Texte intégral
Dominique de Montvalon : Comment interprétez-vous la démission surprise du président algérien ?
Hervé de Charette : La démission du président Zéroual est évidemment un signe de crise grave, voire très grave, en Algérie. Cela signifie que la plus haute autorité de l’État renonce à assumer sa fonction. Les raisons médicales évoquées ici ou là ne sont manifestement pas la cause de cette décision, dont on voit très bien qu’elle est politique. Il y a des désaccords fondamentaux entre les dirigeants, c’est-à-dire entre les militaires, que seule une élection présidentielle peut clarifier.
Dominique de Montvalon : Jugez-vous souhaitable que les islamistes « modérés » soient, d’une façon ou d’une autre, réintégrés dans le jeu politique démocratique. Si oui, à quelles conditions ?
Hervé de Charette : Le caractère religieux d’un parti politique n’est certainement pas un motif pour l’écarter du jeu politique. S’il existe bien des islamistes modérés, il est donc naturel qu’ils puissent participer à la vie publique. Encore faudrait-il avoir des assurances concernant l’engagement de ces partis à respecter le caractère largement laïque des institutions algériennes. Ce qui a provoqué la crise, il y aura bientôt dix ans, c’est la volonté des islamistes de changer la société algérienne dans un sens théocratique et par voie autoritaire. Ce n’était pas tolérable. Cela ne l’est toujours pas.
Dominique de Montvalon : Comment expliquer la persistance des massacres en Algérie ?
Hervé de Charette : Les massacres montrent bien qu’aucun problème n’est résolu en Algérie. Pour le plus grand malheur du peuple algérien.
Dominique de Montvalon : Simone Veil, qui faisait partie de la mission d’information de l’ONU en Algérie, vient de dire, sur Europe 1, qu’il faut aider les Algériens « contre cet islamisme de haine qui veut imposer absolument sa loi », et qu’on ne saurait mettre sur le même plan « des actes terroristes complètement gratuits avec ce qui peut être fait (par les forces gouvernementales) pour lutter contre cela ». Partagez-vous cette analyse ?
Hervé de Charette : Évidemment ! On ne peut pas tout mélanger. Mais, en même temps, il faut mettre toutes les cartes sur la table, et permettre au peuple algérien et à l’opinion publique internationale d’avoir droit à une véritable transparence de l’information. C’est cela qui a manqué jusqu’ici. Le pouvoir algérien a trop souvent donné l’impression qu’il avait quelque chose à cacher.
Dominique de Montvalon : Simone Veil a également insisté sur le rôle décisif des femmes algériennes. Sont-elles tellement en mesure de peser sur la situation ?
Hervé de Charette : Oui. Les femmes algériennes se sont manifestées à plusieurs reprises de façon admirable. L’Algérie nous livre à la fois des images terrifiantes et d’autres qui sont merveilleuses. Celles-là, on les doit aux femmes. Une nouvelle fois, elles vont tenir le sort de l’Algérie entre leurs mains. Car c’est elles qui sont dépositaires de la paix et de la démocratie.
Dominique de Montvalon : Les Américains sont-ils toujours aussi présents en Algérie ?
Hervé de Charette : Oui, je crois. Mais leur politique n’est pas très lisible, comme on dit maintenant.
Dominique de Montvalon : Êtes-vous aujourd’hui plus ou moins optimiste sur l’avenir de l’Algérie qu’à l’époque où vous étiez, de 1995 à 1997, ministre des Affaires étrangères ?
Hervé de Charette : À la vérité, les choses n’ont guère changé. Ce qui est nouveau, c’est cette crise. Je crois qu’elle vient à point nommé pour obliger l’Algérie à faire des choix. De ce point de vue, la démission du président Zéroual, qui est un acte de faiblesse, est aussi un service rendu à son pays.