Interview de M. Michel Roussin, ministre de la coopération, à RTL le 5 août 1994, sur la montée de l'intégrisme islamiste notamment en Afrique noire, sur la situation au Rwanda et la relève des troupes de l'opération Turquoise.

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R. Artz : Cet islam intégriste, vous pensez qu'il peut se répandre en Afrique noire ?

M. Roussin : C'est une crainte qu'ont un certain nombre de chefs d'État. Je voudrais dire combien je suis marqué par ce qui s'est passé à Alger et je voudrais rendre hommage aux victimes, aux gendarmes – vous savez que j'ai appartenu à cette famille en d'autres temps. Je trouve que Le Bourget devient de plus en plus le lieu où l'on se recueille et autour de la dépouille de sous-officiers. La France va les honorer aujourd'hui ainsi que les fonctionnaires civils qui ont été assassinés lâchement à Alger. Ceci dit, il est vrai que dans les pays du Sahel, plus particulièrement, certains chefs d'État ont cette préoccupation. Ils sont musulmans. Ils pratiquent la religion, (...) est très souvent chez eux la religion principale et ils ont celle crainte de voir cette influence non pas venir de l'Est vers l'Ouest mais bien du Nord vers le Sud, chez eux.

R. Artz : Autrement dit, les militants islamistes assignés en résidence comme ce matin, cela peut avoir une exemplarité, des répercussions sur l'Afrique noire aussi ?

M. Roussin : Je pense, oui, et je crois que nos partenaires africains sont aussi très mobilisés parce que ce sont souvent des démocrates, très souvent les religions cohabitent comme au Tchad où l'évêque de N'Djamena est un jésuite qui vit avec les autorités religieuses musulmanes dans la capitale du Tchad. C'est vrai au Niger, au Mali. Nécessairement, nos partenaires africains prendront aussi des mesures pour éviter cette espèce de progression d'un islam obscurantiste qui n'a rien à voir avec la véritable religion.

R. Artz : Et la France soutiendra ses efforts ?

M. Roussin : Je pense parce que, lorsqu'il s'agit de se protéger, on est plus forts lorsqu'on est nombreux.

R. Artz : É. Balladur a laissé entendre, quand il était au Rwanda, qu'il pourrait revoir la date de départ des troupes françaises si ce départ devait fragiliser la situation dans la région. Huit jours après, où est-ce qu'on en est ?

M. Roussin :  Le Premier ministre a été très ferme. Le mandat qui a été donné à la France prévoit un départ de Turquoise le 22 août prochain mais il est bien évident que ce n'est pas une date butoir et qu'il faut s'adapter à la situation mais, progressivement, on voit arriver dans la zone de Turquoise des forces de l'ONU et, en particulier, des effectifs importants de Ghanéens et la relève s'effectue avec un passage de consigne.

R. Artz : Ce sera prêt à temps ?

M. Roussin : Ce ne sera sans doute pas prêt à temps et nous, nous resterons. Nous avons des hôpitaux qui fonctionnent sous la responsabilité de Français et de médecins africains qui appartiennent à ces forces qui nous ont rejoint très vite, en particulier les chirurgiens mauritaniens, les chirurgiens sénégalais auxquels je voudrais rendre hommage. On va décrocher très vite. Plus de 300 militaires français sont rentrés. Pendant ce temps-là, les forces de l'ONU arrivent. Il faudra que cette MINUAR 2 soit organisée rapidement.

R. Artz : Comment vous définissez les relations entre la France et le gouvernement rwandais du FPR ?

M. Roussin : Les relations n'ont pas été faciles. Il y a eu des déclarations dures du gouvernement du FPR mais, petit à petit, on sent que le langage évolue et le gouvernement actuel sait bien que l'objectif de Turquoise est essentiellement humanitaire.

R. Artz : Ce matin, un avion gros porteur français amène des vivres et des médicaments.

M. Roussin : C'est une première. C'est une reprise. Jusqu'à présent, c'était Goma qui était la place privilégiée où se succédaient les avions. J'ai rencontré à Goma des hommes de l'entreprise, de la Lyonnaise des eaux avec des hommes de la Générale des eaux qui étaient venus pour remettre en marche l'usine de production d'eau potable de Goma. L'opération était simple, pour qu'on puisse avoir de l'eau.

R. Artz : La réconciliation nationale au Rwanda, vous la croyez possible ?

M. Roussin : Cela prendra du temps. C'est maintenant au gouvernement rwandais de faire ses preuves et de démontrer qu'il est capable d'animer cette réconciliation nationale. On verra. Je lisais l'autre jour que le gouvernement souhaitait rendre la justice et envisager 30 000 procès. On verra ce que cela donnera. Je pense que le Rwanda a besoin maintenant de retrouver la paix et que toute la famille se réunisse.

R. Artz : La France aura son mot à dire ?

M. Roussin : Je ne sais pas. La France a quand même joué son rôle puisqu'elle a communiqué des informations sur les criminels au HCR pour que, le moment venu, justice puisse être rendue.

R. Artz : En Haïti, les États-Unis menacent d'intervenir avec l'accord de l'ONU pour renverser la junte militaire et réinstaller J.-B. Aristide. La France souhaite que cette action militaire ait lieu vite ?

M. Roussin : C'est une décision qui a été prise par les Nations unies. Les Américains en parlent beaucoup. Vous avez vu les réactions de réserve du président Clinton. En tout état de cause, nous sommes effectivement pour un retour de la paix à Haïti et nous avons effectivement traditionnellement une coopération. Je souhaite qu'elle redémarre. Elle est pour l'instant très réduite. Nous faisons de l'humanitaire, nous nous occupons de problèmes de santé. Il est temps, puisque c'est un des membres de la famille francophone, que l'on reprenne des relations et que les gens puissent s'exprimer.