Texte intégral
Monsieur le ministre,
Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,
À mon tour de célébrer l'Entente cordiale et de le faire avec un certain mérite puisque nous venons d'assister successivement à deux démonstrations de la supériorité britannique. La première, c'est le Château-Latour 1973, qu'on trouve surtout dans les caves britanniques et la deuxième ce sont « Les Ponts de Paris » interprétés à la cornemuse, encore que Pierre Joxe vienne de me signaler que nous sommes peut-être capables de faire aussi bien avec le Bagad de Lann-Bihoué. Nous essaierons de relever le défi.
Permettez-moi, Monsieur l'Ambassadeur, Madame, de vous remercier d'avoir réuni ce soit une aussi brillante assistance pour marquer cette date. Et je voudrais, par un effort de mémoire méritoire après notre longue journée à Luxembourg, essayer de citer trois dates successivement : celle du 8 avril 1904, celle du 6 juin 1944 et celle du 6 mai 1994.
8 avril 1904, comme le rappelait Douglas Hurd à l'instant, ce sont des accords qu'on a appelés l'Entente cordiale et qui, devant la montée des périls et le réarmement de certaines puissances en Europe, ont permis à la France et à la Grande-Bretagne de liquider un certain nombre d'anciens contentieux pour instaurer cette communauté de valeur et cette approche commune de relations internationales. Déjà à l'époque, si j'en crois quelques souvenirs que j'ai consultés, il y avait entre nous, comme à l'occasion de la dernière discussion d'adhésion, des problèmes à propos de la pêche. Nous les avons réglés. Nous avons aussi réglé à l'époque quelles différends coloniaux, le Maroc, l'Egypte et nous avons ainsi jeté les bases de ce qui tout au long du 20ème siècle, a été l'un des fondements de la liberté et de la défense de la démocratie en Europe. Cette entente a été trempée comme l'est un acier lorsque s'est déclenché la Grande guerre où tant de milliers, de dizaines de milliers, de centaines de milliers de vies ont été sacrifiées pour la défense de ces valeurs communes et sachez qu'ici, en France, on ne l'a naturellement pas oublié.
Deuxième date, précisément, le 6 juin 1944. Dans quelques semaines maintenant, nous célébrerons ensemble avec beaucoup d'autres démocraties qui comptaient au nombre de nos alliés, le jour du Débarquement. Nous avons pris toutes les précautions pour accueillir tout le monde, y compris les anciens combattants canadiens, je le précise – il n'y aura aucune difficulté de ce côté-là. Ce fut à nouveau pour nous l'occasion, face au nazisme, au fascisme, à tout ce qui était en contradiction totale avec nos convictions profondes, d'affirmer cette solidarité franco-britannique qui fut trop souvent, hélas, une solidarité de sang. Et ceci nous a marqué. On le constate aujourd'hui dans tous les grands débats de la vie internationale : chaque fois que l'essentiel est en cause, on retrouve d'une manière ou d'une autre la France et la Grande-Bretagne côte à côte et vous avez bien raison, cher Douglas, de signaler que peut-être demain – c'est ce à quoi nous nous employons avec beaucoup d'énergie – à Gorazde, si le droit finit par l'emporter sur la force brutale, c'est un contingent des Casques bleus français et britanniques qui entrera dans la ville. C'est en tout cas ce qui nous souhaitons du plus profond de notre cœur et ce à quoi nous avons travaillé tout au long d'aujourd'hui. Et je me réjouis personnellement de voir que dans ce dossier, si on peut appeler cela un dossier, comme dans beaucoup d'autres depuis un an maintenant que je suis en charge de ces fonctions, il y a eu entre la Grande-Bretagne et la France ce qu'on a appelé une embellie et dans laquelle je verrais simplement la permanence de cette entente profonde et de cette approche commune des problèmes.
Et puis ma troisième date, c'est le 6 mai 1994, dans quelques semaines, l'inauguration du tunnel sous la Manche par Sa Majesté la Reine Elisabeth II et le Président de la République, François Mitterrand. Je vous interrogeais tout à l'heure dans l'avion qui vous ramenait de Luxembourg sur la manière dont cette inauguration allait être ressentie en Grande-Bretagne. Je ne voulais pas faire de gaffe ce soir, mais vous m'avez assuré que l'existence de ce lien fixe entre les îles britanniques et le continent avait été finalement admis malgré le risque d'invasion de renards par le tunnel, contre lequel je ne doute pas que vous preniez des mesures drastiques au débouché dudit tunnel sur le sol britannique. Mais c'est là aussi un symbole. C'est le symbole de ce que nous allons avoir à faire ensemble – je le crois très profondément – au cours des prochaines années.
Je ne vais pas passer en revus tous les défis qui nous sont lancés par une vie internationale ô combien agitée. Je crois que l'une des tâches qui nous incombe à vous et à nous tout particulièrement, ce sera la poursuite de ce que vous évoquiez vous-même, c'est-à-dire la construction de l'Europe. Nous n'avons peut-être pas sur cette question-là des vues totalement identiques, mais nous allons être confronté aux mêmes défis : comment élargir cette Europe au-delà de ce qu'elle est aujourd'hui et à combien de candidats qui frappent à la porte – ce qui est d'ailleurs un signe de vitalité ? Comment l'élargir donc, sans pour autant l'affaiblir et la diluer dans quelque chose qui ne serait plus une communauté mais ne ressemblerait plus qu'à un vaste marché ? Même si, je le répète, nous n'avons pas toujours la même approche de ce problème, nous avons au moins la même conviction, à savoir que cette poursuite de la construction européenne, ce renforcement de l'Union, doit se faire dans le respect de ce qui est fondamental, de ce que personne ne changera par un trait de plume, à savoir la réalité de nos nations. Parce que nous sommes, vous et nous, de très vieilles nations, avec de très vieilles traditions auxquelles nous tenons de notre foi européenne doit se réconcilier avec le respect de ces traditions. Peut-être y a-t-il là effectivement pour la France et la Grande-Bretagne un nouveau champ de coopération. Je souhaite que nous abordions les années qui viennent dans le dialogue et dans la concertation de tous les instants.
Voilà ce que je voulais dire pour à mon tour célébrer cette Entente cordiale. Vous le savez, mon cher Douglas et je n'aurai peut-être pas été tout à fait à la hauteur des événements ce soir, que la nouvelle législation française m'interdit de m'exprimer dans un langage autre que le gaulois sur le territoire national, même dans ce lieu extraterritorial que constitue l'Ambassade de Sa Majesté. Et c'est donc tout banalement et tout petitement en français, sous le regard vigilant des académiciens ici présents, l'un d'entre eux en tous cas – non, il y en a plusieurs – que je lèverai mon verre à l'Entente cordiale, à l'amitié entre la Grande-Bretagne et la France, à Sa Majesté la Reine Elisabeth II et au Président de la République française.