Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, en réponse à une question sur le recensement des prisonniers de guerre français disparus sur le front de l'Est durant la deuxième guerre mondiale, à l'Assemblée nationale le 1er juin 1994.

Prononcé le 1er juin 1994

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Q. : Monsieur le Président, ma question s'adresse à Monsieur le ministre des Affaires étrangères, à l'heure même où notre pays s'apprête à fêter le 50e anniversaire de notre libération, ma question est la suivante.

Que sont devenus les 33 925 Français, Alsaciens et Mosellans, disparus sur le front de l'Est ou détenus dans les camps soviétiques à la fin de la dernière guerre mondiale ?

Cette question, nos concitoyens se la posent depuis cinquante ans, sans jamais avoir obtenu de réponse. Le Luxembourg, il y a dix ans, a sollicité et obtenu la liste de ses ressortissants eux aussi incorporés de force dans l'armée allemande. Pourtant cette liste des victimes françaises existe. Elle a été établie par la Russie à partir des archives du KGB, donnée au professeur Karner de l'université autrichienne, revenue au conseil général du Haut-Rhin, qui l'a archivée. Cette liste contiendrait les noms, prénoms, dates et lieux de naissance et hélas souvent la date de décès de ces "malgré-nous". Monsieur le ministre, ma seconde question est la suivante : êtes-vous disposé à obtenir officiellement cette liste afin de pouvoir procéder à sa publication, et à son exploitation, et, enfin, à répondre à la question angoissante que se posent les conjoints survivants, les ascendants ou descendants de ces "malgré-nous", victimes du nazisme ?

R. : Monsieur le député,

On ne peut, en matière internationale, être "décidé à obtenir", on ne peut "qu'être décidé à demander" ! Et je vous rassure, c'est ce que la France fait depuis quarante-cinq ans ! Les gouvernements successifs se sont tous préoccupés du sort de nos compatriotes qui ont disparu pendant la Deuxième guerre mondiale sur le front de l'Est, notamment les "malgré-nous". Vous avez donné des chiffres qui correspondent à la réalité.

Chaque fois qu'une famille ou une association nous donnent des précisions sur l'état-civil, sur le lieu de disparition ou sur le degré de parenté avec la personne recherchée, nous entamons immédiatement des démarches auprès des capitales concernées qui peuvent être désormais, étant donné la disparition de l'ancienne URSS, Moscou, Kiev ou Minsk. Nous l'avons encore fait au cours des semaines précédentes.

En ce qui concerne les archives des prisonniers de guerre français dans l'ex-URSS, vous l'avez rappelé, la liste des dossiers de ces Français, notamment de ceux qui étaient internés au camp de Tambov, a été dressée par un universitaire autrichien, M. Karner. Elle est aujourd'hui à la disposition du conseil général du Haut-Rhin.

Dans les dernières semaines, j'ai adressé plus de quinze demandes de photocopies de ces dossiers d'archives aux autorités de Moscou. J'ai moi-même renouvelé cette demande lorsque j'y suis allé, il y a une dizaine de jours. Je n'ai toujours pas, à l'heure actuelle, reçu de réponse favorable des autorités russes.

Nous ne renonçons pas pour autant et je vais, bien entendu, demander à nos ambassades dans les trois capitales concernées, celles de la Russie, de Biélorussie et l'Ukraine, de renouveler ces démarches pressantes, car je comprends les préoccupations, plus que les préoccupations, le drame que vivent les familles de ces disparus.