Texte intégral
* RÉPONSES DE M. ALAIN JUPPE, À DEUX QUESTIONS D’ACTUALITÉ SUR LA BOSNIE (Assemblée nationale, 4 mai 1994)
Monsieur le Député, je partage votre émotion. Je sais que les parlementaires sont très présents dans cette affaire. Vous avez indiqué que vous aviez reçu les familles concernées, comme nous l'avons fait nous-mêmes au ministère des Affaires étrangères.
Vous avez rappelé les faits, dans des termes que je fais miens. Je rappellerai quant à moi toutes les démarches que nous avons déjà effectuées.
Le 11 avril, nous avons été informés de l'arrestation de nos onze compatriotes. Le jour même, nous avons entamé les premières démarches, qui ont été renouvelées dès le lendemain.
Le 13 avril, le chargé d'affaires yougoslave était convoqué à Paris. Le même jour, le général de Lapresle, commandant de la FORPRONU sur l'ensemble du territoire de l'ex-Yougoslavie, saisissait le président de Serbie-Monténégro, M. Milosevic.
Le 14 avril, notre ambassade à Belgrade et le comité international de la Croix Rouge ont effectué une démarche auprès des responsables serbes en Bosnie.
Le 15 avril, notre chargé d'affaires à Belgrade s'est entretenu avec MM. Milosevic et Karadzic et le Président du CICR est intervenu auprès d'eux.
Le 18 avril, notre chargé d'affaires à Belgrade s'est entretenu avec le ministre fédéral compétent et le responsable du CICR avec le vice-président de la République serbe.
Le 19 avril, le président du CICR a adressé un message à MM. Karadzic et Milosevic.
Le 20 avril, a eu lieu au ministère des Affaires étrangères une réunion des familles et des responsables de Première urgence.
Le 22 avril, notre ambassadeur en Bosnie a rendu visite aux onze Français détenus, de même que, pour la première fois, un médecin français.
Le 25 avril, a eu lieu une deuxième réunion au ministère avec les familles.
Le 29 avril, un médecin français a rendu pour la seconde fois visite aux détenus français et je me suis entretenu avec M. Kosyrev.
Le 28 avril, l'ambassade de France à Belgrade a effectué une démarche.
Le 2 mai, troisième réunion d'information des familles au quai d'Orsay.
Le 3 mai, nouvelles interventions auprès des différentes autorités concernées.
J'ai entendu, sur les bancs de gauche, dire que c'est là une caricature de l'action du quai d'Orsay.
Je voudrais, Monsieur le Député, que l'on s'entende bien sur les mots. Face à une telle affaire, qui nous touche tous, au plus profond du cœur, il y a deux solutions : la voie diplomatique, que nous essayons d'explorer de tous les côtés, chaque jour, ou bien une opération militaire. Est-ce cette seconde solution que vous suggérez ?
Il faudrait tout de même cesser de faire de la démagogie devant des drames de ce type.
Nous allons poursuivre toutes ces démarches en liaison, sur le terrain, avec le ministre de la Défense et la FORPRONU.
Je profite de l'occasion pour élargir le débat et évoquer le problème que vous avez, à juste titre, posé, monsieur le Député, à savoir celui du statut juridique des organisations non gouvernementales. Vous avez tout à fait raison : celle-ci ne bénéficient pas, en l'état actuel des choses, des garanties nécessaires. C'est la raison pour laquelle la France va proposer qu'un statut juridique approprié, inspiré de celui des conventions de Genève de 1949 pour la Croix Rouge, soit défini et que la protection nécessaire des convois soit mise en place, car il faut que cette forme d'action – ô combien noble – dans laquelle beaucoup de nos compatriotes se sont engagés puisse se poursuivre sans se heurter à ce type de manipulation et de parodie de justice.
Monsieur le député,
Comme vous l'avez rappelé j'ai eu l'occasion la semaine dernière, en réponse à une question de M. Malhuret, de donner la position du gouvernement français : une condamnation indignée, je dirais même révoltée pour reprendre votre expression, devant ce que j'ai moi-même qualifié de prise d'otages.
Il est clair, en effet, que nos compatriotes ont été victimes d'une manipulation et que nous ne pouvons, en aucune manière, accepter d'entrer dans la logique qui ferait peser sur eux une accusation de trafic d'armes tout à fait infondée. Nous l'avons affirmé avec force.
Nous avons donc immédiatement déclenché toues les démarches bilatérales et multilatérales que nous pouvions engager et, depuis la semaine dernière, nous avons obtenu un premier résultat, certes modeste, mais néanmoins significatif : notre ambassadeur à Sarajevo et ses collaborateurs ont désormais un droit de visite régulier auprès de nos compatriotes. Le médecin qui a été dépêché par le service de l'Action humanitaire du ministère des Affaires étrangères a ainsi pu rencontrer nos compatriotes à plusieurs reprises. Il a pu s'assurer de leur bon état de santé et leur transmettre des messages de leur famille ainsi qu'un certain nombre de produits alimentaires.
Dans le même temps, nous avons renouvelé les démarches que j'ai indiquées en sollicitant l'appui de nos grands partenaires internationaux. Je l'ai fait moi-même auprès du ministre russe, la semaine dernière. Nous avons à nouveau convoqué le chargé d'affaires yougoslave à Paris et entrepris les démarches à Belgrade, en exigeant, à chaque fois, la libération immédiate et sans condition de nos compatriotes.
Il ne saurait être question de s'engager dans quelque marchandage que ce soit, ni de se contenter de la libération de quelques-uns de nos compatriotes seulement, acceptant ainsi la traduction des autres devant un tribunal qui ne serait qu'une parodie de justice.
Nous avons également tenu les familles très régulièrement informées. Une troisième réunion d'information a été organisée à leur intention au ministère des Affaires étrangères et je recevrai moi-même, dans quelques instants, le responsable de Première urgence, M. Mauricet.
Je n'ai pas, à l'heure où je vous parle, confirmation des rumeurs dont vous avez fait état sur l'organisation d'un pseudo-procès par les forces bosno-serbes, en réalité incontrôlables. Si tel était le cas, nous n'accepterions évidemment pas, je le répète, cette parodie de justice. Nous sommes donc tout à fait fermes, comme vous le souhaitez, sur nos positions officielles et aussi actifs que nous el pouvons, en espérant que ces démarches finiront par aboutir, après le droit de visite obtenu, à la libération de nos onze compatriotes qui sont en train de payer leur générosité de leur sens de l'humain, après le travail admirable qu'ils ont accompli au service de Première urgence.
Bosnie
Propos du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à l'issue de son entretien avec le président de Première Urgence (Paris, 4 mai 1994)
Comme je l'ai dit tout à l'heure à l'Assemblée nationale, nous avons pu enfin obtenir un droit de visite de nos compatriotes. Je pense qu'ils sont régulièrement visités par un médecin dépêché du service de l'Action humanitaire. Ils sont en bonne santé. Ils ont pu échanger du courrier avec leurs familles et ces familles sont tenues très régulièrement informées de la situation. Une nouvelle réunion est prévue mardi prochain avec ces familles.
Je rappelle la position du fond de la France. Cette prise d'otage est inacceptable. Nous la condamnons avec la plus grande clarté et la lus grande fermeté. Il y a eu à l'évidence manipulation et accusation infondées. Nous exigeons donc la libération sans conditions et sans délai de l'ensemble de nos onze compatriotes. Si procès il devait y avoir, ce serait à l'évidence une parodie de justice. Nous avons pris les dispositions pour que les observateurs puissent, le cas échéant, si cette décision se confirmait, être présents et dénoncer la manipulation.
Je terminerai en disant que les efforts de la France pour rétablir un processus diplomatique dans lequel les Serbes seraient impliqués seraient évidemment remis en cause si les Serbes persistaient à refuser de libérer nos compatriotes. On voit mal comment la discussion pourrait s'instaurer autour de la table alors que l'acte, si évidemment en contradiction avec les règles les plus élémentaires du droit des gens et des garanties dont peuvent bénéficier les personnels des organisations humanitaires, étaient ainsi violés.
Nous faciliterons bien sûr l'acheminement des observateurs à Sarajevo en compagnie des responsables de Première Urgence.
Rwanda
Réponse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à une question d'actualité (Assemblée nationale, 4 mai 1994)
Monsieur le député,
Le drame épouvantable que vit actuellement le Rwanda mérite tous les qualificatifs que vous avez utilisés. Les combats font rage. La violence se déchaîne. Les morts se comptent par dizaines de milliers et les réfugiés par centaines de milliers. C'est donc une bonne chose que la représentation nationale puisse aujourd'hui se saisir de cette question.
Que fait le gouvernement ? demandez-vous. Bien entendu, bouleversé par la situation actuelle, il essaie d'agir et il agit.
Nous avons entrepris une triple action.
D'abord, priorité des priorités, nous essayons de réussir les conditions d'un cessez-le-feu. Pour cela, nous pensons que les pays de la régions – Tanzanie, Ouganda et Zaïre – qui ont des liens avec chacune des factions du Rwanda, le Front patriotique rwandais d'une part et les forces rwandaises d'autre part, doivent rester en contact avec ces dernières et user de toute leur influence afin d'obtenir ce cessez-le-feu et de revenir au processus d'Arusha.
Une réunion a lieu en ce moment-même en Tanzanie, à Arusha, à laquelle j'ai décidé d'envoyer notre ambassadeur au Rwanda, M. Marlaud, qui était entré en France depuis quelques semaines. Il doit conduire dans la région une mission d'évaluation et de contact et faire en sorte que la France pèse de tout son poids auprès des pays concernés afin d'aboutir à un cessez-le-feu, qui est la condition sine qua non d'une intervention efficace de la communauté internationale.
En second lieu, nous estimons qu'il faudra, dès lors que le cessez-le-feu sera acquis, envoyer sur place une force internationale. On a beau gloser ici ou là les insuffisances des dispositifs de maintien de la paix, mais ils sont indispensables.
Toutefois, au Conseil de sécurité des Nations Unies, la France se heurte à de fortes réticences de la part de nombre de ses partenaires qui s'opposent à l'envoi de Casques bleus au Rwanda, leur préférence semblant se porter sur l'envoi de forces de l'OUA, l'Organisation de l'Unité Africaine. Pour sa part, la France considère que, même s'il appartient aux pays africains d'être présents sur le terrain, les Nations unies ne peuvent pas s'exonérer de leur responsabilité, il y a de la rapidité et de l'efficacité de l'intervention. Nous sommes donc en train d'essayer de faire avancer cette solution.
Cela étant, la MINUAR, la force des Nations unies, est toujours présente mais elle est dénuée de moyens d'intervention. Il faudra donc, dès que les parties en seront d'accord et que le cessez-le-feu aura été conclu, développer lesdits moyens.
Enfin, nous pensons qu'il convient d'intensifier l'action humanitaire. Les besoins sont immenses. Nous avons d'ores et déjà pris toute une série de décisions. Un pont aérien a été ouvert vers le Burundi et il nous a permis d'acheminer plus de 40 tonnes de produits M. le ministre de la Coopération et moi-même avons dégagé des crédits d'urgence : 5 millions pour le Quai d'Orsay et 3 millions – qui seront, je crois, portés à 5 – pour le ministère de la Coopération, soit un total de 10 millions, ce qui n'est pas négligeable.
Nous sommes en étroite liaison avec le Haut-Commissariat aux réfugiés, le HCR, qui est la seule organisation en l'état actuel des choses à pouvoir acheminer cette aide au Rwanda.
Voilà les fronts sur lesquels nous nous déployons. Soyez assurés que c'est, pour nous, une préoccupation de tous les instants car le drame que vit l'Afrique est insoutenable ; drame au Rwanda ; drame possible, demain, au Burundi, pays voisin qui voit venir vers lui des centaines de milliers de réfugiés alors qu'il est lui-même dans une situation très précaire et fragile, et que nous essayons d'aider.