Texte intégral
L'effet de la dévaluation du franc CFA sur l'approvisionnement en médicaments des pays africains a donné lieu, dans la presse, à quelques déclarations alarmistes. On a même pu évoquer, à cette occasion, un « holocauste des enfants d'Afrique ». Six mois se sont écoulés, qui donnent le recul suffisant pour évaluer, sans passion, la situation, et constater qu'en dépit des Cassandres, les événements ont été maîtrisés.
La situation qui prévalait dans les pays de la zone avant la dévaluation était loin d'être satisfaisante : la dévaluation a révélé cette situation dégradée, dont elle a accusé les traits, sans en être la cause. Selon l'Organisation mondiale de la santé, seuls les 30 % de la population les plus aisés, généralement urbanisés, pouvaient avoir accès aux médicaments, tous importés, que proposaient les pharmacies privées, qui écoulaient, ainsi, 80 % de la distribution totale. Le reste de la population n'avait accès qu'au secteur des hôpitaux publics et des dispensaires, dont le délabrement s'accompagnait d'un fonctionnement précaire. Les pénuries étaient endémiques, certaines spécialités introuvables. Les ONG (organisations non gouvernementales) parvenaient, grâce à leur efficacité et à leur inlassable dévouement, à maintenir, ponctuellement, un approvisionnement minimum.
La dévaluation, en enchérissant le prix des produits importés pour en décourager l'achat, se donnait pour objectif de favoriser la consommation de produits locaux et l'émergence d'une industrie locale de produits de substitution aux importations. En rendant moins chers sur le marché mondial les produits exportables, elle encourageait l'essor de leur vente.
On constate, après six mois, que ces buts sont atteints dans plusieurs pays et en bonne voie de l'être dans d'autres. Mais il n'existe pas, en Afrique, de produits pharmaceutiques de substitution pour satisfaire une demande qui est, par nature, difficilement compressible. L'effet des dysfonctionnements anciens se trouvait donc aggravé. Il fallait situation préoccupante : les gouvernements africains, avec l'aide du gouvernement français, se sont promptement mobilisés pour que n'adviennent pas les malheurs annoncés.
Un dispositif d'urgence
Certes, on a pu noter, ici ou là, un recours plus fréquent à la pharmacopée africaine traditionnelle ; plusieurs officines privées ont vu leur chiffre d'affaires s'effondrer ; d'autres, malheureusement, ont dû fermer. Mais dès la dévaluation, j'ai aussitôt pris les mesures nécessaires pour assurer l'approvisionnement régulier des pharmacies publiques : 25 millions de francs ont été consacrés à cette aide immédiate. Fin avril, 40 millions de francs ont été mobilisés pour subventionner les vingt médicaments les plus indispensables et soutenir, ainsi, la distribution privée en officines.
De leur côté, les laboratoires pharmaceutiques français, conscients de l'enjeu, ont accepté d'abaisser leurs prix de 10 à 15 % sur le terrain, de manière durable. Ces mesures ont permis d'atténuer, pour les médicaments les plus nécessaires, une hausse des prix qui autrement aurait pu atteindre 65 %. Certaines situations particulières ont justifié une aide exceptionnelle : au Togo, en Guinée ou au Mali, où est apparue une épidémie de méningite.
Après l'urgence vient le temps du long terme. Nous nous attelons maintenant, aux côtés de nos partenaires africains, à réformer le dispositif existant, dont les insuffisances ont été rappelées. Les ministres africains de la santé, réunis à Abidjan en mars, et à Évian en avril 1994, ont adopté les principes d'une nouvelle politique du médicament qui se propose de favoriser la distribution de produits « génériques », c'est-à-dire dont le brevet qui protège leur molécule est tombé dans le domaine public. Cela permet d'en abaisser sensiblement le coût. Certes, les médicaments de marque auront toujours leur place, quand ils sont irremplaçables, mais, à qua- lité égale, priorité sera donnée aux génériques. La mise en œuvre de ces mesures exigera des réformes institutionnelles que nos partenaires étudient en ce moment même.
Une telle orientation constitue un enjeu de taille pour les fournisseurs français, qui détiennent actuellement 80 % du marché de la zone franc : ils vont avoir, dans beaucoup de cas, à adapter leur offre à cette nouvelle donne, notamment pour favoriser la fabrication ou le conditionnement sur place et pour se rapprocher des besoins concrets des populations.
Le ministère de la coopération apporte, pour sa part, tout son appui, direct ou indirect, à ces mesures de restructuration : sur les fonds dits d'« ajustement structurel », 64 millions de francs ont, au-delà des sommes déjà évoquées, été consacrés au secteur pharmaceutique. 10 millions vont, d'autre part, permettre de créer, avec nos partenaires africains, une agence régionale du médicament chargée de veiller à la qualité des produits offerts. Ce sont, au total, 160 millions de francs français qui auront été affectés au médicament depuis la dévaluation du franc CFA.
Les sombres pronostics ont heureusement été démentis: grâce à la conjugaison de nombreux efforts, la pénurie a été évitée dans l'ensemble de la zone franc. L'effet de la hausse des prix a été atténué pour les médicaments de première nécessité. Il reste à confirmer notre soutien à la nouvelle politique que les gouvernements africains ont engagée avec détermination. Je sais pouvoir compter, à nos côtés, sur le concours des laboratoires français. Plusieurs d'entre eux ne viennent-ils pas d'apporter une aide spontanée, bénévole, mais massive à notre action au Rwanda ?