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Q - Monsieur le ministre, vous vous apprêtez, le 10 juillet, à poser la première pierre de l'ambassade de France à Berlin. Cette date, et plus généralement le déménagement du gouvernement de Bonn à Berlin, marque-t-elle une nouvelle ère ? Les hommes politiques français seront-ils plus présents à Berlin ?
R - Le déménagement du gouvernement à Berlin est l'aboutissement du processus historique de la réunification allemande, qui s'est mis en mouvement il y a près de 10 ans. L'année 1998 est une année de transition : la succession des commémorations de grande ampleur, comme le cinquantenaire du pont aérien de Berlin, celui de la création du deutschemark, de la remise des documents de Francfort marque le passage de relais de la République de Bonn à celle de Berlin.
La réinstallation de la capitale à Berlin est un symbole du renouement tranquille et apaisé de l'Allemagne avec l'histoire. Ce n'est pas seulement l'Allemagne mais l'ensemble des pays dont le destin a été radicalement transformé par la disparition du rideau de fer qui ont été conduits à réfléchir au rétablissement de continuités historiques rompues.
Sur le second point, je rappellerai combien les relations entre nos deux pays sont denses. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, dans les jours qui précèdent se sont succédés en Allemagne le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, M. Masseret (le 27 juin à Berlin), le ministre de l’Economie et des Finances, M. Strauss-Kahn (le 30 juin à Francfort), le président de l'Assemblée nationale, M. Fabius (le 1er juillet à Francfort), le ministre de la Culture, Mme Trautmann (le 3 juillet à Fribourg), le ministre de l'Intérieur, M. Chevènement (le 4 juillet à Fribourg) etc. Ce flux de visites traduit simplement l'importance des relations entre nos pays, qui sont l'un pour l'autre le premier partenaire. L'installation du gouvernement allemand à Berlin ne pourra que renforcer cette tendance en raison de l'attraction naturelle qu'exercera la grande métropole berlinoise.
La présence de la France est d'ores et déjà très importante à Berlin. En matière culturelle, il faut citer l'Institut français, la Maison de la France, l'Institut Marc Bloch, le Centre de Wedding, et aussi la participation à de nombreuses manifestations comme par exemple les « Festwochen », les expositions consacrées aux Francs et à Marianne-Germania, l'organisation des « Francofolies »... En matière économique, la France est le premier investisseur, fournisseur et client pour Berlin et le Brandebourg. Et je ne parle pas d'institutions allemandes aussi remarquables que le « Französisches Gymnasium » de Berlin fondé pour accueillir les enfants des Huguenots et qui a formé des générations de l'élite berlinoise ou le Frankreichzentrum de la Technische Universität.
Q - En 1990, l'Allemagne a changé : de quelle manière ce changement a-t-il modifié la relation du couple franco-allemand ?
R - La réunification allemande a constitué un événement considérable.
Elle a établi une relation plus normale entre nos deux pays, à la mesure du recouvrement par l'Allemagne de son unité et de sa pleine souveraineté. Elle permet de faire davantage de choses ensemble dans le domaine international à la faveur de l'engagement plus affirmé de l'Allemagne dans le monde que permet cette nouvelle situation. L'Allemagne, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, a vocation à devenir membre permanent au Conseil de sécurité. Cela élargit le champ de nos coopérations.
D'autre part, la réunification a entraîné, grâce à la relation franco-allemande, une nouvelle étape dans la construction européenne, notamment le Traité de Maastricht et l'euro. La réunification est allée de pair avec l'approfondissement de l'Union européenne. La France aussi a changé depuis le début des années 80 : son engagement européen s'est fait plus fort, son économie s'est modernisée, une culture de la stabilité s'est développée.
Nous avons de grands chantiers communs devant nous.
Enfin, les changements tant en France qu'en Allemagne appellent maintenant trente-cinq ans après le Traité de l’Elysée un nouveau saut qualitatif auquel nous réfléchissons.
Q - La monnaie unique est le principal projet franco-allemand pour les années à venir. Quand le gouvernement Jospin est arrivé au pouvoir, il y a treize mois, le Premier ministre Lionel Jospin s'est d'abord opposé au pacte de stabilité que préconisait M. Waigel. Entre temps, cette querelle semble avoir disparu, mais au fond le sujet a-t-il été résolu ?
R - L'Union économique et monétaire, qui se concrétisera pour tous les citoyens européens par l'introduction de l'euro, constitue une étape majeure de la construction européenne. Ce projet est, il faut le rappeler, le fruit d'une ambition de nos deux pays. Je pense que c'est le parfait exemple de la réussite d'une demande commune franco-allemande, dans lequel chacun a apporté ses idées, ses sensibilités issues de traditions et d'expériences différentes et dans lequel chacun a su écouter les préoccupations de l'autre et en tenir compte. Le résultat est à la hauteur de l'investissement réalisé durant près de dix ans par tous les États membres de l'Union européenne : dans moins de six mois, 290 millions d'Européens, citoyens de onze Etats membres entreront dans l’ère de l’euro.
L'euro est un grand projet qui doit favoriser plus de croissance et d'emploi. Il y a accord en Europe sur ce point. Le Premier ministre n'a pas remis en cause le pacte de stabilité. Il a voulu souligner cette dimension croissance et emploi. C'est pourquoi le Conseil européen d'Amsterdam en juin 1997, à l'initiative du Premier ministre, a adopté la résolution sur la croissance et l'emploi qui complète le pacte de stabilité.
Q - Le choix du président de la Banque centrale européenne, les incidents provoqués par des hooligans allemands à Lens etc. N'est-il pas dommage que la relation franco-allemande fasse surtout la Une des médias quand il y a des désaccords ? Les médias sont-ils responsables de cet état de fait ou bien y a-t-il un problème de communication à améliorer dans les relations franco-allemandes ?
R - Ces problèmes n'ont rien à voir entre eux. L'agression très brutale dont a été victime le gendarme français à Lens est l'acte d'individus isolés.
Quant au choix du président de la BCE, ce n'était pas une question franco-allemande, ni même une question de personne : c'était une question de fond et de principe : le président de la BCE devait être nommé par les chefs d’Etat et de gouvernement comme le prévoit le Traité et non coopté par les banquiers centraux. L'accord auquel on est parvenu à Bruxelles début mai est bon. L'euro démarre dans les meilleures conditions.
Il est habituel que les médias - et pas seulement dans les relations franco-allemandes - mettent l'accent sur les désaccords.
Il faut avoir deux choses à l’esprit : il n'y a pas d'harmonie préétablie et automatique entre la France et l'Allemagne qui sont deux pays très différents : la relation franco-allemande se développe grâce à un effort permanent de synthèse pour surmonter les différences : c'est ce qui fait sa force et lui donne son rôle d'entraînement. D'autre part, nous avons en tant qu'individus - français et allemands - un regard et une attitude souvent différents sur les événements : cela montre que nous conservons notre identité nationale. Le rôle des médias est d'expliquer ces différences. C'est un travail qui n'est pas aisé mais qui a commencé, avec Arte par exemple.
Prenons le cas de nos prétendues divergences économiques : l'économie française s'est considérablement modernisée et libéralisée au cours des dernières décennies, sans que ces efforts soient toujours reconnus en Allemagne. Une présentation parfois caricaturale cherche à opposer une France interventionniste, étatiste (notamment en ce qui concerne le dossier de la BCE) et une Allemagne libérale. C'est en développant les discussions sereines entre responsables et experts de nos pays que nous pourrons parvenir à dissiper ce genre de malentendus et à rapprocher nos positions.
De même, la franchise et l'ouverture nouvelle qui caractérise la relation franco-allemande sont encore souvent interprétées comme le symptôme d'une crise alors qu'elle marque au contraire un progrès dans la confiance.
Q - Le mécanisme des relations franco-allemandes mis en place par le Traité de l’Elysée ne vous semble-t-il pas devenu trop rigide, voire obsolète ? Ne devrait-il pas être renouvelé comme le Traité lui-même ?
R - Le Traité de l’Elysée a permis de mettre en oeuvre la réconciliation historique de la France et de l'Allemagne en tissant des liens entre les jeunesses des deux pays et en développant le sentiment du caractère nécessaire et privilégié de la relation franco-allemande. A ce titre, il constitue une référence.
Dans certains domaines, il n'a pas donné tout le fruit qu'on attendait : par exemple, l'enseignement de la langue du partenaire n'a pas suffisamment progressé depuis 35 ans. Il est vrai que la construction européenne a accompli depuis 1963 de tels progrès que la relation franco-allemande se joue aujourd'hui tout autant dans les coulisses et dans le cadre des Conseils européens, de l'OSCE, de l'OTAN, ou dans le groupe de contact que dans un cadre strictement bilatéral.
Dans d'autres domaines, qui sont de loin les plus nombreux, le Traité de l'Elysée a donné lieu à des développements allant bien au-delà de ce qu'il envisageait au départ ; touchant à tous les domaines : économie, industrie, environnement, recherche, espace, télécommunications... Enfin, le Traité de 1963 concerne essentiellement les acteurs gouvernementaux, alors que la relation franco-allemande s'appuie chaque jour davantage
sur une base plus large associant de nouveaux acteurs : parlementaires, représentants des milieux économiques et sociaux, collectivités territoriales, milieux associatifs…
C'est à la lumière de ce bilan que l'hypothèse d'une révision du Traité de l'Elysée doit être examinée. Pour ma part, je suis prêt à y réfléchir.
Q - En février 1996, le président Jacques Chirac affirmait, devant le Congrès américain, l'engagement de la France dans l'entreprise de réforme de l’OTAN ? Alors que ce processus stagne, qu'en est-il de cette volonté de réforme ?
R - Le nouveau contexte stratégique en Europe, qui se caractérise par l'émergence de crises régionales affectant la stabilité de notre continent, a conduit à lancer ici-même, à Berlin, lors d'une réunion de l'OTAN de juin 1996, la réforme de l'Alliance atlantique.
L'affirmation d'une identité européenne de sécurité et de défense au sein de l'OTAN est souhaitable.
Pour cela, il faut commencer par mettre en oeuvre complètement les orientations de Berlin.
Cela devrait permettre aux Européens de mener par eux-mêmes, en cas de nécessité, sous l'égide de l'Union de l'Europe occidentale, des actions militaires avec les moyens de l’OTAN.
Il faudrait aussi faire aboutir les travaux en cours pour identifier des moyens disponibles à l'OTAN pour l'UEO et de façon générale, développer les travaux en commun entre ces deux organisations.
L'Alliance a également entrepris de s'adapter au nouveau contexte et aux nouvelles réalités stratégiques. La France prendra aussi une part très active à la révision du « concept stratégique » de l'OTAN pour que l'OTAN reste une garantie de sécurité forte et crédible face aux défis du siècle prochain.