Texte intégral
M.-C. Courtioux : Cela change-t-il quelque chose pour vous qu'il n'y ait pas de "vrai" grand jour, puisque la rentrée se fait cette année un peu à la carte ?
F. Bayrou : Non, au contraire. C'est un progrès que, selon le vœu des parents ou des enseignants, l'année scolaire puisse être organisée de manière différente. En tout cas, légèrement différente. Que chacun puisse trouver à l'école l'organisation du temps – vous savez que nous avons des problèmes de rythme scolaire en France – qui convient le mieux à son enfant. C'est bien qu'on puisse faire en sorte qu'on ait une "vraie" rentrée. Ce n'est pas grave que cette rentrée soit, en effet, étalée sur 3 ou 4 jours.
M.-C. Courtioux : Pas de coup d'arrêt pour l'expérience de la semaine de 4 jours ?
F. Bayrou : Il y a eu beaucoup de commentaires ici ou là, mais il y a un commentaire majeur, principal : c'est celui des familles et des enseignants. Lorsqu'on leur demande ce qu'ils souhaitent, ils répondent pour la plupart d'entre eux qu'en effet ils souhaitent se retrouver le samedi matin, qui est un jour où les parents ne travaillent pas. Plus de 75 % des Français souhaitent cela. Dans les écoles où c'est organisé, plus de 90 % des élèves, des parents et des enseignants, disent que c'est très bien et qu'ils ne voudraient surtout pas revenir à l'ancien système. Je veux insister sur un point : il n'y a pas un jour de classe perdu. Cette école libérée le samedi matin – pour répondre à l'attente des familles – est rattrapée, dans quelques écoles le mercredi matin si les parents et les enseignants le souhaitent ainsi, et dans la plupart des autres, en raccourcissant les vacances d'été ou les vacances intermédiaires que certains trouvent trop longues. Finalement, c'est une organisation qui ne se différencie pas beaucoup de l'organisation ancienne et qui laisse plus de place au samedi qui est un jour où les familles se retrouvent.
M.-C. Courtioux : L'étude dirigée concerne qui ? La classe de 6e et un peu le primaire, ou pas encore ? Avez-vous les moyens de tout faire ?
F. Bayrou : Cela concerne, à partir du 1er trimestre, toutes les classes de toutes les écoles primaires de France. Dans le courant du premier trimestre car il faut laisser aux enseignants le temps de s'adapter et de réfléchir à la manière dont ils vont pouvoir conduire ces devoirs. Tous les élèves feront leurs devoirs écrits en classe. C'est une grande œuvre de justice. Il y avait dans les écoles françaises deux sortes d'élèves. 1/ Ceux qui étaient aidés à la maison. 2/ Ceux qui ne pouvaient pas être aidés à la maison et qui ne savaient pas très bien comment se sortir de ces devoirs écrits. On laissera à la maison les leçons à apprendre, ce qui aura – à mes yeux – l'avantage de rendre à la mémoire une part de la place qui doit être la sienne, qui est importante, et qu'elle avait perdue depuis quelques années.
M.-C. Courtioux : Les parents trouveront tout cela dans le livret "Tout sur la nouvelle école".
F. Bayrou : En vente dans tous les kiosques pour que chacun puisse le trouver et pour un prix modique, 10 francs.
M.-C. Courtioux : Cette année, il manque des recrutements de maîtres auxiliaires ?
F. Bayrou : Il y a des années et des années que tout le monde dit : il faut que devant les élèves il y ait des maîtres titulaires, formés, qui ont passé le concours et non pas des auxiliaires qui manqueraient de formation. Tout le monde dit cela, et vous aussi, lorsqu'il s'agit de vos propres enfants. Tout le monde travaille à ce sujet. Cette année – ce n'est pas la première année – nous avons pu progresser. Il y a davantage de professeurs titulaires, de professeurs formés devant les élèves. C'est un bien. Alors, naturellement, ces professeurs titulaires, formés, remplacent quelquefois des maîtres auxiliaires. Pour ces maîtres auxiliaires, j'ai mis en place un concours particulier pour qu'ils puissent profiter de leur expérience. Un concours qui leur est réservé pour devenir titulaire, pour acquérir la formation nécessaire pour être un enseignant de pleine exercice. C'est déjà un progrès très important.
Jeudi 8 septembre 1994
Europe 1
F.-O. Giesbert : Toute la presse dit que la rentrée se passe bien. Pense-vous qu'il n'y aura ni grèves, ni manifestions, cette année ?
F. Bayrou : Je n'ai jamais dit ça, on n'est sûr de rien. Laissez-moi d'abord souhaiter une bonne rentrée aux élèves, aux parents d'élèves dont le cœur bat quelquefois plus que celui des élèves eux-mêmes, et aux maîtres sur qui l'essentiel de l'effort de l'Éducation nationale.
F.-O. Giesbert : Selon un sondage du magazine Phosphore, le moral n'est tout de même pas très bon dans les lycées.
F. Bayrou : D'abord, toutes les générations ont plus ou moins eu le sentiment qu'elles avaient des choses difficiles à traverser. Je crois qu'il faut éviter de leur répéter tous les jours de chômage, difficultés, crise, SIDA. Ils n'ont vécu que là-dedans. Il faut essayer, pour les médias autant que pour les responsables politiques, tous ceux qui renvoient une image de l'avenir, nous avons le devoir d'optimisme pour les jeunes. Nous avons le devoir de leur dire que la vie qu'ils vont construire et que nous allons les aider à construire, c'est une vie qui vaut la peine d'être vécue.
F.-O. Giesbert : Ils se plaignent aussi des sureffectifs dans les classes.
F. Bayrou : Cette année, le nombre des élèves par classe, en moyenne, baisse. Il ne baisse pas autant qu'il faudrait, mais cette année, le nombre des élèves baisse par ce que nous avons créé plus de postes d'enseignants que la poussée démographique n'aurait dû nous y obliger.
F.-O. Giesbert : Pourquoi les choses se sont-elles apaisées, selon vous ?
F. Bayrou : SI j'avais pris les 158 décisions de ma propre autorité, rien ne serait apaisé en cette rentrée, et en tout cas, les gens n'avanceraient pas ensemble. Je crois que les choses se sont apaisées autour d'une idée d'une école qui changeait et qui progressait parce que nous avons préparé toutes ces décisions pendant des semaines, et des semaines, avec les acteurs eux-mêmes. Le monde dans lequel les gouvernements décident tous seuls, sans s'occuper des gens, à mon avis, c'est un monde fini. Je trouve que c'est heureux. Nous essayons d'inculquer aux jeunes et aux enfants le sentiment de responsabilité. La responsabilité, pour le pouvoir, ça consiste à demander à ceux qui font les choses dans quel sens ils pensent qu'on pourrait améliorer leur action.
F.-O. Giesbert : Pouvez-vous nous expliquer ce qui va changer dans nos écoles ? D'abord le primaire.
F. Bayrou : Il y avait une très grande injustice – insupportable pour moi – entre ceux qui rentraient à la maison et qui étaient livrés à eux-mêmes. Pas seulement parce que les parents travaillaient ; aussi parce qu'il y a des parents qui n'avaient pas les moyens de les aider, et parce que, quelquefois, la télévision marchait tout le temps et ils ne pouvaient pas faire leurs devoirs. Donc, désormais, tous les élèves seront aidés, guidés dans ce qui est essentiel, c'est-à-dire acquérir des méthodes pour travailler. Sans cela, vous ne réussissez pas.
F.-O. Giesbert : Et les changements en cinquième ?
F. Bayrou : Ça, c'est pour la rentrée prochaine. La principale nouveauté, au collège, c'est l'expérimentation de la classe de sixième dans laquelle on va essayer de répondre tout de suite lorsqu'on repérera les difficultés pour un élève, de faire en sorte qu'il puisse recevoir une aide personnalisée en petits groupes. Je trouve que c'est très bien. C'est expérimenté cette année dans 368 collèges.
F.-O. Giesbert : Vous avez simplifié le bac, aussi, en filières L, S, ES et séries techniques. Pourquoi ?
F. Bayrou : Tout le monde disait que c'était très compliqué, mais on ne réussissait pas à changer cette réalité. Au fond, c'était très simple : il y avait une voie royale, le bac C, le bac scientifique, qu'on choisissait quels que soient ses dons et ses aptitudes pour les matières scientifiques dès l'instant qu'on était un bon élève ; et puis des bacs considérés comme beaucoup moins nobles ou pas nobles du tout. Je trouve que ce n'est pas juste. Un pays comme le nôtre a besoin de donner leur chance non seulement aux élèves bons en maths, mais aussi aux autres. Il n'était pas juste, ni bon pour l'avenir du pays, qu'on ait cette espèce de tri à dominante scientifique. Il faut que toutes les excellences puisent mettre en valeur tous leurs dons.
F.-O. Giesbert : V. Giscard d'Estaing a été relégitimé à la tête de l'UDF, vous êtes content ?
F. Bayrou : Oui.
F.-O. Giesbert : Vous comptez toujours prendre la tête du CDS ?
F. Bayrou : On verra lorsque les dates seront arrêtées. Mais je vous promets que je viendrai vous le dire, si jamais je prends cette décision. Et je vous expliquerai pourquoi.
F.-O. Giesbert : Vous avez lu l'entretien de F. Mitterrand, dans le Figaro ?
F. Bayrou : Oui. D'abord, je crois que l'interviewer est excellent, il faut le dire à cette antenne. Il faut expliquer à ceux qui nous écoutent que l'interviewer, c'est vous. Et puis ensuite, c'est très intéressant du point de vue humain parce qu'il y a une réflexion sur l'âge qui s'avance, une vision du monde qui est intéressante. Quant au point de vue politique, je trouve qu'il n'y a rien de très nouveau. Chaque fois que quelqu'un monte dans la majorité, comme futur candidat possible aux élections présidentielles, F. Mitterrand s'efforce de faire remonter l'autre. C'est un jeu d'ascenseur et de bascule dans lequel il est expert.
F.-O. Giesbert : Trouvez-vous, comme F. Mitterrand, que le Premier ministre parle trop ?
F. Bayrou : Pas du tout. Si le Premier ministre ne s'exprime pas au moment de la rentrée, quand s'exprimera-t-il ? Si le Premier ministre ne donne pas es orientations au pays au moment où chacun se remet dans son travail, qui le fera ? Donc, moi je considère qu'il est normal que le chef du gouvernement s'exprime.
F.-O. Giesbert : Vous êtes balladurien, chiraquien, giscardien ?
F. Bayrou : Je suis secrétaire général de l'UDF, je remplis mes responsabilités et j'essaie de réfléchir à la vision que le centre et le centre-droit, qui sont une partie très importante de la majorité et qu'on n'entend pas assez, doivent avoir de l'avenir du pays.
F.-O. Giesbert : Combien avez-vous d'enfants qui font leur rentrée, aujourd'hui ?
F. Bayrou : Cinq parce qu'une de mes filles est désormais sous les drapeaux.
F.-O. Giesbert : Ils vous disent merci papa, merci monsieur le ministre ?
F. Bayrou : Ils n'ont pas du tout ce genre de relation avec moi. Ils essaient de se forger leur propre idée de l'école et c'est aussi bien comme ça.