Article de M. Bernard Stasi, premier vice-président du CDS, dans "Démocratie moderne" du 7 avril 1994, sur la nécessité d'une mobilisation des jeunes en faveur de l'Union européenne, intitulé "Au-delà du CIP".

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Média : DEMOCRATIE MODERNE

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Le CIP est mort qu'importe si cette formule en valait bien une autre pour faciliter l'accès des jeunes à l'entreprise. Elle a été ressentie, par beaucoup, comme une provocation, comme la manifestation d'une volonté de dévaloriser les diplômes et d'humilier les jeunes. À partir du moment où une majorité de ceux-ci rejetaient comme un cadeau empoisonné cette chance supplémentaire d'insertion qui leur était offerte, le gouvernement a eu raison de ne pas s'obstiner. Le CIP est mort, mais les problèmes demeurent.

Passée l'euphorie du succès qu'ils ont cru remporter sur le gouvernement, les jeunes se retrouvent avec leur angoisse au fond du cœur et, pensent-ils, le chômage pour tout horizon.

Cette angoisse est-elle justifiée ? Pour bon nombre de jeunes, sans doute. Ceux qui n'ont aucune qualification, ceux qui se sentent rejetés par la société et condamnés à vivre d'expédients. comment pourraient-ils, en regardant devant eux, ressentir le moindre espoir ?

Si la violence, dans un pays démocratique, ne saurait être tolérée et doit être sanctionnée, les excès auxquels se sont livrés les casseurs lors des manifestations de ces derniers jours, donnent la mesure du désespoir dans lequel a sombré une partie de la jeunesse de notre pays. Et aucun responsable politique ne peut se proclamer innocent devant le désespoir de la jeunesse. Certains des dirigeants de l'opposition ont, pour le moins, manqué de pudeur pendant ces événements.

Mais il n'est pas vrai que tous ceux qui ont aujourd'hui vingt ans – ou un peu plus ou un peu moins – forment une génération perdue. N'entretenons pas, par des propos alarmistes, le sentiment d'une fatalité que rien ne justifie. Si les responsables politiques ont toujours tort lorsqu'ils n'écoutent pas les jeunes ou ne cherchent pas à les comprendre, leur tort est aussi grave s'ils ne font pas l'effort de les aider à comprendre, s'ils n'ont pas le courage de leur dire la vérité.

Il faut leur dire, par exemple, que l'entrée dans la vie active est toujours un moment difficile de la vie.

Dire aussi, à ceux qui ont la chance et le mérite de faire des études, que les diplômes sont toujours un rempart efficace contre le chômage, puisque le taux de chômage chez les jeunes qui sont munis d'un diplôme égal ou supérieur au baccalauréat, est quatre fois inférieur à celui des jeunes sans diplômes. Il faut leur dire, enfin, que, malgré les difficultés qu'ils rencontrent, les étudiants demeurent des privilégiés par rapport à la majorité de ceux de leur âge et que s'il est légitime qu'ils se préoccupent de leur avenir, ils doivent aussi être animés, dès maintenant, par la volonté de contribuer, par leur intelligence, leur travail, et leur générosité, à la construction d'une société plus solidaire et plus conviviale. Une société où il n'y aurait plus d'exclus.

En vérité, ce qui manque tragiquement à la jeunesse de notre pays, ce sont des raisons de vivre – ce que j'oserai appeler un idéal. Les jeunes ne croient plus – si tant est qu'ils y aient jamais cru – à ces idéologies qui ont bercé d'illusions leurs parents et ont trop souvent fait basculer dans le cauchemar des centaines de millions d'hommes. Aucune cause, sauf, pour certaines âmes généreuses, une cause humanitaire, ne leur paraît digne de susciter leur enthousiasme.

Mais de quel droit pourrions-nous reprocher aux jeunes de refléter fidèlement, trop fidèlement, le scepticisme, la morosité, voire le cynisme, dont fait preuve la société adulte ?

Saurons-nous, à l'occasion de la campagne pour les élections européennes qui va bientôt commencer, offrir l'Europe aux jeunes de notre pays comme une perspective exaltante ? Non pas comme la réponse à toutes leurs questions, ou la solution à toutes leurs difficultés, mais comme un chemin et un combat.

Le seul chemin qui conduise notre pays vers l'avenir au lieu de l'enliser dans les ornières du passé. Le seul combat qui nous permette de faire rayonner, dans ce monde de fanatisme et de violence, les valeurs de solidarité et de fraternité, auxquels les jeunes générations, malgré leur désarroi et parfois leur colère, restent profondément attachés.