Déclaration de M. François Léotard, ministre de la défense, en hommage aux officiers et marins décédés lors de l'accident survenu au sous-marin nucléaire "Emeraude" le 5 avril 1994.

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Circonstance : Accident à bord du sous-marin nucléaire d'attaque "Emeraude" lors d'une plongée en Méditerranée le 30 mars 1994-cérémonie en hommage aux dix marins décédés, à Toulon le 5 avril

Texte intégral

Dix marins français sont morts. Devant ces mots, nous sentons tous la pauvreté, les limites, la maladresse même de toute parole.

Le silence, le recueillement, la solitude de notre tristesse conviendraient mieux au désarroi du cœur, à la révolte de la raison.

Mais la mer c'est aussi une fraternité. Le silence, le recueillement, la solitude de chacun d'entre nous, par fidélité pour eux, nous devons nous efforcer de les partager.

Avec les familles tout d'abord, rassemblées et meurtries, auxquelles j'exprime le respect et l'émotion qui habitent chacun d'entre nous.

Avec les délégations des autres sous-mains français, réunies ici dans la gravité de leur mémoire et de leur engagement.

Ils savent que la cérémonie d'aujourd'hui, c'est l'hommage de la nation toute entière, rassemblée autour de ceux qui l'ont servie.

Hommage qui va, d'abord, à chacun de ces hommes disparus : les citations qui seront lues, tout à l'heure, témoigneront de la façon exemplaire dont ils ont servi leur pays.

Hommage qui va, aussi, à eux tous réunis : à ces dix jeunes hommes, du second maître au commandant, qui se sont retrouvés ensemble dans la mort.

La vocation, le service, le monde qu'ils avaient librement choisi n'ont pas d'équivalent. Les sous-mariniers, communauté vivante et fraternelle, ces cinq mille hommes, embarqués ou à terre, composent un milieu peu connu du reste de la communauté nationale.

Ce sont les hommes de la dissuasion, et ce sont les hommes de l'action, partis de longues semaines, loin de leurs familles et des leurs, dont nul à terre, dans le mouvement du quotidien, ne mesure le devoir, la rude exigence, la puissance. Pointe de diamant de notre Marine, familiers de la discrétion, ils veillent sur notre liberté dans l'absolu du silence. Ils sont, au-delà de nous, une France attentive qui se prolonge, veille et prévient, protège et rassure.

Tous vivent et servent dans un monde clos ; un monde confiné, un monde aveugle, difficile à comprendre par celui qui ne l'a pas choisi, qui ne l'a pas vécu.

Pour vivre et servir dans de telles conditions, il faut avoir, un jour, choisi. Il faut avoir, à un moment de sa vie, prononcé des paroles qui engagent et qui sont un don de soi. Ce don de soi dont nous sentons tous, aujourd'hui, qu'il nous dépasse et en même temps qu'il nous élève.

Espace de liberté, la mer est, aussi, un monde impitoyable et hostile. Et sous les mers, les profondeurs d'un univers étranger démultiplient les risques. À la frange de ce risque, qu'ils tutoient en permanence, les nommes des sous-marins ont été et sont, de tous les temps, des hommes d'exception.

C'est l'extraordinaire esprit d'équipe qui unit et soude, comme un même corps, ces professionnels, en un équipage.

L'équipage, le sous-marin en est l'illustration extrême. La cohésion poussée jusqu'à l'identification de tous, de ceux qu'aucune marque, qu'aucun signe ne distingue plus, à leur bateau, à leur bord.

Unis, ils le sont dans un respect mutuel, confiant, fait de connaissance et d'estime mêlées.

Mercredi dernier, dans le début de la nuit, l'Émeraude est rentrée à Toulon. Vous l'attendiez non loin du quai, unis dans une veillée muette. Vous étiez là, dans cette attente issue du fond des temps, celle qui vient des périls et des angoisses de la mer. Vous étiez là pour témoigner en silence de votre essentielle fraternité. Équipages des autres sous-marins, matelots basés à terre, équipes de la direction des constructions navales.

Une fois l'Émeraude à quai, les manœuvres achevées, vous vous êtes rapprochés, un par un, de vos camarades, ces marins qui avaient, comme vous, signé un engagement envers leur pays, conclu un pacte avec le danger, accepté l'idée du sacrifice. Vous les avez entourés en silence jusqu'à ne plus pouvoir vous en distinguer.

La communauté des sous-mariniers s'était reformée. Cette communauté faite de respect et de silence, elle est à l'image de ce que la France doit à ceux qui sont morts en mer. Elle est l'hommage vivant rendu à leur mémoire, à leur exemple, à leur courage.

Devant vous, femmes et compagnes de ces marins, dont je salue la mémoire, l'exemple et le courage, devant vous, leurs enfants, devant vous, leurs parents, au nom du Président de la République, au nom du Gouvernement, au nom de la Défense et de la Marine, j'exprime à ces hommes la reconnaissance et l'admiration de la France.


Paris, le 30 mars 1994
Le ministère de la Défense communiqué

Le mercredi 30 mars 1994 en fin de matinée, un accident s'est produit dans le compartiment turbo-alternateurs du sous-marin Émeraude.

Les dix hommes alors présents dans le compartiment ont trouvé la mort. Les familles ont été prévenues par l'autorité maritime.

L'Émeraude, qui participait à un exercice d'entraînement avec des bâtiments français, a fait surface et regagné Toulon par ses propres moyens.

Cet accident ne met nullement en cause la sécurité nucléaire du bâtiment.

Une enquête de commandement et une enquête judiciaire ont été ouvertes afin d'établir les circonstances exactes de cet accident qui endeuille aujourd'hui la Marine nationale.