Interview de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur, dans "La Tribune Desfossés" du 28 juillet 1994, sur les résultats du commerce extérieur et le projet d'une réorganisation du dispositif français de soutien à l'exportation.

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Média : La Tribune Desfossés

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La Tribune : Quelle analyse faites-vous de la situation du commerce extérieur français ?

Gérard Longuet : 1993 a été une très bonne année avec 87 milliards de francs d'excédent, mais qui était placée sous le signe du décalage conjoncturel entre la récession en France et le redémarrage chez certains de nos partenaires, États-Unis et Grande-Bretagne. La diminution des importations a joué un rôle important dans la formation de cet excédent.

Pour les cinq premiers mois de 1994, le contexte est très différent. Les importations ont repris, ce qui est probablement le signe que les entreprises françaises se rééquipent et reconstituent leurs stocks. Mais les exportations de produits industriels progressent aussi vite que nos importations, d'où un solde maintenu par rapport à l'année dernière, avec un excédent cumulé à fin mai de plus de 30 milliards de francs.

Il faut cependant rester attentif à trois éléments importants : la balance énergétique se dégrade sous l'effet de la hausse du baril, et c'est particulièrement sensible en mai ; l'excédent agricole se tasse, en raison de la nouvelle politique agricole commune dans laquelle les subventions aux prix à l'exportation ont tendance à diminuer ; enfin les grands contrats ne sont pas toujours à la hauteur de nos ambitions. Mais, en dépit de ces trois éléments, notre excédent commercial se maintient à haut niveau, essentiellement parce que nos produits industriels courants trouvent leur marché.

Géographiquement, les marchés sur lesquels nos positions se stabilisent sont les marchés solvables et porteurs. C'est le cas évidemment de l'Europe, où nous maintenons un excédent. Quant aux deux déficits importants de la France que sont le Japon et les États-Unis, ils sont stables. La compétitivité relative de l'industrie française est donc bonne, alors même que le franc reste stable, et il faut s'en féliciter.

La Tribune : Ces constatations vous conduisent-elles à vouloir refondre le dispositif français de soutien à l'exportation ?

Gérard Longuet : Les circonstances sont favorables à la réflexion sur le dispositif de soutien aux exportations, justement parce que nous sommes en situation d'excédent. Les marchés sur lesquels nous travaillons le plus souvent sont ouverts, solvables, compétitifs. Les produits que nous vendons sont des biens industriels courants et à destination civile. Nous avons su orienter nos échanges vers les pays développés. Donc les protocoles financiers bilatéraux ont moins d'importance que dans le passé. Dans ce nouveau contexte, ma réflexion s'oriente dans deux directions. D'une part, comment mieux coordonner nos efforts, et c'est le défi collectif de la nouvelle charte pour le développement international des entreprises que j'ai signée lundi dernier. D'autre part, comment optimiser l'action politique, car les pressions politiques sont de plus en plus fortes. Ce fut notamment le cas dans le domaine aéronautique en Arabie Saoudite, et plus récemment au Brésil, à propos de la couverture radar de l'Amazonie. Dans ces deux marchés que nous avons perdus, nous avons assisté au retour en force des États-Unis, avec une double pression, économique et politique.

La Tribune : Comment s'organise cette pression ?

Gérard Longuet : La réalité, c'est le retour en force des États-Unis sur la scène commerciale. Dans le cas du Brésil, les États-Unis ont offert d'énormes contreparties industrielles, puisqu'on parle d'une commande de 800 appareils de formation et d'entraînement et d'un apport de capitaux à Embraer. Et surtout, les Américains ont décidé de passer l'éponge sur un certain nombre de différends commerciaux qui les opposaient au Brésil ou d'abandonner certaines restrictions à l'exportation de hautes technologies vers le Brésil. Nous sommes bien loin du libre-échange dont les Américains se font prétendument les hérauts !

La Tribune : Ces concessions bilatérales ne semblent guère conformes à l'esprit du Gatt ?

Gérard Longuet : Pas franchement. Et cela rend l'existence de l'OMC tout à fait indispensable car, si cette organisation existait, ces concessions seraient impossibles.

La Tribune : Êtes-vous inquiet de la concurrence américaine vis-à-vis des entreprises françaises ?

Gérard Longuet : Je le suis, en effet. À mon avis, c'est plus grave que le problème posé par les nouveaux pays industrialisés en matière de délocalisations et sur lequel on se focalise beaucoup trop en France. Les positions prises par les États-Unis sont préoccupantes. D'abord parce qu'ils sont puissants, ensuite parce qu'ils disposent d'atouts industriels considérables en matière de haute technologie. Et surtout parce qu'ils détiennent en plus l'arme monétaire avec le dollar et qu'ils savent fort bien en user. Le problème pour nous est vraiment de tout faire en Europe, face aux États-Unis et au Japon, pour soutenir des industries clés pour notre futur comme l'aéronautique, l'espace ou les télécommunications. Nous ne pourrons le faire qu'en nous battant en permanence.

La Tribune : Observez-vous en Allemagne une mobilisation de même ampleur pour soutenir les exportations ?

Gérard Longuet : Les dirigeants allemands, le chancelier Kohl en tête, font leurs traditionnelles tournées asiatiques et reviennent avec des chiffres de commandes impressionnants. Mais il ne faut pas oublier que l'Allemagne est le premier exportateur mondial par salarié de produits industriels, avec une part de marché qui est parfois plus du double de celle de la France, comme c'est le cas souvent en Asie. Cela repose sur une présence commerciale très dense à l'étranger.

La Tribune : Cela nous ramène au problème du dispositif d'aides français ?

Gérard Longuet : Absolument. Le tissu industriel français est composé d'une part de très grandes entreprises avec une présence mondiale et qui ne demandent, au fond, que de bénéficier des mêmes garanties de transparence commerciale et financière que leurs concurrents des autres pays. Ce sera l'un des rôles de l'OMC que de garantir cette transparence. C'est particulièrement important dans les nouveaux pays industrialisés, importants consommateurs de services collectifs en matière d'énergie ou de télécommunications, pour lesquels nous avons des offres performantes. À l'autre bout de la chaîne, nous avons des petites et moyennes entreprises qui ont la passion de l'exportation et, en particulier, les grosses PME qui ont la capacité de s'implanter sur les marchés étrangers.

Nous allons les aider, notamment en régionalisant une partie du soutien à l'export. C'est dans cet esprit que j'ai souhaité, dès l'année dernière, augmenter fortement les crédits des contrats de plan État-régions consacrés au commerce extérieur. J'ajoute que le problème n'est pas de savoir s'il faut préserver ou non un dispositif de soutien, mais plutôt de faire en sorte que les entreprises qui en ont vraiment besoin puissent utiliser toute la panoplie des aides.

Il y a probablement un problème à résoudre en matière d'accès et de coordination de l'information. Les partenaires de la charte travailleront aussi sur ce problème.