Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, dans "National Hebdo" du 25 août 1995 intitulé "Nous sommes prêts pour la relève" et à RTL le 2 septembre, sur la popularité de M. Édouard Balladur, l'action de M. Pasqua face à "la menace islamiste" en France et les enjeux démographiques et économiques des élections présidentielles.

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Média : National Hebdo - RTL

Texte intégral

Jean-Marie Le Pen : "Nous sommes prêts pour la relève"

En Algérie, que les égorgeurs du FLN se fassent à leur tour égorger par les partisans du FIS me paraît un juste retour de l'histoire. Mais que des Français soient assassinés sans autre réaction qu'une vingtaine d'assignations à résidence en France de militants islamistes supposés et la livraison par le Soudan (à quel prix ?) d'un ancien terroriste dont tout le monde sait pertinemment qu'il ne travaille pas pour le FIS me paraît extrêmement dangereux pour l'avenir. La France va payer très cher le soutien de son gouvernement au FLN. Ces événements dramatiques ont néanmoins révélé à tous le véritable enjeu géopolitique, non seulement sur le continent africain mais aussi face à l'Europe de l'Est et à l'Asie. L'alternative est simple : soit nous continuons, pour un coût exorbitant, à jouer dans le monde les supplétifs de l'ONU et de l'Amérique du Nord, soit nous retrouvons le chemin d'une politique internationale cohérente avec comme principal fil directeur la puissance de la France dans le monde. Voulons-nous une France forte et respectée ou une simple et éphémère terre d'asile pour tous les affamés du monde ? Mon choix est fait…

Nationale Hebdo : Enjeu démographique, enjeu culturel, n'est-ce pas lié ? Plus de passé, un avenir bouché, la natalité devenue sur notre sol l'apanage des populations étrangères et considérée hors frontière comme un critère de sous-développement : qui peut dans ce contexte, avoir encore le désir de faire des enfants ?

Jean-Marie Le Pen : Je suis persuadé que la redécouverte par les Français de leurs véritables racines culturelles peut aider notre peuple à retrouver le chemin de la natalité. Face à l'idéologie du petit bonheur qui pousse de nombreux jeunes ménages à ne pas faire d'enfants sous prétexte que leur confort s'en trouvera affecté, il y a la vérité enfouie aujourd'hui sous l'idéologie dominante, mais qui ne peut manquer de resurgir à l'heure de la plus grande détresse. Il est clair que la pérennité de notre culture est étroitement liée à la survie de notre peuple. Sans peuple, pas de culture. Sans culture, pas d'identité, pas de peuple. Il est clair égaiement que l'idéologie officielle, dont le rapport avec notre véritable culture est loin d'être évident, tend à provoquer le suicide démographique et culturel de notre peuple. Si l'INSEE voulait bien se fendre d'une petite enquête sur la natalité des Français, je pense qu'on trouverait chez les électeurs du Front national un taux de natalité supérieur à la moyenne. Mais peut-être sont-ils non seulement plus lucides que les autres, mais aussi plus convaincus de la force de la volonté d'entreprendre. Quand il y a une volonté, il y a toujours un chemin. Peut-être aussi leur reste-t-il ce qui a disparu chez les autres, c'est-à-dire un vieux fonds de notre véritable culture populaire…

Nationale Hebdo : L'enjeu des médias et des libertés. Deux mots qui devraient aller de pair et qui, aujourd'hui, sont devenus antinomiques. Peut-on fixer des critères à l'objectivité ? Si vous étiez le Président de cette fin de millénaire, quelles mesures prendriez-vous vis-à-vis des médias ?

Jean-Marie Le Pen : Je ne crois pas à l'objectivité en matière de presse. Tous les journalistes le savent, .il n'y a pas de traitement objectif de l'information. Ce qui manque à la majorité de la presse française, à défaut d'objectivité, c'est l'honnêteté. La presse française vit sous une triple tutelle économique par le biais de la publicité, politique par le biais des subventions gouvernementales, et juridique avec les lois liberticides Pleven et Gayssot. Pour l'affranchir de sa tutelle économique, il faut publicité, non pas, comme c'est le cas actuellement, à un pourcentage par rapport à la partie rédactionnelle qui conduit les journaux de l'Etablissement à publier n'importe quoi pour "faire du volume", mais à une surface fixe. Outre qu'elle permettrait une meilleure répartition de la manne publicitaire sur l'ensemble des titres, y compris les nôtres, cette mesure provoquerait une augmentation de la qualité des journaux, pour le plus grand profit des lecteurs comme des annonceurs. Il faut également vendre la presse à son prix. Il n'est pas normal qu'un journal soit vendu à la moitié de son coût de fabrication. Qui paye commande. C'est, le lecteur qui doit commander et non les quelques directeurs des centrales d'achat publicitaires. La tutelle politique ne peut être levée que par la suppression des subventions gouvernementales, directes ou indirectes. Ces subventions ne parviennent même pas à maintenir en vie une presse qui n'est plus adaptée aux besoins de ses lecteurs. Elles sont payées par les contribuables, et je dois dire que je ne suis pas très heureux, en payant mes impôts, de contribuer au financement de journaux communistes ou mondialistes.

Il faut enfin rétablir la liberté d'expression, en abrogeant les lois Pleven et Gayssot.

Nationale Hebdo : Enjeu économique, enjeu social, là encore l'un ne va pas sans l'autre. Quelle place reste-t-il à la France, en Europe et dans le monde ?

Jean-Marie Le Pen : La forme d'organisation socio-économique en vigueur chez ceux qui prétendent gouverner le monde vise à broyer les peuples par l'instauration de la division internationale du travail. La technique est simple : diviser pour régner. Si aucun pays au monde n'est capable de fabriquer une voiture par ses propres moyens, celui qui règne est celui qui maîtrise les échanges internationaux de composants. C'est ainsi que l'on détruit des pans entiers de notre économie, pour favoriser des importations dont nous aurions fort bien pu nous passer. Le retour à la prospérité n'est possible que dans le cadre de la nation. Il faut retrouver les équilibres sociaux détruits par une politique industrielle alliant gigantisme et irresponsabilité. Nos 300 mesures pour la renaissance de la France apportent dans ce domaine un éclairage que les médias se sont bien gardés de commenter lors de sa parution.

Nationale Hebdo : L'enjeu des présidentielles, enfin, qui nous renvoie au titre : "Pour un septennat Le Pen". Les thèmes que vous défendez, ceux du Front national, ont profondément Imprégné la vie politique de ces dix dernières années. Pensez-vous que les Français en tireront la leçon ?

Jean-Marie Le Pen : En politique, les basculements semblent s'opérer brutalement mais sont toujours le résultat d'un très long travail d'imprégnation. La situation semble souvent longtemps stagner, parfois régresser, à tel point que certains perdent confiance, et subitement un événement surgit qui modifie en profondeur le cours de l'histoire. Il est vrai qu'au cours des dix dernières années, nos idées ont profondément imprégné la vie politique, ou plutôt la façon de voir d'une partie importante de la population française, car les; gouvernements et les partis, etc., n'en tiennent compte qu'en période électorale. Le chemin parcouru est peut-être encore supérieur à ce que nous pouvons imaginer. Nous sommes probablement à la veille de bouleversements considérables, et nous sommes prêts pour la relève.

Nationale Hebdo : In fine, votre message aux militants du Front national ?

Jean-Marie Le Pen : Les militants du Front national sont l'élite civique de la nation et l'âme de sa continuité. Face à la décadence des institutions, à la corruption du milieu politique, au déclin du pays, ils sont pratiquement les seuls à avoir fait front. S'il existe encore une chance de renaissance pour la France, on peut dire que c'est à eux qu'elle est due, à leur dévouement, à leurs sacrifices, à leur enthousiasme. Les batailles de l'année 1995 (présidentielle, municipale ou autres) seront décisives, il leur faut donc redoubler de courage et d'efforts, en n'oubliant jamais que nos personnes, nos ambitions même légitimes ne sont que de peu d'importance en regard de l'enjeu capital qu'est la survie de la France comme nation libre et indépendante. Quelle tâche exaltante, quelle ambition noble et généreuse que celle que nous nous sommes fixée ! C'est ce qui nous donne le droit de marcher vers l'avenir "tête haute et mains propres".

 

Vendredi 2 septembre 1994
RTL

M. Cotta : L'université du FN ne ressemble pas aux autres, vous êtes la seule université où l'on parle franchement de la présidentielle de 95. Le slogan : un septennat Le Pen. C'est de la méthode Coué ?

Jean-Marie Le Pen : Non, c'est je crois, le vœu du mouvement, du FN. Il lui reste à faire les efforts qu'il faut, maintenant, pour transformer cet espoir en réalité.

M. Cotta : Vous dites "mouvement populiste", pour vous, cela n'est pas dépréciatif ?

Jean-Marie Le Pen : Je ne récuse pas le mot populiste, bien que celui-ci ait dans le monde politique, une acception péjorative.

M. Cotta : Ça veut dire quoi populiste ?

Jean-Marie Le Pen : Ce qui est en relation avec le peuple. Un mouvement populiste pour moi, est un mouvement qui souhaite remettre le peuple à sa place, qui en politique doit première, selon même notre Constitution. Je crois que les intermédiaires, les représentants, l'ont emporté sur le mandant.

M. Cotta : Populiste comme Tapie, comme de Villiers ? Est-ce que vous récusez ces deux fraternités ?

J.-M. Le Pen : Populiste comme tous les mouvements qui se sont révélés en contestation avec la mode de l'établissement. Ce n'est pas de Tapie et de Le Pen dont il s'agit mais des électorats, des citoyens qui se sont exprimés en contradiction avec les grands partis politiques dont on voit qu'aujourd'hui, ils conservent à peine la moitié de la confiance du peuple.

M. Cotta : Quel va donc être votre angle d'attaque par rapport à la droite, y compris à la droite d'E. Balladur, au sommet dans les sondages ?

J.-M. Le Pen : Je n'ai jamais été impressionné, surtout à 8 mois des élections, par les sondages. Je me souviens de l'élection précédente où Chirac caracolait en tête de tout, il était Premier ministre, il était maire de Paris, il a dépensé 1 milliard de francs lourds pour sa campagne et il est arrivé 5 points devant moi.

M. Cotta : Vous n'êtes pas impressionné par la popularité d'E. Balladur aujourd'hui ?

J.-M. Le Pen : Non, pas du tout ! Je pense que c'est une popularité basée sur l'immobilisme et que donc elle est très fragile. Si E. Balladur  bouge et surtout, ce qui est plus vraisemblable, si quelque chose bouge autour de lui, il est probable que cette popularité sera discutée, d'autant qu'il va devoir lutter contre ses propres amis : MM. Chirac, Pasqua, peut-être même V. Giscard d'Estaing ou encore F. Léotard. Imaginez ce que serait cette course.

M. Cotta : C. Pasqua a beaucoup bougé cet été. A-t-il eu raison dans sa stratégie coups de poing contre les leaders islamiques ou leaders supposés islamistes ?

J.-M. Le Pen : Je crois que le grand talent de C. Pasqua, c'est sa science du bluff. Il nous avait déjà fait le coup des 101 Maliens, aujourd'hui il a réduit ses prétentions, il n'y a plus que 20 islamistes.

M. Cotta : Il les a envoyés quand même au Burkina-Faso !

J.-M. Le Pen : Oui mais c'est un voyage !

M. Cotta : Pas d'agrément quand même ?

J.-M. Le Pen : C'est un tourisme qui en vaut bien un autre après tout, d'autant que la France sera amenée à payer tout cela au décuple de son prix. Donc, je pense que C. Pasqua aurait été beaucoup plus avisé pour s'éviter ce qu'il appelle "la menace islamiste sur la France", en n'accueillant pas les masses, les millions de Musulmans qu'ils ont accueillis et en ne laissant pas ouvrir des mosquées dans toute la France.

M. Cotta : Il n'y a pas de menace islamiste en France ?

J.-M. Le Pen : Je crois qu'il n'y a pas de menace islamiste contre la France, mais contre l'Algérie. Je ne vois personnellement, aucun inconvénient à ce que les mouvements religieux musulmans, puissent se développer de l'autre côté de la Méditerranée mais pas de notre côté à nous.

M. Cotta : Vous ne croyez pas quand même qu'il y a un danger pour la France à voir une république islamique, éventuellement, s'installer en Algérie ?

J.-M. Le Pen : Je suis étonné que ceux qui la dénoncent aujourd'hui, soient ceux qui ont permis l'implantation de milliers de mosquées dans notre pays, ceux qui ont permis l'entrée, y compris illégale, de centaines de milliers d'immigrés !

M. Cotta : D'accord, mais maintenant qu'ils y sont ?

J.-M. Le Pen : Non, écoutez c'est trop facile après avoir eu 20 ans de responsabilités dans les affaires françaises, de vouloir se découvrir des perspectives neuves. Il eût fallu déjà que ces gens-là ne se trompassent point. Ce qui n'est pas le cas puisqu'aussi bien la gauche que la droite, ont commis dans ce domaine les mêmes erreurs que nous avons dénoncées en leur temps. Il est évident que les islamistes doivent savoir, les Algériens islamistes qui seraient au pouvoir si on avait respecté les règles de la démocratie.

M. Cotta : Vous avez l'air de le regretter ?

J.-M. Le Pen : Oui, car je crois que c'était la seule manière de sortir de la situation de l'Algérie et que ce soient les démocraties occidentales qui aient appuyé la dictature militaire du gouvernement algérien, qui se soient mis en travers du processus démocratique, je trouve cela mirobolant.

M. Cotta : Quand de Villiers dit : "Si un candidat de la majorité ne recueille pas au 2e tour les voix de Le Pen et les miennes, il ne passera pas", il a raison ?

J.-M. Le Pen : C'est évident, c'est l'arithmétique politique.

M. Cotta : Vous êtes proche de de Villiers ?

J.-M. Le Pen : Ce serait plutôt lui qui pourrait être proche de moi. Car je ne lui ai rien emprunté, mais je lui ai prêté beaucoup et parfois sans le vouloir. Mais même si P. de Villiers n'avait que la moitié des voix qu'il croit avoir, encore ces 15 ou 20 % sont nécessaires à la majorité pour gagner.

M. Cotta : Vous avez aussi parlé des municipales et au moment où vous en parlez, le chef des files des Lepenistes de Nice, J. Peyrat vient de démissionner.

J.-M. Le Pen : Dans notre mouvement, l'ambition personnelle n'a pas de place. Nous, nous servons une cause. Si ce service de la cause nationale le permet, nous nous en réjouissons. Si elle doit remplacer l'avance de nos idées, alors nous ne sommes pas d'accord. M. Peyrat voulait être élu maire de Nice niais sans l'étiquette FN, alors il est libre de le, faire maintenant qu'il a démissionné. Nous verrons bien ce qu'il est capable d'obtenir.