Interview de M. Jean Domange, vice-président du CNPF et président de la commission sociale du CNPF dans "Les Echos" du 14 mars 1994, sur le contrat d'insertion professionnelle, la proposition du SMIC régionalisé et l'accord AGIRC.

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Intervenant(s) : 
  • Jean Domange - vice-président du CNPF et président de la commission sociale du CNPF

Média : Les Echos

Texte intégral

Les Échos : Nicolas Sarkozy regrettait récemment que le patronat ne défende pas avec suffisamment de conviction le CIP. Est-ce que vous défendrez la nouvelle version du contrat avec plus de conviction ?

Jean Domange : L'insertion des jeunes sans qualification justifie pleinement la création du CIP, et nous y sommes favorables. Dès le départ, nous avions demandé que le CIP soit d'un accès simple pour les entreprises. Celles-ci doivent, en effet, consentir un effort important pour insérer ces jeunes. Il ne faut pas qu'il soit contrarié par des subtilités et des complications administratives, d'autant que les entreprises les plus intéressées sont des PME.

Les Échos : En clair, vous contestez la définition du tutorat et les obligations qui seront faites au tuteur ?

Jean Domange : Effectivement. Les dispositions imposant un carnet de suivi avec double signature, quantifiant la durée d'accompagnement du jeune par le tuteur (20 % du temps), faisant courir le risque de requalification du contrat dans le cas où le tutorat serait jugé insuffisant, représentent des contraintes et des menaces qui ne sont pas de nature à inciter les entreprises à utiliser ce dispositif. Le tutorat, tel que nous l'avions défini dans notre accord de 1991, nous semble toujours une formule préférable car raisonnable.

Les Échos : Fallait-il prévoir un dispositif spécifique pour les jeunes diplômés ?

Jean Domange : C'est évident pour tous ceux qui, dans le contexte économique actuel, ont de grandes difficultés à trouver un emploi, et notamment ceux qui sont inscrits à l'ANPE depuis plus de six mois.

Les Échos : Pourquoi le CIP suscite-t-il cette levée de boucliers des jeunes diplômés ?

Jean Domange : L'interprétation négative qui a été faite de cette mesure favorable aux jeunes en difficulté est totalement injustifiée. Quand on mesure l'importance et la gravité du chômage des jeunes dans notre pays, et dès lors que le gouvernement a modifié sa position initiale sur la rémunération, cette levée de boucliers est tout à fait inexplicable et fort inquiétante. Nous risquons de périr étouffés sous le poids des corporatismes et des tabous. Je souligne qu'en ce qui nous concerne, nous n'avons pas demandé à ce que les jeunes diplômés soient payés en dessous du SMIC. Je suis, pour ma part, convaincu que les entreprises – celles du bâtiment par exemple – qui recherchent des jeunes qualifiés, payeront le titulaire d'un diplôme professionnel au salaire prévu dans la convention collective.

Les Échos : Est-ce que le dispositif, tel qu'il a été aménagé, vous paraît opérationnel ?

Jean Domange : Le CIP doit être, pour le jeune, une première expérience dans l'entreprise. C'est fondamental. C'est pourquoi il convient de limiter la durée du contrat : six mois renouvelables une fois nous paraît un temps suffisant. À l'issue de ce contrat, le jeune non qualifié doit pouvoir être intégré dans un emploi à part entière ou orienté vers l'apprentissage ou vers un contrat de qualification. Ces contrats ont fait leurs preuves et connaissent un succès grandissant. En février, l'augmentation du nombre des jeunes entrés en apprentissage a été de 59 % par rapport à février 1993 et de 36 % pour les contrats de qualification.

Les mesures prises par le gouvernement avant l'été, la campagne « Cap sur l'avenir » du CNPF et la mobilisation de l'organisation professionnelle et des entreprises qui en est résultée expliquent ces chiffres remarquables. Je pense que ces résultats sont également le signe que les perspectives économiques des entreprises s'améliorent et que l'horizon s'éclaircit.

Les Échos : Le président de la Fédération des travaux publics a préconisé l'instauration d'un SMIC régionalisé. Y êtes-vous favorable ?

Jean Domange : En effet, un rapport a été rédigé sur l'aménagement du territoire dont le SMIC régionalisé n'est que l'un des aspects. Le SMIC régionalisé n'est pas une notion préconisée par le CNPF. Nous sommes partisans d'un SMIC annualisé, évoluant selon le coût de la vie. Ce qui résoudrait d'ailleurs certains problèmes d'embauche, notamment ceux des non- qualifiés.

Les Échos : Vous êtes saisis actuellement d'un projet de décret sur l'aménagement du temps de travail dont vous contestez le contenu. Pourquoi ?

Jean Domange : Ce projet poserait, en l'état, des problèmes insolubles dans l'industrie. Aussi avons-nous alerté le gouvernement sur la nécessité de le modifier. Ainsi, en imposant deux jours de repos hebdomadaire, ce texte va à l'encontre des dispositions de flexibilité et d'annualisation des horaires prévues dans la loi quinquennale. Il est toutefois indispensable que certains secteurs, banques et commerces notamment, puissent organiser le travail différemment de façon à élargir le temps d'ouverture au public et, donc, de façon à satisfaire la clientèle.

Les Échos : Vous devez négocier le 11 avril avec les syndicats la mise en œuvre d'une indemnité compensatrice pour les salariés qui accepteraient un emploi moins rémunérateur que leur indemnité de chômage. Mais, là encore, vous traînez les pieds.

Jean Domange : Nous sommes très perplexes, car cette indemnité risque d'avoir des effets pervers. Rappelons-le : l'Unedic a d'abord pour mission d'assurer un revenu de remplacement aux salariés privés d'emploi. Il ne faudrait pas que le régime risque, demain, de financer des embauches qui, de toute façon, auraient eu lieu. Nous avons eu suffisamment de difficultés à rééquilibrer l'Unedic pour ne pas regarder attentivement toute initiative qui risquerait à nouveau de la déstabiliser.

Les Échos : Y a-t-il dans la loi quinquennale d'autres mesures d'application qui soulèvent des problèmes ?

Jean Domange : Nous avons engagé des négociations sur la formation avec les syndicats, qui vont reprendre le 5 avril. L'harmonisation des filières de formation est au cœur de ces négociations et je me réjouis que le Premier ministre ait promis que le gouvernement ne présentera aucun projet de loi avant que nos discussions contractuelles n'aient abouti.

Mais d'autres problèmes essentiels restent à résoudre, comme celui de la structure des organismes collecteurs et celui des conditions d'ouverture des sections d'apprentissage dans les lycées publics et privés. Il est indispensable qu'aucune position réglementaire ne soit prise, faute de quoi la négociation serait vidée de son contenu.

Les Échos : Des critiques se sont élevées dans les rangs patronaux après l'accord AGIRC. On vous reproche d'avoir augmenté une nouvelle fois les charges des entreprises alors que le CNPF proteste quand l'initiative en revient à l'Etat.

Jean Domange : Il est impossible de porter une appréciation sur l'accord que nous avons signé à l'AGIRC, et auparavant à l'ARRCO, sans regarder le problème dans son ensemble. Après la guerre, notre pays a décidé de mettre en place un système de retraite par répartition. C'était le seul moyen de verser des pensions à des personnes qui n'avaient jamais cotisé ou qui voyaient leur épargne fondre sous l'effet de l'inflation. Le dispositif a très bien marché dans les années de croissance. Mais, aujourd'hui, la situation est tout autre. La démographie s'est nettement ralentie. Le chômage et la multiplication des préretraites ont fortement réduit la population cotisante. Il fallait donc réagir.

L'accord que nous avons signé marque un tournant : pour la première fois, nous avons fait accepter aux organisations syndicales l'instauration d'une contribution des retraités (ce que le gouvernement nous a refusé à l'ASF) et un gel de pensions en 1994. Nous avons aussi imposé un effort d'assainissement et fortement réduit les frais de gestion. Je suis persuadé qu'il n'y avait pas d'autre solution praticable aujourd'hui.

Depuis la crise, nous nous efforçons d'adapter nos organismes de protection sociale. Chaque fois que nous sommes contraints d'augmenter les cotisations, en contrepartie nous réformons de manière très rigoureuse les prestations.

Les Échos : Au-delà des protestations de quelques grands patrons, comment réagissent les entreprises ?

Jean Domange : Les entreprises, dans leur très grande majorité, ont compris qu'on ne pouvait pas diminuer de manière drastique les retraites des cadres qu'elles ont employés pendant des années.

Les Échos : Mais ce sont les jeunes générations qui vont payer…

Jean Domange : Tout le monde doit faire des sacrifices si nous voulons sauvegarder un niveau correct de protection sociale.

Les Échos : La politique contractuelle s'essouffle. Il n'y a pas eu cette année une seule négociation engagée sans que vous y ayez été contraints, soit par les difficultés financières des régimes sociaux, soit par l'application de la loi quinquennale.

Jean Domange : C'est oublier les négociations d'entreprise et de branche. Ainsi que notre négociation sur la formation. Nous avons, nous, un devoir d'animation, d'incitation et d'information. C'est d'ailleurs pourquoi nous préparons pour le 13 avril une grande journée consacrée à « l'organisation du travail et l'emploi » qui va nous permettre de faire état des initiatives des entreprises et des professions qui peuvent avoir valeur d'exemple et jouer un rôle d'entraînement.

Les Échos : Les pays du G7 se réunissent demain sur le thème de l'emploi. La France devrait y défendre le principe d'une clause sociale dans les accords internationaux. Y êtes-vous favorables ?

Jean Domange : Un groupe de travail examine cette question au CNPF. Il paraît souhaitable d'introduire un certain contenu social dans les accords commerciaux multilatéraux. Et de prévoir une possibilité de vérifier que les règles édictées seront bien respectées.