Texte intégral
Entretien avec la télévision syrienne (Paris, 11 juillet 1998)
Q - Quelle importance la France accorde-t-elle à la visite du président Assad en France ?
R - C'est une visite très importante. Nous sommes très heureux que le président Assad ait accepté l'invitation du président Chirac. Elle est très importante pour plusieurs raisons : d'abord, parce que le président Assad fait relativement peu de visites d'État à l'étranger ; d'autre part, parce qu'il n'est pas venu en France dans ces conditions depuis de longues années et aussi, parce que la politique étrangère française accorde une très grande importance, comme vous savez, à la question du Proche-Orient et à sa relations avec un certain nombre de pays importants de la région notamment la Syrie ; enfin, parce que nous sommes actifs pour essayer de contribuer, avec nos moyens, au déblocage de processus de pays israélo-palestinien et, d'autre part, à l'amélioration du problème si c'est possible entre la Syrie, le Liban et Israël Dans ce contexte, nous souhaitons avoir des relations intenses, de haut niveau, régulières avec les grands acteurs de la région. Le président Assad est, naturellement, un des plus éminents d'entre eux.
Q - Sur les relations entre Paris et Damas a posteriori, comment la France voit-elle l'avenir du partenariat syro-français ?
R - Nous souhaitons développer des relations entre la France et la Syrie pour des raisons bilatérales, en menant des consultations politiques sur tous les problèmes de la région, en approfondissant un volet bilatéral de coopération et en développant les relations économiques qui n'ont pas l'ampleur que nous souhaitons. D'autre part, cette relation s'inscrit dans le contexte régional que je rappelais tout à l'heure. Pour nous, cette relation s'inscrit dans le contexte régional que je rappelais tout à l'heure. Pour nous, cette relation doit à la fois d'être utile aux deux pays, ainsi qu'à l'ensemble des peuples de la région. Notre conception de l'avenir est que nous voudrions encore développer ces relations bonnes, utiles et, déjà, fructueuses. Nous sommes tout à fait convaincus que la visite du président Assad à Paris va marquer une étape majeure dans ce développement.
Q - En ce qui concerne le processus de paix, l'envoyé spécial européen pour le Proche-Orient, M. Moratinos, tente actuellement de relancer les négociations. Sur quelles bases, la France considère-t-elle qu'il faut reprendre les discussions et relancer le processus de paix ?
R - C'est tout le problème de la définition du point qui avait été atteint dans le passé. Nous voyons bien, à l'heure actuelle, que la Syrie et Israël n'ont pas la même définition du point qui avait été atteint. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas un protagoniste direct du conflit, ni du conflit israélo-palestinien, ni de la question des relations israélo-syriennes. Mais nous sommes un pays qui a un intérêt ancien pour cette région, qui a des responsabilités globales et mondiales en tant que membre permanent du Conseil de sécurité et nous avons d'autres responsabilités en tant qu'un des pays majeurs de l'Union européenne d'aujourd'hui.
Nous cherchons donc à être utiles. C'est ce que nous souhaitons. Nous souhaitons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour améliorer les relations israélo-palestiniennes et, aussi, les relations entre Israël, le Liban et la Syrie, sur l'ensemble du contexte. Nous ne pouvons pas nous substituer aux acteurs principaux. Ce que nous pouvons apporter dépende de la bonne qualité des relations que nous avons avec les uns et les autres. Nous pouvons, peut-être, faciliter certaines recherches, transmettre certaines idées, contribuer à la création d'un climat. Nous ne pouvons pas négocier à la place des intéressés directs ou prendre des responsabilités à leur place. Mais, nous pouvons faire tout ce que nous pouvons pour créer le climat le plus favorable possible à la recherche de ces progrès, c'est-à-dire que nous voulons nous comporter comme un véritable ami du Proche-Orient.
Q - Vous pensez donc coopérer avec les Américains ?
R - Nous pensons que ce problème est tellement compliqué et ce blocage du processus de paix est tellement tragique à tous les points de vue que ce n'est pas la peine de développer des initiatives qui se concurrencent de façon stérile. Notre idée est que toutes les bonnes volontés doivent converger. Évidemment, les analyses des États-Unis, des Européens, des Russes ne sont pas exactement les mêmes et au sein de l'Europe, les positions de tous les pays ne sont pas tout à fait identiques. On sait bien que la France est plus engagée que d'autres, plus dynamique depuis longtemps et qu'elle continue à avoir non seulement une politique arabe globale mais, aussi, une politique au Proche-Orient qui est particulièrement en pointe. Mais nous voulons le faire dans un mouvement d'ensemble. C'est pour cela que nous avons une relation très étroite avec les États-Unis : je suis personnellement en contact constant avec Mme Albright, le président Chirac a des relations très confiantes avec le président Clinton. Dans le cadre de ce dialogue, nous cherchons à convaincre les États-Unis de rester engagés, de contribuer avec leurs moyens à un déblocage de cette situation. Mais nous avons aussi notre propre rôle. Donc, nous cherchons à les combiner, à les coordonner. Nous faisons la même chose avec les Russes et avec les pays qui cherchent une solution. Je le répète, c'est trop grave et trop compliqué pour qu'on ait des attitudes de concurrence hystérique. Il faut que toutes les bonnes volontés convergent sinon la situation sera de plus en plus grave.
Q - Nous voulons vous remercier pour cette rencontre avec l'agence d'information syrienne qui coïncide - nous en sommes heureux – avec les festivités de la Fête nationale française, l'anniversaire de la Révolution française. Nous considérons cet anniversaire comme un grand événement au niveau mondial. Veuillez accepter nos félicitations chaleureuses pour cette fête.
La visite du président Jacques Chirac a consolidé des relations franco-syriennes anciennes. La visite du président Assad viendra renforcer ces relations. Comment voyez-vous les perspectives de cette visite aux niveaux régional et international ?
R - C'est, pour nous aussi, une visite très importante. Les relations entre la France et la Syrie sont déjà anciennes. Elles sont importantes mais elles le deviennent de plus en plus, notamment dans le cadre des échanges des visites d'État que vous venez d'évoquer. C'est important pour nous, d'abord parce que le président Assad ne fait pas beaucoup de visites d'État de cette importance à l'étranger. Nous sommes très sensibles à son acceptation de l'invitation du président Chirac. C'est important aussi parce que la politique étrangère française accorde une importance de tout premier plan à l'ensemble des questions touchant au Proche-Orient, qu'il s'agisse des relations bilatérales, importantes avec la Syrie, ou des conflits et des problèmes qui sont malheureusement encore très présent dans cette région, comme le problème israélo-palestinien ou les relations entre Israël et la Syrie et les relations entre Israël et le Liban. Sur tous ces points, la France souhaite pouvoir contribuer à une amélioration de la situation et à une solution. Le fait qu'il y ait des relations actives, importantes et souvent anciennes avec toutes les parties en présence donne des éléments pour contribuer à ces solutions. Mais cela reste un problème compliqué. La situation reste grave et c'est pour cela, aussi, que la visite d'État du président Assad en France tombe particulièrement bien pour donner plus de force à toute notre coopération et à tous nos efforts communs.
Q - Sur le processus de paix au Moyen-Orient : tout le monde est d'accord pour considérer que la situation actuelle au Moyen-Orient est due à la politique israélienne opposée à la paix et, vous-même, vous avez qualifié cette politique de « désastreuse » au cours d'une réunion du Parti socialiste. Comment allez-vous trouver les moyens efficaces pour faire face à cette situation ?
R - Je crois que quelle que soit l'appréciation portée sur les conséquences de cette politique et en l'occurrence il est tout à fait vrai que l'actuel gouvernement israélien n'a pas poursuivi dans la pleine et légale application de l'accord qui a été conclu intérieurement pour donner, enfin, un sens concret et substantiel à l'expression de « processus de paix ». Et si nous voulons être utiles en quoi que ce soit, il est clair que nous devons parler activement avec toutes les parties en présence, comme le font les États-Unis par exemple et comme le fait l'Europe, comme le fait la France.
Donc, il faut distinguer d'un côté l'analyse que nous faisons de la situation qui est très sérieuse et des responsabilités dans cette situation et, là-dessus, la position de la France est tout à fait claire ; d'autre part, les efforts que nous tentons pour débloquer les choses. Ces efforts ne peuvent être utiles que si nous sommes en contact avec toutes les parties en présence, pour dire ce que nous pensons, avec beaucoup de respect mutuel, d'amitié mais aussi de franchise, et d'autre part, si nous recherchons une coordination, une convergence, une synergie des efforts qui sont menés par les uns et les autres dans le monde, notamment par les États-Unis, mais aussi par les Russes et d'autres puissances. Je veux dire que la situation est trop grave, trop préoccupante pour qu'on puisse s'amuser à ce jeu de concurrence stérile entre telle ou telle diplomatie. Il faut que tous ceux qui sont préoccupés par l'asphyxie progressive du processus de paix et l'absence de perspectives qui en découle, par le désespoir que cela crée, travaillent, le plus possible, dans le même sens.
Nous avons notre propre approche et la politique française est très claire, bien connue, constamment exprimée et, je crois, joue un rôle utile dans l'évolution de l'Europe toute entière et c'est sur cette base que nous parlons avec les États-Unis à propos des efforts qu'ils mènent de leur côté. Mais, encore une fois, ce n'est pas dans un esprit de rivalité, c'est dans un esprit de renforcement des efforts internationaux et de convergence efficace. Voilà ce que nous faisons. Jusqu'ici, malheureusement, il faut le reconnaître l'ensemble de ces efforts ne porte pas leurs fruits, mais nous sommes tenaces et nous n'arrêterons pas nos efforts.
Q - Quelle est la position française pour une relance du processus de paix, notamment sur le volet syro-israélien après qu'Israël s'est dérobé à ce qui avait été conclu, notamment avec le gouvernement israélien précédent ?
R - En ce qui concerne ce problème particulier – les relations israélo-libanaises - il y a une résolution qui est très claire, qui est la résolution 425. Elle est très claire. Il y a l'autre résolution 426. Cela est parfaitement explicite et nous souhaitons que cette résolution soit appliquée. Il y a eu un pas relativement positif de la part du gouvernement israélien, en tout cas de certains éléments du gouvernement israélien, reconnaissant la validité de cette résolution, ce qui n'était pas le cas avant. C'est une évolution qui n'est pas mauvaise, que nous avons saluée et encouragée. En même temps, cette évolution a été assortie de toute une série de conditions sur la mise en œuvre de ce texte. Or, nous sommes obligés de constater qu'il ne prévoit pas de conditions. Il est tout à fait clair dans son application. Nous sommes favorables à tout ce qui peut permettre d'améliorer, de clarifier sur une base vraiment nette, les relations entre Israël et le Liban, Israël et la Syrie, parce que pour l'ensemble de la région, ce serait infiniment mieux. Mais il faut le faire dans la clarté, et surtout dans le respect de la légalité internationale. En l'espèce, il y a un texte précis. Mais si nous pouvons favoriser une meilleure compréhension des positions des uns et des autres, créer un climat favorable à une solution, nous essaierons volontiers. Nous sommes en contact avec les Israéliens de même que nous avons des relations très fortes, très denses aussi bien avec votre pays qu'avec les Libanais. Nous ne pouvons pas nous substituer aux principaux intéressés pour arriver à des conclusions. Mais nous sommes de bonne volonté et nous pouvons faciliter les choses, parce que nous connaissons bien la région et ses problèmes. En même temps nous savons qu'il faut aborder toutes ces informations avec sagesse et prudence, c'est-à-dire tenir compte des liens qui existent entre les différents problèmes et ne pas caresser l'illusion de les résoudre par petits morceaux. C'est ce que nous apporte notre connaissance ancienne du sujet.
Q - Monsieur le Ministre, pouvez-vous préciser le rôle européen dans le processus de paix ? Ce rôle va-t-il resté lié aux efforts américains bloqués ? Ou bien existe-t-il des efforts européens et américains pour relancer le processus de paix ? Vous étiez dernièrement aux États-Unis…
R - L'Europe développe son rôle, notamment parce qu'au sein de l'Union européenne, la France a une option constante pour convaincre l'ensemble de ses partenaires de jouer un rôle plus grand. L'Europe a déjà un rôle très important en matière d'aide économique dans la région, et elle a une activité importante, qui est celle du travail inlassable de M. Moratinos. Nous voulons développer ce rôle ne serait-ce que parce que la solution n'est pas trouvée encore. Il faut donc faire plus. Nous voulons à la fois avoir notre propre approche, et je pourrais dire que la politique française est bien connue, et je crois appréciée, dans la région. Nous voulons en même temps entraîner l'Union européenne. Mais l'Union européenne, c'est quinze membres, cela passe donc par un travail de persuasion et de conviction que développe la France au sein des instances européennes pour convaincre l'ensemble des pays, pour certains, qui sont moins motivés que nous, ou indirectement concernés. Nous cherchons à les convaincre d'avoir une position européenne plus claire, plus nette, plus forte et dynamique. Et je crois que les choses évoluent dans ce sens. Si vous regardez les positions européennes aujourd'hui par rapport à hier, il y a quelques temps, il y a une réelle évolution positive. Et en même temps, par rapport aux États-Unis, nous voulons à la fois coopérer avec eux, soutenir leurs efforts quand ils en font, et garder notre propre analyse et notre propre capacité de proposition. Comme les États-Unis font des efforts importants, nous les soutenons, tout en mettant l'accent sur tel ou tel point où nous avons des analyses un peu différentes. Si les États-Unis relâchent leur effort, nous augmenterons le nôtre parce qu'il faut éviter à tout prix que l'on se retrouve dans une situation où il n'y aurait plus aucune perspective. La France a toujours su prendre quand il fallait les initiatives nécessaires pour relancer les choses et ajouter au débat les propositions qui font avancer les idées. Il faut éviter à tout prix cette asphyxie progressive et cette absence de perspective.
Q - Monsieur le Ministre, la France a toujours plaidé pour que le bassin de la Méditerranée soit un espace de paix et de sécurité. L'existence de l'arme nucléaire en Israël constitue un danger pour tous les pays de la région. Quelle est la position de votre gouvernement vis-à-vis de cette question ?
R - Notre position, c'est qu'il faut en effet travailler pour que la Méditerranée ne soit plus un lieu d'affrontement, mais un lieu de paix, d'échanges et de coopération. Il suffit de dire cela pour voir qu'il y a du chemin à faire par rapport à la situation réelle. Donc, avec pragmatisme et en même temps avec ténacité, il faut créer des enceintes, des mécanismes de coopération des procédures de discussions politiques et diplomatiques pour que petit à petit se développe dans la région une culture de paix et de sécurité, ce qui suppose une plus grande transparence. Il faut que les uns et les autres s'informent plus sur la réalité de leur politique de défense et sur leurs intentions. Nous avons contribué à beaucoup de cadres, par exemple le processus de Barcelone a créé un cadre euro-méditerranéen qui permet à tous les Européens et tous les pays concernés de travailler. Évidemment, c'est plus difficile de le faire quand le processus de paix est bloqué que quand il se développe. Le climat n'est pas à la confiance. Mais nous pensons qu'il ne faut pas complètement subordonner ce dialogue et cette coopération entre l'Europe et la Méditerranée à l'avancée du processus de paix, parce que l'on se prive de possibilités de coopération qui sont quand même très utiles. Il faut garder un certain équilibre. C'est une enceinte dans laquelle il faut parler politiquement de la situation, même dans des termes très nets, très carrés et sans détour, avec les critiques et les divergences qui existent. Elles existent, et il faut qu'elles puissent s'exprimer quelque part. En même temps, nous pensons qu'il faut sans attendre développer des coopérations entre l'Europe et le sud de la Méditerranée, ne pas reporter tout cela à l'avenir, au moment où tous les problèmes seront réglés, car nous ne savons pas quand cela interviendra. Donc, il faut essayer de tenir compte des différents éléments de votre question, mais quand même avancer sur la route de la coopération. La Syrie joue un rôle éminent dans ce processus de Barcelone.
Q - Monsieur le Ministre, Israël poursuit sans cesse sa politique d'implantation et d'expansion dans des territoires arabes, défiant ainsi les résolutions internationales, légitimes. Comment envisagez-vous ce problème très dangereux ?
R - Nous sommes en désaccord avec cette politique et nous rappelons régulièrement qu'elle est contraire à de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité, contraire aux engagements du processus de paix, et en tout cas directement contraire à tout esprit de confiance, de dialogue. D'une façon générale, nous sommes convaincus qu'on ne peut recréer un climat favorable au processus de paix que s'il n'y a pas d'actes unilatéraux qui soient contraires à cet esprit. Or il s'agit là d'exemples-types d'actes unilatéraux qui compliquent la situation, et qui aggravent les choses au lieu d'aller vers une solution. Notre position est tout à fait claire, et d'ailleurs, quand nous parlons avec les responsables israéliens, nous la leur rappelons sans détour. Ce n'est pas la bonne voie.
Q - Monsieur le Ministre, y a-t-il du nouveau lors du Sommet de Cardiff concernant le processus de paix ? Le rôle européen va-t-il rester cantonné à des condamnations, notamment en ce qui concerne Jérusalem et la politique de M. Netanyahou vis-à-vis de cette ville ?
R - Le Sommet de Cardiff était consacré essentiellement à d'autres sujets, concernant le fonctionnement de l'Union européenne, les questions institutionnelles en Europe, les négociations sur le financement de l'Union européenne entre 2000 et 2005, l'Agenda 2000, enfin beaucoup d'autres sujets très lourds. Malgré tout, un échange de vues a eu lieu sur la question du Proche-Orient et, comme à chaque réunion européenne maintenant, on constate une préoccupation grandissante, une analyse des autres Européens dont je pourrais dire qu'elle est de plus en plus proche de l'analyse française sur le sujet et donc, une volonté de plus en plus présente de faire quelque chose pour inverser cette tendance, dans l'esprit que je vous ai indiqué il y a un instant, c'est-à-dire avec un mélange de coopération avec les efforts américains et de spécificité européenne dans l'approche du sujet parce que nous sommes plus proches de ces pays et que cela nous concerne encore plus directement. Il y a une progression, il y a une évolution. L'Europe est de plus en plus consciente, de plus en plus déterminée et déçue par l'évolution actuelle, et de plus en plus impatiente de voir se reconstituer un processus de paix. C'est un processus par petits pas, puisque la détermination des positions européennes relève d'une discussion à 15 pays, plus la Commission. Donc, ce n'est pas quelque chose qui change du jour au lendemain.
Q - Vous avez déclaré au magazine “L'Express” que les Israéliens depuis 25 ans font la promesse de se retirer du Sud-Liban. Vous avez dit que ces propos ont perdu leur sens. Comment voyez-vous le contournement du gouvernement de M. Netanyahou pour appliquer la résolution 425, qui appelle à un retrait immédiat et sans conditions ?
R - Je ne suis pas sûr d'avoir employé exactement les termes que vous rappelez, mais cela n'empêche pas de répondre à la question. Cette résolution 425 est en effet très ancienne. Et c'est aussi pour cela que j'ai considéré que, quand le gouvernement de M. Netanyahou et en tout cas certains de ses ministres, notamment le ministre de la Défense, avait parlé de l'application de la 425 et avait reconnu la légitimité et la légalité de cette résolution, nous avons considéré que c'était un progrès par rapport aux refus antérieurs de reconnaître la validité même de la résolution. Je disais il y encore un instant qu'elle était assortie de conditions qui viennent s'ajouter à la résolution. Ces conditions ne sont pas un élément positif. J'essaie d'être équitable dans mon appréciation. Maintenant, vous parlez de contourner le gouvernement. On ne peut pas contourner un gouvernement qui est légitime et démocratique. M. Netanyahou est élu par le corps électoral israélien…
Q - Je voulais dire que M. Netanyahou essaie de contourner cette résolution…
R - Je ne peux que répéter ce que nous avons déjà dit, c'est-à-dire que la résolution en claire et nette en ce qui concerne son application sans conditions. Il y a même une résolution 426 qui prévoit cela. Par conséquent, d'un côté, nous trouvons positif que ce gouvernement ait reconnu la résolution, et d'un autre côté, nous ne trouvons pas positif qu'il ajoute des conditions qui n'existent pas. Nous souhaitons qu'une solution soit trouvée à ce problème, mais la France ne va pas se substituer aux intéressés directs. La France peut écouter, transmettre les messages, faciliter les choses, contribuer à créer un climat, rappeler que les problèmes de la région sont liés entre eux et que c'est une illusion de vouloir les résoudre par petits morceaux.
Q - Comment la France voit-elle l'alliance militaire israélo-turque et quelles sont ses répercussions sur la situation dans la région ?
R - Les Israéliens développent des relations avec qui ils veulent et qui le veut bien. La Turquie est aussi un pays sur lequel je n'ai pas à porter d'appréciation directe. Ce que je peux dire simplement, c'est que dans cette région du Proche-Orient, du Moyen-Orient et de la Turquie, la paix n'est pas encore vraiment établie, et si elle paraît établie, elle n'est pas solide. C'est une région fragile. Or, cette région a droit à la paix comme les autres régions du monde. Et les peuples de cette région ont le droit de connaître la paix, la sécurité, de connaître le développement dans une cohabitation heureuse les uns et les autres. C'est une idée générale. Il n'y a aucune raison que cette partie du monde soit condamnée à connaître à perpétuité des problèmes insolubles. C'est injuste. Dans ce contexte général, nous sommes favorables à tout ce qui favorise la paix, tout ce qui favorise la confiance, tout ce qui fait baisser la tension, tout ce qui crée les bases d'un processus de cohabitation pacifique qui sera long à construire, mais qu'il faut évidemment bâtir, comme les Européens ont fini par le faire, eux qui se sont énormément combattus pendant des siècles et des siècles. Ils ont fini par aboutir à un système de cohabitation qui est devenu un vrai système de coopération. Je refuse absolument l'idée que le Moyen-Orient soit condamné à la guerre, à l'injustice, à l'absence de paix. Nous préférons les politiques qui font baisser la tension aux politiques qui font monter la tension. Voilà ce que je peux dire sur un plan général.
J'ajoute un dernier mot, si vous me le permettez : nous attendons le président Assad avec beaucoup d'intérêt. C'est une visite très importante pour nous. Cela fait très longtemps qu'il n'y avait pas de visite en France à ce niveau-là. Les relations sont constantes et denses, et nous sommes convaincus que cette visite aura beaucoup d'importance et de très bons effets sur le plan bilatéral, sur le plan de la compréhension de nos positions et sur le plan régional. Ce sera une étape importante pour le Proche-Orient.
LE JOURNAL DU DIMANCHE - 19 juillet 1998
A quoi aura servi cette visite controversée ?
- « A confirmer et à consolider le rôle de la diplomatie française qui - pour pouvoir jouer un rôle de la diplomatie française qui – pour pouvoir jouer un rôle utile dans le sauvetage du processus de paix, pour la relance des négociations israélo-syriennes, pour l'amélioration de la situation au Sud Liban - doit entretenir des relations régulières, au plus haut niveau possible, avec tous les États de la région et les protagonistes de ces conflits.
Elle aura également permis au président de République et au Premier ministre de redire devant le président, Assad leur attachement à une solution équitable du conflit israélo-palestinien, à la souveraineté et à l'intégrité du Liban, et leur souci de voir la démocratie dans tous les pays de la région, y compris en Syrie. Elle aura enfin été l'occasion d'échanges très intéressants sur le développement des relations économiques bilatérales et l'ouverture économique de la Syrie que la France encourage. »
La France, malgré tout, n'a-t-elle pas conforté un « dictateur » ?
- « Le président Assad, au pouvoir depuis vingt-huit ans, n'a pas besoin d'être conforté. Le problème ne se présente pas ainsi. Chacun voit bien qu'il n'y aura de solutions durables à aucun conflit du Proche-Orient sans engagement de la Syrie. Ceci explique que tous les dirigeants occidentaux - de Henry Kissinger à Madeleine Albright, ou du général de Gaulle au président Chirac - aient entretenu un dialogue politique et diplomatique avec le président Assad. Et d'ailleurs, quand Shimon Peres voulait régler le problème israélo-syrien, c'est bien évidemment avec le président Assad qu'il négociait. Si on veut être utile, il faut savoir entretenir des relations politiques de ce type avec tous les dirigeants de la région sans exception ! »