Déclaration de M. Jean-François Hory, président du MRG, le 8 juin et éditorial dans "Le Journal radical" de juin 1994, intitulé "Le chemin", sur les grandes orientations du MRG pour les élections européennes du 12 juin 1994 et le rôle de Bernard Tapie à la tête de la liste Energie radicale.

Prononcé le 1er juin 1994

Intervenant(s) : 

Circonstance : Meeting du MRG au palais des sports à Paris le 8 juin 1994 dans le cadre de la campagne pour les élections européennes

Média : Le Journal radical

Texte intégral

Discours de Jean-François Hory, Président du MRG au Meeting de Paris, le 8 juin 1994 

Mesdames, Messieurs, mes chers amis, 

Après la musique et avant la musique, si on parlait un peu de politique ? (message radicaux italiens). 

Nous sommes venus ce soir pour vous parler de l'Europe. 

Qui a dit que les gens ne s'intéressaient pas à l'Europe ? Qu'ils ne s'intéressaient pas à cette élection ? À vous voir assemblés j'ai plutôt l'impression inverse. 

Qui a dit que cette campagne était triste ? Que les responsables politiques ne savaient pas parler de l'Europe ? Nous allons essayer de vous montrer le contraire. 

Je comprends que l'on puisse être fatigué de l'Europe telle qu'on nous la présente. Europe de chiffres et de statistiques. Europe bureaucratique, tatillonne, réglementaire. Europe éloignée des citoyens et résignée à toutes les violences : violence du chômage et de l'exclusion au quotidien, violence de la guerre dans le monde et jusque sur le continent européen. 

Je comprends aussi qu'on puisse être lassé par les discours politiques sur l'Europe. J'entends les discours de l'extrême-droite : « non à l'Europe, oui à la France » ; ceux-là seraient favorables à l'Europe à condition qu'elle soit blanche. Hitler avait déjà le même projet. Rien de nouveau. Mais j'entends également les discours de l'extrême-centre : les Européens de droite ou de gauche qui ont renié leurs convictions. « L'Europe mais pas celle-là... L'Europe mais pas comme ça... L'Europe mais plus tard... Oui, pour l'Europe, il faut voir... En résumé, oui à l'Europe à condition qu'elle ne se fasse pas. » Tout cela est bien misérable. 

Nous voulons, nous, vous parler d'une Europe plus belle, plus rayonnante, plus généreuse, plus solidaire. Europe de liberté et de paix. Europe riche de ses différences et de sa tolérance. Europe tournée vers l'avenir et la fraternité, oublieuse des conflits du passé et des nationalismes guerriers. 

Nos amis italiens nous ont souhaité bon vent. Mais le poète nous dit aussi, c'est Saint John Perse : « C'étaient de très grands vents sur toutes choses de ce monde ». 

Et l'Europe connaît aujourd'hui des vents mauvais : le vent de la guerre, le vent de la religiosité, celui du chauvinisme et de la xénophobie, le vent de toutes les peurs et de tous les rejets, le vert de la désillusion et du refus de l'Europe. 

Nous voulons, nous, faire souffler de bons vents fraternels sur l'Europe : le vent des principes républicains, le vent des droits de l'Homme, celui de la volonté politique opposée à toutes les résignations, celui de l'Europe enfin restituée aux citoyens. De très grands vents. 

Oui, nous sommes pour l'Europe. Sans équivoque, sans ambiguïté, sans démagogie, sans le moindre malentendu nous sommes pour l'Europe. 

Et d'abord, vous le savez, pour l'Europe fédérale. Cela paraît compliqué mais c'est parfaitement simple. Dans quatre domaines-clés, l'Europe peut faire mieux que les États politique économique et monnaie, défense, droit social, protection de l'environnement. Dans ces quatre secteurs nous voulons une Europe plus forte et pour le reste qu'on laisse les nations et les gens décider de leur avenir. 

Mais nous voulons aussi une Europe solidaire et sociale. Que les États de l'Union Européenne lancent de grands programmes de coopération et de mobilisation : l'Europe contre le chômage, contre la criminalité de la drogue, l'Europe contre le Sida. Et que l'Europe sache aussi se montrer généreuse dans l'aide au développement. 

C'est ainsi que nous construirons une Europe de la paix car c'est notre principale ambition. J'ai 45 ans ; nos parents nous appellent la génération d'après-guerre. On ne fait pas assez attention au sens des mots. C'est quelque chose d'être « de l'après-guerre ». S'il n'y avait qu'une raison de continuer la construction européenne, celle-là – la paix entre les états-membres – serait largement suffisante. Mais aujourd'hui, nous sommes face à un nouveau défi, celui de la guerre sur notre continent, en Bosnie. N'écoutons pas ceux qui veulent ajouter la guerre à la guerre et le sang au sang. Soyons plus ambitieux, plus audacieux. Bernard TAPIE a avancé une solution. Après le cessez-le-feu, proposons l'entrée immédiate de la Bosnie dans l'Union Européenne. Cela coûterait beaucoup moins que l'adhésion de l'Allemagne de l'Est (1 écu par Européen et par an pendant cinq ans) et la Bosnie aurait le choix de continuer à bégayer son 19è siècle ou d'entrer avec nous dans le 21è siècle. C'est possible mais en avons-nous la volonté ? Si oui, nous aurons rendu un grand dessein à l'Europe, nous lui aurons donné un sens. 

Une Europe fédérale, solidaire, sociale et pacifique donc. Mais aussi une Europe laïque et citoyenne. Quelque chose comme le rêve d'une Europe républicaine. 

Ce rêve que nous faisons c'est celui de l'humanisme européen, de la culture européenne qui est le contraire du repliement sur soi. L'Homme européen c'est Shakespeare et Cervantès, c'est Goethe et Victor Hugo, et c'est aussi la pensée d'Aimé Césaire ou celle de Léopold Senghor. Europe des libertés, Europe de la vraie fraternité en lutte contre le racisme, l'antisémitisme, le sexisme et toutes les intolérances. Une Europe qui se sent concernée par Haïti et par Sarajevo, par Kigali et par l'Afrique du Sud, par nos banlieues qui sont comme un résumé du monde. On me dira qu'il s'agit là de mots vagues et imprécis. Mais je crois que nous nous comprenons bien. Je veux d'ailleurs vous proposez un petit test, une preuve toute simple. Que signifie le mot de fraternité ? À Partir d'une série de noms de personnes, vous me répondez « oui » ou « non » et nous verrons bien si nous sommes d'accord entre nous. On y va ? Je cite une personne et vous me répondez par oui ou par non. 

M. Charles Pasqua, M. Nelson Mandela, M. le Vicomte Philippe de Villiers, M. Martin Luther King, M. Édouard Balladur, M. Bernard Tapie, M. Jean-Marie Le Pen, M. François Mitterrand 

Vous l'avez reconnue, notre Europe c'est une Europe de gauche. Car voilà bien notre projet, la gauche. On a dit que la liste Énergie Radicale était dirigée contre Michel Rocard. Pas du tout. Le pauvre a déjà assez d'ennuis comme ça. Au contraire, nous disons à toute la gauche que dimanche, il faudra additionner nos voix pour que la gauche soit demain plus forte en Europe. Nous disons à tous nos amis de gauche qu'ils peuvent nous rejoindre parce que notre liste est là, à gauche. 

Elle est là tout simplement parce que les radicaux et leurs partenaires, parce que Bernard Tapie, bien sûr lui aussi, sont des gens de gauche. 

Et je voudrais dire ici quelques mots à propos de Bernard Tapie. Je devrais le défendre étant donné qu'il est souvent attaqué. Un peu trop. Mais je ne vais pas le défendre ; d'ailleurs il le fait assez bien lui-même. 

Je veux au contraire insister sur quelques-uns de ses défauts. L'homme a des défauts, en effet. Trois d'entre eux sont particulièrement énervants pour la classe politique de ce pays. 

D'abord Bernard Tapie ne se trouve jamais là où il devrait être. Originaire d'une banlieue et d'un milieu modeste, il aurait dû y rester. Il a eu le culot d'en sortir et de réussir, il faut l'y renvoyer. Plus grave encore après avoir réussi, il aurait dû normalement aller à droite. Il aurait bien profité de la politique de la droite qui favorise outrageusement les puissants. Surtout, il aurait servi de caution à la droite : « Vous voyez bien qu'on peut réussir. Faites comme lui et ne nous ennuyez pas avec vos histoires de solidarité ou d'égalité des chances ». Voilà ce qu'il aurait dû faire. Eh bien non ! Il était de gauche et il est allé à gauche. Ça c'est impardonnable.

Curieusement les plus irrités sont des responsables de la gauche. Allez comprendre. 

Peut-être ce paradoxe s'explique-t-il par le deuxième gros défaut de Bernard Tapie : lui, quand il parle on comprend ce qu'il dit. En voilà assez pour une gauche tellement éloignée du terrain et de ses électeurs qu'elle appelle populiste tout ce qui est populaire. Il reste que lorsque Bernard Tapie a le courage d'affronter Jean-Marie Le Pen, chaque Français peut voir où sont la peur, la haine, l'intolérance, le racisme et où sont la joie, l'espoir, la confiance, le vrai – le beau – visage de la France. Pour cela aussi, merci à Bernard Tapie. 

Mais le troisième gros défaut de Bernard Tapie est peut-être le pire. Figurez-vous que lorsqu'il se présente aux élections, il les gagne... Législatives, régionales, cantonales hier, européenne aujourd'hui... Et s'il lui venait à l'idée de se présenter à d'autres élections demain ? Il faut à tout prix l'en empêcher ! 

Et on essaie en effet de l'arrêter. Plus personne en France n'est dupe des véritables motivations des difficultés en chaîne qui sont faites à Bernard Tapie. Il s'agit de l'empêcher de parler, de nous en empêcher aussi, de nous empêcher de bousculer le petit jeu tranquille de ceux tous ceux qui se considèrent comme les propriétaires de la politique française. 

Je le dis tout net on ne nous arrêtera pas. Nous avons encore beaucoup à faire pour rénover la politique de ce pays et pour rendre la parole aux citoyens. Et je veux redire aussi, malgré toutes les attaques, malgré toutes les violences, malgré toute la haine qui se déverse sur lui, mon soutien politique ma confiance et mon amitié personnelle à Bernard Tapie. Je suis heureux de faire cette campagne avec lui, fier qu'il ait choisi mon parti, fier d'être son ami. 

Et demain grâce à lui, grâce à tous les autres, grâce à vous, nous allons gagner. 

Nous allons gagner pour l'Europe. Mais nous allons continuer bien au-delà. 

Nous voulons rassembler les radicaux, les écologistes des personnalités socialistes, des réformateurs, des démocrates, tous les républicains qui voudront, dans un nouveau pôle de gauche. 

J'entends qu'on nous propose une « Nouvelle Alliance », un nouveau « big-bang ». Les radicaux ne sont pas disponibles pour les petites manœuvres politiciennes dictées par la panique électorale. On ne les convoque pas quand on est en difficulté. On ne doit pas les prendre pour des auxiliaires des stratégies présidentielles les moins légitimes. Ils ont mieux à faire : ils veulent construire une nouvelle gauche, humaniste, moderne, ouverte et tolérante. 

Quand ce travail aura été conduit, nous discuterons avec nos amis socialistes – du moins ceux qui sont nos amis – des regroupements qu'il faudra opérer ensuite. Pour l'heure, que chacun mesure ses responsabilités et qu'on nous laisse travailler à notre projet. 

Car notre projet, voyez-vous, c'est de rénover la gauche, et de proposer une vraie gauche :

– une gauche qui préfère la liberté à l'organisation, 
– une gauche qui préfère l'individu à tous les systèmes, 
– une gauche qui préfère la justice à l'égalité, 
– une gauche généreuse et fraternelle, laïque et républicaine,
– une gauche pour faire gagner la gauche, 
– une gauche pour vous faire une belle Europe de gauche, 
– une gauche pour donner un successeur de gauche à François Mitterrand. 

Nous allons le faire avec tous les radicaux et tous leurs amis, avec tous les Français, avec vous tous ici, avec votre confiance, avec votre énergie. Et dès dimanche, avec Bernard Tapie. 

À demain l'Europe ! À demain la gauche ! 


Journal Radical  : juin 1994
Le chemin 

Les radicaux n'auront pas choisi les chemins de la facilité. Le plus simple est toujours de chercher à plaire à l'opinion et, dans un parti politique, de flatter le grégarisme militant. Si l'on est petit, on doit, en outre, complaire à ses alliés. Nous avons fait des choix inverses.

Rien n'est plus escarpé que le chemin de l'indépendance. Comparée aux facilités de la vassalité, au confort des petites organisations satellites, la reconstruction d'un courant radical réformiste indépendant évoque irrésistiblement la fable « Le Chien et le Loup ». Même si elle doit être payée de notre insécurité, de notre amaigrissement, nous préférons notre liberté à la pratique du radicalisme enchaîné. On ne nous découragera donc pas en dressant mille obstacles sur notre route. Au contraire. 

D'ailleurs, les radicaux n'ont pour l'heure qu'à se féliciter de leur choix. Leur récente Convention Nationale a démontré leur capacité de rassemblement : écologistes, réformateurs, démocrates, personnalités syndicales ou associatives sont prêts à participer au nouveau pôle radical-réformiste qui doit équilibrer la gauche française et lui donner des chances de succès. Car, on ne doit pas s'y tromper, au-delà des élections européennes notre objectif est bien de constituer une grande formation de gauche sur des bases totalement rénovées. On ne nous trouvera pas en flagrant délit d'hésitation stratégique : c'est à gauche que nous sommes, c'est à gauche que nous gagnerons. 

Et ce vaste rassemblement est déjà esquissé dans la composition de notre liste pour les élections européennes. C'est l'honneur des radicaux d'avoir accepté, dans un esprit de tolérance et de large ouverture d'accueillir, sur la liste qu'ils avaient initiée un grand nombre de personnalités non radicales. Cette liste est belle, ouverte, équilibrée, faite de personnalités compétentes et de talents complémentaires. Elle sait parler haut, et fort, et loin, de l'idée européenne et de la mobilisation des forces de la France qui gagne dans une Europe qui rayonne. Elle est clairement pro-européenne et fédéraliste ce qui est plutôt rare par ces temps de démagogie galopante et de procès anti-européens hâtivement instruits. 

Surtout Bernard Tapie et la liste Énergie Radicale ont su comprendre que les problèmes et les inquiétudes de la jeunesse seraient au cœur de tous les débats. Par des propositions audacieuses et des solutions ambitieuses ils réhabilitent la politique comme une volonté opposée à toutes les résignations. La France et l'Europe contre le chômage des jeunes, contre la guerre sur notre continent, contre la drogue et le crime organisé, contre le Sida, autant de réponses aux plus lourdes interrogations des jeunes Français et de leurs parents. L'idée européenne est une belle et grande idée ; elle a été enlaidie par une dérive technicienne et par une prééminence de la pensée libre-échangiste. Il est temps de réhabiliter la politique. 

Par ce premier débat et par tous ceux qui suivront l'élection européenne, les radicaux auront démontré leur véritable utilité publique : ils sont redevenus émetteurs de propositions importantes et novatrices. C'est par ce chemin, difficile lui aussi, que la résurgence radicale rejoindra la tradition des grands radicaux du passé. La République n'est pas un musée, c'est une exigence moderne qui impose une réflexion constante sur les principes qui fondent notre société : humanisme, universalisme, solidarisme, laïcité, voilà les valeurs dont nous avons à montrer la parfaite actualité.