Interviews de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, à RTL le 19 avril 1994 et à France-Inter le 20 avril, sur les résultats du rapport Schléret concernant la liste des établissements scolaires dangereux.

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Média : RTL - France Inter

Texte intégral

RTL : Mardi 19 avril 1994

J.-M. Lefebvre : La situation n'est pas brillante ?

F. Bayrou : Elle est d'abord nouvelle. C'est la première fois que nous avons le moyen de juger de la sécurité. Cela fait presque 22 ans que l'accident du collège Pailleron est intervenu, et pendant tout ce temps-là on n'avait pas su, ou pu, faire un état des lieux précis. Lorsque nous sommes arrivés au gouvernement notre choix a été, au contraire, de faire en sorte que tout le monde puisse savoir quel était l'état exact en matière de sécurité des établissements scolaires français. Vous dites « pas brillant » ! Il faut relativiser. Il y a, environ, 7 % des bâtiments – je n'ai pas dit des établissements ! Car à l'intérieur des établissements il y a plusieurs bâtiments – qui méritent des travaux. Il y a donc 93 % qui sont en situation sûre. Un très petit nombre sur lesquels il faut une intervention d'extrême-urgence et, je n'hésite pas à le dire, les remplacer. Mais il n'y en a que trois que l'on a trouvé dans cette situation-là. Pour deux d'entre eux, la décision était déjà en train d'être prise. Vous voyez qu'il n'y a pas de quoi prendre des décisions alarmantes ! Seuls trois bâtiments sont en situation de ne pas pouvoir continuer. Les autres, 150 à peu près, doivent recevoir des travaux urgents, on va essayer de le faire d'ici la rentrée. Il y en a ensuite 1 000 sur les 26 000 étudiés, pour lesquels il faut établir un plan avec les collectivités locales, à savoir des travaux qui peuvent êtres lourds ou légers. Quelquefois il s'agit seulement d'un système de détection de l'incendie.

J.-M. Lefebvre : Qui va payer ?

F. Bayrou : La charge de ces travaux revient aux régions pour les lycées, aux départements pour les collèges, et c'est le président du département des Pyrénées-Atlantiques qui vous parle. Personne n'a l'intention d'échapper à cette responsabilité. L'État fait œuvre de solidarité, le Premier ministre a décidé, il y a déjà quelques semaines, de mettre en place une enveloppe très importante, puisque c'est une enveloppe de 12 milliards de francs. Pour vous donner un ordre de grandeur, c'est à peu près la totalité des travaux que les départements font sur les collèges en une seule année, c'est très important. Ce sont 12 milliards de francs sous forme de prêts bonifiés, avec un taux d'intérêt extrêmement bas – car c'est l'État qui paie la différence – et 2,5 milliards de subventions étalées sur cinq ans pour les collectivités qui sont le plus en situation de difficulté. On ne fait pas que faire des prescriptions ou donner des injonctions, on met aussi des moyens conséquents pour aider les collectivités locales à faire ces travaux qui relèvent d'elles, mais qui en effet représentent une charge lourde.

J.-M. Lefebvre : Les travaux porteront sur quoi ?

F. Bayrou : Essentiellement d'abord l'incendie. Parce que, depuis 20 ans, on a eu 23 incendies très graves. Heureusement très peu d'entre eux ont fait des victimes et un seul vraiment dramatique, le collège Pailleron. La plupart d'entre eux étaient des incendies criminels, volontaires, et il faut se prémunir contre ce risque parce qu'il est très grave, surtout lorsqu'on est dans un établissement qui a un internat.

J.-M. Lefebvre : Les normes sont moins respectées dans les internats ?

F. Bayrou : Non, c'est le contraire ! Le rapport a été plus exigeant chaque fois qu'il y avait un internat, parce que, naturellement, la nuit lorsque les enfants dorment, la détection du feu est beaucoup plus difficile. Donc, il faut être vraiment extrêmement exigeant en matière de sécurité des internats. C'est pourquoi la commission a classé les internats comme des établissements prioritaires en matière de sécurité.

J.-M. Lefebvre : La FSU dit que pour les établissements privés, ce n'est pas à l'État de payer ?

F. Bayrou : C'est évident que, pour l'essentiel, ce sont les propriétaires qui doivent assumer la charge quand ils le peuvent. Mais je vous rappelle que dans le cadre des lois existantes, il y a des interventions possibles des collectivités locales puisque nous sommes ici dans le cadre de l'enseignement secondaire. C'est dans le primaire que les choses sont plus drastiques.

J.-M. Lefebvre : On a appris que, tout à l'heure, des vandales avaient tenté de faire sauter un collège à Bron ?

F. Bayrou : C'est très grave, il faut faire très attention. J'ai parlé de 23 incendies graves sur les 20 dernières années. Tous, ou presque, étaient d'origine criminelle, volontaire. Ce sont des jeunes venus de l'extérieur qui, chaque fois, ont mis le feu. On a beaucoup de mal à se défendre contre ça. C'est pourquoi le rapport Schléret prévoit qu'une des mesures les plus importantes que nous devons prendre c'est la protection contre les intrusions extérieures. Quelquefois, on croit que nous voulons faire des écoles fermées. Ce n'est pas vrai, nous voulons faire des écoles protégées. Protégées en particulier contre des dérèglements qui viennent de l'extérieur et qui peuvent menacer même la vie des enfants, comme on vient de le voir. On a le devoir de protéger les enfants parce qu'en protégeant les enfants, ce sont les plus faibles que nous protégeons.


France Inter : Mercredi 20 avril 1994

L. Joly : On a eu avant la parution du rapport Schléret, tout et n'importe quoi sur les établissements scolaires dangereux. Ce sont les vrais chiffres cette fois ?

F. Bayrou : Ce sont les chiffres officiels et les vrais chiffres. Naturellement, toutes les familles sont soucieuses de voir leurs enfants accueillis dans les établissements scolaires et se trouver en sécurité. Quel est le risque principal ? Dans la vie, il y a beaucoup de risques, mais dans les établissements, le principal, en tout cas celui qui a été souligné depuis 20 ans par les accidents successifs, c'est le risque incendies. Pourquoi ? Parce qu'un certain nombre d'établissements tiennent mal au feu. Jusqu'à maintenant et depuis 25 ans, depuis l'incendie Pailleron, on n'en avait pas la liste, on n'avait jamais fait l'étude. Et j'ai trouvé en arrivant au ministère, qu'il fallait que nous en fassions l'étude pour que chacun puisse se faire une idée du risque véritable et qu'on puisse traiter, répondre. C'est ce que nous avons fait. Désormais nous avons une échelle du risque qui permet de dire exactement quel est l'état des établissements en face du risque incendie et d'autres risques. Et deuxièmement, qui permet de dire ce qui est le plus urgent, par exemple un établissement qui ait un internat et ce qui doit être fait dans les mois et les années qui viennent. Nous avons poussé l'étude si précisément, que nous avons étudié bâtiment par bâtiment, non pas les établissements dans leur ensemble mais à l'intérieur de chaque établissement, bâtiment par bâtiment.

L. Joly : Vous n'avez pas publié la liste des bâtiments à risque, pourquoi ?

F. Bayrou : Il y a des établissements qui demandent des travaux urgents, 1 800 sur 26 000, c'est-à-dire un peu moins de 7 %, ça relativise, ça prouve qu'il y en a tout de même 93 % dont il faut être certain même si certains d'entre eux demandent aussi des travaux de consolidation nu de sécurité. Mais sur ces bâtiments qui ont des risques plus importants que les autres, nous allons maintenant, nous, État, faisant face à notre mission de sécurité, aller voir les collectivités locales en leur indiquant les résultats que la commission indépendante a trouvé en leur demandant quel est leur plan et de quelle manière nous pouvons les aider.

L. Joly : Il y en a que vous allez faire fermer ?

F. Bayrou : Il y en a en effet un très petit nombre qui sont dans un état tel qu'il faut en effet demander leur fermeture.

L. Joly : Vous avez confirmé un emprunt bonifié pour les collectivités locales et…

F. Bayrou : Un très important emprunt bonifié au taux d'intérêt si bas qu'il est à peu près celui de l'inflation.

L. Joly : En fait vous renvoyez la balle dans le camp des collectivités locales, l'État n'a pas sa part de responsabilité dans l'état du parc scolaire ?

F. Bayrou : Il y a une loi de décentralisation qui donne aux collectivités locales depuis déjà plus de dix ans, la responsabilité des établissements scolaires. On ne peut pas aller à l'encontre de la loi. En revanche, à mon avis, il n'aurait pas été bien que l'État donne seulement des prescriptions et des indications sans essayer d'aider les collectivités locales. Et c'est pourquoi nous avons mis en place deux systèmes des subventions d'un côté et des prêts hyper bonifiés de l'autre.

L. Joly : Vous aviez déjà annoncé 2,5 milliards pour les établissements scolaires, donc il n'y a pas de mesures nouvelles et on vous demande des mesures exceptionnelles, de la part de tous les groupes parlementaires.

F. Bayrou : Non, et même aucun. Nous avons mis en place cette enveloppe de prêts au mois de janvier. C'est 12 milliards de francs. Vous vous représentez ce que sont 12 milliards de francs. Je vais vous donner un ordre de grandeur, c'est à peu près la totalité des sommes que dépensent tous les départements français pour les collèges en une année. C'est donc une somme terriblement importante. Donc c'est une aide extrêmement conséquente et ce n'est pas parce qu'elle a été décidée il y a quelques semaines qu'elle est devenue démodée aujourd'hui.

L. Joly : Le rapport Schléret semble remettre en question les conclusions du rapport Vedel ?

F. Bayrou : Pas du tout. Le rapport Vedel disait qu'un peu plus de la moitié des établissements du privé avaient besoin de travaux de sécurité. Le rapport Schléret dit 60 %. Donc on est dans la gamme de faits décrits par le rapport Vedel. Les établissements publics ont, dans une proportion un peu moindre mais comparable, besoin des mêmes travaux de sécurité.

L. Joly : Allez-vous reparler du financement des établissements privés ?

F. Bayrou : Nous sommes avec le rapport Schléret dans l'enseignement secondaire, c'est-à-dire dans le domaine précisément où l'intervention des collectivités locales était déjà possible.

L. Joly : À hauteur de 10 %.

F. Bayrou : À la hauteur de 10 %, plus si on souhaite la garantie des emprunts pour faire des travaux. Tout cela est un peu technique, je crois que ce qu'il retenir, c'est que dans l'enseignement secondaire, l'intervention des collectivités locales était possible. Là, où elle était interdite c'est dans l'enseignement primaire d le rapport Schléret n'en parle pas pour l'instant. C'est dans une deuxième étape qu'il va aborder l'ensemble des écoles primaires.

L. Joly : Vous allez faire partie des VRP de la réforme ?

F. Bayrou : La société française ne peut pas s'arrêter. Elle a besoin de songer dans le sens du progrès, de faire en sorte qu'elle devienne plus libre, plus efficace, plus inventive et qu'elle réussisse mieux à répondre au défi des moments que nous sommes en train de vivre. Qu'est-ce qui bloque la réforme ? Le plus souvent c'est un sentiment de peur généralisé de la société française. Je crois qu'il est très bon de dire comme le Premier ministre l'a fait hier soir, que nous sommes désormais sur une ligne montante, que désormais nous avons repris le chemin de la croissance. C'est formidable au bout d'un an d'être passé d'une économie qui allait en arrière, qui produisait de moins en moins de richesse à une économie qui est repartie et qui désormais produit de la richesse, peut-être peut-on même espérer des chiffres supérieurs à ce que, nous avions nous-mêmes prévu. Donc, c'est tout à fait remarquable.

L. Joly : Une des réformes que l'on attend, c'est celle du système scolaire, que nous réservez-vous ?

F. Bayrou : C'est celle du système éducatif et vous en êtes témoin puisque vous avez assisté à un certain nombre d'événements qui préparent ce mouvement de réformes et de changements positifs. Ce que nous avons fait ces dernières semaines est très intéressant parce que nous avons réussi à faire parler ensemble tous les acteurs du système éducatif, tous les acteurs de l'école française. Il y avait très longtemps qu'ils n'avaient pas parlé ensemble, syndicalistes, hommes de terrain, professeurs, instituteurs, administratifs, et puis parents d'élèves. Et je crois que dans le mois qui vient, le mois de mai, on peut imaginer que nous pourrons proposer un changement très large qui ira de l'école primaire jusqu'à la fin du lycée et qui montrera ce que l'école doit être dans les années qui viennent pour répondre à ce que l'on attend d'elle.

L. Joly : Consensus, c'est ce qui a prévalu aussi hier au dîner de la majorité ?

F. Bayrou : Oui, nous avons besoin d'accord plutôt que de désaccord. Nous avons besoin eu France: de nous entendre plutôt que de nous disputer. C'est d'ailleurs le seul moment, le seul moyen pardon, d'essayer de répondre aux problèmes qui se posent à nous.