Déclaration de M. Édouard Balladur, Premier ministre, sur le rôle du corps expéditionnaire français au cours de la campagne d'Italie en mai 1944, la notion de Pacte de stabilité et la nécessité de prévenir les conflits, à Paris le 9 mai 1994.

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Circonstance : Cérémonie du cinquantenaire de la campagne d'Italie, au pont de Garigliano, Paris le 9 mai 1994

Texte intégral

Monsieur le Président
Mesdames, Messieurs

Vous savez les attaches qui m'unissent à cette partie de notre capitale. Aussi, suis-je heureux que ce pont honore la mémoire de ceux qui ont participé aux combats du GARIGLIANO. Il rend à l'Armée d'Afrique, un légitime hommage.

Je vous remercie, monsieur le Président, d'avoir rappelé les faits d'armes et l'héroïsme du corps expéditionnaire français, au cours de la campagne d'Italie.

Il est indispensable d'inscrire dans les mémoires ces combats qui affaiblirent la défense du mur de l'Atlantique et fixèrent en Italie d'importantes forces allemandes.

La réussite du débarquement allié en Normandie devait en dépendre, quelques semaines plus tard.

"Oublier, c'est trahir" m'écrivait récemment un des anciens du corps expéditionnaire français. Je crois comme lui que nous avons le devoir, et vous l'avez fait Monsieur le Président, d'évoquer le déroulement de ces batailles qui décidèrent de notre Libération.

Après leur premier débarquement à la pointe sud de l'Italie, en septembre 1943, les alliés progressèrent très difficilement. Percer "le ventre mou" du dispositif ennemi, selon le mot de Winston CHURCHILL allait s'avérer une des campagnes les plus dures que menèrent les forces alliées.

Appuyés sur le massif des Abruzzes et le fleuve GARIGLIANO, les Allemands tenaient une solide position défensive à travers toute la péninsule. La ligne GUSTAV en était le point fort. Elle couvrait l'entrée de la vallée du LIRI, cette voie qui mène à ROME par les plaines du LATIUM, et que le commandement allié avait décidé d'emprunter.

Pour y parvenir, la 5e armée américaine, et le corps expéditionnaire Français débarqué d'Afrique du Nord qui s'était joint à elle, devait franchir les verrous qui en commandent l’accès : Monte Majo, Monte Cairo et Monte Cassino. Places inexpugnables pour beaucoup.

Trois assauts successifs sont lancés, trois échecs sanglants s'ensuivent. Attaques sans cesse repoussées, pitons pris et repris, rudes combats et pertes élevées, combien de sacrifices ont coûté ces opérations ! Efforts que repousse l'ennemi, opiniâtre et retranché derrière ses fortifications…

Dès le début de ces furieuses batailles, les soldats français, se distinguent par leur valeur et leur aptitude exceptionnelle à combattre en montagne.

Très vite le Corps Expéditionnaire français et son chef, le général Juin, désigné et choisi par le général de Gaulle, ont la responsabilité d'un secteur entier du dispositif d'attaque.

Les soldats de la 2° Division d'Infanterie Marocaine et de la 3° Division d'Infanterie Algérienne, les Tabors, les Tirailleurs, les spahis… ont prouvé qu'il fallait compter avec eux, que l'on pouvait compter sur eux.

Leur tribut à la victoire finale et à la liberté de la France fut lourd. Nous le savons. Nous ne l'oublierons pas. Nous nous inclinons devant leur sacrifice.

L'opération "Diadème", la quatrième offensive générale, est déclenchée le 11 mai au soir. Bien vite, le 13e corps d'armée britannique qui avait constitué une tête de pont sur la rive droite du GARIGLIANO se trouve cloué sur place.

Les furieux assauts du 2e corps d'armée polonais contre le Monte Cassino sont repoussés. Mais, au sud, le corps expéditionnaire français enfonce la ligne GUSTAV et prend le Monte Majo, permettant au gros des forces alliées de traverser le fleuve le 15 mai. Isolé, le Monte Cassino est évacué par les Allemands dans la nuit du 17 au 18 mai. Le 4 juin, ROME est libérée. Nos troupes défilent devant le Colisée.

L'ordre du jour du général Juin célèbre leurs mérites : "Les troupes françaises se sont imposées à l'admiration de tous, aussi bien par leur splendide bravoure au feu que par leur science du combat.".

Plusieurs d'entre elles allaient participer au débarquement allié de Provence à la mi-août. Prenant pied sur les plages de CAVALAIRE et d'AGAY, elles libéreraient TOULON et MARSEILLE puis remonteraient jusqu'à LYON. Là, elles allaient contribuer à la formation de la 1re armée commandée par le général de LATTRE de TASSIGNY.

Cette glorieuse armée libérait Belfort, puis Colmar, franchissait le Rhin, s'emparait de Stuttgart pour gagner le Danube et mettre fin à l'emprise nazie sur l'Europe.

Jamais on ne rendra un trop grand hommage au rôle et au courage de cette Armée d'Afrique qui contribua à redonner son honneur et sa place à notre pays et lui permit de s'asseoir à la table des vainqueurs.

Nous devons notre reconnaissance à ces soldats, venus pour beaucoup d'Afrique. Et le souvenir de leur action doit toujours rester présent à notre mémoire. Il justifie, s'il le fallait, notre action pour la paix et le développement des pays africains, leurs pays qu'ils quittèrent pour contribuer à nous rendre la liberté.

Ils ont pris part à ces combats de notre libération. Par la suite, ces pays sont devenus indépendants, mais des liens étroits nous unissent à jamais, ceux de l'histoire, ceux des intérêts bien compris des uns et des autres, ceux de la francophonie, ceux du droit et de la coopération internationale, ceux de l'attachement à des idéaux communs.
À l'occasion du 50° Anniversaire de la Libération de notre pays, le Gouvernement a tenu à célébrer avec éclat les événements marquants de cette période de notre Histoire.

Ainsi un hommage solennel sera-t-il rendu à tous les combattants des Forces Françaises libres et de la Résistance, aux déportés, aux internés qui ont souffert, lutté, se sont sacrifiés pour que triomphe la démocratie sur la barbarie, la tolérance et la liberté sur la haine et toute forme d'exclusion idéologique, religieuse ou raciale. Nous redisons ainsi notre reconnaissance à ceux qui de leurs souffrances et de leurs sacrifices ont bâti le monde où nous vivons.

Nourrir la mémoire des périodes cruciales de notre histoire est aussi un devoir que nous accomplissons pour les jeunes générations.

Les leçons des événements que nous commémorons aujourd'hui, de ceux qui suivirent, - guerres, conflits, crises de toutes sortes -, montrent que la paix et la liberté ne sont jamais acquises. Elles sont le fruit d'efforts incessants toujours renouvelés.

Après l'effondrement du bloc soviétique, nous voyons surgir à nouveau depuis quelques années d'inquiétants conflits ethniques ou religieux. Des nationalismes exacerbés, des idéologies extrémistes portent les germes de nouvelles violences et de nouveaux débordements.

Il serait imprudent de vouloir recueillir tous les dividendes d'une paix encore mal assurée et de le faire précipitamment.

Les crises qui menacent rendent plus urgente que jamais la construction d'un monde en paix. L'Europe de demain, malgré les nombreux obstacles qui subsistent, devrait pouvoir garantir la paix, la justice et la liberté sur son sol. Sa cohésion, son rayonnement, son action aussi, lui permettront d'imposer ses valeurs démocratiques et de faire respecter les droits de l'homme et la légitimité internationale.

Pour sa part, la France prépare l'avenir en poursuivant deux objectifs : prévenir les conflits et garantir sa sécurité en toutes circonstances.

Chercher à résoudre un conflit a posteriori, comme nous le faisons aujourd'hui dans l’ex-Yougoslavie, prouve que la communauté internationale n'a pas su déceler à temps les sources de divergences avant qu'elles ne dégénèrent en conflit.

N'ayant pas su trouver les réponses politiques adéquates alors que les armes n'avaient pas encore parlé, il n'est pas étonnant que l'on rencontre des difficultés encore plus grandes alors que les combats font rage.

C'est pourquoi il est impératif d'intervenir avant même la naissance des conflits. Que la diplomatie préventive prenne le pas sur l'action militaire, et la communauté internationale aura atteint un nouveau degré de maturité et de responsabilité.

Il me semble possible de commencer cet exercice par l'Europe.

Parce que les barrières ont été levées sur notre continent ; parce que la démocratie s'y est propagée de manière exceptionnelle ces dernières années ; parce que l'Union européenne y joue un rôle central et, qui a vocation à s’élargir ; pour toutes ces raisons, il est indispensable que nous développions en Europe, un système de prévention et de coopération qui exclue de notre avenir toute possibilité de conflit.

Telle est l'ambition du Pacte de stabilité dont j'ai lancé l'initiative, et qui est devenu le principal projet de la politique étrangère commune de l'Union européenne. Sa conférence de lancement se tiendra à Paris à la fin du mois avec l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale.

À l'énoncé, ce projet peut paraitre évident. En réalité, il suppose une volonté politique sans faille.

Quoi de plus simple, en effet, lorsque les divergences sont encore latentes, de les ignorer, voire de les occulter. Il faut un certain courage pour admettre l'existence des difficultés en matière de frontière ou de minorités, et pour accepter de s'asseoir autour d'une table avec son voisin pour trouver une solution négociée. C'est ce courage que nous demandons au pays d'Europe centrale et orientale qui aspirent à rejoindre l'Union européenne.

Certains ont déjà accompli l'essentiel du chemin. Ils ont conclu avec leurs voisins des accords de bons-voisinage qui assurent la stabilité de leurs relations pour l'avenir. D'autre, n'ont pas encore résolu leurs problèmes.

Il est de la responsabilité de l'Union européenne de les inciter à le faire avant qu'elle ne s'ouvre à eux, car une chose doit être dite sans ambiguïté : l'union européenne doit avoir, avant de s'élargir, la garantie que toutes les précautions sont prises pour éviter un conflit entre ses membres.

Le second objectif suppose notre capacité à assurer notre sécurité en toutes circonstances. C'est pourquoi j'ai pris la décision, dès la constitution du gouvernement, de faire élaborer un livre blanc sur la défense. Ce texte, qui a été approuvé au mois de mars dernier, fixe des orientations claires pour les quinze prochaines années.

La garantie de l'indépendance, de la sécurité et de la souveraineté nationale le renforcement de notre engagement européen la capacité d'intervenir dans le monde au service de la paix tels seront les axes majeurs de notre politique de défense dont le parlement va maintenant débattre.

Le projet de loi de programmation militaire constitue la première traduction législative de ces choix.

Sans détailler le contenu de ce projet de loi, qui présente un ensemble cohérent de mesures pour une période de six ans, j'en rappellerai les grandes priorités.

Il s'agit en premier lieu de conserver à la dissuasion nucléaire son rôle essentiel dans notre stratégie de défense. Chacun doit être assuré de la détermination du Gouvernement à maintenir en toutes circonstances la crédibilité de notre force de dissuasion. Le projet de loi de programmation prévoit les moyens nécessaires à cet effet.

L'adaptation de nos armées leur permettra d'être en mesure de contribuer à prévenir les crises, à limiter les conflits et, le cas échéant, à arrêter les guerres. Il est prévu, pour cela, de renouveler nos capacités d'actions.

Cet effort n'a de sens que s'il s'inscrit dans une relation étroite entre la Défense et la Nation. C'est pourquoi le projet de loi de programmation prévoit le maintien et la mise en valeur du service national.

Enfin, le dynamisme de notre industrie d'armement devra être à la fois le gage de notre indépendance et la source de projets communs avec nos partenaires européens.

J'ajouterai que ce projet de loi propose un effort de défense exemplaire, dans une situation de rigueur budgétaire qui a conduit certains pays à baisser la garde. Cet effort nous le devons aux générations passées qui ont combattu pour nous rendre la liberté. Nous le devons également aux générations qui nous suivent, auxquelles il est de notre responsabilité de transmettre un héritage de paix et de sécurité.

Telle est également à mes yeux, la vertu essentielle des commémorations militaires. Elles s'adressent à l'avenir autant qu'au passé. Elles sont un témoignage de reconnaissance, mais aussi d'espoir. En saluant la mémoire des disparus, en rendant hommage à leur courage et à celui des anciens combattants, nous renforçons notre détermination à empêcher le retour des guerres.

Une grande page est tournée, un long chemin a été parcouru. La voie s'ouvre aujourd'hui à bien des espoirs.

Voici que nous construisons, aujourd'hui, avec certains de nos partenaires européens, parfois nos adversaires d'hier, un corps d'armée Européen. D'autres pays de la Communauté nous rejoindront. Un jour viendra où l'Union européenne sera en mesure de contribuer de façon décisive à faire pleinement respecter la paix et le droit international sur notre continent tout entier.
Les objectifs ont été définis. Les moyens ont été réunis pour y parvenir. Avec l'adhésion du peuple sont entier – adhésion sans laquelle toute politique de défense est fictive – nous pourrons ainsi œuvrer à l'édification d'une France forte et solidaire dans une Europe plus unie et un monde plus apaisé.