Déclaration de M. Jacques Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, sur la promotion d'une nouvelle génération de metteurs en scène à la direction des centres dramatiques nationaux, Paris le 27 avril 1994.

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Circonstance : Point de presse sur les centres dramatiques nationaux à Paris le 27 avril 1994

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Les Centres dramatiques nationaux constituent, avec les Théâtres nationaux, les pôles d'excellence du théâtre français. Cette quarantaine d'établissements accueillent chaque année deux millions de spectateurs et produisent une centaine de créations, dont plus de cinquante d'auteurs contemporains français. Pour rester à un très grand niveau de qualité, ils doivent nécessairement se renouveler.

Il y a une vingtaine d'années, Michel Guy frappait un grand coup en implantant on province une série de jeunes gens qui se nommaient Jean-Pierre Vincent, Georges Lavaudant ou Gildas Bourdet. Mandat avait été donné à de jeunes metteurs en scène de constituer un nouveau paysage théâtral, avec la confiance du ministre.

Je crois à mon tour qu'il faut savoir oser parier sur de nouveaux talents et faire confiance à cette nouvelle génération de metteurs en scène qui s'est dégagée depuis quelques années. Le principal objet de cette réunion de ce matin est l'annonce de neuf nominations ou confirmations, en tant que directeurs de Centres dramatiques nationaux ou de metteurs en scène associés, qui manifestent ma volonté de promouvoir cette nouvelle génération.

Est-il légitime d'employer une telle expression ? Il serait sans doute réducteur de vouloir systématiquement trouver une cohérence dans une génération qui est constituée de tant de personnalités originales ou atypiques. Je sais aussi que la jeunesse est plus un état d'esprit qu'un phénomène biologique. Je ne crois pas, par exemple, qu'Eugène Ionesco nous ait quittés avec un cœur de vieillard ; et lorsque j'assiste au travail d'un Claude Régy ou d'un Peter Brook, j'ai souvent l'impression qu'ils sont, plus que jamais, animés par le sens du risque, propre à ce qu'il est convenu d'appeler une « jeune compagnie ».

Néanmoins, ce concept me parait légitime. Je le trouve employé sous des plumes autorisées, comme celle de François Le Pillouer, et je crois que l'on peut distinguer effectivement un certain nombre de points communs à cette nouvelle génération.

Outre l'âge, bien sûr, puisque ceux dont on parle aujourd'hui ont tous entre 25 et 45 ans, je citerai par exemple l'importance attachée à la formation, aussi bien à celle qu'ils ont reçue – et leur reconnaissance va à Jean-Pierre Vincent, à Antoine Vitez ou à Jean-Pierre Miquel – qu'à celle à laquelle ils participent. Ils considèrent tous comme fondamental de se consacrer régulièrement à des pratiques pédagogiques. Ils s'intéressent souvent aussi au théâtre pour la jeunesse.

Ils manifestent de nouvelles pratiques théâtrales. Ils aiment travailler avec des équipes stables de comédiens. Ils donnent une grande importance à une longue exploitation de leurs spectacles, qui sont d'ailleurs le plus souvent accueillis par un public enthousiaste.

Les caractérise aussi la pratique des réseaux. Ils sont, depuis plusieurs années, reconnus par leurs pairs. Je voudrais d'ailleurs saluer l'action de découvreur d'une Marie Collin au Festival d'Automne, d'un Emmanuel Hoog au Festival du Haut-Allier ou d'un François Le Pillouer à Théâtre en Mai.

Les jeunes créateurs ont un avenir empli de projets, ils bouleversent nos critères esthétiques mais, ce faisant, ils agissent pour que le public participe à ces ruptures. Ils veulent confronter l'exigence et la participation, l'exigence et la formation.

Ce constat me conduit à entamer un processus de passage de témoin, de relais, de renouvellement.

Le nom de François Le Pillouer a déjà été cité deux fois. Je vais le citer une troisième fois : François Le Pillouer est nommé directeur du Théâtre National de Bretagne à Rennes. Cette première nomination est un peu emblématique de celles qui vont suivre. Sans être lui-même metteur en scène, il a participé directement à l'émergence de cette nouvelle génération, grâce à cette rencontre internationale de jeunes metteurs en scène qui s'est imposée depuis quatre ans, Théâtre en Mai. Ses relations privilégiées avec de nombreux créateurs pourront lui permettre d'assurer solidement la succession d'Emmanuel de Véricourt, qui a décidé lui-même de quitter son poste, qu'il a occupé avec une grande réussite. La Ville de Rennes et le Ministère de la culture ont été en total accord pour la désignation de son successeur.

Dominique Pitoiset est, quant à lui, nommé directeur du Centre dramatique national de Dijon, où il succédera au premier janvier 1996 à Alain Mergnat. Dijonnais, ce metteur en scène majeur auquel on doit notamment « Timon d'Athènes » et le premier « Faust » s'implante ainsi à Dijon, tout en ayant à l'esprit un axe Rennes-Dijon-Lausanne, que son amitié avec François Le Pillouer et René Gonzalès lui permettra aisément de développer. La notoriété du Centre dramatique national de Dijon dépassera ainsi largement les limites de cette ville, dont il est issu et à laquelle il souhaite bien prioritairement se consacrer.

Stéphane Braunschweig est un autre metteur en scène majeur de notre époque. Ses derniers spectacles ont été reconnus unanimement, notamment son magnifique Shakespeare. Implanté depuis deux ans à Orléans, il va y être, selon son souhait, conforté. Il ne s'agit pas à proprement parler, d'une nomination, mais je souhaitais l'inclure dans ce mouvement où il occupe à l'évidence une place éminente. Sa subvention sera augmentée de 50 % et une attention particulière sera portée à ses conditions d'implantation.

Le très jeune Stanislas Nordey s'est, lui aussi, beaucoup fait remarquer depuis quelques années. Metteur en scène de grand talent, sa verve créatrice est très variée. Je me réjouis de la décision de Jean-Pierre Vincent, qui fut son professeur et avec lequel il entretient depuis plusieurs années des rapports très chaleureux, de lui proposer de le rejoindre à Nanterre, pour inaugurer une nouvelle forme de travail, qui allie compagnonnage et grande liberté de création. Une augmentation significative des moyens de Stanislas Nordey lui sera accordée pour soutenir cette expérience, sans que le Centre dramatique national de Nanterre soit oublié.

Éric Vigner, qui est né à Rennes et a étudié le théâtre en Bretagne, est nommé directeur du Centre dramatique régional de Lorient, à compter du 1er juillet 1995. Sa mémorable « Pluie d'Été » de Marguerite Duras, jouée plus de cent fois, a beaucoup frappé. Adepte d'un théâtre ludique et accessible à tous, il sera à l'affiche l'année prochaine à l'Odéon aussi bien qu'à la Comédie Française, au Vieux-Colombier. Son projet pour Lorient est tout à fait convaincant.

Laurent Pelly a une longue pratique du travail au sein d'un Centre dramatique national. Il ne s'est pas fait remarquer que par ses magnifiques spectacles pour les enfants. Sa palette, d'une constante poésie, est très variée. Sa compagnie l'accompagne depuis. près de dix ans. Il est nommé – en plein accord avec Roger Caracache, dont le mandat est renouvelé – metteur en scène associé au Centre dramatique national de Grenoble. Cette pratique de la nomination d'un metteur en scène associé me paraît excellente pour confronter directement de jeunes metteurs en scène aux responsabilités d'un Centre dramatique national. Elle ne préjuge pas de l'avenir, mais elle permet un contact approfondi avec une institution.

Robert Cantarella sera également metteur en scène associé au Centre dramatique national de Toulouse. Il connaît bien Jacques Rosner, dont le mandat a été prolongé de deux ans, afin qu'il puisse inaugurer le nouveau théâtre Sorano. C'est là encore en plein accord avec Jacques Rosner, que je salue, que cette nomination est effectuée. Ayant monté plusieurs pièces de Philippe Minyana, ayant en projet une pièce de Jane Bowles et un triptyque russe, Robert Cantarella est sans aucun doute un metteur en scène d'avenir.

Michel Raskine et André Guittier, enfin, sont nommés par le maire de Lyon et le ministre de la Culture directeurs du Théâtre du Point du Jour à partir de 1995. André Guittier quitte ainsi le Centre dramatique national de Lille pour tenter une nouvelle aventure avec un metteur en scène qu'il a bien connu quand ils travaillaient l'un et l'autre avec Gildas Bourdet. Les quelques mises en scène de Michel Raskin « L'épidémie » d'Agota Kristof ou « Huis-clos », ont beaucoup séduit.

Je crois pouvoir dire que ces différentes nominations traduisent bien une politique, et forment un mouvement cohérent de promotion d'une nouvelle génération de metteurs en scène.

Une nomination complémentaire sera par ailleurs annoncée bientôt en ce qui concerne le Centre dramatique national de Limoges. Pour une question de délai contractuel. la fin du mandat de Pierre Meyrand et d'Arlette Tephany, au 31 décembre 1995 dans plus de 18 mois donc, a été annoncée aux intéressés il y a quelques jours. Une concertation approfondie avec les collectivités locales concernées devrait permettre d'aboutir prochainement à une décision concernant leur successeur.

Je rappelle que la personne des intéressés n'est évidemment pas en cause, et je remercie chaleureusement aussi tous ceux qui, dans d'autres villes, laissent leur place à de plus jeunes. Des solutions seront trouvées pour chacun, mais le renouvellement est nécessaire. Cette nécessité de renouvellement périodique sera d'ailleurs inscrite dans les nouveaux contrats de directeurs de Centres dramatiques nationaux, qui ne devraient, sauf exception, pas passer plus de trois ou quatre mandats de trois ans dans la même ville.

Parmi les autres axes de cette réforme des contrats de décentralisation dramatique, qui est préparée en étroite concertation avec le SYNDEAC, figure la volonté de placer le projet artistique de chaque directeur au cœur des contrats.

Je souhaite conforter aussi la politique de l'État en faveur des auteurs, en demandant la création d'un poste de lecteur au sein de chaque Centre dramatique national et en augmentant le nombre minimal de créations d'œuvres d'auteurs contemporains. Je veux réaffirmer enfin la mission d'aménagement culturel du territoire des Centres dramatiques nationaux par une incitation au théâtre de proximité, sans renoncer aux ambitions nationales et internationales qui sont légitimes pour ces pôles d'excellence que doivent être, je le répète, les Centres dramatiques nationaux.

Un dernier mot, enfin, sur le contexte budgétaire, parce que je sais que c'est une question qui intéresse la plupart d'entre vous. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que rien d'euphorique n'est à attendre dans ce domaine. La procédure budgétaire n'ayant pas encore commencé, je ne pourrai pas répondre aux questions précises. Sachez seulement que je veillerai dans mes arbitrages à tenir compte de la politique que je viens d'énoncer, sans pour autant négliger ni les compagnies, qui sont le terreau indispensable à l'éclosion des talents prometteurs, ni les grands établissements, dont le rôle en matière de création et d'emploi est prédominant. Sur ce dernier point, je tiens à rassurer Roger Planchon et le personnel du Théâtre National Populaire, inquiets de la situation financière du théâtre : un plan de redressement financier du TNP va être mis en place, avec l'aide du ministère de la Culture, et il n'y a aucun péril immédiat.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, ainsi que ceux qui m'entourent, représentants de cette nouvelle génération à laquelle est consacrée cette réunion.