Déclarations à la presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur le terrorisme, la protection des ressortissants français en Algérie et la nécessité pour l'Algérie de renouer avec le processus démocratique, à Alger et Villacoublay le 3 août 1994.

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Circonstance : Voyage de MM. Juppé et Léotard en Algérie le 3 août 1994 après l'assassinat de cinq Français

Texte intégral

Déclarations à la presse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à son arrivée à l'aéroport (Alger, 3 août 1994)

Le ministre d'État, ministre de la Défense et moi-même avons tenu à la demande du Premier ministre, Mr Balladur, à nous rendre aujourd'hui même à Alger, d'abord pour partager la peine de nos compatriotes et de notre communauté qui est rudement éprouvée une fois encore, et exprimer à toutes et à tous notre sympathie au sens le plus profond et le plus authentique du terme.

Nous sommes venus également dire aux autorités algériennes que nous attendions d'elles des mesures supplémentaires pour assurer la sécurité de nos ressortissants. Depuis plus d'un an maintenant la France a affirmé en toutes circonstances sa solidarité avec le peuple algérien et son souhait de la voir retrouver le plus vite possible la stabilité et la sécurité.

Nous avons mobilisé l'aide internationale pour accompagner le redressement économique de l'Algérie, nous avons aussi souhaité que le moment venu, le retour à la stabilité permette la libre expression démocratique de toutes les forces politiques de ce pays.

Enfin nous sommes venus ici pour étudier avec les responsables de la communauté française, et tout particulièrement notre ambassadeur, les mesures complémentaires à prendre et qui relèvent de la responsabilité du gouvernement français pour faire en sorte que cette sécurité soir le mieux possible assurée.


Déclarations à la presse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à son retour d'Alger (Villacoublay, 3 août 1994)

Mesdames et Messieurs,

Je rentre d'Alger. François Léotard et moi-même avons tenu à nous rendre immédiatement sur place, d'abord pour partager la peine, l'émotion de nos compatriotes. Je pense tout particulièrement aux fonctionnaires et aux agents des services diplomatiques et consulaires ainsi qu'aux forces de gendarmerie qui assurent leur protection.

Cette communauté a été rudement éprouvée, vous le savez. Elle assume là-bas une mission d'intérêt national puisqu'elle maintient la présence de la France en Algérie. Nous avons voulu, au nom du gouvernement, lui exprimer notre sympathie et, je le répète, partager la tristesse très profonde qui l'a étreinte. Nous avons ensuite discuté des mesures de renforcement de la sécurité de notre communauté qui nous sont apparues nécessaires. J'en ai parlé avec notre ambassadeur tout particulièrement. L'ensemble des personnels sera regroupé sur ce que l'on appelle le parc Pelzer où toutes les personnes qui étaient présentes jusqu'à ce matin au centre Ain Allah coucheront ce soir.

Il a également été décidé, en accord avec le ministre de la Défense, de renforcer les contingents de gendarmes qui sont sur place. J'ai également décidé de concentrer la totalité des activités scolaires et culturelles sur le lycée Ben Aknoun d'Alger. Les établissements qui ont été fermés à l'approche des vacances ne seront pas rouverts à la rentrée prochaine.

Enfin, lors des entretiens que nous avons eus avec les autorités algériennes, avec le Chef de l'État, le Général Zéroual, avec mon homologue, le ministre de l'Intérieur, nous avons demandé au gouvernement algérien de renforcer les mesures de sécurité extérieures aux implantations diplomatiques et consulaires de manière à améliorer les conditions de travail et de sécurité de nos agents. Des assurances nous ont été données en ce sens par les autorités algériennes qui ont condamné, vous l'avez vu, de manière tout à fait nette cet attentat et qui nous ont garanti que diligence serait faite pour retrouver les auteurs qui seront identifiés et donc punis.

Q. : Avez-vous des indications sur les auteurs de l'attentat ?

R. : À ma connaissance, et pendant que nous étions à Alger, cet attentat n'a pas encore été revendiqué. Nous avons évidemment, lors du contact prolongé que nous avons eu avec les personnes qui étaient présentes à la cité Ain Allah, essayé de reconstituer les événements qui ont pu se passer ce matin. Il est évident que cet assassinat a été préparé très méthodiquement. C'est ce qui a permis de prendre en défaut la garde qui existait sur cette cité et qui était composée de plusieurs personnels de gendarmerie.

Q. : Envisagez-vous de réduire encore le dispositif diplomatique français en Algérie ?

R. : Nous avons d'ores et déjà, vous le savez, réduit les effectifs de nos personnels diplomatiques, consulaires, culturels également. Nous avons conseillé à tous les Français qui travaillent en Algérie pour des entreprises, des administrations, de rentrer en France dès lors que leur présence n'était pas strictement indispensable sur place. Nous avons également conseillé à tous ceux qui auraient pu se rendre en Algérie dans les jours, les semaines ou les mois prochains de surseoir à ces projets. Il n'en reste pas moins que fermer tout service officiel français en Algérie, décréter une sorte de retrait général de nos effectifs, ce serait d'une certaine manière faire le jeu de ceux qui essaient d'intimider les étrangers, et, par conséquent, nous maintiendrons le dispositif qui existe aujourd'hui.

Je voudrais en profiter pour saluer le courage, le sang-froid, la dignité des fonctionnaires ou des agents contractuels qui sont là. Nous avons pu longuement parler avec eux. C'est un rôle très éprouvant que le leur. Ceux qui sont repliés sur le parc Pelzer vivent pratiquement en circuit fermé, puisqu'ils y logent, ils y travaillent dans des conditions très rudes et il nous appartient bien sûr de témoigner à leur égard toute la solidarité du gouvernement et de la Nation.

Q. : Cet attentat va-t-il conduire la France à modifier sa politique, sa position à l'égard de l'Algérie ?

R. : La France, vous le savez, depuis que ce gouvernement a la responsabilité de conduire sa politique, a une attitude tout à fait claire. Nous considérons que nous sommes directement concernés par ce qui se passe en Algérie, compte tenu du poids de l'Histoire, de la proximité de la géographie, de la communauté d'intérêts politiques qui nous lie autour de la Méditerranée.

Nous souhaitons donc que le peuple algérien, la Nation algérienne, retrouve le plus vite possible sa stabilité et la sécurité. Et c'est dans cet esprit que nous avons soutenu le mouvement de réformes économiques engagé par l'Algérie, nous et d'autres. Nous avons pu convaincre nos partenaires de l'Union en particulier que telle était la voie à suivre. Nous avons également rappelé qu'il était nécessaire, dès lors que la stabilité et la sécurité le permettraient, de renouer avec le processus démocratique en Algérie, d'organiser des élections permettant au peuple algérien de s'exprimer librement et démocratiquement. Et c'est dans ce sens aussi que nous suivons très attentivement les efforts qui sont faits pour ouvrir un dialogue politique avec ceux qui veulent bien dialoguer. Ce n'est pas facile. On vient de le voir encore aujourd'hui, la violence, la barbarie sévissent en Algérie. La France maintient le cap qu'elle a choisi parce qu'elle pense qu'il est juste et qu'il correspond à ses intérêts fondamentaux.

Q. : Avez-vous obtenu des autorités algériennes, au cours de vos entretiens, des garanties de sécurité pour les Français ?

R. : Il faut s'entendre sur les mots. Nous sommes parfaitement conscients, vous et nous je pense, que face à ce terrorisme aveugle qui frappe n'importe où, n'importe où, n'importe comment, avec les méthodes les plus inhumaines, il n'y a pas de garantie à cent pour cent. Nous avons demandé aux autorités algériennes de renforcer les dispositions qui ont été prises. Ils nous en ont donné l'assurance, et notre ambassadeur et l'ensemble de nos services sont en liaison constante avec les services compétents algériens. Nous avons-nous-mêmes, je l'ai dit, pris des mesures. J'espère qu'elles seront aussi efficaces que possible. Mais lorsque vous me demandez si nous avons obtenu une garantie de sécurité, je serais évidemment bien imprudent de répondre oui à cent pour cent à une telle question, compte tenu des circonstances.

Q. : Avez-vous fait des recommandations, avez-vous donné des conseils au Président Zéroual sur la manière d'ouvrir le dialogue ?

R. : Il faut que les choses soient claires, c'est à l'Algérie de faire la politique de l'Algérie, c'est au peuple algérien de choisir son destin. C'est par la voie d'élections, quand le moment sera propice, qu'il doit s'exprimer. Ce n'est pas à la France de se substituer aux responsabilités qui ne sont pas les siennes en Algérie. Nous cherchons, nous, à protéger nos ressortissants. Nous ne sommes pas les seuls visés. Il y a plus de cinquante étrangers qui ont été tués depuis un an. La France a payé, hélas, un lourd tribut, peut-être le plus lourd. Donc, nous agissons dans ce sens. Nous agissons aussi dans le sens de ce que nous croyons nos intérêts généraux dans la région, amis c'est à l'Algérie de résoudre la crise dramatique face à laquelle elles se trouve depuis tant de mois. Voilà, je vous remercie.