Texte intégral
L'Humanité : 9 juin 1994
Robert Hue : hommage à la Résistance
C'est avec beaucoup d'émotion que je prends la parole en cette soirée qui nous réunit pour célébrer le cinquantième anniversaire du débarquement des forces alliées et de la libération de la France. C'est en effet de tout leur cœur – je dirais même de tout ce qui fait la force de leur idéal et de leur identité – que les communistes français vivent le souvenir de ces moments intenses qui marquèrent la fin d'une douloureuse nuit de cauchemar, la liberté reconquise.
Le débarquement : une étape essentielle
Au lendemain de l'anniversaire de ce "Jour le plus long", permettez-moi d'abord de saluer l'immense courage de ces jeunes gens qui – toutes nationalités mêlées : Américains, Canadiens, Anglais, Français et bien d'autres encore – sont venus, dans notre pays et pour notre pays, combattre, dans la mitraille et la fureur, la peste brune du fascisme hitlérien. Beaucoup l'ont payé de leur vie, qui reposent désormais en terre de France. Ma présence hier sur la côte normande, aux cérémonies officielles, visait à témoigner que la reconnaissance des communistes français leur est à jamais acquise, que le souvenir de leur sacrifice est pour nous ineffaçable. Le débarquement du 6 juin 1944 constitue une étape essentielle dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Déjà fortement amenuisées par les offensives soviétiques ininterrompues depuis Stalingrad au prix de lourds sacrifices, affaiblies par les bombardements quais quotidiens du territoire allemand par l'aviation anglo-américaine, diminuées sous les coups que leur portent les résistances dans les pays occupés, les forces de l'Allemagne hitlérienne sont – avec l'ouverture de ce « second front » si longtemps espéré – prises dans un étau dont elles ne sortiront pas.
« La Bataille de la France »
Mais la « campagne de France » ne se limite pas à un duel entre deux armées ennemies. La Résistance, qui s'est construite et fortifiée depuis 1940 dans une lutte de tous les instants, au prix de lourds sacrifices, y joua un rôle important. Dans ces journées essentielles où l'établissement et la consolidation de la tête de pont alliée exigeaient par-dessus tout que les divisions allemandes ne puissent rejoindre le front normand, l'action de la Résistance française est considérable. Comme l'écrit l'historienne Germaine Willard dans le numéro spécial de l'« Humanité Dimanche » consacré à la libération de la France : "La rage meurtrière des nazis – dont Oradour constitue l'horrible symbole – atteste déjà le poids de la Résistance dans la Bataille de France."
L'ouverture de ce véritable front intérieur donnera aux combats une dimension originale, contribuant à ce que « la Bataille de France » soit aussi – selon l'expression du général de Gaulle « la Bataille de la France ». Cette offensive de la Résistance française en liaison avec le débarquement allié a été pensée et préparée, les forces patriotiques ayant réussi à s'organiser et à coordonner leurs forces. L'union des forces de la Résistance était, on le sait, une préoccupation majeure pour le Parti communiste français qui avait lancé le mot d'ordre : « S'unir, s'armer, se battre. » Et, en mars 1944, c'est à l'unanimité que le Conseil national de la Résistance adoptait son programme dans lequel il fixait l'objectif de la préparation et du développement de l'insurrection nationale.
Cette participation active, multiforme et généralisée du peuple français, armé et non armé, à sa propre libération a été efficace. Elle a, par exemple, considérablement raccourci les délais prévus par les Alliés. Ainsi la frontière belge, dont le passage était programmé pour décembre 1944, sera atteinte le 4 septembre. L'insurrection nationale a également été décisive pour permettre la reconquête de l'indépendance nationale. Car, on le sait, la libération du territoire n'impliquerait pas forcément le rétablissement de la souveraineté française. Les Alliés, surtout les américains, entendaient dans le cadre de leur politique propre, se réserver un droit de regard et d‘intervention en France. Un système d'administration alliées, à l'image de ce qui se fit en Sicile dès juillet 1943, avec fonctionnaires et monnaie, l'AMGOT – l'Administration militaire alliée des territoires occupés – était prêt pour la France. Les Français par leur combat reprirent en main leur propre sort. Et l'installation immédiate sur place des autorités françaises issues de la Résistance traduisirent clairement le rétablissement d'un État national souverain.
Ainsi, à l'heure où Pétain, à Vichy, supplie les Français de ne rien faire pour entraver la marche de l'armée allemande ; où Darnand mobilise la franc-garde de la Milice en disant : « Considérez comme des ennemis de la France les francs-tireurs et partisans, les membres de la prétendue armée secrète et ceux des groupements de la Résistance » ; des hommes, des femmes, des jeunes, en un mot des patriotes – les armes à la mains ou par la grève, la manifestation, le sabotage, la distribution de tracts… – se lèvent et contribuent à la renaissance du pays. C'est pourquoi en ces jours anniversaires, nous avons voulu, aux sacrifices des Alliés et de tous les combattants antifascistes, associer ceux des Français qui, sur le territoire national, en Afrique du Nord ou à Londres, dans une grande diversité de situations et de convictions, ont écrit par leur courage et souvent au prix de leur sang, cette grande page glorieuse de notre histoire qui s'appelle « la Résistance ».
La Résistance : une grande page glorieuse
Évoquant la diversité des convictions et des composantes de la Résistance, chacun comprendra que je veuille saluer tout particulièrement le rôle des communistes français. Moi qui suis de la génération née après la guerre, permettez-moi de dire l'immense respect, l'admiration, la gratitude que j'éprouve en ce moment où ; au nom de tous mes communistes français, toutes générations confondues, j'ai l'immense honneur de rendre hommage à ces communistes, nos aînés, résistants, emprisonnés, torturés, déportés. Je veux saluer avec émotion la mémoire des disparus, de ces dizaines de milliers d'hommes et de femmes communistes assassinés par les nazis dans les combats de la Résistance, lâchement exécutés, morts en déportation – à tous ces camarades dont le Parti fut appelé à la Libération « le Parti des fusillés ».
Je veux dire à tous les survivants, et m'adressant aux camarades qui représentent ce soir ces combattants de l'ombre, comme Marie-Claude Vaillant-Couturier, Léo Figuères, Charles Lederman, Gaston Plissonnier, Henri Rol-Tanguy, André Tollet, combien nous sommes fiers d'appartenir au Parti qui, grâce à eux, a joué un tel rôle et pour un aussi noble idéal dans le combat patriotique et libérateur. Après eux, et en espérant de tout cœur être dignes d'eux tous, nous sommes des communistes français, c'est-à-dire du même élan des Français communistes.
Un formidable amour de la liberté
Évoquant la Résistance et les communistes dans la Résistance, je pense d'abord à un formidable amour de la vie et de la liberté. Qui l'a mieux exprimé que Paul Eluard à l'heure du « couvre-feu » : « Que voulez-vous la porte était gardée/ Que voulez-vous nous étions enfermés/ Que voulez-vous la rue était barrée/ Que voulez-vous la ville était matée/ Que voulez-vous elle était affamée/ Que voulez-vous nous étions désarmés/ Que voulez-vous la nuit était tombée/ Que voulez-vous nous nous sommes aimés. » Je pense à ces débuts de l'occupation et de la terreur, aux communistes traqués, pourchassés, à ces gestes obscurs comme la collecte de fonds, de vivres, de vêtements pour les combattants en armes ; à ces grèves ouvrières, fût-ce de quelques minutes, à ces ralentissements de cadences, à ces « pannes » minutieusement préparées ; à toute cette « petite» résistance sans laquelle la « grande » n'aurait pu se fortifier et garantir.
Comme le dit Aragon : « Quand nous étions des étrangers en France/ Des mendiants sur nos propres chemins (…) / Alors ceux-là qui se levèrent/ Fût-ce un instant fût-ce aussitôt frappés/ En plein hiver furent nos primevères/ Et leur regard eut l'éclair d'une épée. » Je pense à ce courage et à cette fraternité généreuse des maquis où « Ami si tu tombes/ Un ami de l'ombre/ À ta place. » Je pense à tous ces noms qui signifient courage et honneur : Organisation spéciale, MOI, FTP, Bataillons de la jeunesse, « Humanité » clandestine, Affiche rouge fusillés de Châteaubriant, et tant d'autres… Je pense au « Chemin de l'honneur » des députés communistes et à « l'honneur des poètes », en ces temps déraisonnables où la poésie était arme et cri repris et prolongé en espoir infini.
Je pense aux noms de tant de héros tombés et à ce qu'exprimait si bien Maurice Schumann, porte-parole de la France libre à la BBC, quand il évoquait le 7 mars 1942, l'exécution de Gabriel Péri et d'Estienne d'Orves : « Quand le moment vint d'aller regarder la mitraille allemande en face, tous deux – celui pour qui le communiste et celui pour qui l'Evangile étaient la jeunesse du monde – tracèrent spontanément le même testament : « Je me sens très fort pour affronter la mort : adieu et que vive la France. » Leurs raisons de vivre étaient différentes, opposées. Le même mot pourtant les résumait et, du même coup, leur donnait la force de mourir : France !
L'union et la nation
Car le poids de la Résistance française s'est forgée dans son union, pour laquelle le Parti communiste ne cessa d'agir avec notamment son appel de mai 1941 à la constitution d'un « Front national de lutte pour l'indépendance de la France ». Cette union des communistes, des gaullistes, des socialistes, des chrétiens, des juifs, des francs-maçons, et de bien d'autres n'allait pas de soi ! C'est dans l'idée de nation, qu'elle prit sa source ; dans le caractère national du combat pour l'indépendance du pays qu'elle se forgea. C'est d'ailleurs bien la nation que l'Allemagne nazie voulait détruire. Pour établir la domination de la « race des seigneurs », il lui fallait museler les nations, les piller, y déraciner tout ce qui en faisait la force, en définitive les briser. À l'inverse, pour défendre ses raisons de vivre, ses convictions, ses visons de l'avenir – aussi différents soient-elles – il fallait lutter contre l'oppression nationale et reconquérir l'indépendance du pays.
Renaissance nationale et démocratique
Si le combat national a conduit à l'union de l'ensemble des forces patriotiques, il a été en même temps le révélateur d'une des spécificités essentielles de la nation française, issues de la Révolution de 1789 et de l'an II : les liens étroits existant entre la nation et le mouvement populaire et démocratique. Cette articulation très forte entre peuple et nation, entre idées démocratiques et sentiment national que le Parti communiste exprimait fortement depuis les années trente, va également marquer l'ensemble de la Résistance. La situation d'alors l'impose : c'est par des mesures de revanche sociale et de régression politique mises en œuvre sous le vocable de « révolution nationale » que « l'État français » de Vichy aide l'occupant nazi à piller le plus possible et le plus tranquillement possible, la nation. Ainsi, politique réactionnaire, volonté de porter des coups aux forces populaires et trahison nationale vont du même pas.
N'est-ce pas ce que constate amèrement le général de Gaulle le 1er avril 1942 lorsqu'il écrit : la France a été « trahie par ses élites dirigeantes et ses privilégiés » ? Et n'est-ce pas ce qu'avait déjà noté quelques mois plus tôt, en novembre 1941, François Mauriac en affirmant : « Il a fallu toucher le fond de l'abîme pour retrouver l'espérance. Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée. » À l'opposé, en rappelant dès l'appel de juillet 1940, sous les signatures de Maurice Thorez et Jacques Duclos que « c'est dans le peuple que résident les grands espoirs de libération nationale et sociale », le Parti communiste donne à la lutte patriotique toute sa portée et sa pleine dimension.
Le programme du Conseil national de la Résistance tire pour sa part les conséquences de cette idée fortifiée et mûries dans la lutte. Dans sa deuxième partie où il envisage les conditions de la renaissance nationale, il précise qu'il faut construire une République nouvelle, plus démocratique et plus sociale ; une République qui améliorerait les conditions de vie des familles populaires ; une République qui étendrait les droits d'intervention des travailleurs dans tous les domaines de la vie sociale, - y compris au plan économique – tandis que serait limité le poids de l'oligarchie financière et du grand patronat. Ces orientations marqueront, on le sait, la politique menée après la Libération.
Des points de repère pour aujourd'hui
Ainsi, liberté, union, patrie, nation, peuple… telles sont les valeurs essentielles que les communistes ont contribué avec d'autres à faire vivre dans la Résistance française. Qui ne voit qu'elles constituent les points de repère indispensables de nos combats d'aujourd'hui ? Toute cette page d'épopée grandiose et humaine montre en particulier – et je crois que moins que jamais en ce moment nous ne devons l'oublier – que lorsque le peuple est opprimé, la nation est affaiblie. Et réciproquement, ceux qui veulent désarmer le peuple s'efforceront d'affaiblir, voire de liquider, le cadre national dans lequel il a forgé son identité ses droits ses moyens d'action. Voilà bien pourquoi nous pouvons honorer au présent la Résistance française et l'action des communistes dans la libération de la France et ailleurs, s'emploient à effacer, à falsifier à « réviser » le passé, nous, nous nous souvenons de cet épilogue, que Bertolt Brecht ajouta en 1944, à sa pièce écrite en 1941 : « La résistible ascension d'Arturo Ui ». « Nul ne doit chanter victoire hors de saison : le ventre est encore fécond, d'où a surgi la chose immonde. » Je me réjouis qu'un large public, notamment de jeunes, puisse aussi y réfléchir en ce moment à Paris, où cette pièce est jouée avec succès. Et je ne doute pas que cette soirée et toutes celles qui sont ou seront organisées par les fédérations, sections et cellules du Parti, contribueront à des réflexions du même ordre et à des riches discussions porteuses d'avenir.
L'Humanité : 25 août 1994
Robert Hue : un idéal commun qui s'appelait la France
Le comité national du PCF a organisé hier matin une réception destinée à marquer le 50e anniversaire de la libération de la capitale. Plusieurs centaines de personnalités étaient présentes.
Robert Hue a mis en relief à cette occasion la portée du soulèvement victorieux de la population parisienne. Il a souligné l'actualité du message de la Résistance, après avoir salué sa « diversité » et son « union ».
Une délégation d'antifascistes allemands a participé à cette initiative. En leur nom, Peter Gingold a fait part de son émotion. Il a remis au secrétaire national du PCF l'un des rares originaux du tract distribué le 20 août 1944 aux soldats d'occupation.
Dans le discours qu'il a prononcé hier matin, Robert Hue a souligné d'emblée : « Il y a cinquante ans, Paris insurgé se libérait. La souveraineté nationale était rétablie et l'ennemi défait. Après des années de souffrance, de malheurs, mais aussi d'abnégation, de courage et de luttes, la liberté allait l'emporter enfin sur la barbarie nazie. Avec la réception d'aujourd'hui, qui s'inscrit dans tout un ensemble d'initiatives marquant cette année, le Parti communiste français entend célébrer ce grand anniversaire, montrer toute l'importance qu'il accorde à cet événement et apporter sa contribution aux multiples cérémonies qui en commémorent le souvenir glorieux. Il entend en particulier rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui en furent les artisans : résistants et patriotes en leur diversité, soldats alliés, hommes de la 2e DB. »
Le peuple en mouvement
Après avoir salué « la mémoire des hommes et des femmes qui, fraternellement unis dans le sacrifice sont tombés dans le sacrifice, sont tombés dans ces combats libérateurs », Robert Hue a souligné que « les communistes vivent de tout cœur, je dirais même de toute leur identité et la force de leur idéal, la commémoration de ces moments intenses ». Tout à la fois « pour ne pas oublier les enseignements du passé, mais aussi pour aider les jeunes générations à s'approprier l'héritage historique de notre peuple et ainsi mieux appréhender l'avenir. C'est d'autant plus nécessaire et possible que tout est existant dans ces combats, que tout garde son intérêt actuel en cette époque. Parmi les résistants, il y avait beaucoup de jeunes. Et ainsi, en dépit de l'éloignement dans le temps, le message garde toute sa force : ce sont des jeunes – ceux d'hier – qui parlent aux jeunes d'aujourd'hui ».
Le secrétaire national du PCF a poursuivi :
« Pour beaucoup de ceux qui n'ont pas connu cette période, la Libération évoque la joie de la liberté retrouvée, l'arrivée libératrice des blindés de Leclerc et des soldats américains, cette foule massive sur les Champs-Élysées, pour accueillir le général de Gaulle et les responsables de la Résistance. Autant d'images fortes mais qui ne peuvent suffire à elles seules à comprendre ce formidable mouvement qui mettra fin à des années de cauchemar. Au nombre des forces qui y contribuèrent, je n'oublie pas l'immense sacrifice des peuples soviétiques et l'enlisement de l'armée allemande à l'est après Stalingrad, l'impact décisif du débarquement allié en Normandie, précédant celui de Provence avec notamment les armées de De Lattre de Tassigny, des divisions algériennes, marocaines et “coloniales”, comme l'on disait alors.
« Et je veux, bien sûr, rendre hommage à la Résistance, en la diversité de ses composantes et des lieux de ses combats ; à ces combattants de l'ombre, français et étrangers qui, souvent au péril de leur vie et en le payant de lourds sacrifices, d'emprisonnement, de tortures, de déportation, vont porter des coups très durs à la machine de guerre hitlérienne et à ses complices, les sinistres sbires de la collaboration. Je veux d'ailleurs saluer tout particulièrement le rôle des femmes dans ces batailles, souvent sous-estimé ou méconnu – n'est-ce pas parce qu'il fut très efficace ? –, ce rôle que symbolisa si bien, parmi beaucoup d'autres, Marie-Claude Vaillant-Couturier jusque devant les bourreaux nazis rendus à la justice des hommes à Nuremberg. »
Le chemin de la dignité
En ces jours anniversaires de la libération de Paris, je pense à celles et ceux qui, dès les premières heures sombres de la défaite et de l'Occupation, choisirent le chemin de l'honneur et de la dignité. Et je pense à ces jours d'été 1944, à ces efforts pour créer les conditions matérielles et morales de l'insurrection parisienne, à ces grèves et sabotages qui allaient progressivement paralyser la ville jusqu'au soulèvement libérateur. Quel meilleur hommage aux insurgés et aux barricades parisiennes que cette formule d'Eisenhower écrivant dans ses Mémoires : « j'ai eu la main forcée par les Forces françaises de l'intérieur » ; ou bien encore déclarant au président du Comité parisien de libération, notre camarade André Tollet : « Quand nous sommes arrivés, nous, les troupes régulières, nous avons donné le coup de grâce à l'ennemi, mais Paris était déjà aux mains des Parisiens. »
Un lien mûri au fil de l'Histoire
Quel meilleur hommage encore au peuple de Paris que le nom du chef des Forces françaises de l'intérieur pour la région Ile-de-France, Henri Rol-Tanguy, figurant sur l'acte de reddition de von Choltitz à côté des signatures de Leclerc, de Jacques Chaban-Delmas et de Maurice Kriegel-Valrimont. C'est qu'en effet, tout comme au plan national, les conditions de la libération de Paris représentaient un enjeu majeur pour la France et la restauration de sa souveraineté. Il y allait notamment de la restauration d'une indépendance nationale véritable, sous l'autorité du Gouvernement provisoire de la République française. Quand de Gaulle s'installe le 26 août au ministère de la Guerre qu'il a quitté en 1940, il n'est pas un point du territoire où l'autorité de la Résistance et du gouvernement provisoire français ne soit reconnue. (…)
Ce soulèvement populaire et son efficacité résultent largement de l'union des forces de la Résistance dans le combat contre le nazisme. Et pourtant, comme je l'ai rappelé en juin dernier au cours d'une soirée d'hommage à la Résistance à la Mutualité à Paris, cette union n'allai t pas de soi. Pouvait-on unir « celui qui croyait au ciel » et « celui qui n'y croyait pas », communistes, gaullistes, socialistes, chrétiens, juifs, d'autres patriotes et démocrates ? Par-delà des options et confessions différentes, des efforts acharnés parvinrent à créer un ciment, un idéal commun qui s'appelait France, cette nation que l'Allemagne nazie voulait museler en en pillant la force et en tentant d'en déraciner la substance.
N'est-ce pas ce lien très fort, issu de la Révolution française, mûri au fil de notre histoire et jusque dans ces luttes libératrices entre sentiment national et mouvement populaire et démocratique qu'exprimera le programme du Conseil national de la Résistance ? Permettez-moi d'ailleurs, puisque j'ai évoqué la diversité et l'union de la Résistance, de saluer celles qui s'exprimèrent au sein du CNR et dont témoignent ici aujourd'hui Robert Chambeiron, proche collaborateur de Jean Moulin, qui en fut le secrétaire général, et Auguste Gillot, qui y représenta notre parti. Je pense en particulier à ces passages où le texte programme du Conseil national de la Résistance évoque les conditions de la renaissance nationale, la nécessité de construire une République nouvelle, plus démocratique et plus sociale, où les droits des travailleurs seraient élargis dans tous les aspects de la vie, y compris au plan économique.
Chacun ressent bien l'importance de ces acquis de la Libération et le caractère de leur empreinte jusqu'à ce qui fait les enjeux de notre actualité. Et c'est dans cet esprit que nous nous employons à les défendre avec force et – comme ils ont été obtenus – dans l'union. Et, puisque j'évoque la diversité des convictions de la Résistance et le rôle des travailleurs, du mouvement populaire, chacun comprendra que je tienne tout particulièrement à saluer le rôle des communistes français, les nombreux sacrifices qu'ils ont consentis, dans ce combat libérateur et qui sont aujourd'hui largement reconnus.
Les acquis de la Libération
Je veux redire aujourd'hui le respect et l'admiration que j'éprouve au moment où, au nom des communistes français, j'ai l'honneur de rendre hommage à nos glorieux aînés. Je veux saluer la mémoire de tous ceux qui payèrent de leur vie leur rejet du fascisme et leur attachement à la liberté et à la patrie. Je veux dire aux survivants notre gratitude de notre fierté d'appartenir au Parti qui, grâce à eux, a joué un tel rôle au service d'un aussi noble idéal.
Oui, liberté reconquise, union et démocratie, grandeur et dignité nationales furent de ces valeurs que dès les premières heures du combat, les communistes surent contribuer à faire vivre et grandir, jusqu'au soulèvement décisif ; jusqu'à ce 14 juillet 1944 où les forces nazies et leurs supplétifs n'osent pas massivement intervenir ; jusqu'à ce 18 août où – comme le raconte André Carrel dans son livre – trois affiches recouvrent les murs de Paris : celle de la CGT et de la CFTC appelant à la grève nationale, celle signée d'Henri Rol-Tanguy appelant les Parisiens au combat, et celle du Parti communiste français appelant à « l'insurrection libératrice » ; jusqu'à ce 25 août, à 5 heures du soir, et à la capitulation des Allemands à Paris ; et jusqu'aux combats qui suivront pour la libération totale du pays et la défaite de l'Allemagne nazie.
Je viens d'évoquer la diversité des forces de résistance et le rôle qu'y tinrent les communistes. Cette diversité était d'opinions, d'idées, d'objectifs, mais elle était aussi diversité d'appartenance nationale. Je veux bien sûr parler de « ces étrangers et nos frères pourtant », ce vers qu'écrivait Aragon pour les martyrs de « l'Affiche rouge », mais qui vaut, au-delà d'eux, pour tous les sacrifices des combattants de la MOI, pour toutes celles et tous ceux qui, étrangers en notre pays, participèrent au coude à coude avec les résistants français au combat contre le fascisme sur notre sol, et bien souvent dans le sillage d'honneur des Brigades internationales en Espagne. Vous comprendrez que je tienne à saluer tout particulièrement à cet égard les antinazis allemands qui prirent part à la libération de notre pays. Je crois qu'ils furent de l'ordre d'un millier à participer aux combats et c'est avec grand plaisir et beaucoup d'émotion que nous accueillons aujourd'hui une délégation les représentant.
Message de paix et de fraternité
Après avoir remercié chaleureusement celle-ci « d'avoir répondu à notre appel », le secrétaire national du PCF a dit « pourquoi nous avons tenu tout particulièrement à les inviter à cette réception et quelle signification nous donnons à leur présence parmi nous aujourd'hui ». Vous le savez, à l'invitation du chef de l'État, des troupes allemandes de l'Eurocorps ont participé au défilé du 14 juillet dernier sur les Champs-Élysées. Dès on annonce, j'avais déclaré que cette invitation était choquante. C'était le 1er juin dernier, lors d'une allocution au mémorial de la Paix à Caen. Bien des organisations, des personnalités de la Résistance ont émis des points de vue semblables. Une manifestation, organisée à notre initiative le 12 juillet dernier à proximité de l'Arc de triomphe, permit à de nombreux Parisiens d'exprimer leur réprobation.
Les raisons en sont simples. On parle de réconciliation franco-allemande. Elle est éminemment souhaitable avec l'Allemagne, comme le sont la paix, l'amitié avec tous les peuples. Mais, nous l'avons dit, il est regrettable qu'on la symbolise le jour de la fête nationale et sous la forme d'une parade militaire, par le biais d'armements et d'engins de mort sophistiqués, dans le cadre d'un organisme supranational (…). C'est pourquoi nous avons estimé que l'amitié nécessaire entre les peuples français et allemand méritait mieux que les parades militaires archaïques. Il y a mieux à faire en matière de relations franco-allemandes que cette démonstration adressée en commun par nos deux pays et l'Eurocorps aux autres peuples du monde (…) Plutôt que cette escalade de puissance guerrière, nous voyons, nous, comme avenir de véritables coopérations économiques, technologiques, culturelles entre la France et l'Allemagne et un message de paix et de désarmement que pourraient adresser au monde nos deux peuples.
C'est en ce sens que nous avons appelé à une rencontre pacifique et fraternelle de jeunes de nos deux pays. Nous y contribuerons en invitant de jeunes Allemands dans quelques jours à la Fête de l'Humanité. Et, soucieux que l'avenir ne se construise pas sur l'oubli du passé et de ses enseignements, nous avons invité ces amis antifascistes allemands, frères de combat des résistants français contre le nazisme.
En agissant ainsi, j'ai le sentiment que nous sommes fidèles à ce message qu'exprimait avec force Missak Manouchian à l'heure du sacrifice suprême, quand il écrivait le 21 janvier 1944, dans sa dernière lettre à sa femme : « Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous. » Cet espoir d'une grande dignité humaine mérite toute notre attention. Il exige de nous, on le voit bien, vigilance, lucidité et action. Nous voulons pleinement nous y employer, avec toutes celles et tous ceux qui, comme nous, le partagent.
Phrases clés
Parmi les résistants, il y avait beaucoup de jeunes. Ainsi, en dépit de l'éloignement du temps, le message garde toute sa force : ce sont des jeunes – ceux d'hier – qui parlent aux jeunes d'aujourd'hui.
Le soulèvement populaire et son efficacité résultent largement de l'union des forces de la Résistance dans le combat contre le nazisme. Par-delà des options et des confessions différentes, des efforts acharnés parvinrent à créer un ciment, un idéal commun, qui s'appelait France.
Je veux redire aujourd'hui le respect et l'admiration que j'éprouve au moment où, au nom des communistes français, j'ai l'honneur de rendre hommage à nos glorieux aînés. Je veux saluer la mémoire de tous ceux qui payèrent de leur vie le rejet du fascisme et leur attachement à la liberté et à la patrie. Je veux dire aux survivants notre fierté d'appartenir au Parti qui, grâce à eux, a joué un tel rôle au service d‘un aussi noble idéal.