Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, en réponse à une question sur les relations franco-arméniennes, la pénurie énergétique en Arménie et le conflit du Haut-Karabakh, à l'Assemblée nationale le 21 avril 1994.

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Monsieur le Député, je peux vous assurer que, comme vous, le gouvernement français est très attaché aux relations de la France avec l'Arménie.

Elles sont, vous l'avez dit, anciennes. Je crois pouvoir ajouter – et c'est peut-être un point qui nous sépare – qu'elles sont intenses et chaleureuses aujourd'hui.

Dès l'indépendance, la France a répondu à l'appel de l'Arménie qui venait de retrouver son existence en tant qu'État. Comme vous l'avez dit vous-même, un traité d'entente, d'amitié et de coopération a donc été conclu.

Sa ratification est toujours en cours, certes. Permettez-moi de vous dire – ce qui n'est pas une excuse – qu'elle n'a pas été plus longue que la ratification de beaucoup d'autres accords du même type. Le texte est actuellement en cours d'examen au Conseil d'État. Dès que le Conseil aura donné son avis, il sera bien sûr inscrit à l'ordre du jour des assemblées. Le nombre considérable de traités ou de conventions internationales à inscrire fait parfois, je le reconnais, que les choses traînent. Le ministère des Affaires étrangères veillera, croyez-le bien, à accélérer ce processus. Et il n'y a aucun souci d'équilibrer cette ratification par rapport à d'autre.

Outre ce traité d'amitié, une coopération concrète dans beaucoup de domaines, s'est établie entre nos deux pays : aide à la préparation de la future constitution arménienne, formation de diplomates, rénovation du système routier arménien, urbanisme, développement de l'enseignement du français, qui connaît en ce moment un essor tout à fait remarquable. Il a fallu, pour cela, un effort budgétaire significatif et une mobilisation des sympathies actives qui existent en France, non seulement dans la diaspora, mais chez les Français de souche, en faveur du peuple arménien.

L'instauration de visas de sortie pour l'Arménie comme pour d'autres pays du Caucase doit être relativisée par rapport à l'effort considérable que je viens de rappeler. Je voudrais d'abord indiquer qu'il ne s'agit pas d'une autorisation, mais d'une simple déclaration, selon une procédure très allégée.

Je me suis rapproché voici plusieurs semaines de mon collègue, ministre d'État, ministre de l'Intérieur, pour étudier la possibilité d'aller plus loin encore dans la simplification et dans l'allégement.

Nous menons par ailleurs un effort humanitaire important. Vous avez signalé le problème de l'énergie. Nous fournissons à l'Arménie du combustible, soit directement, soit en soutenant les efforts d'associations qui ont pu, notamment, assurer le chauffage de nombreuses écoles des régions d'Erevan et de Guéri.

Je veux, à cet égard, rendre hommage à l'action d'un certain nombre de parlementaires qui se sont rendus sur place pour accompagner l'effort du gouvernement français.

Dans cette même région du Gumri, nous continuons à aider les initiatives privées lancées au lendemain du tremblement de terre tragique de 1988. Vous avez tout particulièrement, évoqué la reconstruction de l'école de cette ville. Là encore, c'est vrai, il a fallu du temps, car plusieurs partenaires sont impliqués dans la réalisation de ce projet, des partenaires français mais aussi des partenaires arméniens. Et nous essayons de pousser les choses : la pose symbolique de la première pierre devrait se réaliser dans un très proche avenir.

Sur la centrale nucléaire de Medzamor, dont le gouvernement arménien souhaite, je le sais la réouverture, j'appelle votre attention sur les risques de cette opération. La centrale de Medzamor appartient à un type de centrales soviétiques dont les sept pays les plus industrialisés, ceux qu'on appelle les pays du G7, sur conseil de leurs experts nucléaires, ont unanimement souhaité la fermeture le plus rapidement possible. Lors des sommets de Munich et de Tokyo, ceci a été clairement affirmé, compte tenu du danger que ces centrales représentent.

S'y ajoute le fait que les autorités arméniennes elles-mêmes, d'après les informations dont je dispose, avaient estimé qu'il était nécessaire d'arrêter cette centrale après le séisme.

Les difficultés d'un redémarrage dans les conditions qui prévalent actuellement en Arménie qui ne dispose d'aucune autorité de sûreté nucléaire ainsi que les risques liés à une centrale ne disposent d'aucune enceinte de confinement nous conduisent à préférer des solutions plus diversifiées à une crise énergétique qui est réelle et qui constitue des handicaps et l'une des souffrances majeures pour la population.

En fait, vous le savez comme moi-même et vous l'avez vous-même évoqué, la vraie raison de cette pénurie énergétique doit aussi être cherché dans le conflit du Haut-Karabakh, qui place l'Arménie dans une situation de blocus, tout particulièrement dans le domaine énergétique.

La France déploie ses efforts pour que l'on sorte de cette crise et l'on ne peut s'en sortir que par le reprise d'un dialogue politique entre les autorités d'Azerbaïdjan, celles d'Arménie et du Haut-Karabakh.

Il faut que la solution tienne compte à la fois les légitimes aspirations – vous les avez vous-même rappelés – des populations arméniennes du Haut Karabakh, mais aussi du principe de l'intégrité territoriale de ces pays car, si ce principe volait en éclats, ce serait évidemment un drame pour l'ensemble de cette région et pour l'Europe tout entière.

J'ai évoqué cette question à plusieurs reprises avec mes partenaires, notamment avec le ministre turc lors de mon voyage à Ankara. Des consultations viennent de se tenir à Moscou entre diplomates français et russes pour favoriser une approche mieux concertée de cette crise et vous savez que la Russie aide aussi beaucoup l'Arménie. Notre représentante au groupe de la CSCE chargée du Haut-Karabakh s'est rendue en tournée dans les régions voici peu de temps pour y faire connaître notre volonté de dialogue avec les parties.

C'est ainsi que la France pourra être fidèle à cette amitié très ancienne avec l'Arménie, que vous venez de rappeler. Je vous signale que la semaine prochaine M. Papazian, mon collègue, sera à Paris et que j'aurai l'occasion de m'entretenir très longuement avec lui de tous ces aspects pour voir comment l'on peut progresser sur la voie de la recherche d'une solution politique.