Interview de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et secrétaire général du RPR, dans "Le Figaro" du 26 juillet 1994, sur les relations entre le gouvernement et le RPR, et sur la préparation des élections présidentielles de 1995.

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Le Figaro : Le RPR avait pris l'engagement de siéger au groupe PPE à Strasbourg. Pourquoi n'a-t-il pas respecté ses promesses et pourquoi n'y a-t-il pas eu de sanction ?

Alain Juppé : Je dis d'amblé que je regrette l'émiettement de notre représentation à Strasbourg. Vous parlez sanctions. Diable ! Au RPR, nos élus ont leur autonomie de manœuvre. D'ailleurs, le problème de la représentation française au Parlement européen n'est pas uniquement un problème entre le RPR et l'UDF. La loi électorale française pour les élections européennes, qui est intégralement proportionnelle, est la vraie cause de l'éparpillement de notre représentation. Il faudra changer ce système électoral qui pousse à la prolifération des listes. Cela dit, je pense effectivement que les députés européens de la majorité auraient intérêt, afin de peser davantage dans la Parlement de Strasbourg, à se réunir d'une manière ou d'une autre. Les invectives de tel ou tel n'améliorent rien. Il faut créer une procédure de consultation entre nos élus pour qu'au moment des votes importants, ils agissent dans le même sens, celui de la défense des intérêts de la France. Un tel mécanisme de coordination sera très prochainement proposé à nos partenaires.

Le Figaro : Ce n'est pas la première fois que vous corrigez les déclarations de votre adjoint, Jean-Louis Debré. Cela marque-t-il une différence de stratégie entre vous ?

Alain Juppé : Ce n'est effectivement pas la première fois que je suis amené à rappeler la ligne de conduite du RPR, mais ce sera la dernière fois. Cette ligne – soutien sans ambiguïté au gouvernement, pas de guérilla anti-gouvernementale, pas d'entrée prématurée dans la campagne présidentielle – a été arrêtée collectivement. Je l'applique en accord avec Jacques Chirac et je souhaite la voir appliquée par tout le monde. J'ai la conviction que la politique conduite par le gouvernement, dans un contexte – la cohabitation – qui, sans paralyser l'action, la limite forcément, et alors que le pays connaît une crise économique sans précédent, est la bonne. Je n'accepterai donc pas dans les mois qui nous séparent de l'ouverture de le campagne présidentielle qu'on s'engage dans une guérilla antigouvernementale. À partir de janvier, on parlera de l'avenir. Cela dit, ceux qui sont déjà entrés en campagne présidentielle, pour tel ou tel candidat, sont mal placés pour donner des leçons.

Le Figaro : Êtes-vous, par avance, complètement solidaire du budget qui sera présenté cet automne ?

Alain Juppé : Je ne suis pas un homme compliqué. Ou bien je suis d'accord avec la politique du gouvernement et je la soutiens sans aucune ambiguïté en restant dans le gouvernement. Ou bien, je ne suis plus d'accord et je m'en vais. Comme je reste…

Le Figaro : Le discussion budgétaire sera-t-elle l'occasion de lancer la campagne présidentielle ?

Alain Juppé : Si on conçoit une campagne présidentielle comme une discussion budgétaire ou inversement, on va se « planter ». La campagne présidentielle, c'est autre chose. C'est l'occasion pour le peuple de France de se reconnaître dans l'homme auquel il veut faire confiance pour sept ans. Cela va bien au-delà de la question de savoir s'il y a assez de crédits pour l'allocation logement ou les centres culturels à l'étranger…

Le Figaro : Sans réforme fiscale ni redistribution administrative, que reste-t-il du grand dessein, repris du gaullisme, de l'aménagement du territoire présenté par Pasqua ?

Alain Juppé : D'abord un débat très approfondi qui a permis pendant des mois, dans toutes les régions françaises, une très large expression des forces vives du pays. Cela a été positif et c'est acquis. Ensuite, dans le texte qui a été voté en première lecture par l'Assemblée nationale des orientations importantes pour l'avenir ont été fixées. Certaines méritent d'être précisées. Ce sera un travail de longue haleine, la réforme de la fiscalité locale par exemple ne peut évidemment pas être l'affaire du dernier trimestre 1994.

Le Figaro : Autrement dit, dans le situation d'un gouvernement de cohabitation, on ne pouvait pas faire beaucoup plus ?

Alain Juppé : Comment peut-on imaginer qu'en un an et dans le contexte de la cohabitation, le gouvernement ait réaménagé le territoire de la France, reformé la sécurité sociale, rétabli l'équilibre des finances publiques ? Le gouvernement a un programme qu'il applique pas à pas, Il le fait bien. Les premiers résultats sont là. Le rendez-vous de 1995 permettra évidemment de passer à une autre phase de notre vie publique et de lui donner un nouvel élan.

Le Figaro : Quel sera le rôle du bilan du gouvernement dans l'élection présidentielle ?

Alain Juppé : Je ne crois pas qu'une élection présidentielle se gagne sur un bilan gouvernemental. Ce n'est pas un premier ministre qu'on va élire mais un président de la République. Ce n'est pas la même chose. Toute la question sera de savoir si les Français auront envie, en tournant la page de quatorze années de mitterrandisme de s'engager dans une action audacieuse, permettant à la France de secouer tous les immobilismes accumulés au cours des décennies passées, ou s'ils choisiront plutôt, face à ce qu'ils ressentiront comme une situation internationale et intérieure fragile, une voie plus classique ?

Le Figaro : Et sur quels sujets de fond portera, selon vous, la présidentielle ?

Alain Juppé : Les dossiers du chômage, de la croissance, de l'emploi seront déterminants. Il y a chez les Français à la fois une grande espérance et un formidable scepticisme. Comment vaincre celui-ci et stimuler celle-là ? Voilà l'enjeu.

Le Figaro : L'élection présidentielle créera-t-elle un choc suffisant ou faudra-t-il en plus avoir recours, comme le suggère Philippe Séguin, à des referendums ?

Alain Juppé : Toute grande élection crée un choc en démocratie. On l'a vu en mars avril 1993. Ce fut un raz de marée comme on n'en avait pas connu depuis longtemps. Cela a permis à l'actuel gouvernement de faire dans les quelques mois qui ont suivi son arrivée au pouvoir, des réformes tout à fait fondamentales, comme celle du régime de retraite. L'élection présidentielle offrira la même possibilité. Aura-t-on besoin de referendums ? En bon gaulliste, j'ai sur les referendums un préjugé favorable pour peu qu'on pose des questions claires, intelligibles et opérationnelles.

Le Figaro : Vous avez signé le projet de primaires adopté par le RPR et l'UDF. Êtes-vous partisan du système proposé par Charles Pasqua ?

Alain Juppé : Je trouve que le système envisagé n'est pas bon et qu'il néglige plusieurs aspects essentiels du projet de primaires que nous avions si difficilement élaboré entre le RPR et l'UDF en 1992. Nous étions tous bien d'accord, à l'époque, pour dire que les primaires ne devaient pas être un avant-premier tour de la présidentielle. Nous avions prévu un échelonnement de votes, dimanche après dimanche, région par région, pour créer une dynamique sur deux à trois mois, en faveur d'un candidat. Or le projet du ministre de l'Intérieur prévoit un vote en un seul jour. Nous avions également prévu d'organiser les primaires suffisamment en amont de l'élection présidentielle, pour que le candidat ainsi désigné puisse refaire l'unité de l'ensemble de sa majorité. Ce n'est plus le cas. Enfin, j'ai entendu un nombre considérable de maires m'expliquer que jamais les Français ne se marqueraient ainsi politiquement en allant afficher leur appartenance, sinon à un parti politique, du moins à un camps politique. Une consultation de l'association des maires de France sur la faisabilité de ce projet serait utile.

Le Figaro : Vous vous opposerez au projet tel quel ?

Alain Juppé : Je vous donne mon avis sur ce qui n'est pas un texte du gouvernement mais un projet du ministre de l'intérieur.

Le Figaro : Donc il est enterré…

Alain Juppé : Je suis prêt à faire fonctionner le système de primaires que l'UDF et le RPR avaient défini. Il n'est pas trop tard. On pourrait le faire à partir du mois d'octobre, si chacun le voulait.

Le Figaro : Comme le Premier ministre ne souhaite pas que les membres du gouvernement parlent de l'élection présidentielle avant janvier prochain…

Alain Juppé : C'est vrai qu'il y a là une contradiction. Si on ne veut rien faire avant le mois de janvier ou février ce que je comprends, cela ne permet pas de faire fonctionner un système de primaires répondant aux caractéristiques que je viens de vous rappeler. François Bayrou, secrétaire général de l'UDF, a exprimé exactement le même point de vue.

Le Figaro : S'il y a deux candidatures crédibles de la majorité à l'élection présidentielle, serait-ce un drame ?

Alain Juppé : Ce qui a été dommageable, en 1988, c'est qu'aucun des deux candidats n'a fait le trou par rapport à l'autre, Entre Chirac et Barre, il, y avait, trois points de différence, et aucun n'avait franchi la barre des 20 % au premier tour. En 1974, a contrario, un candidat a fait plus de 30 % et l'autre moins de 20, cela n'a pas empêché la victoire. Tout dépendra du rapport de forces en janvier ou février.

Le Figaro : Si c'étaient deux candidats du RPR, redouteriez-vous une crise gouvernementale ?

Alain Juppé : Non, Le gouvernement doit remplir son rôle jusqu'au bout comme il l'a fait au printemps 1988. Quant au reste, tout devra être fait, à mon sens, pour que ne sorte des rangs du RPR qu'un seul candidat. Y parviendrons-nous ? Rendez-vous en janvier.

Le Figaro : Deux candidats de la majorité pourraient-ils se retrouver au second tour de la prochaine présidentielle ?

Alain Juppé : Quand on connaîtra le candidat de la gauche, on pourra répondre à cette question.

Le Figaro : Vous avez récemment rencontré Philippe Séguin. Quel a été le fruit de cette rencontre ?

Alain Juppé : C'était très amical. Laissons la récolte lever.

Le Figaro : L'union du RPR et de l'UDF n'est-elle pas un mythe ?

Alain Juppé : Notre électorat, dans ses profondeurs; est favorable à l'union. Il a raison. Mais dès que nous leur proposons des listes d'union, des candidatures d'union, une bonne partie de nos électeurs se précipite pour voter en faveur de telle ou telle dissidence. On l'a vu aux élections, européennes. Rien n'est aussi simple qu'on le dit parfois.

Le Figaro : Profiterez-vous de l'université d'été du RPR, que vous avez fixé à Bordeaux pour déclarer votre candidature à la mairie de Bordeaux ?

Alain Juppé : Jusqu'en juin 1995, il y a un maire et une équipe municipale à Bordeaux. J'ai dit que je ferai connaître ma décision à la fin de cette année. Si je suis alors candidat, j'irai Jusqu'au bout sans aucun changement de cap en cours de route.