Texte intégral
François-Henri de Virieu : Bonjour.
Le 12 juin, les Français vont envoyer 87 députés au Parlement Européen. Une dizaine de listes seront en présence. Une dizaine, c'est beaucoup. Pour vous aider à mieux comprendre les véritables enjeux de cette élection, pour vous aider à mieux comprendre les différences, aussi, entre les candidats, nous allons organiser une série de face à face.
En l'espace de quelques semaines, l'Heure de Vérité va devenir, en quelque sorte, « À chacun sa vérité ». Une façon de sortir un peu de la bipolarisation gauche contre droite.
Ce matin, nous vous invitons au premier de ces « face à face ». D'un côté, Monsieur Brice Lalonde, 48 ans, tête de liste de Génération Écologie, ancien ministre du gouvernement socialiste, aujourd'hui conseiller en protection de l'environnement pour le compte de quelques grandes entreprises, organisations internationales et gouvernements dont celui de Monsieur Balladur. Monsieur Lalonde, vous vous présentez, vous-même, comme « Europophile ».
De l'autre, Monsieur Francis Wurtz, 46 ans, tête de liste du parti communiste français, membre de son bureau politique et député européen de la première heure, puisqu'il était, en 1979, le plus jeune membre français du Parlement de Strasbourg. Monsieur Wurtz a été directeur de la campagne du Parti Communiste pour le « non » à Maastricht.
Ce face à face va commencer « à l'Américaine ». C'est-à-dire que, Messieurs, vous répondrez, tous les deux, aux questions qui vous seront posées par Alain Duhamel et par Jean-Marie Colombani, qui vous poseront les mêmes questions à tous les deux. Cela vous permettra de présenter en « avant-première » vos programmes respectifs pour l'élection européenne.
Puis, nous poursuivrons le débat sous forme cette fois d'un « face à face à la française », comme vous les connaissez – c'est-à-dire directement entre vous deux – sur deux ou trois points de désaccord profond que j'aurai pu déceler dans le débat. Le tout en un peu moins de 50 minutes. Messieurs, je vais vous inviter à venir prendre place. Voilà, alors d'accord sur la règle ? Pas de problèmes ? Alain Duhamel.
Alain Duhamel : Alors, d'abord, on va commencer par une ou deux questions d'actualité et la première, naturellement, aura trait à ce qui se passe en ce moment à Gorazde. Alors, la question à l'un, puis à l'autre, c'est d'abord : « Est-ce que vous approuvez les principes de l'ultimatum qui menace les Serbes de Bosnie de frappe militaire sévère sur des objectifs significatifs, s'ils ne se retirent pas de Gorazde, d'abord de 3 km, puis ensuite de 20 km dans un deuxième temps. Et s'ils prenaient quelque initiative militaire, que ce soit sur les autres zones de sécurité ? » Monsieur Wurtz.
Francis Wurtz : La première chose que je voudrais dire c'est que je me sens, ce matin, soulagé et j'ai de l'espoir. Soulagé pour les populations de Gorazde puisque, d'après les dernières informations. Les troupes serbes reculent, les Casques Bleus avancent et le cessez-le-feu semble respecté. Eh bien de l'espoir, également, parce qu'on n'a pas eu à recourir à ces frappes aériennes. Je trouve d'ailleurs odieux que certains dirigeants se plaignent quasiment, de ne pas avoir pu utiliser l'occasion pour les frappes aériennes. Non, pas du tout, je tiens à le dire, pour protéger les responsables serbes parce que des individus, qui tirent sur des écoles ou sur des hôpitaux, sont des assassins qui ne méritent aucune pitié. Mais, parce que je suis convaincu, et les précédents existent – Guerre du Golfe, Somalie, ailleurs que, quand on se lance dans la logique militaire, dans la logique de force, dans l'intervention, on favorise ceux qui veulent en découdre dans tous les camps, on favorise le Nationalisme et on ne va pas vers une issue qui ne peut être que politique.
Alain Duhamel : Donc, vous n'êtes pour l'ultimatum que si on ne l'utilise pas ?
Francis Wurtz : Je pense que c'est un coup de poker et puisque ça a été fait, je préfère vraiment que l'hypothèse d'une concrétisation de cet ultimatum ne se pose pas et qu'on n'ait pas besoin d'y parvenir. Donc, pour le moment, soulagement !
François-Henri de Virieu : Deuxième question.
Alain Duhamel : Monsieur Lalonde ?
Brice Lalonde : Je considère que dans cette affaire, il y a un agresseur et un agressé. L'agresseur, c'est manifestement le nationalisme serbe. Cela fait deux ans, au moins, que la Communauté Internationale aurait dû intervenir, aurait dû déjà menacer d'intervenir et éventuellement intervenir. On a attendu beaucoup trop longtemps et je voudrais dire que, dans l'Europe que nous voulons, il ne peut pas y avoir de place pour la purification ethnique. Il ne peut pas y avoir de place pour des solutions qu'on impose par la force. Et il faut absolument que l'Europe intervienne comme un acteur. Et par conséquent, je regrette qu'on ait tardé autant et je voudrais que l'on fasse attention aux autres villes ! Car nous connaissons très bien, depuis de longues années, les plans de Monsieur Milosevic pour faire « sa Grande Serbie ». Et nous ne pouvons pas le tolérer. Et par conséquent, cette fermeté est trop tardive mais je l'approuve bien sûr !
François-Henri de Virieu : Jean-Marie Colombani.
Jean-Marie Colombani : Oui, moi, je voudrais vous demander, à l'un et à l'autre, donc aussi, comment vous appréciez l'attitude de la France. L'attitude de la France qui, dans l'affaire du siège de Sarajevo, avait été en flèche, en termes d'initiatives. Elle avait été à l'origine d'un processus qui avait été, in fine, heureux – même si la situation reste catastrophique sur l'ensemble du terrain. Là, cette fois, on a l'impression que la France est un peu rentrée dans le rang. Elle s'est coulée dans le moule. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette analyse ? Et qu'est-ce que vous pensez l'un et l'autre, de l'attitude du Gouvernement français ? Monsieur Lalonde ?
Brice Lalonde : J'ai trouvé que le Gouvernement français, dans toute cette affaire, avait été très hésitant et je dirai même, je crois qu'un sentiment traditionnel du Quai d'Orsay en faveur de la Serbie et de l'amitié franco-serbe, l'a empêché de voir ce qui se passait. J'ai beaucoup regretté que nous ayons attendu pendant un an, en couvrant notre politique étrangère d'actions purement humanitaires. Comme si cela suffisait. Et j'ai considéré, à un moment donné, que l'action humanitaire finissait par être complice de l'agression et, par conséquent, en effet, je crois que la France a manqué de fermeté dans toute cette affaire.
François-Henri de Virieu : Monsieur Wurtz.
Francis Wurtz : Je ne partage pas la politique du Gouvernement français dans cette affaire. Mais pas pour les mêmes raisons que Monsieur Lalonde. D'abord, je tiens, moi, à rendre hommage aux Casques Bleus français et autre qui sont sur le terrain et qui font une œuvre très courageuse. Et j'aimerais que certains « donneurs de leçons », chez nous, les remplacent sur place. Ce sont des hommes courageux et qui ont fait un bien énorme aux populations locales. Cela dit, évidemment ça ne suffit pas. Moi, je m'interroge : « Pourquoi la France n'a pas mené la bataille qui devait l'être – et elle peut encore le faire – pour obtenir un contrôle effectif de l'embargo sur les armes à destination de la totalité de l'ex-Yougoslavie ? » Qu'on donne, qu'on exige, qu'on demande une nouvelle mission supplémentaire pour les Casques Bleus, avec le nombre qu'il faut, les éléments, les moyens qu'il faut, pour assurer le respect du strict embargo. Parce que c'est absolument anormal que tant d'amendement lourd puisse encore exister.
François-Henri de Virieu : Donc, il ne faut pas donner d'armes aux Bosniaques ?
Francis Wurtz : Il ne faut pas ajouter des armes. Il faut enlever des armes. Il faut sortir de cet engrenage de la guerre parce qu'il n'y a pas d'autres solutions qu'une solution politique !
Jean-Marie Colombani : Ça ne pas un problème, à partir du moment où certains ont beaucoup d'armes lourdes et d'autres ne les ont pas ?
Francis Wurtz : Mais, j'apporte une réponse à ce problème. C'est qu'il faut l'embargo sur les armes. Il faut diminuer la capacité de nuisance de l'ensemble de ces chefs nationalistes. Et, en l'occurrence, en particulier, les Serbes. Mais, excusez-moi, je voudrais dire aussi une chose, parce qu'on ne le dit pas suffisamment : il existe en Bosnie, il existe en Serbie et en Croatie, des pacifistes, des anti-nationalistes. Il existe, en Serbie, des adversaires de Milosevic dont on ne parle pas.
Brice Lalonde : Eh bien, tenez…
François-Henri de Virieu : Il y a Monsieur Ivan Djuric qui est là.
Francis Wurtz : Ah, bien !
Alain Duhamel : Monsieur Djuric, qui était candidat à l'Élection Présidentielle contre Milosevic.
Francis Wurtz : Je connais Monsieur Djuric !
Brice Lalonde : L'avons-nous aidé suffisamment ?
Francis Wurtz : Vous savez, Monsieur Lalonde, vous allez être surpris. J'ai invité Monsieur Djuric au 28e Congrès du Parti Communiste Français. Et quelqu'un de son organisation était même présent. Parce que nous partageons les principales idées qu'il défend lui-même. Nous sommes aux côtés des pacifistes de l'ex-Yougoslavie…
Jean-Marie Colombani : Un mot, un mot encore.
Francis Wurtz : … et non pas des « va-t'en guerre » !
Jean-Marie Colombani : Un mot encore sur ce sujet, et puis après on passe à autre chose. Vous savez, sans doute, que le président de la République et le ministre des Affaires étrangères ont essayé et essaient encore de susciter un sommet à trois : Russie, États-Unis et Europe. Est-ce que vous pensez que c'est une initiative trop tardive ? Ou est-ce que vous pensez qu'elle mérite encre d'être tentée ? Brice Lalonde ?
Brice Lalonde : Tout doit être tenté ! Et c'est vrai que ce n'était pas amusant, enfin c'était même terrible de voir réapparaître une diplomatie de grandes puissances, tout d'un coup entre les États-Unis et la Russie. On croyait voir réapparaître la Guerre Froide. Et c'est vrai que l'impression que l'on a eue longtemps, c'est qu'il y avait un accord sur le dos de la Bosnie. Et comme si, tout d'un coup, la Bosnie devait perdre. Et moi, je soutiens la Bosnie. Et je dis que nous devons soutenir la résistance bosniaque. Et je proteste, à chaque fois, que l'on assimile la Bosnie aux Musulmans. C'est d'abord l'universalisme. Ce sont d'abord des citoyens. C'est d'abord un État. Et, par conséquent, cette lutte nous concerne tous. Qui est le champion de l'universalisme et du civisme en Europe, si ce n'est la Bosnie ? Et, par conséquent, nous avons un devoir auquel je crains que, jusqu'à présent, nous avons failli.
François-Henri de Virieu : On passe à une deuxième question d'actualité. Deuxième série de questions.
Alain Duhamel : Deuxième question qui est spectaculaire mais beaucoup moins dramatique ! Puisqu'il s'agit des malheurs de l'OM et de Bernard Tapie ! Alors, je voudrais en substance, que vous disiez, l'un comme l'autre, d'une part, si vous pensez que les sanctions sportives sévères qui ont été annoncées, si ces sanctions sportives sévères vous paraissent proportionnées ou pas proportionnées ? Et puis, que vous essayiez de dire, vraiment en substance, si vous pensez que finalement, pour Bernard Tapie, cette affaire-là, ça l'aide dans la situation actuelle ou est-ce que ça le handicap ? Brice Lalonde.
François-Henri de Virieu : En deux mots.
Brice Lalonde : Je trouve qu'on entend beaucoup parler de Bernard Tapie. Chaque fois qu'on entend parler de Bernard Tapie, c'est des histoires d'argent et de justice. J'aimerais bien connaître le programme de Monsieur Tapie un jour et ses idées et, par conséquent, je trouve, peut-être, qu'on en parle trop. Alors je n'en parlerai pas.
Alain Duhamel : Monsieur Wurtz…
Francis Wurtz : Je dirai, surtout, que, partout où la loi de l'argent passe, les valeurs trépassent et ça, c'est valable dans le sport, c'est valable dans la politique, c'est valable dans la vie sociale. C'est le poison de notre société actuelle. C'est contre ça que, pour notre part, nous nous battons.
François-Henri de Virieu : Troisième thème, Jean-Marie Colombani.
Jean-Marie Colombani : Alors, Francis Wurtz et Brice Lalonde, vous avez tous les deux, commencé dans la vie militante par votre action dans les mouvements de jeunesse, notamment de jeunesse étudiante en tout cas. C'est vrai pour Brice Lalonde, c'est vrai pour Francis Wurtz aussi. Alors je voudrais, à la lumière peut-être de ce que vous avez vécu dans le passé, que vous nous donniez une appréciation de ce que vous pensez des mouvements de jeunesse aujourd'hui, par rapport au Gouvernement Balladur. Et est-ce que ce Gouvernement, le Gouvernement Balladur qu'on a entendu cette semaine parler, justement, notamment aux jeunes, comment qualifieriez-vous l'attitude de ce Gouvernement par rapport à la jeunesse ?
François-Henri de Virieu : Parler avec les jeunes…
Jean-Marie Colombani : Brice Lalonde.
Brice Lalonde : Moi, ce qui m'a beaucoup frappé, c'est que, chaque fois qu'on a un problème maintenant en France, on va chercher des comités, des interlocuteurs. Cela me frappe car je pense que la principale crise de notre pays est politique, qu'il y a une crise de la représentation. On ne sent pas représenté. Je ne me sens pas représenté par ce parlement, les jeunes ne se sentent manifestement pas représentées et on a, chaque fois, pour éteindre l'incendie, faire appel à des interlocuteurs que l'on suscite. Normalement, un parti ou un gouvernement, pour parler à se jeunesse, doit avoir, dans sa propre organisation, dans son propre parti, des jeunes, doit se sentir proche d'eux. On a donc l'impression d'une coupure, cette coupure n'est pas simplement celle de la jeunesse et une grande partie des Français ne comprennent pas grand-chose au monde politique. Il y a une coupure de plus en plus grande entre ce monde un peu… comment dirais-je, des bons élèves des grandes écoles qui se retrouvent, qui n'ont pas une grande expérience de terrain et puis une réalité qui s'en va de tous les côtés.
Jean-Marie Colombani : Vous êtes aussi sévère, Francis Wurtz, sur le gouvernement et la jeunesse ?
Francis Wurtz : D'abord, sur la jeunesse, je dirais que ce qui se passe, depuis quelques mois, est une bouffée d'oxygène extraordinaire. Les manifestations contre le CIP et, finalement, la victoire contre ce Gouvernement hautain et arrogant, c'est quelque chose de formidable, c'est une leçon d'espoir. Ils ont rendu service à l'ensemble des salariés, au-delà de la jeunesse, et qu'on retrouve, dans ce mouvement, aussi bien les jeunes des banlieues exclues que le Bac +2 est également un élément unificateur de la société. C'est très, très positif.
Jean-Marie Colombani : Et l'idée de la grande consultation qu'a lancée Édouard Balladur, la grande consultation de la jeunesse, vous paraît une bonne idée, salutaire, normale ?
Francis Wurtz : Je trouve que la démocratie, ce n'est pas seulement de donner la parole aux gens mais de les écouter quand ils la prennent. Et ce n'est pas le cas. Ce n'est pas le cas, parce qu'il sait – c'est pour cela qu'il était tellement mal à l'aise l'autre jour devant ce panel – il sait que sa politique ne passe pas et ne passera pas. Il cherche des passe-droits, des fioritures pour masquer les choses, mais sa politique ne passe pas. Les aspirations sont très, très fortes. Le problème, maintenant, c'est de trouver un débouché politique à ses aspirations.
François-Henri de Virieu : Voilà, je voudrais qu'on passe maintenant à vos objectifs à tous les deux, les objectifs de vos listes dans l'élection européenne, dont la campagne va s'ouvrir.
Alain Duhamel : Bon alors, première question directe. Pour que ce soit, selon chacun d'entre vous, qui menez chacun une liste, un succès, qu'est-ce qu'il faut arriver à obtenir, à la fois comme chiffre de voix et puis comme impression laissée à ceux dont vous recherchez les votes ? Brice Lalonde.
Brice Lalonde : Il faut avoir des élus.
Alain Duhamel : Donc, cela veut dire plus de 5 %.
Brice Lalonde : Exactement. Il faut avoir des élus et il faut que ces élus, on se souvienne d'eux. Et je suis frappé de voir, je ne dis pas cela pour Monsieur Wurtz, mais pour l'ensemble de nos députés au Parlement européen, je n'ai nulle par vu ce qu'ils ont fait.
Alain Duhamel : Donc, premier objectif, les reconnaître !
Francis Wurtz : Je tiens à votre disposition le bilan de notre groupe au Parlement européen, présidé par mon ami René Piquet.
Brice Lalonde : Je vous remercie. Cela doit être très confidentiel, en tous les cas, parce que…
Francis Wurtz : Non, vous n'avez pas toutes les informations !
Alain Duhamel : Alors, Monsieur Wurtz, vous… Objectifs ? Objectifs chiffrés, objectifs intellectuels ?
Francis Wurtz : Écoutez, Monsieur Duhamel, je ne joue pas au jeu des pronostics parce que, pour moi…
Alain Duhamel : Ce n'est pas un jeu, c'est le chiffrage universel, tout ça !
Francis Wurtz : Je vous respecte, mais, pour moi, une élection n'est pas un loto. En revanche, il y a quelque chose de très essentiel dans votre question, c'est en gros : « est-ce que le parti communiste français, à l'issue de cette élection qui, traditionnellement, ne lui est pas favorable, va avoir un poids suffisant pour répondre aux besoins des offres progressistes dans ce pays sur les questions européennes. Cela, c'est une vraie question.
Alain Duhamel : Cela, on le saura comment ?
Francis Wurtz : Eh bien, je pense qu'il y a des choses qui bougent, qui nous permettent d'être beaucoup plus confiants que dans le passé. Le lien entre la situation sociale, le vécu des gens et l'Europe et l'actuelle construction européenne est beaucoup mieux perçu parce que Maastricht est passé par là, que les gens ont été beaucoup plus « conscientisés » comme on dit aujourd'hui – et nous y avons participé.
Alain Duhamel : Comme on dit inélégamment.
Francis Wurtz : Oui… ont été rendus sensibles aux enjeux européens – et nous y avons participé comme vous le savez – et je pense que nous sommes, maintenant, nous pouvons être les porteurs des valeurs de ce « non » de gauche qui s'était exprimé et qui avait ébranlé cette forteresse communautaire de la droite française. Parce que c'est un bloc, en fait, la droite française, la droite des autres pays et les instances communautaires, c'est un bloc de droite et donc, si nous – puisque vous dites : quelle est l'impression que nous voulons laisser – nous souhaitons que les gens se disent après cette campagne : « Grâce à l'ensemble des candidats communistes qui se sont exprimés ou ceux qui sont sur leurs listes, nous en savons un peu plus sur ce qui nous concerne, dans ce monde un petit peu secret habituellement, seulement dominé par les experts et les diplomates ».
François-Henri de Virieu : Jean-Marie Colombani.
Jean-Marie Colombani : Alors, si vous lancez l'un et l'autre, chacun, votre liste, c'est que vous avez l'espoir de rassembler autour de vous un nombre significatif de Français… Est-ce que la composition de vos listes laisse présager un quelconque rassemblement ? Au-delà de ce que vous êtes, c'est-à-dire, Brice Lalonde, au-delà de la famille Écologiste et Francis Wurtz, au-delà du Parti Communiste, Brice Lalonde.
Brice Lalonde : Je ne pense pas que je puisse avoir cette prétention-là. Je pense que pour l'instant, nous avons besoin d'éclaireurs en Europe, de vigies, d'éclaireurs, de gens qui s'attachent à des choses très précises et très concrètes. Les élus de Génération Écologie s'attacheront à des choses très précieuses et très concrètes. En ce qui concerne, par exemple, je voudrais prévenir un nouveau Tchernobyl, et je suis épouvanté d'avoir à dire, devant les Français, que la situation n'est pas meilleure qu'il y a plusieurs années. Elle s'aggrave. Elle s'aggrave, pourquoi ? À cause du nationalisme russe. Elle s'aggrave parce que l'Ukraine, par exemple, ne fait rien, a décidé de remettre en route toutes ces centrales. Et nous savons, nous savons qu'il va y avoir un pépin. Et par conséquent, les députés que nous allons envoyer au Parlement européen, il faut qu'ils fassent des choses très précises. En ce qui me concerne, mon choix, c'est d'éviter un nouveau Tchernobyl, de tout faire pour ça et de demander à la communauté européenne de prendre ses responsabilités. Même chose pour les autres candidats. Des choses très précises, comme ça. Qu'il y ait moins de camions, qu'on aide les agriculteurs, des choses comme ça…
François-Henri de Virieu : Vous partez demain pour Kiev, vous, Brice Lalonde ?
Brice Lalonde : Je pars pour Kiev, demain.
Jean-Marie Colombani : Francis Wurtz.
Francis Wurtz : Oui, nous avons une liste du Parti Communiste Français présentée par le Parti Communiste Français, mais qui est, effectivement, cette fois-ci, ouverte – enfin, c'est en tout cas ce que nous proposons, ça sera décidé lundi et mardi par les dirigeants du Parti Communiste – à un certain nombre de personnalités progressistes. Mais qui ont, avec nous, un tronc commun, disons, sur les questions européennes. Quand je dis, personnalités, ce sont souvent des hommes et des femmes de terrain, qui connaissent la vie des gens. Mais nous souhaitions les associer, d'emblée, à notre démarche. Mais surtout, une fois élus, nous ferons ce que nous faisons habituellement, maintenant depuis quelques temps, depuis assez longtemps maintenant, c'est que nous essayons d'être des rassembleurs de forces progressistes, en France et en Europe. Nous avons des contacts très étroits avec les forces progressistes de toute la communauté européenne, des pays candidats à l'adhésion et des autres pays européens. Nous avions, à notre congrès, 128 délégations étrangères dont beaucoup de non-communistes. Donc, oui pour la convergence des forces progressistes, évidemment avec des objectifs clairs.
François-Henri de Virieu : La personnalité extérieure la mieux placée sur votre liste, sera 7ème, la suivante sera 12ème, puisque vous avez laissé des places sur votre liste. Est-ce que vous considérez que le second sera élu ?
Francis Wurtz : Vous savez, il ne faut pas présumer de la décision des instances qui vont se réunir lundi et mardi. Vous verrez qu'entre les propositions initiales et, après consultation de l'ensemble des communistes, les propositions à l'arrivée, il y aura des « bougé », parce que c'est la démocratie. Donc, pour le moment, je ne peux pas vous répondre sur l'ordre des candidats.
François-Henri de Virieu : Maintenant on va aborder trois problèmes de fond de la campagne électorale. Alain Duhamel.
Alain Duhamel : Oui. Il y a d'abord un thème sur lequel il y a beaucoup de controverses, je dirai, à propos de toutes les listes et chacun là-dessus, a ses idées. C'est : qu'est-ce qu'on peut faire, concrètement, pour améliorer la nature démocratique, le fonctionnement démocratique de l'Union européenne. Alors, je voudrais savoir – en substance, évidemment, vous ne pouvez pas faire des thèses – ce que sont vos objectifs à l'un puis à l'autre. Brice Lalonde.
Brice Lalonde : Mon sentiment, c'est qu'il faut que nous fassions vivre une nouvelle catégorie de citoyens. Voilà, l'euro-citoyen, que nous fassions vivre des euro-libertés, en quelque sorte. Je pense que personne ne sait actuellement, à quel point, en Europe, il vaut mieux travailler au Luxembourg par exemple, payer ses impôts en Espagne, habiter au Royaume-Uni, parce qu'on n'a pas mis en commun ce qu'il y a de mieux dans chaque pays d'Europe. Par conséquent, je suis pour la clause du citoyen le plus favorisé. Que systématiquement, on choisisse ce qu'il y a de mieux pour le citoyen dans le domaine fiscal. Que l'on puisse choisir, par exemple, que la sécurité sociale ne change pas dans les pays européens, que l'on mette en concurrence les administrations, que l'on ait un minitel européen. Toutes ces choses très précises et très concrètes. Que l'on crée des chaînes de télévisions européennes multiples, etc., et qu'on ait un jour par mois, par exemple, qui soit consacré à l'Europe dans les journaux télévisés, etc. Est-ce que l'on sait qu'au Danemark, par exemple, quand il y a un journal télévisé, n'importe quel citoyen peut téléphoner pour donner une correction qui sera immédiatement données dans le journal, etc. Il y a mille libertés en Europe qu'on ne connaît pas. Et donc, il faut vivre, il faut faire vivre cette citoyenneté. Et, moi, je dénonce ceux qui voient toujours l'Europe par en haut. L'Europe technocratique, les institutions, on n'y comprend pas grand-chose. Il faut la faire vivre par en bas. Donc, notre travail à nous, c'est l'Europe concrète et charnelle !
Alain Duhamel : Monsieur Wurtz. Toujours sur la même question, bien entendu.
Francis Wurtz : Absolument. C'est ce que j'appellerai la carence démocratique de l'actuelle construction européenne.
Alain Duhamel : Alors, comment est-ce que vous l'améliorez ?
Francis Wurtz : Voilà, d'un mot simplement. Pourquoi elle est anti-démocratique. Il y a toujours une raison. Si on veut faire les choses dans le dos des gens, c'est parce qu'on veut faire les choses contre les gens. C'est parce qu'ils veulent faire une mauvaise politique, qu'ils ne veulent pas que les gens s'en mêlent. Alors, comment on souhaite agir pour remédier à ça ? D'abord il faut de la transparence sur les grandes décisions communautaires. Il faut qu'elles soient sur la place publique. Tout est opaque et technocratique pour le moment. Ce n'est absolument pas possible. Deuxièmement, il faut rogner sensiblement les pouvoirs des instances non élues et éloignées des gens qui ne sont responsables devant personne dans les faits. La Commission de Bruxelles, la Cour de justice, la future Banque centrale européenne, ce sont de très mauvaises institutions, absolument intouchables. Or, c'est là que se prennent les grandes décisions. Troisièmement, il faut qu'au Conseil des ministres européen, il y ait un recours possible – je ne dis pas systématique – mais un recours possible, à la règle de l'unanimité et au droit de veto pour chaque pays. Quatrièmement…
Alain Duhamel : Qu'est-ce que vous voulez dire, exactement là ?
Francis Wurtz : C'est-à-dire que si un pays estime que ses intérêts fondamentaux sont en jeu, il puisse dire : « Stop, je ne marche pas ».
Alain Duhamel : C'est ce qui existe !
Francis Wurtz : Oui, mais… Vous savez très bien que la logique du Traité de Maastricht et, encore, plus de la conférence inter-gouvernementale de 1996 où sont à l'ordre du jour, les nouvelles réformes institutionnelles, la logique va dans le sens contraire. Donc, je suis très content que Monsieur Duhamel soit de notre côté pour…
Alain Duhamel : À mon avis, vous vous avancez, là !
Francis Wurtz : Ensuite, il faut que le Parlement national ait le dernier mot sur la politique européenne de la France. Il faut que le Gouvernement français ait besoin d'un mandat du Parlement national pour négocier les directives, les décisions communautaires. Ensuite, il faut que le Parlement européen ait beaucoup plus de moyens de contrôle des instances supranationales, notamment la commission, qui, pour le moment, fait la pluie et le beau temps. Ensuite, il faut qu'il y ait des moyens d'informations et d'interventions des salariés et des citoyens qui, actuellement, sont menés en bateau. Et enfin, il faut qu'il y ait sur les grands enjeux de grands débats pour l'opinion publique, comme ça avait été le cas pour Maastricht et, le cas échéant, une consultation populaire. Vous voyez, c'est tout un ensemble de choses pour rapprocher les centres de décisions des gens et non pas les éloigner comme c'est le cas actuellement.
François-Henri de Virieu : Jean-Marie Colombani, autre question.
Jean-Marie Colombani : Oui, un mot sur votre perspective, parce qu'il y a, traditionnellement, le débat qui sépare ceux qui sont partisans d'une identité européenne forte – donc avec une structure politique de plus en plus forte – et puis, ceux qui veulent se replier sur une simple zone de libre-échange. Alors, par rapport à ce débat, comment voyez-vous, vous-même, la répartition des rôles entre les différents niveaux, entre le niveau européen, le niveau national et le niveau régional, dans ses grandes lignes ?
Alain Duhamel : Dans ses très grandes lignes !
Francis Wurtz : Je crois que vous posez très bien la question. À mon avis, le problème est le suivant, pas seulement pour la France mais pour l'ensemble des nations qui constituent l'Union européenne, aujourd'hui, et d'autres demain. Chaque pays possède des atouts. Il doit pouvoir les valoriser. C'est-à-dire, non pas la guerre économique, non pas la mise en concurrence systématique, mais il doit pouvoir valoriser ses atouts. Nous avons des atouts agricoles, industriels, scientifiques, des services et des hommes et des femmes avec des possibilités, un savoir-faire. Il faut pouvoir les valoriser. C'est-à-dire que la Communauté européenne ne doit pas défavoriser ça, mais favoriser ça ! Autrement dit, par exemple, si nous pouvons aller vers des coproductions créatrices d'emplois, actuellement ce n'est quasiment pas possible. Pourquoi ? Comment ça se passe ? Eh bien, les différents pays de la Communauté mettent de l'argent ensemble pour, admettons, la recherche sur les micro-processeurs ou les composants électroniques pour l'informatique pour pouvoir concurrencer IBM. Eh bien, on donne de l'argent à différents grands groupes qui s'en servent pour mettre au point un produit et, une fois qu'il est au point, ils se séparent et s'allient avec les Américains, avec les Japonais, c'est-à-dire avec les concurrents des Européens, pour se faire la guerre.
Jean-Marie Colombani : Alors, vous diriez plutôt plus d'Europe ! Pour résumer d'un mot, que moins d'Europe ?
Francis Wurtz : Mais, plus l'Europe avec valorisation des atouts dans chaque nation, avec souveraineté, et avec, effectivement, une préférence communautaire avec une entraide pour l'emploi, pour la croissance saine.
Jean-Marie Colombani : Brice Lalonde.
Brice Lalonde : Je suis, moi, frappé de la tonalité critique de la plupart des politiques en France. Il faut regarder les choses sur 20 ans. Et on s'aperçoit, alors, que l'Europe est une fantastique oasis à la surface de la Planète. Une oasis de prospérité, même si c'est difficile en ce moment. Une oasis de démocratie. Une oasis de solidarité. C'est en Europe, que la plupart des systèmes de protection sociale ont été inventés. Et il faut, quand même, aussi se rendre compte de la façon dont l'Europe a pu se débarrasser de ses dictatures sur son propre sol. Enfin, il y a eu une avancée extraordinaire. Alors, ce n'est pas parce que, tout d'un coup, les choses vont mal qu'il faut moins d'Europe ! Il en faut plus ! Il en faut plus simplement, ce n'est pas un empilement bureaucratique supplémentaire. Et, si l'on ajoute une strate européenne et qu'on paie des impôts pour l'Europe, alors il faut en supprimer ailleurs. Et, par exemple, en paie pour la commune, pour le syndicat de commune, pour le département, pour la région, pour la nation, pour l'Europe, à chaque fois, ce sont de palets en plus et, par conséquent, il faut manifestement supprimer un étage administratif pour qu'on n'ait pas une pression fiscale supplémentaire. Mais, je suis moi, pour qu'il y ait plus d'Europe. On a besoin d'un acteur ! Il faut voir le Monde comme il est. Le Monde, il part dans tous les sens. Une explosion démographique, des frontières qui s'évanouissent, des acteurs très puissants dans les pays du Tiers-Monde. On a absolument besoin de règles du jeu mondiales et seule, l'Europe, peut les garantir.
François-Henri de Virieu : Bon. Dernière question de fond et on passe, ensuite, à l'affrontement entre vous deux, direct.
Alain Duhamel : Alors, dernière question. Est-ce qu'il est possible ou pas de lutter, à armes égales, avec les États-Unis et ceux avec lesquels ils coopèrent – le Canada, le Mexique – d'un côté, avec l'Asie du Sud-Est, de l'autre, sans se doter des mêmes moyens, et, par exemple, sans disposer d'une monnaie unique ? Est-ce que devant le Dollar ou devant le Yen, on peut faire autrement ? Monsieur Wurtz.
François Wurtz : D'abord, puisque vous évoquez la question des États-Unis, je pense qu'il faut casser le mythe, le vieux mythe libéral, selon lequel le libre-échange produirait de la croissance et de l'emploi. C'est le contraire. Donc, tout ce qui s'inscrit dans ce libre-échangisme échevelé, dans ce libéralisme échevelé, dans cette guerre économique, est désastreux pour l'emploi et pour la croissance. Donc, la question qu'il faut se poser, c'est : « Comment la communauté européenne, l'Union européenne, peut-elle se doter des moyens adéquats pour s'extraire de la guerre économique ? »
Alain Duhamel : J'aimerais bien que vous répondiez à ma question, parce qu'ensuite je voudrais entendre Brice Lalonde sur le même sujet !
Francis Wurtz : Entendu, j'en viens donc à la monnaie unique. La monnaie, c'est toujours, d'une certaine manière, le reflet d'une économie. Or, il y a entre les régions les plus développées et les moins développées de la communauté européenne, un écart, de 1 à 10, du point de vue de la productivité. Donc, si vous faites une monnaie unique là-dessus, ça se passe comme entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne de l'Est. C'est-à-dire, celui qui a la monnaie la plus forte au départ, c'est lui qui aura la monnaie unique et écrasera les autres et ce sont les gens qui paieront. Nous sommes donc contre ! Il faut, selon nous, garder les monnaies nationales et réformer le système monétaire européen, mais en faveur de l'emploi, de la croissance et de la solidarité, et contre les spéculateurs.
Alain Duhamel : Alors, Brice Lalonde.
Brice Lalonde : La perspective de la monnaie unique, oui. Si on attend Maastricht, on a des critères de convergence donc, il faudra un certain temps. En revanche, demain, on peut créer une monnaie commune et avoir tous les prix affichés à la fois en francs et en écus. Et régler tous ses achats avec une monnaie commune. Par conséquent, la monnaie commune on peut la faire tout de suite. Mais la perspective de la monnaie unique, oui.
François-Henri de Virieu : Bien. Là, on vient de vous entendre expliquer en réponse à des questions. Donc, c'est clair, les explications sont claires. Maintenant, on va passer à l'affrontement. En vous écoutant, à l'instant…
Alain Duhamel : Le dialogue direct !
François-Henri de Virieu : Le dialogue direct. Bon. En vous écoutant, en lisant vos textes respectifs. J'ai retenu trois points de désaccord profonds. On va essayer de les aborder. Vous allez essayer de les aborder, directement, en un peu plus d'un quart d'heure. Alors, si je vous dis : « Environnement », à tous les deux. Je vais commencer par vous, Monsieur Lalonde. Quel est l'enjeu de cette élection européenne du 12 juin ? Brice Lalonde.
Brice Lalonde : De plus en plus, la démocratie moderne nous oblige à choisir un environnement. Mais l'environnement est de plus en plus artificiel et, par conséquent, on ne demande jamais aux citoyens dans quel environnement, ils veulent vivre. Voilà l'enjeu simple. Et ce que je peux dire à Monsieur Wurtz qui nous a dit que la guerre économique, il fallait s'en extraire, que le libéralisme, c'était foutu. Je voudrais quand même… J'ai apporté l'Humanité et ça c'était pendant la catastrophe de Tchernobyl et c'est très important, ce qui s'est passé à Tchernobyl. Il faut bien voir que ce sont des millions de personnes qui ont été atteintes dans leur chair, à qui on n'a jamais rien dit… privées de tous leurs droits, déplacées et par conséquent, le système soviétique à l'époque a dit ça, c'est vous : « C'était une intox télé radioactive. Ce n'est pas vrai tout ça, c'est la CIA qui raconte des blagues. » Et si je dis ça, c'est simplement parce qu'au fond, je crois que l'on peut critiquer à bon droit le système…
Francis Wurtz : Vous me prêtez ce journal, s'il vous plaît ?
Brice Lalonde : C'est le vôtre !
François-Henri de Virieu : Vous ne l'aviez pas lu, monsieur Wurtz ? On n'applaudit pas ! Merci.
Brice Lalonde : On peut critiquer, à bon droit le système, ses imperfections, la guerre économique. Bien sûr il faut la réguler, mais entre nous soit dit, quelle immense faillite, notamment sur le domaine de l'environnement, de la participation des citoyens et de la démocratie dans l'ancienne union soviétique ! Et le pire, c'est que maintenant, ça recommence.
François-Henri de Virieu : On a compris. Francis Wurtz ?
Francis Wurtz : Là-dessus ?
François-Henri de Virieu : Allez-y.
Francis Wurtz : Alors, moi, maintenant… Ce ne doit pas être, très clair, sur Tchernobyl. Je ne changerai aucune excuse aux dirigeants soviétiques sur l'affaire de Tchernobyl, aux anciens dirigeants soviétiques, je pense même qu'elle est tout à fait révélatrice de ce qu'était la carence fondamentale de cette société, c'est-à-dire l'absence effective de démocratie et avec tout ce que cela implique. C'est-à-dire que ça se fait sans que personne ne le sache donc, évidemment, il n'y a pas de contrôle, il n'y a pas de transparence. Ensuite, puisque les gens ne sont pas vraiment impliqués dans l'affaire, ils ne se sentent pas non plus responsabilisés et c'était une preuve essentielle d'irresponsabilité. Et, enfin je pense que c'est la preuve aussi que l'Union Soviétique avait, d'une certaine manière, manqué un tournant technologique et qui s'est payé très, très cher et pas seulement dans ce domaine. Je pense, d'ailleurs, qu'aujourd'hui, on prend beaucoup trop à la légère ce qui se passe à Tchernobyl et je connais des ingénieurs de très haut niveau d'EDF qui ne demanderaient pas mieux qu'à y aller – je sais qu'il y a des choses qui se font, mais très peu –, je pense qu'il faut sonner le tocsin et que c'est un de ces enjeux de sécurité d'aujourd'hui qui n'a pas de solution militaire, qui a une solution économique, technique, de coopération, mais dont on ne parle pas. Donc, là-dessus, il n'y a certainement pas de problème entre nous.
Brice Lalonde : Il faut dire qu'il y a sept sous-marins nucléaires empilés dans la mer, que le fameux brise-glace « Lénine » – je me souviens que quand on était petits, il y avait des expositions sur le fameux brise-glace « Lénine » avec son réacteur civil – je sais, il rouille comme ça, au fond de la mer avec son réacteur nucléaire, tout ça. Ça sort par milliers de curies, enfin c'est invraisemblable…
Francis Wurtz : Oui, oui. Je m'intéresse aussi aux sous-marins nucléaires français. Par exemple, le président de la République va en inaugurer un, dans quelques jours, qui va nous coûter les yeux de la tête. Alors qu'on n'a, paraît-il, pas d'argent, ni pour les salaires, ni pour l'École, ni pour le Sida, etc. Donc restons aussi en France ? Mais, pour en revenir à l'environnement, qu'est-ce que vous avez en France ? Vous avez les friches agricoles. Si on suit votre Europe, on va avoir un tiers des terres agricoles en friches. On a la déréglementation. Est-ce que c'est bon pour l'environnement ? On a le « tout-camion » alors qu'il faudrait développer la SNCF publique, on a… La France, par exemple, pour prendre un exemple de politique étrangère qui vient de décider la dévaluation de 50 % du Franc CFA, c'est à-dire de diminuer…
Brice Lalonde : On dirait qu'il faut dire que les camions aillent sur le train, comme en Suisse…
Francis Wurtz : Je suis d'accord !
Brice Lalonde : Ah bien voilà. On se met d'accord en direct, voilà un point important…
Francis Wurtz : Je suis d'accord, totalement d'accord ! Ah cela, sans hésitation ! Et la France vient de prendre cette décision de dévaluer de 50 % le Franc CFA, autrement dit de diminuer, d'un coup, de moitié le pouvoir d'achat des populations de la zone-franc de l'Afrique. Eh bien, que vont-ils faire ? Ils n'ont plus d'argent. Ils vont couper du bois pour se chauffer, ils vont accélérer encore cette déforestation, cette désertification…
François-Henri de Virieu : La disparition de la forêt africaine…
Francis Wurtz : Mais ils n'y sont pour rien. Les décisions sont prises ici, sont prises au Fonds monétaire international, la Banque mondiale, le Gouvernement français, au Trésor. Voyez… Donc, les questions de l'environnement, ce sont de grandes questions de civilisation mais il faut les traiter politiquement, dire qui est responsable, où est la loi de l'argent et, une fois de plus, s'engager sur le terrain de la bataille véritable, sinon je pense que c'est de la littérature.
François-Henri de Virieu : Voilà. Cela, c'est un premier thème. On reviendra sur la loi de l'argent tout à l'heure. Mais je voudrais que vous nous expliquiez, Monsieur Wurtz, à quoi sert le Parti Communiste Français. Toute la vie politique française tourne autour du Parti Communiste, depuis des années, maintenant, avec l'Europe, à quoi sert le Parti Communiste Français ? Vous avez dit tout à l'heure : « On a un bilan à exposer de notre action à Strasbourg ». Allez plus loin.
Francis Wurtz : Je vais vous donner d'abord un exemple concret de l'utilité du Parti Communiste Français sur les questions européennes. En 1986, il y avait à l'Assemblée nationale, une ratification, pas n'importe laquelle puisqu'il s'agissait de l'acte unique européen, c'est-à-dire la matrice du traité de Maastricht. C'est passé inaperçu. Il y a eu 35 députés qui ont voté contre, 35 communistes. Aucun autre.
François-Henri de Virieu : Aucun autre n'a voté contre. Mais il y a 33 députés Front National qui se sont abstenus et il y a 5 ou 6 gaullistes qui se sont abstenus dont Monsieur Debré et quelques autres.
Francis Wurtz : Donc vous confirmez que, seuls les communistes ont voté contre.
François-Henri de Virieu : C'est ça, c'est ceux qui ont voté contre, je confirme. Ils étaient 35, d'ailleurs, à l'époque.
Francis Wurtz : Absolument. Parce que nous avons dit : « C'est un traité de droite. » Déjà, nous avions dit cela et donc, nous ne pouvons pas parce que, sinon, nous tromperions les Français. Et d'ailleurs, le Front National, Mégret avait dit : « Nous n'avons nullement l'intention, comme les communistes, d'hypothéquer l'avenir de la France qui se fera sûrement à travers l'Europe. Donc vous voyez, ceux qui, aujourd'hui, se disent anti-européens, parce que cela permet de surfer sur l'opinion publique contestataire, devraient relire ce qu'ils avaient dit en 1986 quand les décisions avaient été prises.
François-Henri de Virieu : Cela veut dire que vous pensez qu'il faut sortir de l'Europe.
Francis Wurtz : Pas du tout, pas du tout. Il faut transformer l'Europe. Il faut que ce soit une Europe sociale, démocratique, pour l'emploi, pour aider à la croissance, pour diminuer les inégalités et pas pour les augmenter. Mais, excusez-moi, je continue. Ça, c'était en 1986. À l'époque, Monsieur Dumas disait que « dans six ans, grâce à l'Europe, nous aurions réduit le chômage de 30 %. Alors, à l'époque, ils avaient brandi un travail d'experts, le rapport Cecchini, préfacé par Jacques Delors, qui disait : « On va créer cinq millions d'emplois ». Et, en 1988, Un journal comme Libération, que je respecte par ailleurs, titrait : « L'eldorado aux portes du grands marché européen ». 1988, rapport Cecchini. Eh bien, qu'est-ce qu'on vient d'apprendre, récemment ? Dans un rapport de ce qu'on appelle la table ronde européenne, qui est un immense lobby des 45 plus grands patrons d'Europe qui font la pluie et le beau temps au niveau de la commission, dont Jacques Delors a dit que c'était son meilleur soutient pour le marché unique européen. Qu'est-ce qu'ils disent dans ce rapport, qui vient de sortir, et que je laisse évidemment à la disposition de Monsieur de Virieu…
François-Henri de Virieu : Monsieur Wurtz…
Francis Wurtz : Non, non ! Une phrase ! Une phrase !
François-Henri de Virieu : Bon, allons-y !
Francis Wurtz : Il dit, voilà : « Le rapport Cecchini promettait la création de 5,7 millions d'emplois ». Un membre du comité directeur de ce groupe Cecchini déclare aujourd'hui que les estimations élevées en matière de créations d'emplois étaient en grande partie une propagande au service de l'unification européenne et qu'aucun membre du groupe ne s'est jamais attendu à ce que le marché unique soit une machine à créer des emplois.
François-Henri de Virieu : Donc, le parti communiste ne sert à rien. Il n'a pas d'influence sur les événements ?
Francis Wurtz : Donc, le Parti Communiste a été le seul à dire la vérité. Quand je disais, à la tribune du Parlement européen, à l'époque : « Votre affaire, c'est de la propagande. Vous ne pouvez pas faire des emplois si vous faites de la spéculation financière ». On a ricané en disant : « Vous êtes anti-européen ». Nous avons dit la vérité. Les Français doivent se dire que s'ils veulent plus de députés qui leur disent la vérité, qui les informent et qui les aident, il faut qu'ils les envoient, qu'ils envoient des communistes au Parlement européen.
François-Henri de Virieu : Brice Lalonde.
Brice Lalonde : Oui, je suis quand même frappé. Mais, c'est bien de voir qu'il y a encore une place pour le Parti Communiste alors que, dans le monde entier, il y a un recul du Communisme. Il y a même un effondrement des Systèmes Communistes. Et, par conséquent, je pense que, pour le Parti Communiste, ceci doit donner matière à réfléchir. Est-ce qu'il y a encore une signification historique au Communisme ? Est-ce que c'est vraiment l'avenir de l'Humanité ou est-ce que c'est ...
Francis Wurtz : À votre place, je réfléchirai davantage sur l'avenir de votre mouvement. Mais ça, c'est un autre problème !
Brice Lalonde : Non, mais si je vous dis ça c'est parce qu'au fond, c'est une question qu'on doit se poser. Quand nous étions plus jeunes, il y avait au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, une immense espérance dans le communisme. Il y avait, encore l'idée, que chaque jour qui passe allait être un progrès par rapport au jour précédent. Et, tout d'un coup, depuis quelque temps, cette croyance dans le progrès indéfini vacille. On se dit que, demain, ça sera peut-être pire. On se dit qu'il n'y a plus de modèle tout fait. Et, je ne crois pas qu'il y ait un modèle communiste tout fait, actuellement. Et donc, la proposition que je vous ferais plutôt, c'est, au lieu de dire : « Je l'avais bien dit », au lieu de dire : « il y a les patrons » – on ne va pas encore entendre ça, c'est un peu ancien, on a plutôt besoin actuellement d'entreprises qui fonctionnent bien – comment est-ce que l'on peut régler la question du chômage en Europe ? Eh bien moi, la proposition que je vous fais, c'est une proposition écologiste. J'ai eu le plaisir de voir qu'elle avait été, un peu, reprise par la commission, c'est qu'il faut manifestement, ne plus taxer le travail. Il ne faut plus qu'il y ait de charges sociales qui pèsent sur le travail et sur l'emploi. Parce que, si ça continue comme ça, il faudra bientôt payer pour travailler. On ne peut pas continuer comme ça. Et par conséquent, il faut déplacer le financement des charges sociales. En tous les cas, peut-être pour les premiers emplois. Et la proposition qui est faite par les écologistes, c'est soit de taxer la pollution, taxer la pollution pour financer la protection sociale, à condition que comme la vignette des vieux, ça n'aille pas au budget général de l'État, que les ministres des Finances ne prennent pas cet argent. Mais que ça aille directement au financement des cotisations sociales. Soit un point de TVA, notamment aussi sur les importations, de manière à ce que ce soit la consommation qui permette de financer les charges sociales et pas uniquement, les entreprises. Ce sont des mesures très simples. Les députés au parlement européen pourront se battre pour ça. Et, je pense qu'ils auront l'accord de la commission. Il faudra se battre pour se rendre compte que l'Europe peut nous aider. L'Europe peut nous aider à rendre la France meilleure. Il n'y a pas de raison de ne pas considérer que l'Europe ne puisse pas nous aider contre les blocages de l'État français. Et pourquoi ce qu'on n'aurait pas, par exemple, un tribunal européen, contre la corruption politique. J'ai plus confiance en un tribunal européen contre les politiques « pourris » – si vous m'excusez – que dans les tribunaux nationaux où les choses sont étouffées. Donc, l'Europe peut nous être très utile et il faut savoir s'en servir, en réalité, plutôt que de la critiquer tout le temps.
François-Henri de Virieu : Francis Wurtz.
Francis Wurtz : Monsieur Lalonde a confiance dans les tribunaux européens. Moi, j'ai confiance dans les peuples. Et, je pense qu'effectivement, l'Union des peuples européens est une très bonne chose. Mais que l'espèce de monstre technocratique actuel au service des puissances est une très mauvaise chose. Et, je dirais que le bilan est là. Mais maintenant pour revenir sur la question des emplois. Oui, on peut faire des choses. Vous savez, aujourd'hui, en France les grands groupes industriels et financiers, n'empruntent plus, ils prêtent. Ils sont tellement d'argent qu'ils n'empruntent plus, ils prêtent. Où est-ce qu'il va, cet argent ? En 1993…
Brice Lalonde : Vous ne proposez rien, vous ne proposez rien !
Francis Wurtz : Mais, je vais vous proposer ! Et je vais vous demander si vous êtes d'accord. En 1993, 225 milliards de francs ont quitté la France pour les exportations de capitaux, pour des valeurs mobilières (actions, obligations, etc.). C'est quasiment l'équivalent du budget de l'éducation nationale. Proposition : taxons les exportations de capitaux spéculatifs. Pour les utiliser pour l'emploi, pour la croissance, pour la formation, pour tout ce qu'il faut pour réellement sortir du trou. Deuxième proposition : avec les délocalisations, qui constituent une conséquence logique de la libre circulation des capitaux, qui était intégrée dans le marché unique, voté par tout le monde…
François-Henri de Virieu : Dans l'acte unique, voté en novembre 1986.
Francis Wurtz : Absolument. Et ensuite, dans Maastricht. Eh bien, proposition du Parti Communiste : quand des groupes multinationaux, qui sont sur notre territoire, délocalisent leur activité pour réimporter leur produit avec un surprofit parce qu'ils sont exploité des gens mal payés ailleurs, et bien, appliquons-leur à ces produits, une taxe de dumping social et utilisons cet argent pour aider ces peuples sous-développés, pour relever leur salaire Donc une taxe dissuasive pour éviter que notre aménagement du territoire parte en lambeaux, sous les coups de la guerre économique. Et enfin, je dirai, ce que je disais tout à l'heure, il faut qu'au niveau de la Communauté européenne, il y ait une véritable préférence communautaire. Si ça veut dire quelque chose, l'Europe, alors il faut s'entraider et non pas s'allier avec les Américains, les Japonais, contre d'autres européens et surtout contre les peuples.
François-Henri de Virieu : Brice Lalonde va vous répondre mais il faut – pour que les gens comprennent bien de quoi on parle – il faut dire que l'acte unique, c'est une décision prise d'accélérer le marché intérieur européen, par la libre circulation des marchandises, des hommes, des services et des capitaux…
Francis Wurtz : Surtout des marchands de biens.
François-Henri de Virieu : Vous dites : « surtout », c'est la libre circulation des capitaux qui posent un problème. Vous êtes pour. Vous êtes contre, Brice Lalonde ?
Brice Lalonde : Si c'est de l'argent de la drogue, je suis contre ! Si c'est de l'argent honnêtement gagné, c'est différent. Le problème n'est pas uniquement européen. Nous avons, de toute manière, dans le monde entier, un système où comme les nuages de sauterelles vous avez les nuages de monnaies, qui peuvent se poser sur telle ou telle monnaie.
Francis Wurtz : Et pourquoi ? Pourquoi c'est comme ça ?
Brice Lalonde : Et vous avez même un système qui mélange, presque, l'information avec la Monnaie. Ça devient un système virtuel avec un marché sur des garanties de garanties… C'est un système…
Francis Wurtz : Pourquoi, c'est comme ça ? C'est tombé du ciel ?
Brice Lalonde : C'est un système, une course de capitaux… Une des manières de résister à ces nuages de sauterelles, c'est d'abord évidemment l'union monétaire européenne. C'est d'avoir une Europe extrêmement forte. C'est aussi, certainement, qu'il y ait des règles du jeu mondiales. Et moi, ce qui me frappe le plus, c'est que, devant l'inquiétude, parce que c'est évident qu'il faut des règles du jeu mondiales nouvelles, il ne faut pas fuir en disant : « ce monde est mauvais ». Il faut au contraire s'engager et demander à l'Europe de peser pour des règles du jeu mondiales nouvelles. Toute notre vie politique, maintenant, pour le XXIème siècle, c'est : quelles vont être les nouvelles règles du jeu pour vivre à la surface de cette Planète ? Quelles sont ces règles du jeu ? Nous avons eu une très grande conférence, la conférence de Rio. Cette conférence de Rio nous a dit : « Il faudrait faire l'équivalent d'un grand Plan d'aide au tiers-monde. » Où est ce Plan d'aide ? Nous ne le voyons nulle part. Où est l'aide aux pays de l'Est ? Où est l'aide aux pays du Sud de la Méditerranée ? Comment éviter les grandes migrations ? C'est cela dont nous avons besoin. Ce n'est pas de dire tout le temps : « Mon dieu, c'est épouvantable, ce qui nous arrive ! Mettons-nous la tête sous le bonnet. Fermons les frontières. Protégeons tout cela. » Il y a eu des propositions qui ont été faites. Tenez le GATT, par exemple. Le GATT, ce sont des règles du jeu du commerce international. J'ai été très surpris de voir que des gens ont refusé le GATT. Mais il vaut mieux les règles du jeu, même imparfaites, que pas de règles du tout.
Francis Wurtz : Monsieur Lalonde, vous savez qui a dit récemment, il y a quelques jours, à moi-même que le Gatt était très mauvais pour l'environnement ? C'est la présidente de Greenpeace États-Unis que j'ai rencontrée, qui est manifestement beaucoup plus progressiste que vous, qui a 1 400 000 adhérents dans son organisation, je pense que ça vous rend un peu jaloux, et qui m'a dit : « l'Alena, le GATT, Maastricht, c'est très mauvais pour l'environnement. Surtout, battez-vous au Parlement européen contre ça ». Et je lui ai dit : « Nous allons travailler ensemble. » Greenpeace. Vous voyez, je suis meilleur écologiste que vous !
Brice Lalonde : Vous avez raison. Vous êtes sûrement meilleur que moi dans tous les domaines ! Mais, en tous les cas…
Francis Wurtz : Non, non. Je ne suis pas comme ça.
Brice Lalonde : Ce que je veux vous dire, Monsieur Wurtz, c'est que j'ai été très surpris que personne ne propose de mettre une clause sociale dans le Gatt. Cela fait 8 ans que l'on négocie le Gatt. Moi-même, je me suis dit : « il faut absolument mettre de l'environnement dans le Gatt, car il ne serait pas normal qu'il y ait concurrence au détriment de l'environnement. » Et j'ai été surpris qu'il n'y ait pas un syndicaliste pour dire : « il faudrait aussi mettre une clause sociale, parce que ça ne serait pas juste que la concurrence se fasse au détriment par exemple, des droits sociaux des travailleurs. » Et ce n'est que, quelques minutes, quelques minutes avant la conclusion de l'Uruguay Round que, tout d'un coup, les États-Unis et la France s'en sont préoccupés. Et comment se fait-il…
François-Henri de Virieu : Ce n'est pas tout à fait juste, m'enfin…
Brice Lalonde : Non, c'est exactement ce qui s'est passé. Malheureusement, depuis 8 ans, il n'y a pas un État qui ait porté cette revendication.
François-Henri de Virieu : Ils l'ont portée mollement. Dernier mot, Francis Wurtz.
Brice Lalonde : Et le Parti communiste, on aurait été très content qu'il fasse un rapport là-dessus.
Francis Wurtz : Il figure dans notre programme. Vous voyez, ça figure dans notre programme. Donc vous pouvez le consulter. Un dernier mot, puisque vous me le demandez. Je n'ai pas utilisé beaucoup de chiffres. Il y en a un qui peut faire réfléchir. Il n'est pas de moi, il est du directeur de Drezder Bank, il est de la France des règlements internationaux, il est de Maurice Allais. Tout le monde le cite : « Tous les jours dans le monde, il y a 1 000 milliards de dollars de transactions. Sur ces 1 000 milliards, 50 concernent les biens et les services… »
François-Henri de Virieu : C'est-à-dire qu'on a besoin d'acheter quoi.
Francis Wurtz : Et 950 concernent la finance.
François-Henri de Virieu : C'est-à-dire la spéculation. Acheter de l'argent pour gagner de l'argent.
Francis Wurtz : C'est-à-dire c'est un immense soufflé artificiel ! Ce n'est pas possible. Vous ne pouvez pas diriger le monde avec ces principes-là. Il faut revenir aux valeurs sûres qui sont ancrées dans les aspirations des peuples.
François-Henri de Virieu : Voilà. Merci, Messieurs pour ce débat qui a été, je crois, pédagogique et loyal. Et, je vais vous demander de vous réconcilier pendant deux minutes, le temps de signer ensemble le Livre d'Or. Nous sortirons pour le signer, le Livre d'Or de l'Heure de Vérité. C'était donc le face à face entre Monsieur Brice Lalonde, tête de liste de Génération Écologie à l'élection européenne du 12 juin et Monsieur Francis Wurtz, tête de liste du Parti Communiste. Alors, nous vous présenterons quatre autres « face à face » de ce type dans le courant du mois de mai. Avec une parenthèse, le 1er mai, car le jour de la fête du Travail, nous recevrons Monsieur Marc Blondel, secrétaire général de FO, Force Ouvrière. Bonne semaine à tous et rendez-vous, ici, le 1er mai.