Interviews de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur et président du PR, à France 2 le 14, France-Inter le 16 et TF1 le 26 juin 1994, sur la polémique entre le PR et l'UDF à propos de la ou des candidatures à l'élection présidentielle au sein de la majorité et sur le conflit au Rwanda.

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Intervenant(s) : 

Média : France 2 - France Inter - TF1

Texte intégral

France 2- Mardi 14 juin 1994

Q : Que se passe-t-il au PR ? On a l'impression d'une immense cacophonie ?

G. LONGUET : « Au lendemain des élections, il est normal que les responsables réfléchissent et tirent les leçons. Ce qui n'est pas normal c'est de réfléchir trop rapidement et de tirer des leçons trop brutales. Nous sommes une formation politique, on a des instances. Nous pouvons prendre très rapidement notre responsabilité. »

Q : Vous mettez en cause les 27 députés qui ont librement pris l'initiative de…

G. LONGUET : « Le PR a des instances pour prendre des décisions. Il est parfaitement responsable et il peut prendre des orientations qu'il souhaite bonnes pour le projet qui compte pour nous : assurer la victoire de la majorité présidentielle, et sans doute, à partir d'une candidature unique. Mais il y a des règles du jeu et, comme président du PR, je suis intervenu cet après-midi pour faire respecter les règles. J'ai donc décidé de convoquer un conseil national et j'engagerai ma responsabilité de président sur une orientation politique pour préparer les présidentielles, le 26 juin. J'ai remis de l'ordre dans la maison. »

Q : l'incident est clos ?

G. LONGUET : « L'incident est clos. »

Q : tout ce tohu-bohu a été déclenché par les déclarations de C. MILLON, qui souhaitait avoir plusieurs candidatures dans la majorité. Vous vous opposez à lui.

G. LONGUET : « C'est un problème de forme. Nous formons une équipe à l'intérieur de la majorité. Lorsque quelqu'un a une idée géniale – et après tout, celle de MILLON est peut-être géniale –, il la propose aux instances, au bureau politique de l'UDF et nous en décidons. Mais le système qui consiste à faire le concours Lépine des solutions politiques et à se disputer l'accès aux médias pour annoncer des solutions miracles n'est pas le bon. Nous devons faire vivre nos formations politiques, respecter nos instances. Je fais respecter les procédures, je suis, en quelque sorte, un gendarme ; mais c'est ma fierté. »

Q : Vous souhaitez soutenir la candidature unique d'E. BALLADUR pour la prochaine présidentielle ?

G. LONGUET : « Je souhaite que toute la majorité, qui a signé un accord – L'Union Pour la France – qui repose sur l'unité de candidature… nous l'avons fait aux régionales. Nous allons le faire aux municipales. Il faut que cet accord se poursuive aux élections présidentielles. »

Q : Avec qui à la tête ? Chacun est en train de choisir son écurie présidentielle…

G. LONGUET : « C'est votre sentiment, ce n'est pas le mien. Il est important de rappeler que nous voulons aboutir à un candidat unique de la majorité. Les hommes capables d'être candidats sont nombreux, sont de talent. C'est de leur responsabilité qu'il appartient de se décider sur un seul. C'est très difficile. Mais c'est la condition. Nous avons échoué en 81 par la division, hélas en 88, nous avons encore échoué. Je souhaite, très fortement, qu'en 95 nous ayons la sagesse de nous rassembler sur le meilleur, le moment venu. Et le moment n'est pas venu. »

Q : Si vous n'arrivez pas à vous mettre d'accord avec C. MILLON, est-ce que le groupe UDF à l'assemblée est menacé d'implosion ?

G. LONGUET : « Tout à fait ! Si, contre la volonté de l'UPF, on nous dit qu'il faut à tout prix une signature séparée, nous prendrons à ce moment-là notre liberté. Ce n'est pas le sujet de ce soir. Le sujet de ce soir c'est de respecter les formes. Il n'appartient à quiconque, responsable de l'UDF, de parler au nom de la totalité de l'UDF. Nous avons des instances, faisons-les vivres. Les décisions seront prises collectivement et jamais séparément. »


France INTER - Jeudi 16 juin 1994

Q : Selon vous, peut-on faire quelque chose au Rwanda, ou devons-nous nous contenter de notre mauvaise conscience ?

– « Dans l'attitude de la France, et sans doute de l'Europe, à propos du Rwanda, il faut d'abord dénoncer un racisme implicite. Il y a l'idée qu'après tout c'est une fatalité. Ils sont comme ça, ces gens-là, c'est des peuples, c'est des Noirs, c'est des Rwandais. Ils se sont toujours battus et entre-tués. C'est très pratique, ça permet de ne pas aller plus loin : ça permet de dire, on n'y peut rien. Le deuxième aspect, c'est le manque de courage collectif. Au fond, un pays, et la France en est un, a une dimension historique et une responsabilité historique. Et ça, on va l'écarter. Or il se trouve que nous ne pouvons pas vivre durablement en paix, libres, dignes, sans prendre des responsabilités à l'extérieur. C'est ce qui avait été compris autrefois, avec peut-être du paternalisme, des intérêts matériels, une morale de missionnaire, et d'officier de l'infanterie coloniale, mais ça avait marché plus ou moins bien pendant trois quarts de siècle. »

Q : C'est aussi ce que dit A. JUPPE, en disant que si rien n'est fait, on peut y aller.

– « Il faut y aller pour rester. Ce qui m'a frappé dans la remarque de B. GUETTA, c'est que tout cela n'a de sens que dans la durée, et avec un projet politique. L'histoire de la Somalie est un naufrage, parce qu'en Italie il y a la dimension des médias. C'est-à-dire que pour débarquer, pour régler l'affaire en deux coups de cuiller à pot, ils y sont allés. Mais ce n'est pas vrai : si on veut régler quelque chose, il faut durer. Il faut former des cadres. Et en trois quarts de siècle, permettez-moi de vous dire que les Belges n'ont pas pu le faire. Les Français, les Anglais ont parfois réussi, on a parfois échoué, mais il faut le faire dans la durée. Ça veut dire que, pour le fardeau de l'homme blanc, pour le fardeau de l'Européen, pour le fardeau du Français, il faut des hommes, et de l'argent. L'argent, à la limite, on peut le trouver. Est-ce que notre pays de 60 millions d'habitants est capable de secréter en son sein suffisamment de soldats et d'administrateurs pour tenir à bout de bras un certain nombre de pays ? Article un. Et article deux, est-ce qu'il est capable de le faire avec les autres pays d'Afrique raisonnables pour que, progressivement, il y ait une relève ? Je ne le sais pas. En tous les cas, nous avons, depuis le départ de l'Algérie, disons-le très clairement, fait le service minimum, en maintenant les pays d'Afrique francophone, mais pas au-delà. Au-delà, ça coûte beaucoup plus cher : sommes-nous capables de le payer ? Je crois très honnêtement que personne ne l'a posé, par conséquent, les Français ne le savent pas. Personne ne le sait. »

Q : Regardons nos problèmes de politique intérieure, qui sont évidemment moindres, toutes proportions gardées.

– « L'un appelle l'autre : quand un grand pays n'est pas capable de régler la Bosnie, c'est l'image de l'Europe qui est dégradée, ce sont des abstentions, et c'est des votes dispersés. Quand un grand pays n'est pas capable de régler une tragédie comme le Rwanda, et d'ailleurs, je suis tout à fait responsable, comme homme du gouvernement, c'est l'image de la politique qui est dégradée. »

Q : Que pensez-vous de l'attitude de M. ROCARD ? Cela ne change-t-il pas beaucoup de choses de votre côté ?

– « Je ne porterai pas de jugement sur M. ROCARD, les électeurs l'ont fait, et les électeurs de gauche, en particulier. En revanche, je crois que sa candidature devient improbable aux présidentielles, et nous aurons d'autres solutions. Parmi celles-ci, J. DELORS. Ça change totalement les données de l'équation présidentielle. »

Q : Mais qu'en pense vraiment l'homme politique appliqué, président du PR ?

– « Je n'ai pas à juger les candidatures de gauche. Je constate simplement que ROCARD n'a pas imposé sa dimension, et c'est donc un candidat de gauche peu crédible. D'autres auraient peut-être plus de chances que lui. Par exemple, DELORS. DELORS, qui peut utiliser une faiblesse de la majorité d'aujourd'hui : le fait de réanimer la plaie européenne. Nous avions, par la pratique gouvernementale, depuis un an, consolidé la majorité sur un exercice européen raisonnable et réaliste. C'est le succès de JUPPE, de LAMASSOURE, de PUECH, c'est un petit peu le mien, d'ailleurs, dans l'affaire du GATT. Et donc, nous avions une majorité cohérente. Au lendemain des européennes, on peut se poser la question. Deux tiers de la majorité sont pour l'Europe, un tiers est très réservé. Si J. DELORS utilise cette division, ça peut être, pour notre majorité, un sérieux inconvénient aux présidentielles. »

Q : Venons-en à vos soucis à vous. Avez-vous une sorte de complicité avec les 27 frondeurs de l'Assemblée nationale ?

– « D'abord, il faut respecter les formes. Le respect mutuel passe par la politesse, par l'application des statuts. Si j'ai un grief à faire, et qui peut, parfois, s'adresser à moi-même, à la classe politique, c'est que nous voulons travailler ensemble et nous sommes une fédération d'individualistes. C'est le concours Lépine des idées politiques, chacun sort sa solution miracle. Si nous utilisions les instances qui sont les nôtres pour nous parler entre nous, à l'intérieur du PR d'abord, de l'UDF, de la majorité, je crois qu'il y aurait plus de responsabilités, une image plus forte pour les électeurs. Ce que j'ai condamné d'abord, au lendemain des élections européennes, c'est l'agitation et la bousculade pour dire des choses, pour afficher des certitudes, alors que nous avons d'abord à en parler entre nous. C'est une marque de respect et de maturité. »

Q : Êtes-vous plutôt partisan d'une autonomie du PR, au Parlement ?

– « Je vais vous surprendre. Je suis quelqu'un qui aime réfléchir avant de décider. Nous avons une équation différente au lendemain des européennes, parce que la droite doit surmonter la division des européennes, et parce que la gauche peut utiliser l'effacement de ROCARD pour trouver une nouvelle solution. Nous avons donc le devoir de réfléchir, ça me paraît une évidence. Et nous n'avons pas à nous bousculer, avec une sorte de frénésie médiatique, pour afficher des solutions miracles, avant d'approfondir ensemble ce que nous pouvons faire. C'est la raison pour laquelle j'ai repris en main ma formation. Je ne suis responsable que du PR, et j'ai demandé à mes amis de prendre le temps de la réflexion et de respecter la forme. C'est pour ça qu'il y aura un conseil national du PR, le 26 juin prochain. »

Q : C'est un problème de stratégie ou un problème GISCARD ?

– « Pas du tout le président G. D'ESTAING a créé l'UDF, il l'a rénovée. À la veille des élections présidentielles, le PR a une identité, souhaite la consolider et peut avoir la certitude de pouvoir l'exprimer. C'est exactement l'objet du débat. Nous avons des choses à dire, nous avons la volonté de le dire, et nous ne souhaitons pas qu'on parle en notre nom, et qu'on nous engage en notre nom. »

Q : Ne regrettez-vous pas d'être à la fois patron du PR et ministre de l'industrie. N'êtes-vous pas ligoté des deux côtés ?

– « Vous avez tout à fait raison. C'est un problème de notre vie parlementaire : l'exercice des responsabilités gouvernementales et l'exercice partisan sont de nature différente. C'est sans doute pour cela que nous avons ouvert un boulevard, sur notre droite, à l'occasion des européennes. Ceux qui avaient la liberté de parole ont eu plus d'impact, naturellement, sur les électeurs que ceux qui avaient un langage contraint. »


TF1 - Dimanche 26 juin 1994

Q : Le PR est entré en campagne présidentielle aujourd'hui ?

– « Pas du tout ! Nous avons rappelé une vertu simple : celle de l'unité. Elle se déclinait hier, aux législatives, dans l'union. Et qui se déclinera, demain aux présidentielles – nous le souhaitons profondément – dans l'unité de candidature. N. SARKOZY (à 7/7, NDLR,) dit des choses pleines de bon sens. Un gouvernement peut gouverner dans l'union de sa majorité pendant six mois et faire des choses utiles ; et les présidentielles viendront le moment venu. »

Q : Pour quel mandat unique…

– « Cela dépend de la qualité des hommes. Il y a des gens formidables dans la majorité. Il n'y a qu'une seule place. Qu'ils discutent entre eux et se mettent d'accord. C. PASQUA nous a fait une proposition que le RPR et l'UDF, en 1990, avaient ratifiée. Cela me convient parfaitement. S'ils ne se mettent pas d'accord entre eux, ils donneront la parole à tous les électeurs de la majorité pour exprimer leur choix. Mais on fera cela à la fin de l'année 94. Tous les candidats sont connus, ils n'ont pas la peine de faire des campagnes de plusieurs semestres pour s'imposer. »

Q : Les primaires, c'est difficile !

– « Cela fait un siècle que cela existe aux États-Unis, où c'est plus grand et plus compliqué. Les primaires permettront de choisir le meilleur en permettant à chacun d'avoir sa chance. Les Français ne veulent pas qu'un beau jour, d'un chapeau, sorte le sauveur suprême sans avoir pu donner leur point de vue. »

Q : vous avez dit que le PR exercera un droit de veto sur l'UDF. Pourquoi ne pas être allé jusqu'au bout ?

– « On a le droit de se coincer les doigts dans une porte une fois. Mais si on le fait plusieurs fois de suite, c'est qu'on est vraiment masochiste. On s'est fait coincer les doigts dans la porte des européennes. On a ouvert une voie formidable pour une autre liste. D. Baudis a rempli son contrat. Il s'est battu, je ne le conteste pas. Il s'est battu courageusement, mais il était à une aile de la majorité, et pas au coeur. On s'est fait coincer les doigts dans une décision qui était un peu mystérieuse. On souhaiterait que cela ne recommence plus. »

Q : Vous avez lu le livre de J. CHIRAC ?

– « Je ne l'ai pas encore lu, mais j'ai l'intention de le faire cette nuit. Je connais les idées de J. CHIRAC. Nous avons demandé à A. MADELIN de travailler avec les parlementaires du PR sur ce thème. J'ai renforcé mon équipe. J'ai demandé à P. VASSEUR et à J.-C. GAUDIN d'être mes coadjuteurs comme vice-présidents du PR. Nous avons une équipe qui est rassemblée pour préparer ces présidentielles. Je suis très optimiste. Dans la majorité, si nous jouons l'union, on peut donner de l'élan à ce pays et mettre fin à cette cohabitation qui nous paralyse un peu. »

Q : un mot sur l'opération militaire au Rwanda.

– « La fierté que la France et que son armée aient pu apporter une réponse, tardive certes, mais la plus rapide de tous les pays occidentaux. Je souhaite la relève par les Nations unies. Mais nous avons pu répondre rapidement avec des moyens, des hommes, avec un savoir-faire. Si nous pouvons arriver à faire en sorte que ceux qui ont survécu au massacre ne connaissent pas d'autres exactions, c'est une fierté collective. »