquent, non ?
Globe Hebdo : La liste la plus gaulliste, ce ne serait donc pas celle que soutient le RPR, mais la vôtre…
Philippe de Villiers : Le projet européen de M. Baudis annonce la fin de l'État-nation. Par conséquent, en juin, les électeurs auront à choisir entre notre liste, celle de l'Europe des peuples, et celle des « deux listes siamoises » – pour reprendre l'expression de Catherine Trautmann –, celle du PS et celle de PUDF-RPR.
Globe Hebdo : Il y en a d'autres, comme celle du FN. Pourquoi ne pas avoir conclu d'alliance avec Le Pen pour ce scrutin ?
Philippe de Villiers : La France ne s'est pas faite dans un hurlement. Elle est fille de la durée, de l'harmonie, de l'ouverture et de l'hospitalité. Je ne vois pas comment Jean-Marie Le Pen pourrait y contribuer. Ma France n'est pas celle de Le Pen.
Globe Hebdo : On vous crédite de 4 % à 5 %. Cela vous semble objectif ?
Philippe de Villiers : Ce ne sont pas les chiffres de certains instituts de sondages qui fixent déjà mon score autour de 7 %. Enfin, ça, c'était dans l'hypothèse d'une liste UDF-RPR conduite par Deniau. Alors, avec Baudis…
Globe Hebdo : À vous écouter, on se demande ce que vous faites dans cette majorité…
Philippe de Villiers : J'exerce une fonction tribunicienne. Il y a la majorité qui attend, celle du peuple, et la majorité qui abdique, celle des appareils. Ce n'est pas la même. Moi, je parle au nom de la première…
Globe Hebdo : Vous risquez d'être taxé de « dérive poujadiste » !
Philippe de Villiers : De dérive quoi ?
Globe Hebdo : Pou-ja-diste.
Philippe de Villiers : (Sourire.) En 1956, je n'étais pas très vieux… Je devais avoir sept ans. Donc, le poujadisme, je ne sais pas bien ce que c'est. Non, sérieusement, ces accusations de poujadisme sont aussi lassantes qu'injustifiées.
Globe Hebdo : Dans votre livre (2), vous n'êtes pas tendre avec Édouard Balladur. Vous lui reprochez d'être trop mou : « Là où Thatcher aurait tenu, Balladur cède systématiquement… »
Philippe de Villiers : Est-ce inexact ?
Globe Hebdo : Vous pourriez, comme d'autres au PR, lui trouver des circonstances atténuantes…
Philippe de Villiers : Quoi qu'on pense de la loi Falloux ou du CIP, les reculades systématiques du gouvernement font qu'Édouard Balladur est en train de perdre son crédit.
Globe Hebdo : Vous semblez en total désaccord avec l'UDF. Pourquoi y restez-vous ?
Philippe de Villiers : Bonne question. J'y apporterai une réponse pendant la campagne des européennes.
Globe Hebdo : À propos du chômage, et de la responsabilité des gouvernements successifs, vous parlez d'un « Verdun quotidien » résultant d'un « Juin 40 mental ». Songez-vous à un « procès de Riom politique » ?
Philippe de Villiers : Si j'ai employé ces expressions au sujet de Maastricht, c'est parce qu'il me semble que c'est la première fois que la France, sans être envahie, et en temps de paix renonce à des pans entiers de sa souveraineté ! Il faut remonter à l'Occupation, sous Pétain, pour voir cela. À Bruxelles s'est mis en place un pouvoir aux attributions croissantes. Alors, après cela, si M. Baudis, qui défend cette Europe-là, fait une campagne sur le thème de la démocratie…
Globe Hebdo : Puisque vous venez d'évoquer Pétain, peut-on vous demander ce que vous inspire le procès Touvier ?
Philippe de Villiers : M. Touvier, je n'en pense pas du bien. Il fait partie de ces Français qui ont trahi, et le fils de résistant que je suis ne peut l'oublier.
Globe Hebdo : En 1995, qui serait susceptible de défendre vos idées… à part vous-même ?
Philippe de Villiers : (Rires) Je suis encore trop jeune pour avoir pété une durite ! Mon tour n'est pas encore venu. Une personnalité comme Philippe Séguin a des qualités d'homme d'État qui ne sont plus à prouver. Il serait susceptible, tout comme Charles Pasqua, d'incarner une « autre politique » au sommet de l'État.
Entretien avec Éric Mandonnet et David Martin
(1) Le petit-fils du général de Gaulle, Charles de Gaulle, occupe la troisième place sur la liste de Villiers.
(2) « La Société de connivence », Albin Michel (95F).
RTL : Vendredi 29 avril 1994
J.-J. Bourdin : Est-ce que vous ne reconstituez pas les batailles du passé, à travers vos propos ?
P. de Villiers : Je dirai que D. Baudis pense certainement plus à M. Rocard, dont il est l'acolyte dans cette campagne pour accomplir le Traité de Maastricht, plutôt qu'à moi. Je vais vous dire pourquoi Maastricht n'est pas une bataille du passé, parce que le traité de Maastricht s'applique, le libre-échangisme mondial qui se traduit par l'hémorragie de tous nos emplois. Au lieu de faire le marché commun libre et protégé, nous sommes en train de faire de l'Europe une Europe passoire. La technocratie qui nous dirige, qui fait 80 % de nos lois, au lieu de faire l'Europe des peuples, l'Europe de la démocratie, fait l'Europe de la technocratie c'est-à-dire de 17 commissaires, des hauts fonctionnaires irresponsables, despotiques et irrévocables. Moi je ne l'accepte pas, je n'accepte pas ce pouvoir sans contrôle populaire. Au lieu de faire l'Europe que veulent les gens, l'Europe de la sécurité en rétablissant nos contrôles aux frontières, au contraire, on fait l'Europe de l'insécurité, le marché commun du banditisme et de la drogue. Maastricht, c'est l'idée d'aller vers la fusion des nations. Ce qui me choque le plus dans la liste centriste de D. Baudis, qui a choisi comme première colistière H. Carrère d'Encausse qui était la présidente du comité national pour Maastricht, c'est que cette liste prévoit que les futurs députés européens siégeront au Parti populaire européen, dont la charte constitutive porte en filigrane la disparition des nations, c'est-à-dire la disparition de la France.
J.-J. Bourdin : Comment expliquer le choix de H. Carrère d'Encausse ?
P. de Villiers : Il paraît qu'elle a pris sa carte il y a trois jours, je trouve cela un peu affligeant parce que c'est une femme brillante, une grande intellectuelle qui n'a pas du tout les mêmes opinions que les miennes puisqu'elle est attachée au processus de Maastricht.
J.-J. Bourdin : S'est-on placé dans une perspective présidentielle ?
P. de Villiers : Je crois que les appareils ont commis une grosse erreur. Ils ont pensé pouvoir faire du saute-mouton au-dessus de l'élection européenne. Il y a un ministre qui a dit « les élections européennes ce sera un sondage grandeur nature payé par les contribuables ». Je trouve cela détestable. Il y a une grande échéance, une des dernières occasions où les Français vont avoir à se prononcer sur leur destin. C'est la première fois qu'en temps de paix, la France a abdiqué des pans entiers de sa souveraineté, de nos prérogatives. C'est une occasion unique d'envoyer un message à nos gouvernants, à F. Mitterrand en particulier, pour dire « voilà l'Europe que nous voulons », nous voulons l'Europe des nations. Un message à Strasbourg et à Bruxelles pour dire écoutez, vous arrêtez la machine, on ne veut pas de ce processus où se sont les fonctionnaires qui commandent. Je trouve qu'il est bien dommage que les appareils aient fait l'impasse sur les élections européennes, mais je considère qu'aujourd'hui il y a deux listes de la majorité, comme la plupart des Français le considèrent d'ailleurs. La liste de D. Baudis est une liste centriste qui veut le super-État de Maastricht, Maastricht plus Schengen plus le GATT. Il y a une autre liste qui représente la majorité de la majorité, de tous ceux qui veulent que l'on sorte du processus de Maastricht. D. Baudis fait l'Europe du passé, l'Europe de la technocratie, moi je pense que nous préparons l'Europe de l'avenir, l'Europe des peuples, l'Europe des nations, l'Europe de la démocratie.
J.-J. Bourdin : De nouveaux noms à annoncer ?
P. de Villiers : Oui certainement. J'attends de savoir qui sont les noms de la liste Baudis. D. Baudis a l'intention de prendre B. Stasi. J'ai choisi de prendre P. Martin. Quelle est la différence entre les deux ? P. Martin est de la même région que B. Stasi mais il a battu B. Stasi deux fois aux élections législatives et il est sans étiquette. B. Stasi était soutenu par les appareils. C'est une sorte de signe prémonitoire.
J.-J. Bourdin : D'autres noms ?
P. de Villiers : Pour l'instant, il faut attendre des femmes et des hommes de renom mais surtout de conviction. Notre liste n'est pas une liste de circonstance, ni de rattrapage, pas une liste d'appareil, pas une liste d'apparat. Nous avons une ligne cohérente. C'est l'Europe des peuples, de la démocratie, de la sécurité et puis l'Europe de la préférence communautaire.
J.-J. Bourdin : S. Berlusconi est président du Conseil avec les néo-fascistes. Vous seriez italien, vous auriez voté pour le mouvement néo-fasciste ?
P. de Villiers : Je ne suis pas italien et donc je ne peux pas porter de jugement sur S. Berlusconi. Ce que j'entends me rend un peu stupéfait parce que j'entends le responsable des néofascistes italiens qui se considère comme étant postfasciste et il se réclame de J. Chirac plutôt que de Mussolini. C'est embêtant pour J. Chirac qui n'a rien à voir avec ce type d'idéologies. Cela veut dire qu'il y a là-bas une sorte de confusion des idées qui est telle que les gens disent n'importe quoi. Je ne sais pas comment M. Berlusconi va s'en sortir avec les fascistes qui veulent l'hypercentralisation et le dirigisme et la Ligue Lombarde qui veut l'extrême décentralisation jusqu'à la destruction de toute forme d'Etat confédéral.
J.-J. Bourdin : G. Longuet se défend d'avoir financé des affaires privées avec de l'argent dont on ne connaîtrait pas l'origine. Les juges vont-ils trop loin ?
P. de Villiers : Je crois qu'il y a un processus judiciaire en cours. On ne commente pas les processus judiciaires. La France est au bord d'une véritable septicémie, une espèce de méfiance à l'égard des hommes politiques. Les partis politiques doivent faire le ménage chez eux et s'ils ne le font pas, c'est à la justice de le faire. Il faut que la justice soit impitoyable. Il n'y a pas deux catégories de citoyens, les citoyens et les hommes politiques. Il y a tellement d'hommes politiques, d'élus qui sont admirables, l'immense majorité, qui sont des mécènes de leur temps, de leur argent et qui donnent pour la collectivité et qui croisent le regard injuste de suspicion de leurs concitoyens parce qu'il y en a quelques-uns qui trichent. C'est à la justice de faire son travail. Je ne suis pas un justicier. Je n'ai pas à me substituer à la justice. On a le droit de réclamer que la justice soit la même pour tous et que personne ne puisse arrêter son bras.
Forum RMC-L'Express : Vendredi 29 avril 1994
Sylvie Pierre-Brossolette : Berlusconi est aujourd'hui président du conseil pressenti, chargé de former un gouvernement, parmi ses alliés on trouve des postfascistes, cela vous choquerait-il qu'il y ait en Italie plusieurs ministres de l'alliance nationale, au niveau européen faudrait-il réagir, Fabius et Lang suggèrent déjà de boycotter le futur gouvernement italien, et Delors au nom de la Commission affirme que cela posera un gros problème à l'Europe ; cela poserait-il un gros problème à Philippe de Villiers ?
Philippe de Villiers : Je me garderai bien de juger la situation italienne telle qu'elle est, avec nos critères à nous. L'Italie sort d'un système de « partitocratie » de la corruption, ça c'est un point positif. Mais elle entre dans un nouveau système dont nous ne savons pas ce qu'il sera. Chacun voit bien que Berlusconi est un chef d'entreprise qui a réussi, il s'est entouré d'un conglomérat hétéroclite et parfois même insolite, les néo-fascistes disent qu'ils sont postfascistes, je dirai que Berlusconi doit se poser trois questions simples : sont-ils de démocrates, oui ou non, sont-ils des racistes oui ou non, sont-ils des dirigistes au sens corporatiste, au sens du fascisme oui ou non ? Et quelle est leur sincérité ?
Sylvie Pierre-Brossolette : Et quelle est votre réponse ?
Philippe de Villiers : Moi ma réponse à moi, je ne juge pas de la situation italienne que je ne connais pas, je ne préjuge pas de ce qu'il y a dans la tête et dans le cœur de M. Berlusconi. Je me garderai de porter un jugement avant de savoir ce qu'il va faire, ce qu'il compte faire.
Sylvie Pierre-Brossolette : Ces néo-fascistes sont des vrais fascistes ou ce sont des gens fréquentables ?
Philippe de Villiers : À priori, à partir du moment où ils s'intitulent postfascistes, ils ont avec le fascisme un lien qu'on ne peut que rejeter. Mais quand M. Fini se réclame d'une sorte de lien idéologique et affectif avec M. Chirac, on ne peut pas considérer que M. Chirac soit un postfasciste, ça n'est pas sérieux. C'est-à-dire que M. Fini se dit postfasciste, il dit « le fascisme c'est fini, moi je suis postfasciste », et il dit en même temps « moi mon modèle ce n'est pas Mussolini, c'est Jacques Chirac ». Alors écoutez M. Lapousterle, est-ce que vous avez l'impression que Jacques Chirac est postfasciste ? Ce n'est pas sérieux. Alors moi je ne peux pas vous dire, j'attends de voir. L'Italie, c'est tellement compliqué.
Philippe Lapousterle : Il y a quand même des moments où en attendant de voir, et pour avoir trop attendu de voir, des catastrophes sont arrivées. Faut-il être très attentif à ce qui se passe en Italie ?
Philippe de Villiers : Pardonnez-moi, mais vous avez fait beaucoup, les médias en général, pour porter Berlusconi là où il est, dans toute l'Europe. On a parlé de Berlusconi, le phénomène médiatique est affolant, il y a deux hommes qui sont montés ensemble dans les médias, c'est Berlusconi et Tapie. Il y a un chef d'entreprise et un ferrailleur. À force de les monter au niveau où ils sont maintenant, il y en a un qui va être président de la république italienne, Berlusconi, le chef d'entreprise, et il va y avoir le ferrailleur qui peut être président de la république française, on y va tout droit. Alors vous me dites, « avant qu'il ne soit trop tard », faites votre travail avant qu'il ne soit trop tard, donnez-nous la parole, merci de me la donner ce soir, plutôt qu'à des ferrailleurs qui font du bricolage médiatique, de l'esbroufe et de la tricherie.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous avez commencé votre campagne à la tête de votre liste, pour l'instant les sondages vous donnent un maximum de 5 %, êtes-vous déçu de ce score et que comptez-vous faire pour le remonter ?
Philippe de Villiers : D'abord je voudrais vous dire, je ne crois pas du tout aux sondages universels, je crois au suffrage universel. Je ne crois pas non plus aux sondages objectifs, les sondeurs ont besoin de vivre, Madame. Je n'en dirai pas plus, sauf que moi, les sondages que j'ai ne sont pas tout à fait ceux qui sont publiés. Mais peu importe, admettons que nous soyons à 5, eh bien, on va voir la suite. Il y a quand même un certain nombre de choses qui me frappent : d'abord, la liste Baudis commence à être clairement identifiée, un programme maastrichtien, un programme qui veut la monnaie unique, le traité de Schengen tout de suite, le GATT tout de suite. C'est ça le programme de M. Baudis, avec le 12 juin prochain des députés européens qui iront rejoindre le parti populaire européen dont la charte constitutive, c'est la disparition des nations, c'est la fusion des nations, c'est-à-dire l'Europe fédérale, le super-état de Maastricht, c'est ça la liste de M. Baudis. M. Baudis a d'ailleurs choisi pour le seconder la présidente du comité national du oui qui coprésidait ce comité avec M. Jack Lang et Mme Elisabeth Guigou, Mme Carrère d'Encausse.
Sylvie Pierre-Brossolette : Que pensez-vous de cette dame ?
Philippe de Villiers : Elle est brillante, elle s'est beaucoup trompée comme tous les gens brillants, et comme les universitaires qui prennent des risques. Mais il faut lui reconnaître le mérite d'avoir tenté quelques prémonitions. Elle n'a pas vu le monde tel qu'il s'est écroulé, mais peu importe qu'on le voie à l'envers ou à l'endroit pourvu qu'on tente quelque chose, donc je lui reconnais le mérite de prendre des risques, et le risque qu'elle prend c'est d'appuyer M. Baudis, clairement identifié comme un leader centriste du oui à Maastricht, en apportant son prestige d'ancienne présidente du comité du oui. Ça je crois que c'est un élément important parce que je suis persuadé qu'un certain nombre de français, qui pour l'instant regardent M. Baudis comme un homme médiatique et lointain, d'ailleurs de plus en plus lointain et de plus en plus abstrait puisqu'on ne le voit pas autrement qu'en images, on n'entend pas M. Baudis parler de son programme sinon pour dire des banalités. Le jour où le débat va vraiment s'engager, les choses vont changer. Moi je le vois sur le terrain, hier soir j'étais à Montfermeil, il y avait plus de 600 personnes, il y avait à Bordeaux 1 500 personnes, à Nantes 2 000, etc. Alors vous me direz, ça ne veut rien dire, les salles. Ça ne veut rien dire, mais au moment de Maastricht, ça ne voulait pas dire grand-chose non plus, mais il y avait un phénomène d'hystérésis que je retrouve : c'est-à-dire que je pense que les sondages sont en net décalage par rapport à la réalité.
Philippe Lapousterle : Quel serait votre rôle si, dans la liste de M. Baudis qui est en fait la liste de la majorité…
Philippe de Villiers : Non, c'est une des listes de la majorité. Il y a deux listes de la majorité : il y a la liste centriste de M. Baudis et de Mme Carrère d'Encausse, le oui à Maastricht, Schengen, le GATT, il y a une autre liste de la majorité qui continue le combat engagé avec Philippe Séguin et Charles Pasqua, qui est la liste Philippe de Villiers, Jimmy Goldsmith d'entreprise, et Charles de Gaulle le petit fils du général de Gaulle.
Philippe Lapousterle : Sauf que MM. Pasqua et Séguin ne votent plus pour cette liste…
Philippe de Villiers : Ça, écoutez, si vous êtes capable de sonder les reins et les cœurs, et d'aller faire une auscultation à domicile…
Philippe Lapousterle : Vous pensez que M. Séguin va voter pour votre liste ?
Philippe de Villiers : Comment pouvez-vous penser une seconde que MM. Pasqua et Séguin aient changé d'avis ? Quand on voit que les promesses de Maastricht n'ont pas été tenues : Maastricht c'est la paix alors que c'est la guerre et la lâcheté ; Maastricht c'est plus d'emplois alors que c'est le chômage, comment pouvez-vous penser une seconde que MM. Pasqua et Séguin aient pu changer d'avis ? Je suis convaincu que MM. Pasqua et Séguin partagent ce combat dans l'intimité de leur conscience et de leur cœur, j'en suis convaincu. Et c'est pour moi une raison supplémentaire de le mener, ce combat, parce que la place où ils sont ne leur permet d'avoir la liberté qui est la mienne. Mais quand Philippe Séguin, avec beaucoup de bon sens, s'est plaint il y a deux jours de ce que le parlement français était traité par profits et pertes par la commission des hauts fonctionnaires de Bruxelles qui ne tient pas compte des avis qui sont donnés sur les projets de directives, M. Séguin était tout à fait dans son rôle de président de l'Assemblée nationale, et en le lisant je me disais quel talent et quelle conviction…
Philippe Lapousterle : Si ce que vous dites était vrai, il serait venu sur votre liste, ce qui n'est pas le cas…
Philippe de Villiers : Ecoutez, moi j'étais le troisième porte-drapeau du non, loin derrière eux en notoriété, derrière Philippe Séguin qui a eu le mérite d'ouvrir le grand débat sur Maastricht, c'est lui qui l'a ouvert, avec Marie-France Garaud et Charles Pasqua, qui a été le grand porte-drapeau populaire du non à Maastricht. Depuis, l'un est ministre de l'Intérieur, l'autre est président de l'Assemblée nationale, chacun son rôle, à sa place, mais chacun fait on travail.
Philippe Lapousterle : Quelle serait votre réaction si la liste menée par M. Baudis comprenait des gens qui se sont ouvertement prononcés contre le traité de Maastricht ?
Philippe de Villiers : D'abord, pour l'instant ce n'est pas le cas, les deux noms symboliques, les deux premiers, sont des maastrichtiens patentés, des maastrichtiens fanatiques, enthousiastes, et qui d'ailleurs ont commis un programme qui est affolant, qui est un programme Maastricht-plus, Schengen-plus, GATT-plus. C'est ça la liste de M. Baudis.
Sylvie Pierre-Brossolette : Le RPR a signé trois fois, M. Juppé dit que ce programme est épatant, qu'il reflète exactement sa pensée ; M. Juppé est un hystérique de l'Europe ?
Philippe de Villiers : Je crois que M. Juppé a considéré qu'il fallait faire du saute-moutons sur les élections européennes, et que ce qui était important c'était l'élection présidentielle. Mais M. Longuet, qui a dit cette phrase qui restera fameuse pour moi, « il faut considérer les élections européennes comme un sondage grandeur nature payé par les contribuables », bravo, merci pour le suffrage universel et merci pour les citoyens. Ce que je voudrais dire, c'est ceci : dans le programme de M. Baudis, il y a trois points communs avec le programme de M. Rocard. D'abord le Parti Populaire Européen est très proche des convictions du Parti Socialiste, c'est-à-dire l'Europe fédérale, la disparition des nations. Ça pour moi, c'est extrêmement grave, c'est un engagement solennel du programme écrit de M. Baudis. Deuxièmement, on continue la monnaie unique, on continue le traité de Schengen, on continue le libre-échangisme mondial. Troisièmement, ce que demande le programme de M. Baudis, co-signé par Mme Hélène Carrère d'Encausse, présidente du comité national du oui, c'est que le nombre de cas requérant un vote unanime devra être progressivement réduit, c'est-à-dire concrètement qu'il faut aller au-delà de Maastricht, Maastricht prévoit déjà une broyeuse à souveraineté qui fait son œuvre, 80 % de nos lois sont faites maintenant à Bruxelles, elles dépendent des directives, et ils veulent aller plus loin. Ils veulent aller plus loin, c'est-à-dire démembrer complètement notre souveraineté : aujourd'hui le droit de chasse, le droit de pêche, la tauromachie à Montpellier, les apiculteurs, les arboriculteurs, les producteurs d'ail, tout le monde se plaint de ce grand dessaisissement. En termes de protection économique, en termes de pouvoir monétaire, en terme de vie quotidienne, quand la France est traînée en justice par la commission de Bruxelles devant la Cour de Luxembourg, la France inculpée par les commissionnaires qui sont des hauts fonctionnaires irresponsables et despotiques, et bien M. Baudis et Mme Carrère d'Encausse proposent dans leur programme écrit, je ne sais pas s'ils auront le courage de le défendre oralement ce programme, mais en tout cas, dans leur programme écrit ils proposent d'aller plus loin encore.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et sur Maastricht, vous pensez que le référendum a mis un terme au débat et que le traité est valable, ou vous voulez le renégocier, le remettre en cause ?
Philippe de Villiers : Pour moi, ce qui était mauvais hier est encore plus mauvais aujourd'hui, parce que Maastricht s'applique dans trois domaines au moins, je prends trois exemples…
Sylvie Pierre-Brossolette : Donc vous demandez une renégociation ?
Philippe de Villiers : Bien sûr, je demande qu'on jette au rebut le traité de Maastricht. Pas de rafistolage, pas de ravaudage…
Philippe Lapousterle : Et donc vous jetez le référendum avec le vote des français ?
Ph. De VILLIERS : Mais pas du tout, si aujourd'hui on interrogeait les français et l'ensemble des peuples européens sur ce qu'ils pensent de Maastricht, ils jugeraient l'arbre à ses fruits. Qu'est-ce que ça veut dire ? Premièrement, l'Europe de Maastricht c'est l'Europe du libre-échangisme, l'article trois A du traité de Maastricht prévoit la disparition de la préférence communautaire, elle la consacre alors que l'urgence des urgences, c'est de rétablir la préférence communautaire, c'est le premier point de notre programme avec Jimmy Goldsmith et Charles de Gaulle. Deuxièmement, l'Europe de Maastricht, c'est l'Europe de la technocratie consacrée dans les textes avec plus de pouvoir encore à la commission de Bruxelles, c'est-à-dire à 17 hauts fonctionnaires irrévocables, irresponsables, un pouvoir sans contrôle populaire, nous, nous voulons l'Europe de la démocratie, c'est-à-dire que nous voulons, nous proposons qu'aucune directive ne soit prise désormais sans avoir été préalablement votée par le parlement français. Et nous proposons que la commission de Bruxelles devienne un simple secrétariat, parce que j'en ai marre de voir M. Delors se pavaner comme un chef d'état. Et puis troisièmement, l'Europe de Maastricht et de Schengen, c'est l'Europe de l'insécurité, c'est une folie que d'avoir levés nos contrôles aux frontières. Il faut non seulement les rétablir, mais il faut les rétablir d'urgence, et nous proposons de jeter au rebut, le traité de Schengen et de rétablir nos contrôles aux frontières.
Philippe Lapousterle : Quand vous dites notre liste avec Jimmy Goldsmith et Charles de Gaulle, vous n'avez pas l'impression de jouer sur une petite méprise ?
Philippe de Villiers : Charles de Gaulle, il est le petit-fils du général de Gaulle, le fondateur de la 5ème république, qui est le, porte-drapeau de l'Europe des patries, et je l'entends encore dire avec solennité « en mon âme et conscience, moi le petit-fils du général de Gaulle, j'ai accepté de mener ce combat parce qu'il touche à l'essentiel ». Et c'est un honneur pour moi que d'avoir à mes côtés Charles de Gaulle. Quant à Jimmy Goldsmith, c'est un grand chef d'entreprise, il est le pendant de ce qu'est Maurice Allais, prix Nobel d'économie, dans le domaine de la théorie de l'observation économique ; lui c'est un observateur, mais c'est surtout un homme d'expérience, c'est un entrepreneur, il a commencé avec 5 salariés, il a terminé avec 150 000 salariés, il sait ce qu'est l'entreprise, il sait ce qu'est le monde, et avec son génie visionnaire il a été, avec son livre « le Piège », le premier qui a posé le problème du libre-échangisme en disant oui au libre-échange dans le marché commun européen, non au libre- échangisme mondial.
Sylvie Pierre-Brossolette : À vous écouter on a l'impression que la philosophie des listes Baudis et Rocard sont très semblables, diriez-vous que Baudis et Rocard c'est bonnet blanc et blanc bonnet ?
Philippe de Villiers : Oui, je pense qu'ils auront beaucoup de mal à se distinguer, je pense que Baudis c'est Rocard en couleurs, et Rocard c'est Baudis en noir et blanc. Leurs programmes sont identiques, Mme Trautmann a d'ailleurs dit que c'étaient des programmes siamois. Mme Trautmann est numéro 2 de la liste de M. Rocard, si bien qu'on ne sait plus qui est M. Rocard et qui est M. Baudis. M. Rocard dirige la liste UDF, pardon, la liste PS, et M. Baudis dirige la liste qui a été préparée par M. Bourlanges, qui est le penseur de l'UDF, qui est un homme d'ailleurs fort intelligent, avec lequel je ne suis pas d'accord, mais qui a été le triomphateur de toute l'opération, puisque le RPR avait son programme, fondé sur l'Europe des nations, l'UDF avait son programme fondé sur l'Europe fédérale, conçu par M. Bourlanges à la disposition de M. Giscard d'Estaing, et ça u été pour les appareils du RPR une défaite en rase campagne, victoire intellectuelle totale de M. Bourlanges, salué au passage pour son esprit tacticien. Alors, M. Baudis est l'homme de M. Bourlanges, l'homme de M. Giscard d'Estaing, et il est en même temps très proche de M. Rocard, très proche de M. Delors. Je pense que M. Baudis a vocation à devenir l'acolyte de M. Delors.
Sylvie Pierre-Brossolette : Symétriquement, vous vous sentez plus proche de Chevènement ?
Philippe de Villiers : Je suis en désaccord total avec lui, sauf sur l'essentiel, sur la souveraineté de la France.
Philippe Lapousterle : Justement, il était notre invité la semaine dernière, il vous pose une question…
Jean-Pierre Chevènement : M. de Villiers ne veut pas la disparition de la France, je lui en donne acte bien volontiers. Je n'ai pas de raison de suspecter sa bonne foi ; mais j'aimerais lui demander comment il concilie cette volonté avec son refus des principes républicains qui fondent la vie collective, et notamment la laïcité ; comment ne voit-il pas que tous les français, quelle que soit leur religion, leur philosophie, doivent se retrouver en définitive, sinon tous dans la même école, mais prioritairement dans une école qui leur soit commune. Et puis la deuxième question que je veux lui poser, pourquoi, alors qu'il est hostile à ce qu'il appelle le mondialisme, est-il néanmoins pour la liberté totale des capitaux ? Y aurait-il un mondialisme qui ferait plus horreur que l'autre ?
Philippe de Villiers : Je trouve que J.-P. Chevènement, qui est un homme très intelligent et très cultivé, ne s'est pas beaucoup creusé, vous avez dû le prendre au débotté. La réponse à la deuxième question sur la liberté des capitaux, je crois qu'on est tous d'accord pour dire que le libre-échangisme mondial, cette espèce d'ultra libéralisme sans frontières, profite aux très riches dans les pays riches, et profite aux très riches dans les pays pauvres, provoquant ainsi la destruction de nos emplois chez nous, et provoquant la destruction des pays pauvres du tiers monde. Là-dessus on est tous d'accord, c'est ce qu'a très bien démontré Jimmy Goldsmith. On ne peut pas empêcher des capitalistes japonais ou de Corée du sud de venir fonder des entreprises chez nous, ça serait contraire à toute idée de ce marché commun, marché libre, où il y a la liberté naturellement des capitaux. Mais quant à dire que je suis pour la liberté totale des capitaux, au sens d'un capitalisme outrancier, et qui viendrait en quelque sorte gangrener la société de l'emploi, non de grâce, J.-P. Chevènement, pas de caricature. Quant à la laïcité je dirai ceci : la république est grande lorsqu'elle est la mère de toutes les mémoires. Et Chevènement est un homme trop cultivé pour ne pas savoir que la France est un long poème avec des cicatrices qui ne se referment pas et qui pourtant sont comme des strophes qui font résonner notre conscience collective, une harmonique singulière et qui ne s'éteint jamais. C'est pour ça que la France est belle, c'est pour ça que la France est grande, la France de Barres, la France de Jaurès, Jaurès qui disait « la patrie est le bien de ceux qui n'ont rien ». Une phrase que Chevènement connaît certainement, je crois que nous sommes dans un de ces moments historiques où c'est la conscience historique qui doit parler, parce que c'est une question de survie, c'est la première fois dans notre histoire que la France, au compte-gouttes, en temps de paix, a abdiqué des pans entiers de sa souveraineté.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous n'avez plus du tout l'air en phase avec la théorie essentielle de votre famille politique ; que ferez-vous après les élections : vous quitterez le PR ? Pour l'instant vous vous êtes semble-t-il mis d'accord votre parti et vous-même, pour vous mettre un peu en marge, récupérer votre indépendance, après te 12 juin, vous rapatriez votre famille ou vous vivez votre propre vie ?
Philippe de Villiers : Alors franchement, je n'y ai pas réfléchi et je vais vous dire pourquoi : c'est que vraiment, par rapport aux problèmes qui sont posés par l'élection européenne, l'avenir de l'UDF me semble dérisoire, l'avenir du PR me semble compliqué. Pour ce qui me concerne, je choisis à la discipline tout court la discipline de mes convictions. Je n'ai pas besoin du PR, je n'ai pas besoin de l'UDF, je n'ai besoin de personne pour être élu. Je suis représentant du peuple français, c'est ma charge, moi je serai jugé par l'histoire comme tous les représentants du peuple français, et ma mission n'est pas d'être populaire ou d'être en accord avec l'instant des appareils de plus en plus décalés. Vous vous rendez compte, si jamais M. Baudis fait 30 % des exprimés avec 50 % d'abstention, ça doit nous faire réfléchir, et ils seront très heureux à ce moment-là de trouver en Philippe de Villiers quelqu'un qui sera recompté dans la majorité. D'ailleurs ils s'y préparent, j'ai entendu MM. Devedjian et Léotard et d'autres dire « oui mais attention la liste de Villiers il faudra l'ajouter au score de Baudis pour avoir le score de la majorité ». Vous savez, les appareils, les états-majors, ils sont froids et ils sont « ductiles », comme on dit du courant électrique, ils vont là où ça marche, là où sont les électeurs, et le jour venu, je le vois bien d'ailleurs dans les salles avec au premier rang les parlementaires qui bravent parfois les consignes, certains viennent faire trempette, ils restent au dîner, les autres restent à la réunion, tout ça bouge beaucoup en ce moment, et vous verrez que ça va bouger de plus en plus. Ça va dépendre des sondages, c'est triste d'en être là, la sondocratie qui domine la vie politique, ça va dépendre aussi du résultat du 12 juin, tout ça est dérisoire, aujourd'hui les estampilles, les étiquettes font encore trembler quelques représentants du peuple français, mais pas les gens qui mettent au premier plan leurs convictions, moi ce qui m'intéresse c'est le bien supérieur de mon pays. Mais là où je ne suis pas d'accord avec la ligne de M. Giscard D'Estaing ou avec la ligne des appareils, c'est que pour moi le marché commun au sens du traité de Rome, c'est un marché commun libre et protégé. C'est à dire que nous avons la chance d'avoir le plus grand marché du monde, 350 millions d'habitants bientôt, où il y aura la concurrence, nous sommes des libéraux, l'émulation, la compétition, l'innovation, mais à la condition que nous protégions ce marché commun. Il ne s'agit pas de faire du protectionnisme, il s'agit de ne laisser entrer depuis les pays extérieurs, que les biens et les services qui ne viendront pas détruire nos emplois. Et ce n'est pas parce que nous nous protégeons, à l'image des Etats-Unis ou du Japon, que nous cesserons d'exporter. Et d'ailleurs 70 % des exportations se font à l'intérieur des pays occidentaux. Mais c'est simplement la seule condition pour faire face à cette révolution nouvelle qui est intervenue au cours des dernières années. Il y a deux planètes sociales qui sont en face l'une de l'autre, si jamais nous ne protégeons pas notre économie, nous serons obligés d'entamer notre protection sociale, et ceci se traduira par deux phénomènes que vivons aujourd'hui, et qui provoquent une hémorragie de nos emplois : l'alignement des salaires vers le bas, vers les salaires les plus bas au monde, et Je déménagement de nos entreprises, le déménagement de toutes nos entreprises.
Philippe Lapousterle : Avez-vous été étonné lorsqu'un juge a lancé des commissions rogatoires contre le président du parti républicain ?
Philippe de Villiers : La justice suit son cours, je ne porte pas de jugement. Je dirai ceci : la corruption n'est pas de gauche, elle n'est pas de droite, la suspicion elle ne porte pas sur la gauche, elle ne porte pas sur la droite, je ne suis pas un justicier, nous ne sommes pas des justiciers nous les hommes politiques, simplement ce que les gens attendent de nous, c'est qu'il n'y ait pas deux traitements, un traitement pour les citoyens devant la justice, un traitement des hommes politiques devant la justice, ce que les gens attendent de nous, c'est qu'on donne à la justice les moyens d'être impitoyable, ce que les gens attendent de nous, c'est qu'on veille à ce que le Garde des Sceaux fasse son métier, fasse son travail. On ne peut pas aujourd'hui accepter de Pierre Méhaignerie ce qu'on n'acceptait pas de M. Nallet hier.
Sylvie Pierre-Brossolette : Donc vous encouragez M. Méhaignerie à aller jusqu'au bout dans l'affaire concernant M. Longuet ?
Philippe de Villiers : Je ne pensais pas spécialement à cette affaire, je pense à toutes les affaires qui se sont étalées dans la presse, et dont parfois on a le sentiment qu'elles ne peuvent pas être traitées par la justice. Actuellement en France, il y a une espèce d'atmosphère délétère, depuis 3, 4 ans on sent bien qu'il y a un phénomène de corruption, et qu'il y a une sorte de barrière invisible qui est tombée entre le milieu et le milieu politique, je pense à ce qui s'est passé dans le Var avec le coup de filet qui a fait suite à l'assassinat de Yann Piat. On a pris dans un même coup de filet des gens, on a appelé ça, du milieu et du milieu politique, mais c'est épouvantable ! Il y a des milliers, des milliers d'élus locaux qui font leur travail et qui sont des mécènes de leur temps et de leur dévouement, et qui sont des gens remarquables, exceptionnels d'honnêteté, et qui croisent le regard de suspicion des français, en disant « tous pourris ». C'est injuste, simplement il faut que les partis politiques fassent le ménage, ou que la justice le fasse à leur place.
Philippe Lapousterle : À propos, qui finance votre campagne ?
Philippe de Villiers : Alors là, votre question est à la limite de…
Philippe Lapousterle : Vous êtes transparent !
Philippe de Villiers : Votre question mérite une transition qui est la suivante : aujourd'hui il y a deux sortes de listes dans la campagne pour les élections européennes, et je voudrais le souligner puisque votre question est un peu provocante. Il y a les listes qui sont financées par le financement public, je ne sais pas ce que le PR reçoit comme financement public, mais c'est considérable, ce sont les contribuables, c'est vous qui payez, c'est nous qui payons. Et puis il y a les listes qui ont zéro centimes de financement public, la mienne par exemple, celle que nous codirigeons avec Jimmy Goldsmith et Charles de Gaulle. De même qu'on aura une minute de campagne officielle à la télévision, je ne sais pas si vous trouvez ça normal, alors que nous sommes l'autre liste de la majorité. Donc, zéro centimes de financement public, et une minute de télévision. C'est tout à fait inéquitable. Alors notre campagne elle est transparente, elle est privée et elle est populaire. Elle est transparente puisqu'il y a un compte de campagne auquel rien ne peut échapper, ça c'est un progrès, c'est la loi de 88 et la loi de 90, désormais les gens ne peuvent plus faire n'importe quoi, c'est tout à fait important pour la transparence de la vie publique, deuxièmement c'est un financement privé, par exemple ce matin il y avait une centaine de chèques arrivés à notre permanence à Paris. Ça veut dire que c'est les français qui participent dans la proportion de leurs moyens. Quand leurs moyens sont importants ils participent généreusement, mais par exemple vous avez des chèques de 50 francs qui viennent de toute la France. J'estime que c'est plus au citoyen de contribuer à la vie politique, au financement de la vie politique, qu'au contribuable. Et puis enfin, c'est une campagne qui est toute orientée, vers la diffusion de nos idées par le contact. C'est-à-dire que nous faisons un tour de France, là où par exemple d'autres se contentent de faire de la télévision. Nous nous allons au contact des français dans tous les départements, dans toutes les villes, et ça dépense peu d'argent mais beaucoup d'énergie.
Sylvie Pierre-Brossolette : Un an après l'entrée de Balladur à Matignon, Chirac a rattrapé son retard dans les intentions de vote pour les présidentielles, entre les deux RPR, qui préférez-vous, et pensez-vous que ça va se terminer bien ou mal ?
Philippe de Villiers : J'espère que ça se terminera bien, mais de toute façon le problème n'est pas là pour l'instant. Je pense que les appareils, les états-majors ont commis un contre-sens : ils demandent la diversité de candidatures à l'élection présidentielle, alors qu'il s'agit d'un scrutin majoritaire, donc la diversité elle est très dangereuse, et ils demandent l'unité de candidature aux élections européennes alors qu'il s'agit d'un scrutin proportionnel. Moi je pense exactement l'inverse : je pense qu'il faut la diversité de candidatures pour représenter comme on dit les deux sensibilités de la majorité, Maastricht, anti Maastricht, Europe des nations contre Europe en fusion, donc la liste Baudis et la liste Villiers, et je pense au contraire qu'il faut l'unité de candidature, un seul candidat, à l'élection présidentielle, sinon on est sûrs de la perdre, de la reperdre, ça devient une habitude. Maintenant, savoir qui ?, c'est trop tôt aujourd'hui pour le dire, mais pour ce qui me concerne, je choisirai dès le premier tour celui qui me paraîtra le mieux placé pour gagner l'élection présidentielle et le plus proche de mes idées, celles que j'aurai défendues au cours de cette campagne pour les élections européennes, le plus proche de cette idées d'Europe des nations dont dépend aujourd'hui notre vie quotidienne.
Sylvie Pierre-Brossolette : Aujourd'hui le plus proche, c'est lequel ?
Philippe de Villiers : Pour l'instant, le problème ne se pose pas, l'élection présidentielle est encore très loin, mais je pense que nous sommes dans une situation extraordinairement complexe, c'est-à-dire que tout le monde donnait M. Balladur comme étant le candidat évident, et puis on a vu apparaître d'autres candidats potentiels. On nous dit aujourd'hui que M. Baudis serait candidat à l'élection présidentielle, soutenu par M. Giscard d'Estaing, UDF, en voilà un de plus. Je trouve que tout ça est extrêmement dangereux, je choisirai le jour venu le candidat le mieux placé et le plus proche de mes idées. Ça veut dire concrètement que pour moi aujourd'hui, la responsabilité d'un homme politique de la majorité, elle est double : dire la vérité, c'est ce que je fais au cours de la campagne pour les élections européennes, la vérité sur l'Europe, la vérité sur…
Philippe Lapousterle : Votre vérité…
Philippe de Villiers : Ma vérité, mais je le dis avec ma passion et ma détermination, et ensuite toujours faire gagner son camp, ça c'est important aussi.
Philippe Lapousterle : Et au nom de ça il ne faut pas qu'il y ait de candidat UDF à la prochaine présidentielle ?
Philippe de Villiers : Ça veut dire que s'il ne faut pas qu'il y ait de candidat UDF, ou si il faut que tel ou tel s'efface, pour qu'il y ait un seul candidat, je mettrai personnellement mon petit poids dans la balance. Mais il peut y avoir d'autres candidats, il y a donc Baudis, Monory, il y a Giscard qui y pense toujours, il y a Léotard…
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous trouvez ça grotesque que Giscard y pense toujours ?
Philippe de Villiers : Oh, vous savez plus rien n'est grotesque puisque Tapie peut être élu président de la république…
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous y croyez vraiment ?
Philippe de Villiers : Moi je crois hélas aux principes du marketing et de la publicité. Ce qui vaut pour les grandes surfaces et les supermarchés doit valoir aussi pour les hommes politiques. Quand vous avez un homme politique qui est tous les jours à la télévision, dans un pays où il n'y a plus de références morales, Tapie c'est l'énergie sans références morales, donc après tout ça marche. La preuve c'est qu'il est très populaire, et plus il va être médiatique plus il sera populaire, donc tout est possible. À partir du moment où il n'y a plus de références, qu'on ne juge plus les gens sur les idées, sur les principes, en conscience, mais sur le tapage médiatique et l'omniprésence à l'écran, tout est possible. Donc pour continuer la liste il y a des gens qui sont à mon avis très capables de jouer un rôle très important, et auxquels on ne pense pas actuellement, comme Charles Pasqua.
Philippe Lapousterle : Merci, prochain forum avec M. Wurtz.