Texte intégral
La Croix : 7 mai 1994
La Croix : Moins de 2 millions de personnes (1,9 million) se sont porté actionnaires de l'UAP, contre 3,1 pour Elf, 2,9 pour Rhône-Poulenc et 2,8 pour la BNP. N'êtes-vous pas déçu ?
Edmond Alphandéry : Non. Ces résultats sont très bons. Tout d'abord, nous savions qu'après l'engouement des premières privatisations, la quatrième rencontrerait un moindre succès. Ensuite, le titre de l'UAP pouvait être considéré comme moins attractif que celui d'entreprises industrielles. Enfin, et surtout, nous l'avons privatisée dans un contexte boursier difficile. La qualité d'un bateau et de son équipage se mesure lorsque la mer commence à bouger. Nous venons de prouver que les privatisations réussissent aussi quand la Bourse n'est pas très bonne. C'est un grand encouragement.
La Croix : Combien d'actions recevront les particuliers ?
Edmond Alphandéry : Le nombre d'actions demandé par les particuliers a été 2,5 fois supérieur à celui offert. Chacun verra donc ses demandes réduites avec un minimum de 20 actions. Les demandes supérieures seront servies d'après un barème proportionnel. Celui qui a commandé 70 actions en recevra ainsi 30. Une double demande de 70 titres (70 titres plus 70 en échange de titres de l'emprunt « Balladur ») sera servie à hauteur de 60 actions.
La Croix : Certains disent que vous auriez pu reporter la privatisation de l'UAP de quelques mois en attendant que son cours remonte…
Edmond Alphandéry : Nous y avons bien réfléchi. Il ne faut pas avoir l'œil polarisé sur l'évolution du cours boursier : la commission de privatisation a évalué à moyen terme le titre à 150 F. Nous l'avons vendu à 152 F. Si elle avait évolué à plus que cela, je ne l'aurai pas vendu. C'est ce que j'ai fait pour la Banque Hervet.
Je reconnais toutefois que tout cela est faillible, même si l'expérience des autres privatisations montre que nous nous sommes peu trompés. Certains nous avaient accusé de bradage. Ils n'ont plus osé le faire quand ils ont vu l'évolution du cours depuis.
Il faut enfin rappeler que nous avons hérité d'une situation très difficile, déficits très importants, récession… Il a fallu trouver des ressources pour faire redémarrer la machine et recapitaliser les entreprises publiques. Nous les avons trouvées par les privatisations, qui ont respecté les intérêts de l'État – et donc des contribuables –, mais aussi des épargnants. En sept mois, nous avons procédé à quatre privatisations qui auront apporté 92 milliards de francs à l'État. Nous avons d'ores et déjà rempli 90 % du programme de cette année.
La Croix : Qu'envisagez-vous maintenant ?
Edmond Alphandéry : Le programme continue. Les AGF et Bull sont dans le tuyau.
La Croix : Les AGF, c'est pour l'automne ?
Edmond Alphandéry : Si vous en connaissez la date, vous en savez plus que moi. Rien n'est encore fixé.
Le Figaro : 14 mai 1994
Le Figaro : Bruxelles vient de réviser à la hausse ses prévisions de croissance pour 1994. En ferez-vous de même pour la France ?
Edmond Alphandéry : Nous sommes bien partis pour aller au-delà de 1,4 % de croissance prévu initialement. Trois indicateurs sont, en effet, encourageants. D'abord, au niveau des prévisions, la révision à la hausse de la Commission de Bruxelles.
Elle nous créditait pour cette année d'un petit 1 % de croissance. Désormais, elle table sur une hausse de 1,6 % du PIB français. Selon cette prévision, nous devrions faire mieux cette année que nos voisins allemands et italiens et, en 1995, renouer avec une franche croissance de 2,8 %, supérieure à celle de la Grande-Bretagne. Ensuite, il faut souligner la hausse de l'indice de la production manufacturière qui a progressé de 2,2 % au cours des deux premiers mois de l'année. Certes, l'industrie automobile a été dopée par les mesures de janvier dernier. Mais toutes les autres blanches ont également progressé.
Enfin, troisième indice encourageant, la machine économique s'est remise à créer des emplois : 20 000 au premier trimestre, plus que ce que nous escomptions. C'est seulement au second semestre de cette année que nous attendions ce mouvement.
De plus, les services ont créé 53 000 emplois. Or c'est dans ce secteur qu'il faut attendre les progressions les plus importantes.
Le Figaro : Alors, réviserez-vous bientôt les prévisions officielles ?
Edmond Alphandéry : Nous n'ajustons pas au jour le jour nos chiffres. Nos nouvelles prévisions seront établies cet été dans le cadre de la préparation du budget de 1995.
Le Figaro : Les économistes ne s'attendaient pas qu'une croissance encore très modérée ait des effets positifs sur l'emploi. Or les derniers chiffres indiquent un redressement. Qu'est-ce qui a donc changé dans l'économie française ?
Edmond Alphandéry : L'économie a bénéficié d'un déclic au début de l'année grâce aux mesures automobiles qu'Édouard Balladur a décidées à partir de nos propositions. C'est ce que nous voulions et notre but a été atteint. Devons-nous, pour autant, pavoiser dans un pays qui compte 3,5 millions de chômeurs ? Évidemment non. Nous avons simplement franchi deux étapes sur trois. La première était celle du ralentissement sensible de la progression du nombre de demandeurs d'emploi.
Nous sommes sur une augmentation moyenne de 4 000 à 5 000 par mois seulement. La seconde étape est celle dans laquelle l'économie recommence à créer des emplois. Nous y sommes.
Mais nous n'aurons atteint notre but que lorsque la courbe sera inversée, c'est-à-dire lorsque les créations nettes d'emplois seront suffisantes pour absorber l'augmentation naturelle de la population active, augmentation estimée pour cette année à environ 120 000 personnes. Au premier trimestre, les créations ont été de l'ordre de 20 000. Ce qu'il y a d'encourageant, c'est que le rythme d'activité devrait continuer à augmenter et donc le chômage conjoncturel se réduire.
De plus, nous constatons que les mesures structurelles prises depuis le printemps de l'an dernier commencent à produire leurs effets : contrats de qualification, contrats d'apprentissage pour lesquels le patronat s'est mobilisé, baisse du coût de la main-d'œuvre non qualifiée, etc.
Le Figaro : Ces signes de reprise vous conduiront-ils à renoncer à toute mesure nouvelle de soutien à l'activité cette année ?
Edmond Alphandéry : Le gouvernement reste évidemment très attentif à l'évolution de l'activité économique. Mais je le répète, nous sommes sur la bonne voie et, désormais, les choses devraient aller en s'améliorant d'elles-mêmes. Il faut resituer ces résultats dans le contexte européen. Avant-hier encore, la Bundesbank a baissé son taux d'escompte à 4,5 %. L'étau se desserre donc dans le respect de la stabilité monétaire pour le plus grand bien de nos économies. Mais n'est-ce pas là aussi les conséquences de la politique économique de reprise « à la française » impulsée par Édouard Balladur ? Celle-ci se caractérise par trois éléments. Le retour de la confiance par le rétablissement progressif des grands équilibres économiques et sociaux. Une consolidation de l'épargne qui recycle l'épargne court terme vers le financement de la reprise. C'était le sens des différentes mesures prises pour réorienter les fonds placés en sicav monétaires vers le logement privé, le soutien à l'activité économique via l'emprunt Balladur et les privatisations qui ont déjà rapporté en dix mois 95 milliards de francs. Et troisième caractéristique, une série d'actions conjoncturelles : c'est le turbo des mesures en faveur de l'immobilier l'an dernier, puis celles en faveur de l'automobile en janvier 1994…
Le Figaro : Y aura-t-il d'autres turbos cette année ?
Edmond Alphandéry : Dans le contexte actuel, nous avons toutes raisons d'être confiant dans les perspectives de l'économie française. Nous restons néanmoins pragmatiques et attentifs. Lorsque tous les jours on travaille les mains dans le moteur à faire redémarrer l'économie, c'est stimulant lorsqu'on observe les premiers résultats.
France 2 : jeudi 19 mai 1994
G. Leclerc : Selon différents indicateurs économiques, la conjoncture devient plus favorable depuis le début de l'année.
Edmond Alphandéry : On assiste notamment à un redémarrage dans pratiquement tous les secteurs, et en particulier dans les deux secteurs turbo de l'économie, le logement et l'automobile, pour lesquels le gouvernement a fait une politique particulière. Donc, ce qui est très intéressant, c'est que depuis le début de l'année, notre économie recommence à créer des emplois. Elle ne l'avait plus fait depuis 1990. Ca ne veut pas dire qu'il faut pavoiser. Nous avons réussi à freiner le chômage, à faire que la machine économique recrée des emplois, mais pour autant, nous avons encore plusieurs mois à attendre avant que la courbe du chômage recommence à s'inverser.
G. Leclerc : Sur les prévisions, vous aviez dit 1,4 %. N'allez-vous pas les revoir à la hausse ?
Edmond Alphandéry : Si le rythme continue, au rythme actuel de la croissance économique depuis le début de l'année, nous avons devancé notre tableau de marche. Si le rythme continue, nous serons amenés à réviser notre croissance à la hausse, c'est à dire que nous dépasserons le 1,4 %. On ne révise pas les prévisions officielles au jour le jour. Nous aurons l'occasion de voir cela au moment de la présentation de la loi de finances, en septembre prochain devant le Parlement. Nous serons amenés à revoir nos prévisions cet été, et aujourd'hui, je peux dire qu'il est très probable que nous ayons une révision à la hausse.
G. Leclerc : En dehors du bâtiment et de l'automobile, la consommation reste faible. Ne faut-il pas encore quelques mesures de soutien pour déclencher le phénomène ?
Edmond Alphandéry : Non. Ce qui est important, c'est que la reprise n'est pas un feu de paille. Ca n'est pas un feu de paille : il y a un environnement international, il y a des éléments de fond, notamment la situation monétaire qui font que la reprise va continuer. Ce qui est aussi important, c'est que la reprise n'est pas le fruit du hasard. Il y a une politique économique et financière qui a été conduite par le gouvernement, depuis un peu plus d'un an, qui commence à porter ses fruits.
G. Leclerc : Il y a tout de même quelques sujets d'inquiétude, notamment les déficits – plus de 300 milliards pour le budget – et pour les comptes sociaux – autour de 40 milliards pour la Sécurité sociale. Est-ce que vous n'allez pas être condamné à prendre des mesures de rigueur qui pourraient freiner cette reprise ?
Edmond Alphandéry : L'un des carburants essentiels de la reprise, la raison essentielle pour laquelle il y a une reprise de l'activité économique, c'est la baisse des taux d'intérêt. Nous avons une forte baisse des taux d'intérêt depuis que nous sommes au pouvoir, et la baisse continue. Et s'il y a une baisse des taux d'intérêt, c'est parce que le gouvernement a été très attentif au contrôle de la dépense publique et au contrôle du déficit budgétaire. Nous avons décidé de réduire le déficit du budget de l'État en 1994. Nous allons continuer à le réduire pour 1995 de 25 milliards. Nous sommes tellement attentifs à la dépense publique que j'ai été amené, au début de la semaine, à réduire l'enveloppe des emprunts que nous allons lancer pour 1994 : je l'ai réduite de 20 milliards. C'est ceci qui est à l'origine de la décrue des taux d'intérêt, C'est très précieux et nous sommes très attentifs à la progression de la dépense publique et de la dépense sociale.
G. Leclerc : Et sur la Sécurité sociale ?
Edmond Alphandéry : Nous y veillons avec beaucoup d'attention.
G. Leclerc : Le ministre du Budget a ouvert le débat sur les baisses d'impôt. Il a dit qu'elles pourraient être abandonnées au profit d'un allégement des cotisations et des charges sociales. Est-ce une bonne idée ?
Edmond Alphandéry : Le problème est très simple. Dans la construction du budget, nous avons une contrainte : c'est la réduction du déficit. Nous nous sommes d'autre part engagés dans un programme de cinq ans d'allégement des cotisations sociales sur les bas salaires. Nous avons commencé puisque nous avons fait pour 10 milliards, cette année, d'allégement des cotisations des allocations familiales. C'est un des éléments importants, favorable à l'emploi. Il est probable qu'on va continuer, l'année prochaine, dans ce sens. Est-ce qu'il y aura de la place pour alléger l'impôt sur le revenu, je le souhaite. Nous verrons lorsque nous aurons à élaborer le budget, cet été.
G. Leclerc : S'il faut choisir, vous pensez qu'il vaut mieux aller vers l'allégement des cotisations sociales, plutôt que des impôts ?
Edmond Alphandéry : À titre personnel, je pense qu'il vaut mieux continuer à alléger en priorité les charges sur les bas salaires.
G. Leclerc : Comment jugez-vous la campagne européenne, et en particulier celle qui est menée par D. Baudis ? Vous étiez l'un des plus chauds partisans, dès le départ, de sa candidature ?
Edmond Alphandéry : D'abord, c'est la liste du bon sens parce que c'est la liste d'union. C'est une liste qui s'appuie sur la politique européenne du gouvernement, qui est une politique qui réussit. Voyez les négociations du GATT. Et cette liste est bien conduite, par un homme qui est de la jeune génération, qui est dynamique, qui est le maire de Toulouse. C'est une liste qui est accueillie favorablement par les Français, regardez les sondages. J'aurais l'occasion de dire tout le bien que je pense de la façon dont il conduit sa liste à D. Baudis puisqu'il vient me voir à Angers samedi.