Interview de M. Lionel Jospin, membre du PS, à TF1 le 12 août 1994, sur les relations entre le gouvernement français et le gouvernement algérien et la montée de l'intégrisme, et sur les arrestations et opérations policières contre des militants islamistes en France.

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Média : TF1

Texte intégral

D. Bromberger : Quelle attitude adopter à l'égard du gouvernement algérien ?

J. Jospin : Cela fait plusieurs années qu'une course est engagée en Algérie entre la démocratie, dont je pense que c'est le seul modèle valable que l'on puisse opposer à l'intégrisme, le seul modèle auquel nous puissions nous identifier et cet intégrisme. Le problème, c'est que nous sommes face à un mouvement violent d'opposition, dont la violence s'exerce contre les étrangers, mais d'abord contre la population algérienne, intellectuels, journalistes, universitaires et je voudrais à cet égard saluer le courage des organisations démocratiques, particulièrement des femmes algériennes qui se battent à visage découvert contre ce fanatisme et cette violence. Et puis nous avons un pouvoir politique qui n'a pas évolué, qui est incapable de mobiliser autour de lui des forces démocratiques, syndicales, des droits de l'Homme, politiques, et qui utilise la violence policière et la violence d'État. Alors je crois qu'il serait imprudent de la part du gouvernement français de donner l'impression qu'il n'appuie pas une démarche démocratique et qu'il s'identifie purement et simplement au gouvernement en place et notamment qu'il approuve l'ensemble des méthodes que celui-ci utilise.

D. Bromberger : Faut-il organiser des élections tout en sachant que la victoire serait donnée au FIS ?

J. Jospin : Ce n'est pas à nous de décider d'organiser des élections en Algérie. C'est à nous de comprendre que le statu quo actuel est impossible et M. JUPPÉ a heureusement nuancé la position de M. Pasqua sur ce point. C'est à nous de dire que nous souhaitons qu'il y ait évolution, dans certains cas de mettre des conditions à l'aide que nous apportons à l'Algérie. C'est à nous d'essayer d'aider les forces démocratiques dans ce pays. Quant au processus électoral, c'est effectivement une question piège d'une certaine façon parce que nous savons que ces élections pourraient donner la victoire au FIS. Mais c'est pourquoi il faut essayer de sortir de cette alternative, entre un pouvoir qui ne peut pas mobiliser la population qui ne veut pas du FIS ou de l'islamisme et la solution de la violence islamique. Le problème n'est pas simplement d'organiser des élections, le problème pour le pouvoir en place est d'organiser d'abord le dialogue avec ces forces démocratiques, de permettre que ces forces trouvent leur place dans la société et qu'ensuite, un processus électoral puisse être envisagé ultérieurement. Donc, il faut non pas poser le problème élection tout de suite avec le risque de la victoire du FIS, mais appuis aux forces démocratiques en Algérie, réforme de l'État et mobilisation des forces qui veulent résister à l'intégrisme en Algérie même. Ensuite, le problème des élections, à mon avis, pourra être posé. Mais il faut surtout que le gouvernement français ne donne pas l'impression que soit, il joue cyniquement la victoire du FIS et ce n'est pas le cas, soit, même, il appuie le gouvernement actuel quelles que soient les méthodes utilisées par ce gouvernement. J'ai été surpris que dans son interview au Méridional, le Premier ministre au moment où ses ministres, où des personnalités de la majorité défendent des points de vue sensiblement différents sur l'attitude à l'égard de l'Algérie, ne se soit pas du tout exprimé sur cette question alors que l'on assiste à un déploiement policier dans notre propre pays et que des menaces existent contre un certain nombre de nos intérêts.