Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les aides communautaires aux producteurs et la restructuration de la filière de l'élevage ovin, à Limoges le 13 avril 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Jean Puech - ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale ovine à Limoges le 13 avril 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir modifié le déroulement de votre Assemblée générale pour m'accueillir et vous dire que j'y suis très sensible.

Je tenais en effet à participer à vos travaux. Retenu par les questions d'actualité à l'Assemblée nationale cet après-midi, j'ai voulu malgré tout vous rejoindre à Limoges.

Vous savez en effet, monsieur le Président, ce que représente la production ovine pour le Président du Conseil général de l'Aveyron.

Cette production constitue dans un contexte économique particulier l'une des richesses de notre Sud Massif Central. Et c'est bien parce qu'elle est l'un des atouts économiques de ma région qu'elle joue et jouera un rôle aussi important dans l'Aménagement du Territoire.

L'élevage ovin, est ainsi l'illustration parfaite de ce que peut et doit être dans les années à venir la double mission de l'agriculture française : activité économique à part entière rentable et durable, fondement d'une bonne gestion de notre espace. 

C'est pour en parler avec vous que j'ai tenu à être ici ce soir. J'ai tenu aussi à y être car, je le sais, la situation est difficile. 

J'étais d'ailleurs à la FNP la semaine dernière pour la même raison. Vous m'avez dit ne pas avoir vu de ministre à la FNO depuis des lustres. Je suis heureux d'être celui qui reprend le flambeau.

Vous m'avez dans votre discours fait part des principales préoccupations des producteurs, mais aussi de tous les acteurs de la filière de production. Je suis très sensible au fait que vous inscriviez vos réflexions et votre action dans une perspective de filière. 

Ces préoccupations ont aussi été les miennes au cours de cette année. Je voudrais donc revenir avec vous sur quelques-uns des thèmes qui nous sont chers :

– la situation du marché et notamment après les accords du GATT,
– la situation de la filière française,
– les efforts que nous devons conduire pour permettre aux éleveurs ovins de jouer pleinement leurs deux rôles : un rôle de producteurs de richesses, un rôle dans l'occupation de l'espace sur tout le territoire.

I. – La situation du marché ovin : des raisons d'espérer

Nous savons tous à quel point la production ovine a souffert au cours des dernières années. La baisse de production et du niveau d'auto-approvisionnement ont été tels, que l'on a même pu redouter la disparition de l'élevage ovin français.

Les producteurs Néo-Zélandais ou Australiens bradent de la viande ovine à 1 dollar du kg sur les marchés mondiaux. La production communautaire et notamment française, avaient donc beaucoup à craindre d'une ouverture mondiale des frontières.

C'est là une épreuve de vérité pour l'Europe : ou bien l'Europe s'affirme au plan mondial et elle décide notamment que sa filière ovine doit exister. Elle se donne alors les moyens de sa politique. Ou alors elle renonce, elle cède aux démons du désordre économique mondial, mais alors y-a-t-il encore une Europe ?

La négociation des accords du GATT a permis en l'espace de quelques mois à la France de consolider l'Union européenne autour d'une volonté politique. 

Il reste vrai, cependant, que le combat mené pour réouvrir, puis renégocier Blair House, a été un combat difficile dont les résultats ne pouvaient être que partiels. Le combat continue.

Si un système de protection a bien pu être maintenu, notamment contre les importations Néo-Zélandaises, il y a bien eu, hélas, une contrepartie. Il a fallu ramener le niveau des importations ovines à la même référence que les autres productions, c'est à dire la période 86-89.

La digue a donc été maintenue mais l'Europe a dû en baisser légèrement la hauteur. La renégociation bilatérale avec la Nouvelle-Zélande a cependant permis de partiellement réduire l'écart.

Alors que l'Europe se voyait obliger d'autoriser l'importation de 245 000 tonnes, la négociation a ramené cette obligation à 225 000 tonnes.

Il n'en demeure pas moins et vous avez raison monsieur le Président, de le souligner, que cette augmentation du contingent ne sera pas nécessairement absorbée par une augmentation de la consommation intra-communautaire.

Si tel était le cas, le marché intérieur aura donc à souffrir d'un regain d'importations. Il sera alors bien évidemment nécessaire qu'une compensation soit apportée aux éleveurs. Je serai très ferme sur ce point à Bruxelles.

Mais attention, la protection de l'Europe contre les pays tiers ne suffit pas à garantir les prix pour les producteurs Français. C'est une deuxième difficulté, c'est sans doute la plus importante. Il faut en effet compter avec la concurrence intra-communautaire.

De ce point de vue, la réforme de la PAC a probablement été une chance pour la production ovine française. Je pense à nos concurrents britanniques, en disant cela. Ces concurrents redoutables ont des filières probablement mieux organisées que les nôtres.

Ils ont en outre profité de l'arme redoutable que constitue la dévaluation. Mais aujourd'hui, ils ne peuvent pas profiter de leur avantage pour accroître leur production, grâce aux quotas de primes.

Chaque état-membre est maintenant limité par le contingentement de sa production. Il nous faut transformer cette contrainte apparente en atout et gérer le plus efficacement notre quota de primes.

Vos représentants départementaux, comme vous-même, monsieur le Président, ont souhaité, à cette fin, un système de gestion administré quasi et gratuit des droits à prime.

J'ai accédé, vous le savez, à cette demande.

En France, les jeunes éleveurs, comme ceux qui s'installent, n'ont pas en conséquence à supporter la charge financière d'un achat de références. Tel n'est pas le cas des producteurs des pays voisins. Nous avons donc doté les producteurs français de cet avantage compétitif.

Le système français est unique en Europe. Tachons d'en tirer le meilleurs parti. J'y reviendrai dans la deuxième partie de mon intervention.

À ce point de mon analyse de la conjoncture on peut résumer les choses Ainsi :

Nous avions, avant 1993, un marché Européen protégé du marché mondial par les seuls accords d'autolimitation. Nous subissions, dans le même temps une concurrence très sévère de certains partenaires européens.

Nous avons jusqu'à fin 1994 le même niveau de protection européen, le GATT s'appliquant au 1er janvier 1995.

Nous avons, par contre, considérablement réduit l'impact de la concurrence intracommunautaire : suppression des primes variables à l'abattage pour les anglais, mise en place des quotas de prime. Nous devons donc maintenant renforcer la compétitivité française, notamment pour préserver cet acquis.

Il y a en effet des raisons d'espérer pour l'agneau français. Les chiffres indiquent en effet que la production française a enfin cessé de décroître, alors que les prix à la production se sont bien tenus depuis le début de l'année.

C'est donc à une phase de retournement de la tendance que nous assistons. Aidons-la à se confirmer et à se consolider.

Pour cela il faut bien sûr éviter que les effets du GATT que vous avez dénoncés tout à l'heure et que j'ai rappelés ne pénalisent la filière française.

Nous pouvons y arriver ensemble. Pour cela il faut analyser les faiblesses et les points forts de notre filière. Il faudra ensuite prendre appui sur nos points forts et combattre nos faiblesses.

II. – Une filière qui doit être plus structurée si elle veut tirer parti de ses atouts

Il n'y a pas qu'une filière ovine, il y a des filières, dispersées.

Nous avons plusieurs dizaines de races, sans parler de croisements, autant de politiques de production, de groupements ou entreprises. En face il a une consommation qui est en passe de devenir la plus importante d'Europe, mais qui se sert à 70 % dans les moyennes et grandes surfaces, c'est à dire auprès de quelques acheteurs qui recherchent à la fois le meilleur prix, mais aussi un approvisionnement régulier avec des produits standardisés.

Une première observation doit être faite la structure de notre production n'est pas adaptée à cette demande. Si cela avait été le cas, notre taux d'autosuffisance ne plafonnerait pas à 40 %.

Faisons une deuxième observation : à Rungis, les carcasses d'origine française sont régulièrement achetées de 3 à 6 F plus cher que les carcasses importées. Or, les gens qui achètent à Rungis connaissent leur métier. Ils ne payent plus cher que parce que le produit est meilleur.

Voilà un point fort pour la France : l'agneau français est généralement meilleur. Malheureusement, cet atout est insuffisamment exploité. La qualité ne paye pas et l'éleveur ne bénéficie pas du retour qu'il serait en droit d'espérer.

En outre, les signaux du marché n'orientent pas suffisamment la production vers la qualité recherchée par le consommateur final. Il y a bien, aujourd'hui des efforts très sérieux qui sont faits pour mettre en place des labels et d'autres signes de reconnaissance. Il faut les poursuivre, les intensifier, les organiser.

Par exemple, il n'y a que quelques acheteurs, et beaucoup de labels. Il faut éviter que cela ne brouille l'image de qualité du produit.

Il y a donc beaucoup à faire dans la filière, et j'ai souhaité qu'un effort important soit entrepris dans cette direction. J'ai chargé l'OFIVAL, à travers les crédits d'orientation et les financements contrats de plan, d'aider à cette structuration de la filière. Je sais que vous avez vous-même engagé cette réflexion. Il faut maintenant agir.

Cette action nécessite des moyens. J'ai personnellement souhaité que le CSO prenne la mesure de l'ampleur du travail à conduire, pour qu'un effort significatif soit fait en faveur de cette filière en y affectant 30 millions de francs. Je crois avoir été entendu, et le CSO doit officiellement se prononcer, demain, 14 avril.

Je voudrais maintenant dans la dernière partie de mon intervention, vous dire quelle est la politique qu'il me paraît nécessaire de conduire tant dans le domaine de la production que dans le secteur aval de la filière.

III. – Des actions pour renforcer notre compétitivité, protéger notre production et structurer notre filière

1. Il faut renforcer notre compétitivité au niveau de la production

Les éleveurs ovins plus encore que d'autres font un travail pénible et complexe, sans rapport avec la rémunération qu'ils en retirent. Il est frappant de voir qu'ils sont en plus souvent moins bien assistés techniquement que leurs collègues des autres productions.

Des réflexions sont en cours à ce propos, dans le cadre de l'Audit des organisations d'élevage. Je souhaite que ces réflexions aboutissent rapidement à des décisions concrètes.

Mais la compétitivité des éleveurs, c'est aussi la meilleure gestion possible des droits à primes.

Nous avons ensemble, monsieur le Président, décidé la mobilisation des organisations départementales et des directions départementales de l'agriculture et de la forêt. Grâce à cette mobilisation, nous sommes parvenus l'année dernière à primer toutes les brebis qui avaient fait l'objet d'une demande.

Vous savez que ce résultat ne peut être reconduit que si, dans les départements, chaque année, les éleveurs qui n'utilisent pas leurs droits, les mettent à la disposition de la réserve.

Il y a donc deux conditions que nous pouvons à nouveau remplir ensemble :

– faire en sorte que la solidarité des éleveurs s'exprime au maximum,
– mettre en œuvre toutes les dispositions réglementaires qui permettent la souplesse de gestion des transferts de droits à prime.

À ce propos, j'ai pu constater, après cette première année de mise en œuvre, que la gestion des droits ovins répondait à des contraintes fort différentes de la gestion des droits bovins.

Il faudra en tirer les conséquences réglementaires qui permettront une plus grande souplesse de gestion. 

2. Il faut protéger notre production

Vous avez mentionné la nécessité d'une compensation politique aux décisions politiques du GATT. Le système de compensation existe c'est la PCO. Les variantes qu'il a connues –fluctuations de coefficients, adjonction des primes de compensation, modification du mode de calcul – l'ont trop souvent dénaturé. 

La PCO doit compenser les baisses de revenus subies par tous les éleveurs. Si les cours doivent baisser à cause du GATT, il faudra que la compensation s'opère par la PCO. L'augmentation sensible (+ 13,5 %) pour laquelle je me suis battu cette année, montre la voie à suivre.

Mais l'autre façon de protéger notre production, c'est de l'identifier. Il faut une filière organisée autour d'une qualité d'agneau français supérieure à celle des agneaux importés, et reconnue comme telle. Cette connaissance passe par la promotion de ce produit, de ce concept.

3. Il faut structurer notre filière

J'ai parlé des difficultés de la production et de l'insuffisance de son encadrement. La promotion d'un agneau de qualité ne se conçoit qu'à travers une organisation rigoureuse de la filière. Il n'est qu'à voir les efforts faits dans cette région et que vous avez évoqués tout à l'heure, Monsieur le Président. Faisons, au niveau national, le même effort.

Il faut que les bassins de production se structurent de façon efficace, à cette fin, j'ai demandé à l'OFIVAL d'augmenter les aides destinées à inciter dans ces bassins les rapprochement de groupements de producteurs et la rationalisation des outils d'abattage et de commercialisation. Un véritable remembrement des fonctions commerciales dans chaque bassin m'apparaît réellement nécessaire.

Voilà les grands chantiers auxquels je vous appelle, dans un climat de collaboration. Monsieur le Président, vous m'avez dit que ce n'était ni dans votre rôle, ni dans votre nature de cultiver la sinistrose. Moi non plus.

Nous avons ensemble étudié la situation des éleveurs que vous représentez. Nous avons maintenant, je crois, une large convergence de vue sur ce qu'il faut faire. Nous avions commencé à nous en donner les moyens.

Je souhaite que nous redressions ensemble la situation, comme nous avons commencé à le faire. Dans cette optique, je forme le vœu que nous puissions continuer à travailler dans un climat de confiance et de dialogue.