Texte intégral
Philippe Lapousterle : François de Grossouvre a mis fin à ses jours, qu'avez-vous ressenti quand vous avez appris cette nouvelle ?
Charles Millon : Le suicide c'est le résultat d'un drame personnel, donc il est difficile de porter un jugement. Simplement, en lisant les articles de presse ce matin, j'ai constaté, pour faire suite au portrait que vous avez fait de moi tout à l'heure, qu'il pouvait exister des complicités et des amitiés, et j'ose espérer que François de Grossouvre n'a pas mis fin à ses jours parce qu'il avait vu cette amitié brisée.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais le fait de mettre fin à ses jours au Palais de l'Élysée, pour la première fois ans l'histoire, cela donne-t-il à ce drame un aspect public, et l'enquête doit-elle être transparente et aller jusqu'au bout ?
Charles Millon : Je souhaite que toute enquête dans notre république soit transparente.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais il faut une enquête ?
Charles Millon : C'est évident.
Sylvie Pierre-Brossolette : Hier soir a eu lieu la grande soirée télévisée contre le Sida, quelle est votre réaction ?
Charles Millon : Je ferai quelques remarques et quelques observations : tout d'abord, je comprends qu'on se mobilise contre le mal, contre la maladie, mais je ne comprends pas très bien pourquoi on privilégie aujourd'hui une maladie. Chacun connaît les grands fléaux qui frappent notre société. Dans le domaine médical il y a le cancer, il y a d'autres maladies, et puis il y a des fléaux sociaux, et j'ai l'impression qu'on est en train de se polariser, pour des raisons médiatiques, sur une maladie. Je ne sais si ça sert la cause qu'on essaie de poursuivre, c'est ma première observation. Ma deuxième observation, c'est que j'aurais préféré que tous ces débats mobilisent les vrais acteurs, c'est à dire les médecins, les responsables politiques, les éducateurs, ceci aurait eu sans doute plus d'efficacité. Et puis ma troisième observation, mais elle est tout à fait personnelle, on aborde ce type de sujet avec une impudeur médiatique qui me choque.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais les pouvoirs publics pourraient-ils faire plus, cette soirée qui arrive peut-être tard et qui a été médiatique n'est-elle pas tout de même utile puisque depuis des années les efforts n'ont peut-être pas été à la hauteur de l'attente et que la France est lanterne rouge en ce qui concerne le nombre des séropositifs ?
Charles Millon : Moi j'ai une suggestion toute simple à faire. C'est que la France découvre l'intérêt des fondations, et que le gouvernement français prépare un projet de loi qui permette à nos concitoyens de verser des sommes beaucoup plus importantes à des fondations. Et ce, avec une exonération fiscale, pour que la mobilisation ne soit pas le fait obligatoirement de l'État, obligatoirement du ministère de la Santé, obligatoirement des responsables publics et politiques, mais qu'elle soit le fait des personnes qui ont passionnées par une cause, et je comprends qu'on se passionne pour la lutte contre le Sida, qui sachent mobiliser avec les acteurs. Donc je suggère qu'il y ait des fondations qui prennent en charge ce type de grande cause, et que ça ne soit pas obligatoirement pris en charge par les pouvoirs publics.
Philippe Lapousterle : Ça pourrait être une proposition de loi de M. Millon ?
Charles Millon : J'ai déjà à plusieurs reprises transmis cette requête, et au ministère du budget et au premier ministre, je l'ai fait avant 1993, je continue à le faire. Je crois que l'une des grandes évolutions de notre société, ce serait de donner des responsabilités aux citoyens, et que la fondation dans le domaine médical, dans le domaine éducatif, dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, pourrait être un des chemins à parcourir.
Philippe Lapousterle : vous avez regretté l'absence des politiques à l'émission, mais vous savez que leur absence avait été souhaitée par les participants ?
Charles Millon : Oui peut-être, mais ça n'empêche qu'ils se tournent vers nous ensuite pour que nous puissions prendre des décisions, que ce soit au niveau local, régional, ou national. Je crois qu'il aurait été souhaitable que les politiques puissent s'exprimer sans esprit partisan en face d'un problème qui est devenu un problème de société.
Sylvie Pierre-Brossolette : À votre avis, les politiques ont-ils failli depuis le début de cette maladie ?
Charles Millon : Je ne porterai pas de jugement parce que c'est un débat difficile, c'est le débat de la science, de la recherche, ou de la responsabilité, de la culpabilité. Tout le monde connaît ce grand débat qui a animé le procès du docteur Garetta, et ce serait un peu présomptueux de ma part de dire c'est blanc, c'est noir. Je crois qu'on est en train de tâtonner dans ce domaine, et je souhaite que la recherche puisse se mobiliser beaucoup plus qu'elle ne le fait, donc il lui faudra de l'argent, il faudra peut-être demander à chaque contribuable français de donner un petit peu plus. Deuxièmement, il faut demander aux hommes politiques de ne pas démissionner en face de cette question, mais au contraire d'assumer toutes leurs responsabilités, c'est à mon avis les deux chemins qu'il convient d'utiliser.
Sylvie Pierre-Brossolette : S'agissant des européennes, Baudis était-il le meilleur choix possible ou bien avez-vous un léger remords ?
Charles Millon : Aucun remords. Vous savez, l'UDF et le RPR avaient défini une procédure de désignation de la tête de liste, cette procédure a été respectée, Dominique Baudis a été élu selon cette procédure, démocratiquement, il n'y a pas de commentaire à faire. Simplement, maintenant, la charge qui pèse sur les épaules de Dominique Baudis est lourde, elle est très lourde, car il s'agit d'insuffler à la politique européenne un nouvel élan, il s'agit en fait de préparer l'après-Maastricht, il s'agit de construire l'Europe politique. Dominique Baudis a une très lourde charge car cette campagne ne se jouera pas sur des effets médiatiques, elle sera gagnée sur la force de conviction. Or il faut savoir que la construction économique de l'Europe est peut-être menacée, si elle n'est pas accomplie dans une Europe politique. Vous savez, ce que je crains pour l'Europe, c'est qu'elle soit atteinte du syndrome de Polybe. Polybe était un poète grec qui avait été recueilli à Rome, et qui faisait les salons de Rome en chantant les louanges de Rome au dépens des cités grecques. Et on a vu les cités grecques, les unes après les autres, comme les états européens pourraient le faire demain, se mettre sous l'ombre tutélaire de Rome. Et je crains que si on ne construit pas une Europe politique, si elle n'affirme pas son identité, si elle n'affirme pas ses valeurs, si elle ne choisit pas des institutions politiques fortes avec un vrai gouvernement européen, à ce moment-là on voie les états européens se mettre sous l'ombre tutélaire des États-Unis, et toute la grande œuvre des pères de l'Europe aura abouti à un échec.
Philippe Lapousterle : Est-il vrai que le matin du vote M. Chirac avait fait savoir que le RPR ne considérait pas d'un œil tout à fait favorable l'élection de M. Baudis ? Est-ce que ça a influé le bureau politique de l'UDF ?
Charles Millon : On m'a dit que Jacques Chirac avait téléphoné à certains responsables de l'UDF pour dire que le RPR préférait tel candidat à tel autre…
Sylvie Pierre-Brossolette : Giscard vous en a fait part ?
Charles Millon : Giscard nous en a fait part. Je ne pense pas que ça ait pu influencer le vote. Le vote a été émis dans le secret, je n'ai pas de commentaires à faire.
Sylvie Pierre-Brossolette : Est-ce que Valérie Giscard d'Estaing lui-même a influencé le vote ; est-ce que cette procédure a été complètement transparente, ou bien cette surprise de dernière minute n'a-t-elle pas été un peu bizarre ?
Charles Millon : J'ai dit que je n'avais pas de commentaires. Il y a eu un vote, il y a eu une procédure.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et le PR va se mobiliser après cette procédure et ce vote ?
Charles Millon : Je vous ai dit tout à l'heure que je crois que la construction politique de l'Europe est essentielle, que l'après-Maastricht doit être construit. C'est la raison pour laquelle maintenant il revient à Dominique Baudis en tant que tête de liste de mobiliser le RPR et l'UDF, et dans l'UDF le PR. Il faudra qu'il utilise toute sa force de conviction, tout son talent, pour pouvoir mobiliser car je crois que c'est une échéance essentielle dans la vie politique française et européenne.
Philippe Lapousterle : Vous l'aiderez dans cette tâche ?
Charles Millon : Bien évidemment.
Philippe Lapousterle : Est-ce que la liste, c'est à dire les gens qui partiront à la bataille au nom de la majorité pour les européennes, est très importante ; allez-vous attacher de l'importance aux gens qui vont appartenir à cette liste ?
Charles Millon : Je souhaite que les personnes qui seront présentes sur cette liste soient des personnes qui croient à la cause européenne et qui n'aillent pas là-bas pour se recaser politiquement. Deuxièmement, que ce soient des personnes qui consacrent leur intelligence et leur énergie, et que troisièmement, ce soient des personnes qui sachent faire le relais entre la population et les institutions européennes. Car ce qui m'a beaucoup frappé dans la bataille de Maastricht, c'est que nos concitoyens n'étaient absolument pas au courant de la construction européenne telle qu'elle s'était faite de 1957 à nos jours. Je crois que là, il y a un défaut d'information, un défaut de mobilisation, que l'Europe doit être une Europe comprise par les citoyens, portée par les citoyens.
Sylvie Pierre-Brossolette : Regrettez-vous que Deniau refuse de participer à la liste et regrette lui-même que Baudis ait été l'élu d'un accord d'appareil ? Il a l'air un peu attristé par la façon dont les choses se sont passées…
Charles Millon : Vous savez, Jean-François Deniau est un très grand européen, il l'a démontré tout au court de sa vie, il sait l'amitié que je lui porte, je comprends qu'il ait été déçu, mais je suis convaincu que ses convictions dépasseront les événements qu'on vient de vivre et qu'il sera toujours là pour défendre, et les intérêts de la France et les intérêts de l'Europe.
Philippe Lapousterle : Quel serait le chiffre qui ferait que les élections se passent bien pour la majorité ; quel serait le chiffre qui ferait la différence entre le succès et l'échec, quel serait le bon chiffre ?
Charles Millon : On ne va pas commencer à jouer à la loterie. Je dis simplement qu'il y a un chiffre de référence, c'est le chiffre de la dernière élection européenne, je crois que la liste menée par Valérie Giscard d'Estaing avait fait 29 %, que la liste de Simone Veil avait fait 8 % si j'ai bonne mémoire. Donc il faudrait que cette liste fasse aux alentours de 35, 36, 37 %.
Sylvie Pierre-Brossolette : A-t-elle une chance d'aboutir à ce résultat vu la présence de Philippe de Villiers qui sera le seul opposant à Maastricht de la droite classique à représenter la majorité ?
Charles Millon : Vous savez, la majorité gouvernementale, la majorité parlementaire, a aujourd'hui admis Maastricht, qu'on ait fait campagne pour le oui ou pour le non. Il y a un principe républicain, c'est que lorsque le peuple français s'est exprimé, or il s'est exprimé à une faible majorité j'en conviens, mais maintenant Maatricht est rentré dans le patrimoine constitutionnel et législatif français. Or Philippe de Villiers refuse Maastricht, donc il se met en dehors de cette action majoritaire.
Sylvie Pierre-Brossolette : Donc on ne pourra pas faire des additions au soir des élections ?
Charles Millon : Moi je ne suis ni mathématicien ni fort en algèbre, ni fort en arithmétique. Je ne vais pas faire des additions, je dis simplement que je souhaite que la liste que mènera demain Dominique Baudis soit une liste qui ait une conviction véritablement attachée à sa démarche pour entrainer les français à atteindre un score qui soit un score significatif.
Philippe Lapousterle : Qui porte les couleurs pour les élections de juin : c'est la majorité UDF plus RPR, ou bien c'est le gouvernement ? Et qui sera responsable d'un éventuel échec, ou qui empochera le succès ?
Charles Millon : Je pense que ce seront l'UDF, le RPR qui mèneront la bagarre, que ce sera l'UDF et le RPR qui enregistreront le succès ou le relatif échec pour reprendre votre expression, mais qu'il est bien évident que les ministres et le premier ministre ne sont pas suspendus dans le vide, ils sont en fait liés avec la majorité, donc c'est un combat commun que nous allons mener tous ensemble.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous regrettez toujours qu'il n'y ait pas deux listes ?
Charles Millon : vous connaissez mon point de vue, maintenant les états-majors se sont prononcés et la tête de liste de la liste commune UDF-RPR a été désignée. Personnellement j'étais pour deux listes pour qu'il y ait un vrai débat. Je crois que ça va être plus difficile d'avoir un vrai débat aujourd'hui, car on va avoir un débat qui va toujours être tiré vers des querelles franco-françaises, ce que je regretterai. Donc là aussi Dominique Baudis a une mission importante, c'est d'empêcher que le débat politique dérive vers des thèmes franco-français, et prenne bien en charge l'avenir de l'Europe et l'avenir de la France dans l'Europe.
Philippe Lapousterle : La session s'ouvre, les élections s'approchent, on a entendu des critiques sur le choix Baudis à l'intérieur de la majorité, est-ce que cette majorité vous paraît en état de marche, cohérente, ayant envie de faire des choses ensemble ?
Charles Millon : Bien sûr.
Philippe Lapousterle : Parce qu'on doute de ça dans l'opinion publique…
Charles Millon : Oui, oui, mais je ne sais pas ce que c'est que l'opinion publique. Ce sont des mots, ça. Si les citoyens doutent de cela, ils ont tort. En France on considère qu'une majorité n'est fidèle à un gouvernement que si elle se tait, et que si elle soutient automatiquement, sans parler, le gouvernement. Or je crois que c'est une erreur, il faut que ceux qui ont cette impression prennent bien conscience qu'une majorité qui parfois critique, suggère, observe, amende, est une majorité qui participe à l'action politique gouvernementale. Et je voudrais simplement en donner un seul exemple : quand sur le CIP, un certain nombre de parlementaires, au cours du débat, ont fait un certain nombre de remarques, ont présenté un certain nombre d'amendements, ont émis un certain nombre de réserves, et j'en étais, sur le Smic-jeunes, sur le « salarié Kleenex », sur le problème des diplômés, je crois qu'il aurait été : meilleur que le gouvernement entende mieux, écoute mieux. Ça n'a pas été fait, c'est la raison pour laquelle je souhaite qu'aujourd'hui il y ait une autre méthode législative qui soit mise en place, d'autres types de relations qui soient entretenues entre le gouvernement et la majorité et le parlement, et que l'on puisse avoir un dialogue constructif, qui parfois même peut être rude, mais qui permet d'avoir des textes qui sont bien le reflet de la société française. Car nous sommes dans une démocratie représentative, et les parlementaires ne sont pas simplement des boîtiers à voter, ils sont aussi les représentants d'un peuple, les représentants de citoyens et de concitoyens, et ils sont porteurs de passions, d'impressions, d'analyses, de convictions.
Sylvie Pierre-Brossolette : À l'UDF le mandat du président Giscard d'Estaing doit être remis en jeu, souhaitez-vous qu'il se représente, et selon quels statuts ; les nouveaux, les anciens, faut-il renouveler le conseil national, et souhaitez-vous comme Longuet que le PR obtienne ce poste ?
Charles Millon : Moi je suis très rigoriste dans ce domaine, il y a des statuts, il y a des échéances, que l'on respecte les échéances, que l'on respecte les statuts, tous ceux qui voudront être candidats devront être candidats, et ensuite il y aura une élection.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et votre candidat c'est qui ? C'est Giscard au même poste ?
Charles Millon : J'attends d'abord qu'il y ait des candidats qui se déclarent, c'est la première chose, et deuxièmement on verra à ce moment-là en fonction des personnalités qui se présenteront, mais je ne manquerai pas de vous faire connaître publiquement quel est le candidat que je soutiendrai.
Philippe Lapousterle : On écoute une question d'un auditeur de votre région…
Un auditeur : Je voudrais dire à monsieur Millon que sa critique est facile à l'égard d'un gouvernement dont il a lui-même en son temps refusé la responsabilité d'un portefeuille qui lui était proposé. Pourquoi ? Il aurait pu alors œuvrer constructivement au sein de celui-ci, sans lui tirer maintenant dessus à boulets rouges. M. Millon, vous ne manquez pas de critiques vous non plus quand vous augmentez à l'emporte-pièce et démentiellement les taxes régionales de 60 %.
Charles Millon : Je répondrai à cet auditeur que je n'ai jamais tiré à boulets rouges sur le gouvernement, j'ai fait part de remarques, de suggestions, d'observations, et n'ayez crainte, continuerai carie pense que c'est rendre service au gouvernement que de l'alerter sur un certain nombre de pièges, sur un certain nombre de pièges, sur un certain nombre d'erreurs éventuelles qu'il pourrait faire. Je crois que dans le domaine de la formation, dans le domaine de l'accès à la première expérience professionnelle, j'ai fait œuvre utile et je continuerai à la démontrer durant les semaines à venir. Je dirai à cet auditeur qu'il me parle de 60 %, c'est 60 % du taux de fiscalité, ce qui va représenter exactement 3 % d'augmentation de la fiscalité locale, 3 %. Ce qui va représenter des sommes relativement modestes, puisque c'est 120 francs par foyer fiscal et par an, et que l'augmentation est faite sur 5 ans, et pourquoi l'a-t-on faite ? Pour pouvoir financer un plan d'accès à la première expérience professionnelle pour les jeunes rhône-alpins. Et ce plan d'accès aura deux volets, un plan d'accès pour les salariés, et un plan d'accès pour ceux qui rentrent dans le salariat, et un plan d'accès pour ceux qui vont rentrer dans le travail indépendant. Ce plan a été lancé cet après-midi même par une conférence de presse que j'ai faite, et il va se développer durant les semaines à venir.
Philippe Lapousterle : Quand vous rencontrez M. Balladur vous lui dites quoi ?
Charles Millon : Nous prenons les problèmes les uns après les autres; je lui fais part de mes observations, je lui fais part de mes suggestions, et le premier ministre sait très bien qu'il peut compter sur mon soutien totalement fidèle pour la politique française qu'il mène, mais que je serai un député et un président de groupe exigeant et vigilant.
Sylvie Pierre-Brossolette : S'il devait y avoir un remaniement, diriez-vous oui pour monter dans l'équipe gouvernementale, ou bien préférez-vous votre responsabilité de président de groupe ?
Charles Millon : D'abord il faudra qu'on me le propose, et deuxièmement vous comprendrez que je réserve ma réponse à la personne qui me posera cette question.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais il n'y a pas de veto de principe ?
Charles Millon : Je ne vois pas pourquoi il y aurait un veto de principe. Je n'ai jamais mis de veto de principe à ma participation à l'équipe gouvernementale.
Sylvie Pierre-Brossolette : Avant le choix pour une ou deux listes aux européennes vous aviez dit que ça aurait des conséquences sur la présidentielle, que l'UDF ne pourrait pas avoir son propre candidat si elle n'avait pas avant sa propre liste ; est-ce toujours le cas, ou souhaitez-vous encore qu'il y ait un candidat UDF à la présidentielle ?
Charles Millon : Il est impossible pour une grande formation comme l'UDF, qui est une formation qui a 215 députés, qui a aujourd'hui la majorité des présidents de régions, la majorité des présidents de conseils généraux, il est impossible pour une grande formation qui a vocation à assumer toutes les fonctions, et jusqu'à la fonction suprême, aujourd'hui de dire « il n'y aura pas de candidat UDF aux élections présidentielles ». Donc je dis très clairement qu'il y aura un candidat UDF aux élections présidentielles pour permettre d'abord le pluralisme démocratique, et l'expression d'une grande famille politique.
Sylvie Pierre-Brossolette : Quel est le bon moment pour le désigner ?
Charles Millon : On est en 1994, je crois qu'il y a des réformes et je pense qu'on y reviendra tout à l'heure, qu'il y a des réformes urgentes à faire, qu'il y a une politique à mener, laissons la paix au gouvernement et aux mouvements politiques au moins jusqu'à fin 1994, il y aura bien le temps de s'occuper des élections présidentielles en 1995.
Philippe Lapousterle : Tout le monde dit ça et tout le monde s'occupe des présidentielles…
Charles Millon : Oui, mais trop parler des élections présidentielles, trop penser aux élections présidentielles, c'est prendre le risque à coup sûr de les perdre.
Philippe Lapousterle : Et ne pas y penser ?
Charles Millon : Ne pas y penser, c'est servir la France.
Philippe Lapousterle : Brice Lalonde qui était l'invité du Forum la semaine dernière vous pose une question…
Brice Lalonde : Qu'attendez-vous pour créer une force réformatrice en France ? Tout le monde attend…
Charles Millon : La force réformatrice existe, c'est l'UDF. Simplement je crois que certains hésitent à y rentrer, je dis tout simplement que l'UDF a un corps de convictions, qu'elle est ouverte à toutes celles et à tous ceux qui voudraient accepter ce corps de convictions pour faire la grande force réformatrice française. Je crois que l'UDF, avec ses 215 députés l'affirme tous les jours au parlement.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais cette grande force réformatrice est-elle entendue par le gouvernement ? Dans l'affaire du CIP, vous n'étiez pas tout à fait sur les options du premier ministre, vous n'avez pas été entendu. Alors que faut-il faire, faut-il changer de méthode, faut-il comme le propose Séguin que le parlement contrôle mieux le gouvernement ?
Charles Millon : Je voudrais faire trois réflexions. La première concerne la capacité d'écoute du gouvernement ; je rappelle que dans la loi quinquennale qui a provoqué le débat, il y a trois titres et il y a un titre trois qui concerne la formation professionnelle, qui a été rédigé en complet accord, en complète osmose avec les parlementaires concernés, et qui aujourd'hui ne crée aucun problème, la décentralisation de la formation professionnelle se fait aujourd'hui dans toutes les régions. Donc je constate, c'est ma seconde observation, que lorsqu'il y a une méthode législative avec un vrai dialogue entre le gouvernement et le parlement où l'on tient compte de ses observations, où l'on polit le texte en fonction des critiques ou des suggestions, on arrive à de bonnes solutions. Vous m'avez posé la question de savoir s'il faut changer de méthode, je crois que sou l'angle législatif, oui il faut changer de méthode, il faut qu'il y ait un dialogue extrêmement complet et fructueux entre gouvernement et parlement. Et le troisième point, c'est que je crois qu'il faut avoir une réflexion plus approfondie sur la situation de la société, la nature des problèmes qui nous sont posés, car il faut savoir que compte tenu de la complexité de la société, aujourd'hui toutes les mesures uniformes qui sortiraient ou qui sortiront des cabinets ministériels ou de l'administration centrale, seront voués à l'échec. Et c'est la leçon du CIP : vous avez un pays qui est très divers, on ne résout pas le problème du chômage ou de la formation professionnelle de la même manière dans une grande banlieue ou dans une région rurale en voie de désertification, on ne résout pas le problème du chômage de la même manière pour un jeune qui sort de l'université ou un jeune qui est sans diplôme, pour un jeune ou un cadre qui est licencié à 45 ans, et l'immense péché qui est assumé par un certain nombre d'hommes politiques, c'est de croire qu'une mesure unique et uniforme permettra de résoudre des problèmes qui sont divers…
Philippe Lapousterle : Alors pourquoi avez-vous voté la loi, puisque la conséquence logique de ce que vous dites, c'est qu'il ne faut pas de lois pour l'emploi ?
Charles Millon : Si, il faut bien déserter les contraintes, car la solution à la plupart des problèmes tels qu'ils sont posés, c'est la solution de l'expérimentation, et c'est la solution de l'innovation. Des innovations dans les communes, dans les départements, dans les régions, dans les professions, dans les lieux éducatifs…
Sylvie Pierre-Brossolette : Et la prime à l'embauche des jeunes, c'est une bonne solution ?
Charles Millon : C'est une mesure conjoncturelle à très court terme, niais ce n'est pas une mesure structurelle, car le problème du chômage en France, que ce soit le chômage des jeunes ou le chômage en général, est un problème structurel, c'est un problème de formation, et il faudra bien un jour se pencher sur la réforme du système éducatif. Je le dis tel que je le ressens, j'aurais souhaité d'ailleurs que dans le débat sur le CIP on entende le ministre de l'Éducation et le ministre de l'Enseignement supérieur, car le ministre du Travail n'est pas le seul responsable de ce secteur-là. Il faut absolument ouvrir les portes à l'innovation, à l'expérimentation pour que le système éducatif et le système économique et le système de l'entreprise puissent carrément se réconcilier et faire face aux problèmes du chômage. Il y a le problème de l'investissement, et là je me tourne vers le gouvernement pour lui dire est-ce que l'on peut encore attendre la mise en place des fonds de pension qui fournissent tout l'investissement à moyen et long terme dans un pays comme les États-Unis, et qui permettent à toutes ces PME actuellement d'apparaître comme les fleurs au printemps aux États-Unis. Nous, on a des entreprises qui sont exsangues au niveau de leurs fonds propres, au niveau de leurs capacités de financement, parce qu'on n'a pas assez d'investissements ou d'épargne à moyen ou long terme. Je crois qu'il y a des réformes fondamentales à faire dans ce domaine, oui le problème du chômage est un problème qui va bien au-delà en réalité des mesures à court terme. Et c'est tout le problème des réformes qui est posé à travers cette question du CIP : certains aujourd'hui disent qu'il ne faut plus faire de réformes durant les mois qui viennent, je dis faites attention, la France est une société qui est complètement bloquée, nous avons des structures intermédiaires complètement sclérosées, et vous risquez, à ne pas engager de réformes, de pousser certaines catégories à la désespérance, tous ceux qui sont exclus et marginalisés, et puis peut-être d'amener un système de tension. Vous savez, lorsqu'on n'engage pas de réformes, on déçoit ceux qui devraient en profiter, on agace ceux qui savent que ces réformes sont inéluctables et qu'il faudrait bien les mettre en œuvre, et puis on renforce sans les satisfaire ceux qui profitent de la situation actuelle, car eux savent bien qu'un jour il faudra remettre en cause leur situation. Donc je crois que le courage politique aujourd'hui, c'est de continuer à engager des réformes, mais c'est vrai, avec une autre méthode, une méthode législative que j'ai rappelée tout à l'heure, une méthode d'innovation et d'expérimentation, pour empêcher les réponses brutales à des sujets trop complexes.
Philippe Lapousterle : Est-ce que le courage politique, sur un sujet aussi sensible que celui de l'emploi des jeunes, nécessiterait que l'on vote une nouvelle loi pour l'emploi ?
Charles Millon : De toute façon, pour pouvoir permettre les expérimentations et les innovations, il faudra voter une nouvelle loi.
Philippe Lapousterle : Quand ?
Charles Millon : Mais j'espère le plus rapidement possible, car il va falloir ouvrir des espaces d'initiatives pour les professions, les collectivités territoriales…
Sylvie Pierre-Brossolette : Une loi complémentaire ou une loi qui se substitue ?
Charles Millon : Il faudra et une loi complémentaire et une loi qui se substitue à certains paragraphes de la loi actuelle, car il est bien évident que tout le titre sur le CIP est à revoir.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et si la reprise est au rendez-vous, comme semble l'annoncer Balladur, cela peut-il contribuer à nourrir, à détendre l'atmosphère, et à créer quelques emplois, sans même faire de réforme ?
Charles Millon : J'espérais que la croissance économique permettra de créer des emplois, mais je crains que ce ne soit pas suffisant, car le problème actuellement de la société française, c'est l'inadéquation entre le système de formation, le système éducatif et puis le système de l'entreprise. C'est l'inadéquation entre le système de l'épargne et les besoins de financement des PME, des artisans…
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais vous direz bravo au gouvernement s'il arrive à faire que la reprise soit au rendez-vous, ou vous pensez qu'il n'y sera pour rien ?
Charles Millon : De toute façon je pense qu'il y sera d'abord pour quelque chose, parce qu'actuellement il est en train de rétablir un certain nombre d'équilibres budgétaires, il est en train d'essayer de mettre une politique de rigueur dans les finances publiques. Je cois que c'était non seulement nécessaire mais indispensable, mais je souhaite simplement que l'on puisse profiter de cette reprise éventuelle pour l'accompagner par des transformations structurelles de notre société.
Philippe Lapousterle : Pour appliquer ces méthodes nouvelles, faudrait-il à votre avis des hommes nouveaux, sui n'aient pas accumulé les échecs qu'on a connus récemment ?
Charles Millon : Ce que je crois surtout, c'est qu'il va falloir réfléchir, et je pense que ça pourra être une des options essentielles du futur président de la république, au problème du cumul des mandats. Je crois que le cumul des mandats actuellement est en train de paralyser le pouvoir législatif. C'est-à-dire que les gens qui siègent à l'Assemblée nationale sont préoccupés par la gestion de leur collectivité territoriale, par la gestion de leur département ou de leur région. Et je sais de quoi je parle, et à ce moment-là n'assument peut-être pas autant qu'il le faut leur mission législative de suggestion, de proposition, de critique éventuelle ou de réserve, et que deuxièmement il est nécessaire que sur le terrain il y ait des élus qui puissent faire ces expérimentations et ces innovations dont je parlais, et qui puissent s'y investir totalement. Donc je me demande s'il ne faut pas, pour pouvoir provoquer un grand souffle d'oxygène dans la vie politique, revoir le problème du cumul des mandats.
Sylvie Pierre-Brossolette : Un nouveau gouvernement, ce n'est pas la solution ?
Charles Millon : Le problème ce n'est pas un nouveau gouvernement, c'est en fait un souffle nouveau à travers les expérimentations et les innovations que je suggère.
Philippe Lapousterle : Fallait-il que M. Balladur aille en Chine ?
Charles Millon : Bien sûr parce que je crois qu'on ne peut pas ignorer ce grand pays de plus d'un milliard de personnes, et qu'il me paraît aussi souhaitable que la France, pays des droits de l'Homme, aille rappeler que nous sommes attachés au respect des droits de l'Homme.
Philippe Lapousterle : Vous pensez qu'on peut obtenir à la fois des marchés et la libération de dissidents ?
Charles Millon : Je pense qu'il faut d'abord rappeler l'attachement au respect des droits de l'Homme, et puis ensuite essayer d'obtenir des marchés.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et au nom des droits de l'Homme, faut-il accueillir tous les algériens et les français qui fuient l'Algérie ?
Charles Millon : Je souhaiterais d'abord qu'on ouvre un débat là-dessus. Je crois que ce débat concernera non seulement le gouvernement et le parlement, mais concernera toute la société française, car la politique méditerranéenne fait partie intégrante la politique française. Comment va-t-on gérer nos relations avec tous ces pays du Maghreb, je crois qu'il y a un problème d'humanité, il y a un problème Je respect de l'histoire, il y a un problème de respect des droits de l'Homme, mais qu'en même temps il va falloir savoir comment on va pouvoir mettre en œuvre les moyens pour pouvoir accueillir des personnes qui demanderaient le droit d'asile justement.
Philippe Lapousterle : Merci Charles Millon, prochain invité, Bernard Kouchner.