Texte intégral
LE MONDE : 4 mai 1994
Oui, mais…
Soumis au vote du Parlement européen, l'élargissement de l'Union européenne n'est pas assorti d'une réforme des institutions européennes, reportée à 1996. De plus, les citoyens européens sont exclus de ce débat qui sera tranché par un Parlement en fin de mandat. Aussi une motion de report serait-elle bienvenue, permettant d'approfondir la discussion.
Mercredi 4 mai, le Parlement européen devra se prononcer sur l'élargissement de l'Union européenne à quatre nouveaux membres : Autriche, Finlande, Norvège et Suède. Ce vote n'est pas une simple formalité : par un avis négatif, le Parlement peut s'opposer à cet élargissement. De nombreux parlementaires, jugeant la procédure précipitée, envisagent d'ailleurs de voter non.
Cet élargissement est pourtant souhaitable pour quatre raisons essentielles :
1. Alors que beaucoup d'Européens doutent de l'Europe, il est réconfortant de voir de nouvelles nations vouloir rejoindre l'Union. Ces pays monteraient-ils à bord d'un navire en perdition ?
2. Cet élargissement fera de l'Union européenne la première puissance économique du monde. Avec un produit national brut de 5 888 milliards de dollars, elle devancera les Etats-Unis (5 687 milliards de dollars) et le Japon (3 168 milliards de dollars).
3. Les quatre nouveaux membres seront des contributeurs nets au budget de l'Union : ils apporteront plus qu'ils ne recevront.
4. Cet élargissement sera perçu par les nouvelles démocraties de l'Europe de l'Est comme une main tendue. L'Union ne doit -pas être recroquevillée sur elle-même.
Nous avons donc de bonnes raisons de dire oui à l'élargissement. Oui, mais… Un « mais » qui n'est pas restrictif, mais additif.
En effet, deux occasions ont été manquées :
1. Il aurait fallu assortir cet élargissement d'une profonde réforme des institutions européennes. Conçues pour fonctionner à six Etats-membres, elles sont aujourd'hui à bout de souffle. Quand on ajoute des wagons au train, il faut donner davantage de puissance à la motrice, sinon le convoi ralentit et s'immobilise. Or, cette réforme institutionnelle e été reportée à 1996. C'est bien tard, l'Union européenne risque de vivre d'ici là des moments difficiles.
2. La question de l'élargissement de l'Union aurait dû donner lieu à un véritable débat public à l'occasion de la campagne pour les élections du Parlement européen. Pourquoi refuser aux citoyens européens la possibilité de donner leur avis sur cette question qui engage l'avenir de I Europe ? Il est très regrettable que ce soit le Parlement européen actuel, en fin de mandat, qui soit chargé de rendre l'avis conforme.
Pour une motion de report
Dans ces conditions, que va-t-il se passer le 4 mai ? La meilleure solution serait que le Parlement européen vote une motion de report, comme il en a le droit, laissant ainsi à l'Assemblée prochainement élue le soin de se prononcer sur l'élargissement. Le débat serait à la fois apaisé et approfondi.
Mais si la décision n'est pas reportée, il faut accepter l'élargissement. Le non signifierait la fin de la procédure. Le oui, en revanche, préserve l'avenir, mais il ne constitue qu'une étape dans la procédure. En effet, l'avis conforme donné par le Parlement européen doit ensuite être soumis aux pays-membres, qui doivent consulter les Parlements nationaux.
Il est essentiel d'accompagner le oui du Parlement européen d'une initiative politique de réforme donnant à l'Europe les moyens de prendre ses décisions plus efficacement et plus rapidement. L'amélioration de la capacité de décision de l'Europe est urgente afin que l'Union puisse défendre ses intérêts économiques et commerciaux et développer une politique étrangère et de sécurité commune.
Cette initiative politique doit venir de la France et de l'Allemagne. L'axe franco-allemand, moteur historique de l'Union européenne, aura un rôle majeur à jouer : le calendrier lui un donne la responsabilité. En effet, le 1er juillet prochain, l'Allemagne prendra la présidence de l'Union pour six mois et, le 1er janvier 1995, la France lui succédera durant tout le premier semestre de l'année prochaine. Nos deux pays doivent impérativement, au cours de cas douze mois, mettre en œuvre la réforme institutionnelle qui évitera la dilution de l'Europe, au moment où elle s'élargira à seize membres.
C'est l'intérêt vital de l'Union européenne et de la France.
RTL : Mercredi 4 mai 1994
Q. : Quel est votre seuil de réussite pour ces européennes ?
R. : Toutes les équipes sont sur la ligne de départ et nous franchirons la ligne d'arrivée le 12 juin prochain. Je souhaite que nous gagnions cette élection. Gagner, c'est-à-dire franchir la ligne d'arrivée en tête, et le plus largement en tête, avec l'écart le plus large possible face à l'autre liste, à savoir celle du PS, conduite par M. ROCARD.
Q. : M. ROCARD se fixe 20%, vous, combien vous fixez-vous ?
R. : Davantage que la liste de M. ROCARD avec l'écart, encore une fois, le plus large possible. C'est simple et je pense que chacun comprend ce que cela peut signifier.
Q. : Mais si vous êtes en dessous de 30%, n'est-ce pas ennuyeux ?
R. : J'espère faire le plus possible, mais ça, c'est entre les mains de ceux qui nous écoutent.
Q. : Pourquoi optez-vous pour un « oui, mais » dans le cadre de l'extension de l'Europe à Seize ?
R. : Cet élargissement est une bonne chose. Une bonne chose d'abord pour nous-mêmes, Européens, puisque ce sont des pays bien portant qui viennent de nous rejoindre, et en plus, c'est encourageant. Est-ce que vous monteriez à bord d'un navire qui est en train de faire naufrage ? Certainement pas. Si l'Europe faisait naufrage, on n'aurait pas quatre pays qui veulent monter à bord d'un tel navire. Ce que je regrette, c'est que l'on n'ait pas accompagné cet élargissement d'une réforme pour donner plus d'efficacité à l'Europe au service de l'emploi, pour plus d'efficacité de l'Europe au service de la paix. Si l'on prend l'image d'un train, l'Europe, c'était un train avec six wagons, il y a quelques années. Puis on est passé à neuf, puis à dix, puis à douze. Maintenant on va passer à seize. Quand vous mettez davantage de wagons sur le train, il faut donner plus de puissance à la motrice sinon le convoi se ralenti et s'arrête. Il faut donc donner un peu plus d'énergie à l'Europe et surtout, l'engager sur une nouvelle voie. L'Europe au service de l'emploi et l'Europe au service de la paix.
Q. : Abordez-vous la crise de confiance dont souffre l'Europe ?
R. : Le problème n'est pas de faire changer les gens mais de faire changer l'Europe. Le jugement que les gens portent sur l'Europe est parfaitement justifié. Pendant plusieurs années, l'Europe nous a protégés de la guerre, contre l'Empire soviétique et nous apportait la prospérité avec le marché commun. Là-dessus, il y a eu une crise, le mur de Berlin s'est effondré et on a cru qu'au fond, on n'avait plus tellement besoin de l'Europe pour nous protéger puisqu'il n'y avait plus de menace, plus de risque. Aujourd'hui, avec ce qui se passe en Bosnie, on voit bien que le pire est toujours possible en Europe. Ce qui se passe en Bosnie révolte notre conscience humaine mais doit réveiller aussi notre conscience politique européenne. Si nous ne construisons pas vite une Europe forte, un pôle de stabilité représentant le droit contre la force, on risque de voir se reproduire à travers l'ancien Empire soviétique toute une série de situations horribles, semblables à celles que vivent les Bosniaques.
Q. : Comment ouvrir l'Europe aux pays de l'Est ?
R. : Dès qu'un pays de l'Est est devenu un pays démocratique, il faut trouver avec lui les formules d'association politique. On ne peut pas laisser ces pays auxquels on a dit pendant des années « libérez-vous, et le jour où vous serez libérés on pourra travailler ensemble » dans l'oubli. On ne peut pas maintenant leur dire « écoutez on n'a pas le temps de s'occuper de vous on verra plus tard ». Sinon le pire peut arriver dans ces pays qui sont traumatisés par plusieurs dizaines d'années de communisme où des démagogues peuvent prendre le pouvoir et faire basculer ces pays dans des aventures. N'imaginons pas que l'Europe pourra vivre en paix et en sécurité toujours si nous sommes cernés par des guerres civiles, des haines, des démagogies, des racismes. L'Europe de l'Union européenne a une responsabilité vis-à-vis du continent européen. Lorsque la guerre est à nos portes, elle risque toujours, un jour ou l'autre, de nous emporter.
Q. : Comment allez-vous démontrer aux gens que le chômage n'est pas un mal européen ?
R. : Le chômage est un mal, et l'Europe a un immense effort à faire en ce domaine. Il faut qu'elle s'oriente vers une autre direction. Elle s'est trop occupée de choses qui sont des affaires mineures, qui concernent notre vie quotidienne, alors que l'on peut très bien les régler dans le cadre de la France ou même dans le cadre de nos régions. En revanche, on n'a pas su trouver suffisamment l'Europe là où l'on a besoin d'elle : le terrain de la paix et aussi la lutte contre le chômage. L'Europe peut créer des emplois, elle en a même créé des millions.
Q. : Croyez-vous que c'est cela qui fait que les Français croient moins à l'idée européenne ?
R. : Oui, parce que l'Europe apparaît parfois comme une menace un peu imprécise. Il faut qu'elle retrouve son rôle protecteur. Ce n'est pas un vœu pieux. Le 12 juin, les citoyens français et les citoyens des autres pays européens peuvent prendre en main le destin de l'Europe à l'occasion des élections. On dit souvent qu'il n'y a pas de démocratie en Europe. S'il y en a tout de même un peu. Il y a des élections à l'occasion desquelles les Français et les habitants des autres pays de l'Union vont choisir leurs députés. Je veux être non pas l'avocat de l'administration de Bruxelles auprès des Français. Ce que je voudrais être, c'est le représentant des Français au parlement de Strasbourg pour que l'Europe parlementaire de Strasbourg contrôle mieux l'Europe administrative de Bruxelles.
Q. : Comment jugez-vous les déclarations de C. PASQUA ?
R. : Il a raison, il faut une liste ouverte. Certains avancent en regardant dans le rétroviseur, et imaginent qu'il y a une ligne jaune infranchissable séparant les Français qui ont voté oui à Maastricht, des Français qui ont voté non. C'est absurde. Il y aura, sur la liste que je conduirai, des Françaises et des Français qui ont voté oui, d'autres qui ont voté non, mais qui sont d'accord sur ce qu'il faut faire dans les cinq ans qui viennent pour la France en Europe.
Q. : La tiédeur de C. PASQUA ne vous a pas surpris ?
R. : Pas du tout parce que je suis convaincu qu'à partir de la semaine prochaine, il sera très engagé dans la campagne.
Q. : Lorsque B. TAPIE dit que vous n'aurez pas « les c… de faire l'Europe », est-ce que vous ferez l'Europe ?
R. : Moi je ne me promène pas dans la vie avec l'injure à la bouche et la liasse de billets à la main. C'est une certaine façon d'agir, ce n'est pas la mienne. Je n'insulte pas les autres candidats. Je suis Européen depuis l'âge de 18 ans mais je connais aussi les faiblesses et les imperfections de l'Europe. Je suis maire de Toulouse, la ville d'Airbus et je sais ce que l'Europe peut apporter à notre industrie et à notre économie, mais il faut la réorienter là-dessus. L'emploi, la protection de l'emploi, la défense de la paix.
Q. : Abandonnez-vous le Parlement français aujourd'hui ?
R. : Il faut être honnête avec les électeurs. Si je me présente au Parlement européen, c'est pour y siéger, pour aller y travailler et je ne pourrai plus m'occuper de ma ville.