Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Il était une fois, sous un autre gouvernement, des ministres qui, dit-on, lorsqu'ils organisaient des réunions, payaient des figurants.
Nous, aujourd'hui, hélas, nous avons dû refuser plus de 1 000 personnes et été contraints de vous serrer dans ces salles à plus de 2 000, au-delà de ce qu'il est raisonnable.
Que ceux qui n'ont pu trouver de place dans cette salle et qui se trouvent, dans des conditions difficiles, dans une autre salle, reliée par vidéo, veuillent bien nous le pardonner.
Je serai d'ailleurs, dans quelques instants parmi eux.
Avant que ne s'engage notre débat, je vous dois des explications sur ce dîner.
Si nous sommes très nombreux ce soir, c'est sans publicité.
Quelques mots sur un projet colporté de bouche à oreilles, un simple carton d'invitation avec ces seules phrases : « Il n'y a pas de réforme possible si ceux qui agissent et ont le sens des responsabilités ne s'engagent pas », « Se retrouver le 9 mars pour se faire entendre et agir ».
Que ces seuls mots mobilisent autant ce soir en dit long.
Si vous êtes là, c'est parce que chacun, à votre façon, vous vivez au quotidien les blocages de notre société.
Dans l'école, dans la recherche d'un emploi, dans l'entreprise, dans vos rapports avec l'administration, dans l'administration elle-même.
Et vous vous dites très simplement : « on ne peut pas continuer comme cela ».
Dans un hebdomadaire « Le Point », cette semaine, j'ai fait le parallèle entre notre époque et la fin de l'ancien régime.
Il y a, en effet, bien des ressemblances entre nos blocages et ceux de la société française à la veille de la Révolution.
1. La fin de l'Ancien régime, c'est la paralysie de l'initiative sous le poids des corporations, sous la multiplication, la complexité des règlements du commerce et des manufactures.
La France de 1994 continue de crouler sous les lois, les règlements et les codes, sous les arrêtés, les alinéas, les exceptions...
Rien n'échappe à l'administration, rien n'échappe à la réglementation.
On s'était débarrassé du contrôle des prix, voici que se profile le contrôle des mots.
Nos 8 000 lois, 400 000 décrets, les dispositions byzantines de nos codes du travail ou de la sécurité sociale constituent une entrave permanente à la liberté d'entreprendre et à la liberté du travail.
2. La Révolution française c'est aussi l'impasse financière d'un État qui vit au-dessus des moyens des Français.
Pour la première fois en temps de paix, on est obligé d'emprunter pour rembourser ses dettes.
Les impôts sont trop nombreux, trop compliqués, trop injustes.
Toute ressemblance avec une situation contemporaine, etc.
3. La fin de l'ancien régime en France, c'est l'impossible remise en question des avantages acquis, de ce que l'on appelait, je crois à l'époque : « privilèges ».
Ceux qui occupent les meilleures places par la grâce de leur naissance ou par la faveur du pouvoir, s'ingénient à bloquer toutes réformes et remise en cause.
Aujourd'hui, qu'on l'appelle « establishment » à l'Ouest, « nomenklatura » à l'Est ou « technostructure » à Paris, une nouvelle aristocratie d'État s'est reconstituée : elle se coopte, elle s'auto-protège, elle vit abritée dans une autre culture, sûre d'elle-même et coupée des Français.
Qui dit nouvelle aristocratie, dit bien sûr nouveau Tiers État !
Les Français les plus vulnérables évidemment, ceux qui paient la facture de nos blocages et de nos rigidités, par l'impôt du chômage et de l'exclusion.
Mais aussi les Français les plus actifs, ceux qui supportent des charges et des contraintes croissantes et qui voient l'effort, l'initiative et le risque pénalisés.
1. Aujourd'hui plus de 5 millions de Français sont exclus du travail. Ils sont à comparer aux 14 millions d'entrepreneurs et de salariés dans les entreprises du secteur marchand créateur de richesses et d'emplois.
2. En 1996-1997, 500 000 jeunes s'engageront chaque année dans les études universitaires. 250 000 obtiendront un diplôme à Bac + 4. Et, à cette même époque, la France ne pourra guère offrir plus de 60 000 places de cadres correspondant à ces diplômes.
Bref, l'exclusion progresse et l'ascension sociale est en panne.
Nous avons, au cœur de la société française, cette bombe 2 fois explosive de la perte d'emploi et de la perte d'espoir.
Jamais tant de Français se sont mis à redouter l'avenir. Pire même, à redouter que leurs enfants aient à connaître demain une situation plus mauvaise que la leur.
Or, le fondement même de notre pacte républicain, c'est la promesse de l'ascension sociale. L'idée que par le travail et par la chance on pourra améliorer sa situation et que l'on pourra en tout cas « élever » ses enfants, c'est-à-dire leur offrir une situation meilleure que celle que l'on a soi-même connue.
Si l'on veut aujourd'hui éviter les désordres de la révolution, il faut avoir le courage de la réforme.
Le courage des réformes, me direz-vous, c'est l'affaire du gouvernement. Bien sûr. Mais pas seulement
Les fonctions que j'occupe me permettent de mesurer, mieux que quiconque, comment la volonté de réformes du gouvernement – qu'on ne peut mettre en cause – se heurte, jour après jour, à une opinion dominante peu favorable au mouvement. Sans doute, la crise rend-elle plus méfiant devant le changement et plus réceptif à ceux qui distillent la peur pour préserver leurs « Bastilles ».
Il est évident que la marge d'action d'un gouvernement quel qu'il soit n'est pas la même lorsque, comme en 1986, la mode médiatique rend hommage au livre d'un ancien de Mac Kinsey : « La France paresseuse » et lorsqu'en 1993 cette même mode médiatique propulse un « moderne Géo Trouvetou » – du cabinet Andersen – pour cultiver l'illusion de la « semaine des 4 jours ».
Il n'y a pas de réforme possible qui ne soit acceptée par l'opinion.
On ne peut réformer plus vite que la société.
Mais dire cela ça n'est pas être passif.
La politique ça n'est pas l'art du possible, mais l'art de rendre possible ce qui est nécessaire.
C'est affirmer :
– et la volonté d'être habile pour faire passer les réformes nécessaires – on ne peut séparer les idées de l'action et l'action des idées ;
– et la volonté d'élargir la marge de manœuvre de ceux qui gouvernent en faisant progresser, en chacun des Français, l'idée des réformes nécessaires.
Il n'est pas interdit, en effet, de savoir conjuguer réformes et habileté.
C'est une question de méthode.
Le plus court chemin d'un point à un autre n'est pas toujours la ligne droite. Et comme tout bon marin le sait, il faut parfois tirer des bords pour remonter au vent. Nous en reparlerons sûrement.
La route des réformes est jalonnée de quelques idées simples.
Nous les approfondirons dans le débat.
Mais elle a aussi un fil directeur.
Deux cultures partagent la France aujourd'hui : la culture de la responsabilité publique et la culture de la responsabilité personnelle. Au fil des ans, on a sans cesse étendu le champ de la responsabilité publique, on a déresponsabilisé tes Français, dilué la responsabilité, développé les réflexes d'assistance.
On a détendu le ressort de la responsabilité personnelle, et là, se trouve la racine de la plupart de nos maux.
Chacun pour soi, l'État pour tous.
Je réglemente, donc je pense.
Je dépense, donc je suis.
La responsabilité est devenue une notion extrêmement vague, extrêmement confuse, et si par hasard on est responsable, on n'est jamais coupable.
Vous pouvez perdre 5, 10 milliards dans une entreprise publique sans aucune sanction, et dans le pire des cas, vous serez « invité » à exercer vos talents dans une autre entreprise publique.
Le plus petit des entrepreneurs, des commerçants, des artisans est responsable de ses erreurs de gestion sur ses biens propres. Mais chez ces gens-là, dans cette aristocratie-là, on ne compte pas, monsieur ...
Et si le reste de la société fonctionnait selon ces règles-là, il y a belle lurette que nous nous serions effondrés.
L'autre culture, celle que nous avons en commun, c'est la culture de la responsabilité personnelle.
C'est elle qui fonde une société de liberté.
La responsabilité personnelle ce n'est pas seulement, comme l'a montré l'expérience accumulée de l'humanité, le moteur de l'efficacité économique et social. C'est aussi un principe moral, l'affirmation de la dignité et de la liberté de la personne humaine.
La responsabilité personnelle, cela s'apprend, cela se pratique, cela se cultive. Encore faut-il que les institutions le permettent.
Placez les hommes en situation de dépendance ou de tutelle, et ils deviendront dépendants. Placez-les en situation de responsabilité et ils deviendront responsables.
Nous devons travailler à renforcer le rôle et l'influence de ceux qui vivent et portent la responsabilité personnelle. Nous devons travailler à faire de la responsabilité la culture dominante des Français.
Ce fil directeur nous conduit à quelques idées simples (nous les approfondirons sûrement dans le débat).
Sur l'emploi
Si l'on veut multiplier les emplois, il faut multiplier les entrepreneurs, dégager leur route des obstacles inutiles.
Il ne faut pas partager le travail, mais libérer le travail. Que l'administration et les bureaucrates laissent en paix les Français les plus entreprenants et les plus créatifs.
L'excès de sécurité des uns, c'est la sécurité des autres.
La meilleure des sécurités sociales, c'est d'avoir un emploi.
Sur l'État
Ce que les citoyens sont capables de faire par eux-mêmes, leurs entreprises ou leurs associations, l'État, les collectivités, les organismes publics ne doivent pas le faire.
Chaque fois qu'on le peut, faisons confiance à l'initiative privée, tant il est vrai que l'histoire a toujours démontré que l'on faisait plus attention quand on dépense son propre argent que lorsque l'on dépense l'argent des autres.
Sur les réformes
Là encore, faisons simple.
Chaque fois que nous laisserons les consommateurs ou les familles choisir à la place de la bureaucratie de ce qui est bon pour eux, nous ferons un pas dans la bonne direction.
Chaque fois que nous prendrons un franc de moins dans le budget des familles, nous ferons un autre pas dans la bonne direction.
Et comme le dit un de mes amis : « Compliquons la vie de l'administration jusqu'à ce qu'elle simplifie la vie des citoyens ».
Vos applaudissements à ces quelques idées de bon sens sont révélateurs du malaise de la France
Car ces idées n'ont rien d'original.
Aux États-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne, elles apparaissent comme l'expression du simple bon sens, partagé par le plus grand nombre.
À l'Est de l'Europe, en Asie ou en Amérique Latine, ce sont ces mêmes idées qui sont à la source d'un développement sans précédent qui permet de sortir des centaines de millions d'hommes de la misère.
Ne cherchez plus ailleurs les problèmes de la France : Nous faisons culture à part.
La France, aujourd'hui, hésite à mettre sa pendule à l'heure du monde.
À chaque instant, les forces nombreuses du « statu quo » se font entendre, pèsent sur l'opinion, empêchent les hommes politiques d'aller jusqu'au bout de leur volonté de réforme en réduisant leur marge d'action.
À leur porte, une pancarte : « Ne pas déranger ».
À leur revers, un badge : « Touche pas à mes privilèges ».
Eh bien nous leur disons : « ça suffit ! »
« Nous ne sommes pas décidés à vous laisser davantage bloquer la France ».
En disant « nous », je parle en votre nom ce soir.
Je parle au nom de tous ceux qui, dans l'exercice quotidien de leurs responsabilités ont une claire conscience des blocages qui empêchent de tirer tout le parti de l'initiative et de l'énergie des Français, de ceux qui croient au travail, à l'effort, à la responsabilité personnelle et qui souffrent de voir la France aujourd'hui bloquée.
C'est pourquoi, avec quelques-uns d'entre vous présents, ce soir, nous avons pris l'initiative de créer un rassemblement, pour réfléchir et agir, et, tout naturellement, nous l'avons appelé « IDÉES ACTION ».
Nous voulons rassembler.
Rassembler :
– tous ceux qui veulent participer à l'élan des réformes nécessaires ;
– tous ceux qui, à l'image de cette salle, représentent le dynamisme de la société française ;
– tous ceux qui veulent s'engager, s'unir pour faire entendre leur voix, expliquer le sens des réformes nécessaires aux Français, peser sur les choix fondamentaux.
Il ne s'agit pas, bien sûr, de créer un nouveau parti politique, un de plus.
Il s'agit de rassembler, sans distinction d'appartenance politique, mais aussi de rassembler au-delà des étiquettes politiques celles et ceux qui se reconnaîtront à nos côtés dans cette culture de la responsabilité personnelle et qui n'attachent guère d'importance aux vieilles frontières de nos traditions politiques.
Ceux qui me connaissent le savent : J'ai toujours travaillé à l'union la plus large.
Qu'on ne compte pas sur nous pour diviser.
Jamais, jamais nous ne prendrons le moindre risque d'une rechute dans le socialisme.
Rassembler... pour agir
Agir afin d'éclairer l'opinion sur les enjeux.
Agir pour proposer des solutions et des réformes.
Agir, chacun dans son domaine, là où l'on peut concrètement exercer une influence.
Nous avons un grand rendez-vous avec l'opinion, celui des élections présidentielles quand, après 14 ans, l'actuel occupant de l'Élysée laissera la place.
Certains s'intéressent déjà au rendez-vous des candidats. Nous, nous nous intéressons au rendez-vous des réformes. Quelles réformes ? Pourquoi ? Quand ? Comment ? Voilà les questions que personne ne pourra esquiver. Il nous faudra donner notre réponse.
Mais au-delà de cette échéance, ce que nous voulons, c'est créer, au plus profond de la société française, une dynamique de la réforme, la dynamique du changement.
Quand tant de Français perdent pied et perdent espoir, il est de notre devoir :
– nous qui savons sans doute mieux que d'autres, qu'elles sont les immenses ressources de l'initiative des Français ;
– nous qui savons qu'il est possible de créer des emplois ;
– nous qui savons qu'il ne faut pas avoir peur du progrès, car celui-ci entraîne toujours la multiplication des chances.
Oui, il est de notre devoir commun de montrer tous les avantages des réformes à ceux qui les craignent, de leur montrer aussi qu'il n'est pas de plus grand risque aujourd'hui, pour eux et pour leurs enfants, que de ne pas réformer profondément la société française.
Si vous, si nous nous ne sommes pas capables d'expliquer, de convaincre des immenses avantages qu'il y a à vivre dans une société de liberté et de responsabilité, qui le fera mieux que vous, mieux que nous ?
J'ai parlé beaucoup de responsabilité.
Mais n'est-ce pas là notre responsabilité ?
Merci.